Diarrhée chronique et perte de poids chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 271 du 01/12/2006
Le Point Vétérinaire n° 271 du 01/12/2006

GASTRO-ENTÉROLOGIE CANINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Guillaume Humbert

Fonctions : Clinique vétérinaire
96, avenue du 8-Mai-1945
86000 Poitiers

Une lymphangiectasie secondaire à une entérite lymphoplasmocytaire est diagnostiquée chez un chien. Le traitement immunosuppresseur aboutit à une rémission complète.

Un chien labrit croisé griffon castré, âgé de deux ans, est présenté en consultation pour une perte de poids et une diarrhée chronique qui évolue depuis trois mois.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

Le chien ne reçoit actuellement aucun traitement. Il est à jour de ses vaccinations et est régulièrement vermifugé. Il est nourri exclusivement avec des croquettes de type maintenance. Il en consomme 500 grammes par jour, cependant, il semble avoir toujours faim. Depuis trois mois, les propriétaires notent un amaigrissement et rapportent environ dix défécations par jour. Les selles sont liquides et nauséabondes.

2. Examen clinique

• Le chien est maigre, il pèse 17,6 kg. La perte de poids est évaluée à 4 kg. La température rectale s’élève à 38,7 °C.

• La respiration est normale. La fréquence cardiaque est de 90 battements par minute et l’auscultation ne révèle aucun souffle ni aucune anomalie de rythme.

• La palpation abdominale est normale.

• De l’urine est récoltée par cystocentèse afin de réaliser une analyse. La densité mesurée au réfractomètre est de 1 040, une bandelette (Combur Test 10 NDH Roche) ne montre aucune anomalie.

3. Bilan clinique et principales hypothèses diagnostiques

• L’animal présente un syndrome malassi­milation-malabsorption caractérisé par une polyphagie associée à une perte de poids.

• Les principales hypothèses diagnostiques à ce stade de l’examen sont :

- une atteinte digestive : parasitisme, maladie inflammatoire chronique de l’intestin, entéropathie avec perte protéique, néoplasie ;

- une atteinte extradigestive : insuffisance pancréatique exocrine, atteinte rénale ou hépatique, diabète, syndrome néoplasique.

4. Examens complémentaires

Différents examens complémentaires sont réalisés.

• Une coproscopie ne révèle la présence d’aucun parasite.

Les valeurs de la numération et de la formule sanguines sont normales.

L’analyse biochimique révèle une panhypoprotéinémie (protéines totales : 45 g/l et albumine 19,85 g/l) et une hypocholestérolémie 0,81 g/l.

• Afin de préciser l’origine de la panhypoprotéinémie, une seconde série d’examens complémentaires est effectuée :

- la recherche de protéinurie par le test de Heller est négative ;

- l’échographie abdominale permet d’examiner l’ensemble des organes abdominaux, en particulier le foie, les deux reins et l’intestin. Le foie est les reins sont de taille et d’échogénicité normale. La vascularisation hépatique ne présente pas d’anomalie. L’échographie de l’intestin montre une paroi d’épaisseur normale dont les cinq couches sont bien visibles (PHOTO 1).

• À l’issue de ces différents examens, l’origine rénale ou hépatique de l’hypoprotéinémie peut être écartée. L’absence d’anomalie à l’échographie ne permet pas d’exclure une entéropathie avec perte de protéines. Une fibroscopie haute et basse est donc proposée aux propriétaires.

• Le chien est préparé pour l’endoscopie digestive : diète de quarante-huit heures et administration per os de Colopeg®(1) pendant vingt-quatre heures. Une anesthésie générale est nécessaire, mais elle comporte des risques en raison du mauvais état général du chien et de la panhypoprotéinémie. Le choix du protocole anesthésique tient donc compte de l’influence de l’hypoprotéinémie sur les agents anesthésiques employés.

Une voie veineuse est mise en place. L’animal reçoit en prémédication du diazépam(1) à la dose de 0,5 mg/kg par voie intraveineuse. L’anesthésie est induite à l’aide de thiopental. Le chien est intubé et l’anesthésie est maintenue grâce à un relais gazeux d’isoflurane. Une surveillance cardiaque (électrocardiogramme) et respiratoire (capnomètre) est mise en place.

La gastroduodénoscopie est effectuée grâce à un vidéogastroscope de 8 mm de diamètre. L’examen de l’œsophage et de l’estomac ne montre aucune anomalie. Une fois le pylore franchi, la muqueuse duodénale apparaît érythémateuse avec de nombreuses ponctuations blanches en relief. Il s’agit d’une image caractéristique de dilatation des chylifères (PHOTO 2). Cette image est généralement rencontrée lors de lymphangiectasie. Des biopsies sont réalisées.

L’iléocoloscopie ne montre aucune anomalie. Le côlon est remonté jusqu’à la valvule iléo­cæcale qui est franchie afin d’examiner l’iléon. La muqueuse iléale apparaît normale. Des biopsies sont réalisées.

• L’animal est rendu à ses propriétaires sans traitement dans l’attente des résultats de l’examen anatomopathologique.

5. Examen anatomopathologique

De nombreuses anomalies sont observées en région duodénale (PHOTO 3) :

- une sévère inflammation de type lymphoplasmocytaire ;

- une atrophie des villosités ;

- une dilatation des vaisseaux lymphatiques.

Le diagnostic histopathologique est celui d’une lymphangiectasie secondaire à une entérite lymphoplasmocytaire marquée.

6. Pronostic et traitement

• Le pronostic des lymphangiectasies doit toujours être réservé. Il s’agit d’atteintes graves de l’intestin dont le traitement est délicat. En effet, l’absence de réponse au traitement est fréquente et les rechutes ne sont pas rares lorsqu’une rémission est observée.

• Le traitement des lymphangiectasies est essentiellement alimentaire. Il est fondé sur la distribution d’un régime extrêmement pauvre en graisses, mais d’apport énergétique suffisant : par exemple, un tiers de viande de dinde dégraissée, sans peau, et deux tiers de pommes de terre.

• Dans ce cas, comme la lymphangiectasie est secondaire à une entérite lymphoplasmocytaire, un traitement immunosupressif est également prescrit : azathioprine(1) (Imurel®) à la dose de 40 mg par jour et prednisolone à la dose de 20mg matin et soir. Ce traitement est associé à un anti-infectieux, le métronidazole(1) à la dose de 250 mg matin et soir.

7. Suivi et évolution

Le chien est examiné régulièrement pendant deux ans.

• Dix jours après le début du traitement, l’état général de l’animal est stable et il s’est correctement adapté à son nouveau régime alimentaire, mais il présente encore une importante diarrhée et a perdu du poids (il pèse 17 kg).

Une numération et une formule sanguines sont réalisées : aucune toxicité de l’azathioprine(1) n’est notée. Le traitement et le régime sont maintenus.

• Un mois et demi après le début du traitement, la diarrhée a disparu. L’animal pèse toujours 17 kg.

• Deux mois après le début du traitement, son poids est de 17,5 kg, mais le chien est fatigué. Il présente une dilatation abdominale, une polydipsie, une polyurie ainsi qu’un essoufflement. Les doses de prednisolone sont donc progressivement diminuées sur dix jours : de 40 mg à 10 mg par jour. L’azathioprine(1) et le métronidazole(1) sont maintenus.

• Trois mois après le début du traitement, la reprise de poids est nette. Il pèse 18,5 kg. Les selles sont normales et les signes d’hypercorticisme iatrogénique sont jugés tolérables. Un dosage de l’albumine et des protéines est réalisé : les résultats sont compris dans les valeurs usuelles (protéines totales : 59 g/l et albumine : 30 g/l). L’azathioprime(1) et le métronidazole(1) sont arrêtés. Le régime alimentaire et la prednisolone (à la dose de 10 mg par jour) sont maintenus.

• Quatre mois après le début du traitement, l’état général du chien est satisfaisant. Il pèse 19 kg et ne présente pas de diarrhée. Le régime alimentaire ménager et la prednisolone sont arrêtés. Un aliment hyperdigestible et hypoallergénique industriel (Hill’s canine d/d®) est proposé.

• Deux ans après le traitement, le chien pèse 20,5 kg et n’a présenté aucune rechute.

Discussion

La lymphangiectasie est une atteinte de l’intestin grêle du chien caractérisée par un dysfonctionnement acquis ou congénital des vaisseaux lymphatiques intestinaux. Elle fait partie des entérites exudatives (protein losing enteropathy). Il existe une prédisposition raciale chez le yorkshire terrier, le soft coated wheaten terrier, le lundehund et le basenji [1].

1. Symptômes

Les symptômes les plus fréquents en début d’évolution sont une perte de poids, une polyphagie et une diarrhée chronique [1, 2, 3, 4]. Ils peuvent cependant être absents, si l’affection évolue de façon plus insidieuse [4]. Le diagnostic est alors beaucoup plus délicat. Lorsque la maladie progresse, d’autres symptômes apparaissent à la suite de la chute de la pression oncotique. Il s’agit essentiellement de la formation d’ascite et d’œdèmes sous-cutanés, d’épanchement pleural, plus rarement de phénomènes thrombo-emboliques [1, 4].

2. Diagnostic

Le principal signe d’appel est l’association d’une diarrhée chronique et d’une perte de poids.

• Les examens sanguins montrent généralement une panhypoprotéinémie (plus rarement une hypo-albuminémie isolée) [1, 2]. Les valeurs de l’albumine sont souvent basses, entre 10 et 20 g/l. Une hypocholestérolémie et une lymphopénie peuvent être présentes [1, 3]. Lors d’ascite, le liquide est de type transudat pur.

• L’échographie abdominale permet d’évaluer l’ensemble du tractus digestif (sauf l’œsophage) et parfois d’identifier un épaississement de la paroi de l’intestin grêle [1].

• La fibroscopie digestive est l’examen de choix lors de suspicion de lymphangiectasie, car elle permet de visualiser la paroi intestinale et parfois d’observer (comme dans le cas décrit) des foyers granuleux multifocaux [1, 2, 3, 4]. Enfin, l’endoscopie permet de réaliser facilement et avec de moindres risques pour un animal en mauvais état général des prélèvements en vue d’une analyse anatomopathologique.

• Le diagnostic définitif de lymphangiectasie est établi par l’examen anatomopathologique des biopsies intestinales [1, 2, 3, 4].

Celui-ci détermine s’il s’agit d’une atteinte primaire ou secondaire.

3. Diagnostic différentiel

• Chez le chien, les hypoprotéinémies peuvent être secondaires à :

- un défaut de synthèse d’origine hépatique : atrophie, fibrose, cirrhose, shunt portosystémique ;

- des pertes d’origine rénale lors de glomérulopathie ou d’amyloïdose ;

- d’origine cutanée lors de brûlure principalement ;

- d’origine digestive lors d’entéropathie exudative.

• Le diagnostic différentiel comporte deux niveaux. Dans un premier temps, il est nécessaire d’exclure les atteintes extradigestives susceptibles d’entraîner une hypoprotéinémie : insuffisance hépatique, perte d’origine rénale ou cutanée [4].

• Une fois l’origine digestive confirmée, l’ensemble des entéropathies exudatives doit être considéré : lymphangiectasie, maladie inflammatoire de l’intestin, néoplasie, ulcère, intussuseption iléocæcale [2, 4].

4. Étiopathogénie

• La lymphangiectasie est caractérisée par un défaut de drainage et/ou un dysfonctionnement des vaisseaux lymphatiques digestifs. Ces anomalies sont responsables d’une dilatation et d’une hypertension des vaisseaux lymphatiques intestinaux, qui entraînent une exsudation lymphatique riche en protéines plasmatiques, en chylomicrons et en lymphocytes dans la lumière digestive [2]. Ces pertes protéiques sont responsables d’une hypoprotéinémie qui provoque une chute de la pression oncotique. Cette baisse de pression explique la formation d’œdème et d’épanchement (loi de Starling).

• Il existe des lymphangiectasies primaires et secondaires. Les lymphangiectasies primaires sont des atteintes congénitales. Les lymphangiectasies secondaires sont liées, soit à un défaut de drainage lymphatique périphérique (insuffisance cardiaque congestive droite, tumeur médiastinale ou mésentérique, cirrhose), soit à un défaut de drainage intestinal par infiltration et/ou une fibrose de la paroi digestive (maladie inflammatoire de l’intestin ou néoplasie) [2].

5. Traitement et pronostic

• Le but du traitement est de réduire les pertes protéiques d’origine lymphatique. La prescription d’un régime appauvri en matières grasses permet de diminuer le débit et la pression dans les vaisseaux lymphatiques intestinaux. Le régime utilisé doit toutefois fournir un apport énergétique suffisant. Les aliments industriels destinés à lutter contre l’obésité sont donc exclus. Certains auteurs recommandent une alimentation ménagère à base de fromage blanc à 0 % associé à du riz ou à des pommes de terre [2]. Le principal inconvénient de ce régime est sa faible appétence : le régime proposé par Willard (un tiers de viande de dinde et deux tiers de pomme de terre) est mieux accepté [4]. Certains auteurs recommandent d’augmenter la valeur énergétique des régimes appauvris en graisse par une supplémentation en triglycérides à chaînes moyennes. Ces derniers sont rapidement hydrolysés et absorbés directement dans le système porte en shuntant les vaisseaux lymphatiques atteints [2, 3].

• Lorsque la lymphangiectasie est secondaire, l’atteinte primitive doit être traitée. Lors d’infiltration inflammatoire de la paroi intestinale, l’utilisation d’immunosuppresseur est intéressante [2, 4]. Un traitement puissant doit être prescrit compte tenu de l’absence fréquente de réponse. L’association azathioprine(1) et prednisolone semble donner les meilleurs résultats [2, 4]. Il est possible de compléter ce traitement avec du métronidazole(1). Cet anti-infectieux permet de contrôler une éventuelle prolifération bactérienne secondaire à l’entéropathie et possède en outre des propriétés immunomodulatrices avantageuses lors d’entérite lymphoplasmocytaire.

• Le pronostic des lymphangiectasies est sombre en raison de l’absence fréquente de réponse au traitement. Lors de lymphangiectasies congénitales diffuses, l’espérance de survie ne dépasse généralement pas deux ou trois ans [2]. Pour les lymphangiectasies acquises, le pronostic dépend de l’atteinte primaire. Il est sombre pour les atteintes irréversibles (néoplasie, insuffisance cardiaque congestive droite, etc.). Lorsque la cause primaire de la lymphangiectasie peut être traitée (cas des lymphangiectasies secondaires à une maladie inflammatoire chronique de l’intestin), le pronostic est réservé. La plupart des animaux qui ne répondent pas au traitement meurent dans les mois qui suivent le diagnostic [3].

Ce cas illustre les symptômes et la démarche diagnostique lors de lymphangiectasie. Il est original car l’issue est favorable pour cet animal. L’évolution possible d’une entérite lymphoplasmocytaire en lymphangiectasie doit conduire à ne pas négliger les diarrhées chroniques chez le chien, même en l’absence de retentissement sur l’état général.

  • (1) Médicament à usage humain.

Points forts

Chez le chien, une hypoprotéinémie peut être d’origine digestive, rénale ou hépatique.

Les signes d’appel lors de lymphangiectasie sont une perte de poids, une diarrhée et une panhypoprotéinémie.

L’endoscopie est actuellement l’examen complémentaire le plus performant lors de suspicion de lymphangiectasie.

Le diagnostic de certitude fait appel à l’examen anatomopathologique des biospies de l’intestin.

Un examen endoscopique par voies haute et basse doit être réalisé, car certaines lymphangiectasies sont localisées et ne touchent que l’iléon. Il permet également de constater l’absence d’une intussuception iléocæcale.

Remerciements au Docteur Anne Izembart (laboratoire IHP Nantes) qui a réalisé l’analyse histopathologique des biopsies digestives.

  • 1 - Hall EJ, German AJ. Diseases of the small intestine. In : Textbook of Veterinary Internal Medecine. 6th ed. WB Saunders Eds, Philadelphia. 2005;1332-1378.
  • 2 - Lecoindre P, Chevallier M, Brevet F. Les gastro-entéropathies exsudatives ou gastro-entéropathies avec pertes de protéines du chien. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1997;32:215-221.
  • 3 - Melzer KJ, Sellon RK. Canine intestinal lymphangiectasia. Comp. Cont. Educ. Pract. 2002;24(12):953-959.
  • 4 - Peterson PB, Willard MD. Protein-losing enteropathy. Vet. Clin. Am. Small Anim. Pract. 2003;33:1061-1082.
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