Prévenir l’acidose dans un contexte à risque - Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007
Le Point Vétérinaire n° 272 du 01/01/2007

Affections métaboliques des vaches laitières

Se former

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Marc Aubadie-Ladrix

Fonctions : Route de Mirande
32170 Miélan

Il n’existe pas de signes cliniques ou zootechniques caractéristiques de la subacidose. Le recoupement de divers symptômes permet seul d’annoncer un risque, pour passer directement à l’étape de prévention.

L'acidose ruminale correspond à une baisse du pH du contenu du rumen à la suite de la consommation excessive d’aliments riches en glucides fermentescibles qui sont transformés en acides gras volatils, à l’origine de cette diminution. Dans la forme aiguë, des quantités importantes de ces aliments sont ingurgitées accidentellement, ce qui peut provoquer la mort des animaux.

Cela est assez rare en élevage laitier, contrairement à l’acidose subclinique. Cette forme d’acidose est aussi qualifiée de chronique, de latente, ou appelée “subacidose”. Les Anglo-Saxons la baptisent SARA pour subacute ruminal acidosis [4]. Cette affection est d’un diagnostic difficile en élevage.

Première étape : identifier les situations à risque

Pour assurer une production laitière importante, des concentrés énergétiques sont distribués en quantités abondantes aux vaches fortes productrices, ce qui représente la situation à risque d’acidose la plus fréquente en élevage laitier moderne.

Toutefois, le risque existe aussi dans des contextes plus extensifs : l’herbe jeune ou encore les betteraves sont naturellement riches en glucides rapidement dégradés. L’acidose est un trouble du métabolisme des glucides vers les voies des acides gras volatils à trois et quatre carbones (C3 : acide propionique ; C4 : acide butyrique).

1. Quantité de glucides distribués et caractère fermentescible

La quantité de glucides distribués et leur caractère fermentescible sont les paramètres déterminants de la ration vis-à-vis du risque d’acidose. À l’inverse des celluloses, les sucres, pectines et certains amidons se dégradent rapidement et induisent une faible salivation (voir la FIGURE “pH du rumen en fonction de la proportion des différents acides gras volatils issus de la transformation des glucides dans le rumen”). La vitesse de dégradation des glucides, et notamment de l’amidon, varie beaucoup suivant les aliments (voir le tableau “Dégradabilité de l’amidon”).

2. Taille des particules

La réduction de la taille des particules accélère les processus de fermentation, donc elle accentue le risque de subacidose. Ce critère doit être apprécié dans la ration de base, mais aussi pour les concentrés.

3. Fréquence des repas

La fréquence des repas a une influence : l’étalement de la prise alimentaire dans la journée réduit les fluctuations importantes de pH.

4. Transition alimentaire

Une mauvaise transition alimentaire entre une ration pauvre et une plus riche, notamment en concentrés, peut être un élément déclenchant, via la production élevée d’acides gras volatils. L’adaptation de la microflore ruminale nécessite deux à trois semaines au minimum et celle des papilles encore davantage. Les transitions entre tarissement et début de lactation, les changements de silos, les périodes de mise à l’herbe au printemps sont particulièrement à risque.

Deuxième étape : détecter les signes cliniques

Lors d’acidose chronique, il n’existe aucun symptôme spécifique, mais certains signes sont évocateurs (voir la FIGURE “Pathogénie de l’acidose et signes cliniques évocateurs”).

1. Signes digestifs et métaboliques

• Paradoxalement, des cétoses peuvent survenir lors d’acidose chronique, car la motricité du rumen est perturbée, d’où une fluctuation de l’ingestion, ce qui accentue les déficits énergétiques en début de lactation.

• La rumination est ralentie. Dans un troupeau exposé à ce risque, les vaches en acidose mâchent le bol alimentaire environ 40 fois alors que le rythme optimal se situe au-delà de 60.

• Le risque de déplacement de caillette est accru car la motricité abomasale peut être perturbée. Selon notre expérience, l’observation de deux ou trois cas de déplacement de caillette sur une saison dans un cheptel de taille standard (environ 80 vaches laitières) impose de rechercher un état d’acidose chronique.

• Des épisodes diarrhéiques accompagnent les acidoses. Il est donc nécessaire d’observer les bouses. L’acidose modifie la structure de l’épithélium de la panse (hyperkératose) et peut engendrer des lésions inflammatoires pénalisant la digestion, d’où la présence d’éléments non digérés dans les déjections. Ce phénomène peut évoluer jusqu’à l’ulcération.

2. Foyers infectieux

• Les altérations de la paroi du rumen et l’inflammation qui en résulte (ruminite) favorisent le passage de bactéries dans la circulation générale. Des foyers infectieux peuvent ensuite apparaître en divers points de l’organisme, en particulier des abcès hépatiques. Leur diagnostic clinique est difficile. Dans la plupart des cas, ils constituent des découvertes en abattoir, mais des examens complémentaires pourraient a priori être mis en œuvre pour les déceler du vivant de l’animal :

- un examen échographique transabdominal pour les abcès superficiels ;

- une numération et une formule sanguines (hyperneutrophilie) ;

- un dosage sanguin des protéines totales (supérieures à 75 g/l), des globulines (supérieures à 40 g/l) et de l’haptoglobine (non accessible en pratique courante) 

- une endoscopie.

Des abcès peuvent aussi survenir dans les poumons, le cœur ou les reins lors d’acidose.

• Certains praticiens témoignent d’une augmentation de la fréquence des maladies infectieuses (mammites, métrites) ou métaboliques (parésies) dans les cheptels affectés. Aucune étude n’a toutefois prouvé ce lien.

3. Fourbure

L’acidose du rumen est un facteur déterminant parmi ceux susceptibles d’engendrer une fourbure. Des substances passent en quantité excessive à travers la paroi du rumen dans la circulation et induisent dans le pied des phénomènes de vasoconstriction, d’ischémie et d’inflammation. Surviennent alors des boiteries. La corne est de mauvaise qualité, trop souple, et pousse de façon anarchique (onglons en babouche). Les blessures de la sole et de la corne sont plus fréquentes.

Troisième étape : signes zootechniques

La première conséquence de l’acidose chronique est la baisse d’ingestion, avec différentes implications, en particulier un impact sur les taux de matières utiles du lait.

1. Chute de la matière sèche ingérée avec forte variabilité journalière

• Les amidons rapidement dégradables (orge, blé) altèrent davantage l’ingestion que les amidons “lents” (maïs). Le phénomène est aggravé par une chute de la digestibilité des fourrages (diminution de la flore cellulolytique) et une moindre absorption par la muqueuse (lésions inflammatoires). La production laitière diminue.

• Une ingestion réduite, en début de lactation, accentue le déficit énergétique, donc la fréquence de cétoses cliniques ou subcliniques.

2. Baisse du taux butyreux

Une chute du taux butyreux (TB) peut être un signe d’alerte. Toutefois, les TB sont parfois normaux en situation d’acidose, si certains aliments riches en sucres sont présents dans la ration (betteraves). De même, les vaches en début de lactation peuvent conserver des valeurs normales de TB (fonte du tissu adipeux). Pour plus de sensibilité, ce paramètre est donc à étudier individuellement après le troisième contrôle laitier.

Quatrième étape : examens complémentaires

L’acidose étant une maladie d’élevage, les analyses biologiques sont à effectuer chez plusieurs animaux du troupeau.

1. pH de la panse

• Le pH du rumen se situe normalement entre 6 et 6,5. Dans le cas de l’acidose aiguë, il descend à 5, voire à 4 dans la forme clinique. En réalité, le pH ruminal évolue dans la journée. Après la consommation de glucides, il diminue physiologiquement. La mesure du pH est à réaliser de préférence au moins quatre heures après un repas de concentrés. Pour que les résultats soient représentatifs, le contenu ruminal doit être prélevé assez bas dans le sac ventral par ponction ruminale ou par voie buccale, avec des sondes lestées (PHOTOS 1 et 2). Lors du retrait du dispositif, une contamination salivaire peut fausser les résultats. Ces techniques de prélèvement buccal restent à valider. Des sources américaines (non publiées) stipulent qu’environ dix à douze prélèvements par troupeau sont nécessaires pour que le résultat soit significatif, ce qui limite la réalisation pratique de ce type de mesures.

• Plutôt que de fixer une valeur seuil pour ce paramètre (par exemple 5), il conviendrait de tenir compte du temps pendant lequel le pH reste en dessous d’une certaine valeur. Sauvant (Inra, 1999) définit ainsi l’état de subacidose comme une situation où le pH reste en dessous de 6 pendant au moins quatre heures [6]. Suivant les publications, cette valeur varie entre 5,5 et 6,25. Les modalités de l’utilisation pratique de ces critères restent à définir.

2. Glycémie

La mesure de la glycémie, loin des repas, chez au moins cinq ou six vaches en lactation permet de suspecter un état d’acidose. Des valeurs au-dessus de 0,65 à 0,70 g/l sont à risque. Mais, ce paramètre n’est pas spécifique (faux positifs lors de stress dû à la contention).

Cinquième étape : stratégie préventive

Les mesures préventives visent à rétablir une microflore ruminale optimale et à privilégier en particulier les bactéries cellulolytiques (voir la FIGURE “Principes de contrôle de l’acidose en élevage laitier”).

1. Respect de la flore cellulolytique

• La teneur en cellulose brute (CB) de la ration doit être supérieure à 17 % de la matière sèche (MS) et, surtout, la teneur en NDF (neutral detergent fiber) doit dépasser 28 à 35 %, les trois quarts provenant des fourrages.

• De l’azote soluble doit être apporté en quantité suffisante, issu de la digestion des protéines alimentaires. Cela est généralement le cas lorsque le taux d’urée du lait est supérieur à 250 mg/l.

• Des minéraux et des oligo-éléments sont nécessaires, notamment du phosphore, du cobalt et du soufre (sous forme de sulfates ou d’acides aminés soufrés, comme la méthionine).

2. Respect des transitions alimentaires

Dans un schéma de distribution individuelle, l’accroissement des concentrés en début de lactation est limité à 500 g tous les deux jours. Distribuer la même ration en quantités différentes, aux vaches taries et à celles en production, réduit les risques.

3. Maîtrise de la vitesse des fermentations

Le taux d’amidon dégradable dans le rumen ne doit pas dépasser 30 %, ni les sucres représenter plus de 8 % de la MS, ni l’ensemble amidon et sucres être supérieur à 35 % de la MS [b].

Pour traiter l’acidose sans pénaliser la production, il peut être intéressant de remplacer le blé, l’orge ou l’avoine de la ration par des amidons plus lentement dégradés, tels que ceux contenus dans le maïs, le sorgho ou la pomme de terre.

Une même céréale peut être distribuée aplatie ou tannée, afin d’en ralentir la digestion par rapport à la farine.

Le fractionnement des repas est aussi une mesure simple et efficace vis-à-vis du risque d’acidose. L’utilisation de distributeurs automatiques de concentrés (DAC) facilite sa mise en œuvre, mais les nourrisseurs conçus pour la distribution de rations sèches conviennent aussi. En ration complète distribuée à la dessileuse, la multiplication du nombre de repas peut être plus astreignante pour l’éleveur.

4. Contrôle du pH ruminal

Fibrosité de la ration

• Divers critères autour de la fibrosité de la ration sont contrôlés (voir les TABLEAUX “Répartition optimale de la taille des particules alimentaires d’un ensilage de maïs” et “Critères d’appréciation de la fibrosité de la ration”). Toutes les rations riches en concentrés plus ou moins broyés diminuent la quantité de salive produite, dont le pouvoir tampon est essentiel.

• La fibrosité de la ration doit s’estimer à l’auge : en effet, l’incorporation des ingrédients de la ration dans la dessileuse ou l’utilisation d’une mélangeuse peuvent réduire la taille des particules du silo. Un examen à l’œil nu est subjectif. L’usage d’un tamis est recommandé (PHOTO 3).

Apport de substances tampons

Diverses substances ajoutées à la ration permettent de contrer le risque d’acidose :

- le bicarbonate de soude à 1 à 1,5 % de la matière sèche totale, ce qui représente environ 200 à 300 g/vache/j, pour un faible coût 

- l’oxyde de magnésium est alcalinisant à 50 g/j.

Adjonction de levures

Différents micro-organismes séchés améliorent le pH ruminal, mais leur effet est lent par rapport à celui du bicarbonate. Par exemple : la levure Saccharomyces cerevisiae agit en stimulant la croissance bactérienne et l’activité ruminale de la flore ruminale, Megasphera elsdeni induit une stabilisation du pH et une meilleure transformation de l’acide lactique, extrêmement acidogène, en acide propionique.

Après avoir prodigué les conseils diététiques et alimentaires adéquats, le praticien doit vérifier l’efficacité des mesures prises, quelques semaines plus tard. Comme lors du diagnostic initial, il convient, là encore, de procéder par recoupement de signes indirects évoquant la disparition du contexte à risque d’acidose.

Voir l’article “Nouvelles tables Inra pour les fourrages” de R. Baumont, dans ce numéro.

Du NDF au NDFF

La teneur en NDF (neutral detergent fiber ou fibre chimique) de la ration est facile à calculer à l’aide de tables. En France, celles de l’Inra viennent d’être réactualisées sur ce critère (1) [3]. Toutefois, au-dessus de 45 % de NDF dans la matière sèche (MS) totale de la ration, il n’influe plus sur le pH.

Certains auteurs préfèrent la notion de fibre physique mesurée par la taille moyenne des particules ou la proportion de matière sèche retenue par un tamis de 2 mm [6]. Selon l’aliment dominant de la ration, c’est la fibre physique (ensilage de maïs) ou la fibre chimique (ensilage d’herbe) qui est le facteur limitant. Toutes ces données prouvent qu’aucun paramètre ne permet de prévoir avec fiabilité le pH ruminal à partir de la ration.

La notion de fibre effective développées par les Anglo-Saxons (teneur en NDF des particules supérieure à 1,18 mm), et les indices de mastication de De Brabander sont des approches assez synthétiques [1]. Un nouveau critère français semble prometteur : la teneur en NDF de fourrage du régime offert (NDFF).

Les premières études situent le niveau optimal à 20 % de la MS totale de la ration. Ce paramètre reste à valider plus précisément.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr