Le bien-être s’impose en pratique bovine - Le Point Vétérinaire n° 271 du 01/12/2006
Le Point Vétérinaire n° 271 du 01/12/2006

ÉVOLUTION DES FILIÈRES DE PRODUCTION

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Nathalie Bareille

Fonctions : Unité zootechnie économie
ENV de Nantes
Atlanpôle La Chantrerie
BP 40706
44307 Nantes Cedex 03

En production bovine, le bien-être est déjà réglementé. Inclus dans divers cahiers des charges, il fait actuellement l’objet de travaux scientifiques.

L’éleveur de bovins a encore le sentiment d’élever ses animaux d’une façon satisfaisante pour l’opinion publique, contrairement à ses collègues des filières avicole et porcine, qui se sentent agressés par les consommateurs et les associations de protection des animaux [1]. Toutefois, pour diverses raisons, le bien-être s’impose discrètement parmi les préoccupations des éleveurs et des praticiens de la filière bovine.

Vétérinaire sensibilisateur

La santé est une composante fondamentale du bien-être animal. La définition la plus commune de cette notion, proposée par le Farm Animal Welfare Council(1) en 1980 et connue sous le nom des “cinq libertés”, évoque la nécessité d’une absence de maladie et de blessures. Bien présent dans les élevages, le praticien est un témoin privilégié des conditions de vie des bovins, en particulier de la qualité des soins appor­tés aux animaux mala­des. Il intervient préventivement en conseillant les éleveurs pour le logement ou l’alimentation, afin de limiter l’incidence des maladies dans les élevages, donc d’améliorer le bien-être. Toutefois, il lui est plus difficile de critiquer la capacité de l’éleveur, son client, à prendre en charge, voire à soigner ses animaux malades. À l’occasion d’un vêlage, le vétérinaire découvre parfois des animaux boiteux, en mauvaise santé, mais que l’éleveur ne souhaite pas soigner. Les récentes formations collectives “éleveur, infirmier de son élevage” fournissent l’occasion aux praticiens d’intervenir de façon préventive dans de telles situations, par une sensibilisation directe des éleveurs. Elles sont néanmoins fondées sur le volontariat.

Exercice illégal et protection animale

Plus traditionnellement, le vétérinaire participe à des pratiques chirurgicales, à but zootechnique (écornage, castration, etc.) ou curatif, qui peuvent avoir des effets instantanés sur le bien-être animal en raison de la douleur engendrée. Or l’éleveur est parfois tenté de les mettre en œuvre lui-même, sans avoir pour autant les outils thérapeutiques optimisant les conditions de leur réalisation.

Le 25 octobre 2006, la cour d’appel de Dijon a confirmé la condamnation de trois éleveurs pour avoir réalisé des césariennes sur leurs vaches [c, d]. Le jugement a tenu compte du fait que la césarienne est « par nature dangereuse » pour la santé de l’animal. Il ne met pas en cause directement une atteinte à la protection animale, mais démontre qu’il ne s’agit pas d’un acte courant. Dans cette affaire, les vétérinaires (requérant l’exercice illégal) s’étaient portés partie civile aux côtés de l’association Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs et ils ont obtenu réparation. Face à cette nouvelle donne, le praticien doit communiquer avec les éleveurs sur l’utilisation des anesthésiques et des antalgiques pour minimiser la souffrance des animaux lors de la réalisation d’actes chirurgicaux.

Euthanasie à bon escient

Au quotidien, le praticien se plaint que la situation se détériore en matière de bien-être : des animaux lui sont présentés dans un état de santé dégradé en raison de la mauvaise prise en charge des premiers soins. La taille croissante des troupeaux et la diminution du nombre de personnes pour s’en occuper sont à la décharge des éleveurs. La pression économique s’intensifie sur ces derniers, donc sur le praticien. Certains actes salutaires pour le bien-être sont relégués dans le domaine des charges inutiles.

La décision d’euthanasie reste difficile à prendre. Les facteurs affectifs interviennent parfois (par exemple, une vache qui a longtemps fait partie du troupeau), mais c’est surtout l’incertitude du pronostic et l’espoir d’une guérison qui rendent le choix délicat. Le vétérinaire est alors en première ligne pour amener l’éleveur à prendre en compte le bien-être de ses animaux. Actuellement peu encadrée, l’euthanasie est variablement réalisée selon les éleveurs. Les praticiens témoignent de vaches couchées, abandonnées à leur sort, après un traitement infructueux, sans parler des veaux présentant des diarrhées « qui ne valent plus la peine d’être soignés » en élevage laitier.

Aux États-Unis, en production porcine, le cahier des charges Swine Welfare Assurance Program recommande un taux minimal d’animaux euthanasiés par rapport au nombre total de bêtes mortes pour encourager les éleveurs à recourir à cette pratique. En France, les praticiens ruraux témoignent de façon unanime que la prime à l’abattage mise en place en 2000 dans le cadre de la surveillance de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) a favorisé le recours à l’euthanasie. Cette pratique a régressé depuis. Certains vétérinaires estiment alors que le bien-être, concept cher à la société, devrait bénéficier d’aides de l’État.

Balbutiements de la réglementation

L’élevage bovin est encore peu concerné par la réglementation européenne relative au bien-être, mais la poussée culturelle et géopolitique du nord de l’Europe en ce sens est indéniable.

Seul le logement des veaux est actuellement visé : aucun ne doit être attaché ou enfermé en case individuelle après l’âge de huit semaines [b]. De plus, les parois des cases individuelles (donc réservées aux jeunes veaux) doivent être ajourées. Les veaux d’élevage sont aussi concernés. Le praticien peut alerter ses clients en cas de manquement.

Une réflexion juridique est aussi en cours pour définir les critères de non-transportabilité des animaux malades. Pour des raisons de bien-être animal, la possibilité d’un abattage en urgence, à l’abattoir comme à la ferme, est maintenue dans la récente réglementation européenne baptisée “pack hygiène” [a].

Assurance qualité

Les démarches certifiant la conformité d’un produit à un cahier des charges sont une voie prometteuse pour l’amélioration du bien-être animal. Elles sont mises en place par des industriels pour anticiper et gérer des inquiétudes du consommateur, et séduisent les éleveurs car les produits sont valorisés. En France, il en existe peu qui soient centrées sur le bien-être (œufs de poules élevées en plein air, par exemple), contrairement au Royaume-Uni (RSPCA’s Freedom Food(2)), à l’Autriche (Animal Needs Index) ou encore aux États-Unis (Human Farm Animal Care). Les cahiers des charges, centrés sur le bien-être, décrivent les conditions dans lesquelles les animaux doivent être élevés (procédures de castration, d’écornage, de soins, d’euthanasie, etc.). Le praticien de l’élevage est alors la personne habilitée à définir ces procédures avec l’éleveur. Il choisit la méthode dans une gamme de techniques proposées par le cahier des charges, rédige et signe une version personnalisée pour l’élevage. Toutefois, ces textes n’offrent pas de réelle garantie : dans un même système d’élevage optimisant le bien-être, les animaux peuvent présenter divers degrés de gravité de blessures, de boiteries, d’état de santé, donc de bien-être.

Pour apprécier le plus objectivement possible des résultats, plutôt que des moyens mis en œuvre pour le bien-être animal, des grilles d’appréciation fondées sur l’observation des animaux par un intervenant externe sont actuellement testées en élevage. Les praticiens pourraient aussi jouer un rôle dans cette nouvelle approche. Ils le font déjà au Danemark, dans une démarche d’évaluation et de suivi de conseil pour améliorer les points de non-conformité aux critères définis de bien-être.

Manque d’outils scientifiques

Des données scientifiques sont disponibles sur les conditions de réalisation de tel ou tel acte en pratique bovine pour que le bien-être ne soit pas altéré (par exemple, analgésie pour l’écornage ou la castration) [2, 3]. Le vétérinaire, de formation scientifique, est bien placé pour se tenir informé. Il existe ainsi des grilles de scores cliniques pour les affections podales [6, 8]. Un tel outil permet de juger de la gravité d’un type d’atteinte fréquent au bien-être et en facilite la gestion. Pour de nombreuses affections, ces travaux manquent encore. Ces outils sont plus difficiles à élaborer pour les maladies respiratoires, par exemple, les bovins exprimant peu la douleur.

Paradoxes du bien-être

Le bien-être est une notion complexe. Dès lors, certaines pratiques mises en place à cet effet ont paradoxalement eu des conséquences néfastes. Ainsi, l’interdiction de logement du veau en case individuelle après l’âge de huit semaines et le développement des élevages collectifs avec distributeur automatique d’aliment lacté (DAL) ont conduit à une augmentation de l’incidence des diarrhées et des maladies respiratoires, donc à une détérioration du bien-être animal (PHOTO 1A ET PHOTO 1B) [4, 5, 7]. Au quotidien, isoler une vache couchée pour sa tranquillité la stresse (manipulation au tracteur) et peut lui faire perdre l’envie de se relever, en l’absence de congénères et de stimuli.

Le bon sens et surtout des arguments scientifiques, plus que l’anthropomorphisme et le “jusqu’au-boutisme” économique, peuvent servir de guide en matière de bien-être. Le praticien apporte des arguments pour peser le pour et le contre au cas par cas, en l’absence d’outils scientifiques finalisés. Dans un avenir proche, des offres de services concernant le bien-être animal auprès de groupes d’éleveurs sous cahier des charges pourraient être conçues.

  • (1) Organisme de conseil indépendant sur le bien-être des animaux d’élevage créé par le gouvernement britannique en 1979. Site Internet : www.fawc.org.uk

  • (2) RSPCA : Royal Society for Prevention of Cruelty to Animals.

En savoir plus

a - Bouquet B. Quel est le cadre actuel pour l’abattage bovin à la ferme ? Point Vét.2005;36(261):7.

b - Dispositions réglementaires établissant les normes minimales relatives à la protection des veaux, directive n° 97/2 du 20 janvier 1997, arrêté du 8 décembre 1997.

c - Guillet J.-P. Trois exploitants sont condamnés, en appel, pour avoir réalisé des césariennes. Sem. Vét. 2006;1245:16.

d - Ordre des vétérinaires. Rev. Ordre Vét. 2006;25:34-35.

  • 1 - Dockès AC. Des éleveurs nous parlent de leur métier, de leurs animaux et du bien-être animal. IE- ITP-ITAVI, eds. Paris. 2003:56 p.
  • 2 - Mellor D, Stafford K. Assessing and minimising the distress caused by painful husbandry procedures in ruminants. In Practice. 1999;21(8):436-446.
  • 3 - Molony V, Kent JE. Assessment of acute pain in farm animals using behavioral and physiological measurements. J. Anim. Sci. 1997;75(1):266-272.
  • 4 - Olsson SO, Viring S, Emanuelsson U et coll. Calf diseases and mortality in Swedish Dairy Herds. Acta Vet. Scand. 1993;34: 263-269.
  • 5 - Perez E, Noordhuizen JPTM, Van Wuijkhuise LA et coll. Management factors related to calf morbidity and mortality rates. Livestock Prod. Sci. 1990;25(1-2):79-93.
  • 6 - Specher DJ, Hostetler DE, Kaneene JB. A lameness scoring system that use posture and gait to predict dairy cattle reproductive performance. Theriogenol. 1997;47(6):1178-1187.
  • 7 - Svensson C, Lundborg K, Emanuelson U et coll. Morbidity in Swedish dairy calves from birth to 90 days of age and individual calf-level risk factors for infectious diseases. Prev. Vet. Med. 2003;58(3-4):179-197.
  • 8 - Wincker C, Willen S. The reliability and repetability of a lameness scoring system for use as an indicator of welfare in dairy cattle. Acta Agric. Scand. Sect. A. Anim. Sci. Suppl. 2001;30:103-107.
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