Furonculose éosinophilique chez un golden retriever - Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006
Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006

DERMATOLOGIE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Christophe Soyer

Fonctions : Clinique vétérinaire
2, rue de la Croix-de-Rome
78490 Montfort-l’Amaury

Des lésions spectaculaires et d’apparition soudaine sont présentes sur le chanfrein d’une chienne golden retriever. La biopsie révèle une furonculose éosinophilique d’excellent pronostic.

Une chienne golden retriever, stérilisée, âgée de trois ans, est référée à la consultation de dermatologie à la suite de l’apparition soudaine de furoncles sur le chanfrein. Un traitement antibiotique à base de céfalexine (Rilexine 600® 15 mg/kg matin et soir, par voie orale), mis en place depuis une semaine, n’a apporté aucune amélioration. Les lésions sont de plus en plus extensives et douloureuses.

Cas clinique

1. Commémoratifs

Cette chienne a présenté en deux années trois épisodes de dermatite pyotraumatique, qui ont rétrocédé à un traitement de corticoïdes et d’antibiotiques par voie orale. Elle est correctement vaccinée et son état d’entretien est bon. Son alimentation est de type industriel sec. Elle vit une bonne partie de la journée à l’extérieur, avec deux chats qui ne présentent aucun trouble.

2. Examen clinique

L’état général de la chienne est satisfaisant, mais le propriétaire rapporte une baisse de dynamisme depuis l’apparition des pustules sur le chanfrein. Son appétit reste toutefois excellent, sa température est normale (38,3 °C) et l’examen clinique général ne révèle aucune anomalie.

3. Examen dermatologique

L’ensemble du chanfrein présente de petits nodules et des plaques ulcéro-croûteuses, érythémateux et exsudatifs, qui ont tendance à devenir coalescents (PHOTOS 1 ET 2). Ces lésions sont très prurigineuses et douloureuses. Aucune autre lésion n’est observée sur le reste de la face ou sur le corps.

4. Diagnostic différentiel

Les hypothèses diagnostiques sont les suivantes :

- une pyodermite ;

- une furonculose éosinophilique ;

- une dermatophytose ;

- une démodécie localisée.

5. Examens complémentaires immédiats

Les raclages cutanés ne révèlent aucun parasite. L’examen en lumière de Wood est négatif et le trichogramme est normal. Une culture fongique sur un milieu de Sabouraud au chloramphénicol et à l’actidione ne permet pas d’observer de dermatophyte.

Un examen cytologique sous-crustacé coloré au Diff Quick montre une prédominance de polynucléaires éosinophiles accompagnés de polynucléaires neutrophiles dégénérés. Aucun élément figuré n’est visible (PHOTO 3).

La numération-formule sanguine met en évidence une éosinophilie périphérique (voir le TABLEAU “Évolution de la numération-formule sanguine”).

6. Examen histopathologique

Des biopsies cutanées du chanfrein sont effectuées sous anesthésie générale, en raison de la topographie et de la douleur des lésions. L’examen histopathologique montre un infiltrat éosinophile diffus et dense au sein du derme. De nombreuses images de destructions annexielles sont présentes et les polynucléaires éosinophiles s’accumulent autour des sections pilaires libérées et des foyers de dégénérescence collagénique (PHOTOS 4 ET 5).

L’épiderme est très acanthosique, spongiotique et focalement ulcéré.

7. Diagnostic

Les examens dermatologiques et histopathologiques permettent d’établir le diagnostic de furonculose éosinophilique.

8. Traitement et suivi

Une corticothérapie à base de prednisolone (Mégasolone 20®) est prescrite à la dose de 1 mg/kg/j en deux prises par voie orale pendant huit jours. L’antibiothérapie mise en place est maintenue pour éviter les surinfections bactériennes et une application biquotidienne de povidone iodée à 10 % (Vétédine solution®) est associée.

Une semaine plus tard, une nette amélioration des lésions est notée (PHOTO 6). Le propriétaire rapporte que la douleur et le prurit ont complètement régressé dans les deux jours qui ont suivi le début de la corticothérapie. La prescription de prednisolone est poursuivie à la même posologie en jours alternés pendant une semaine supplémentaire.

L’animal est revu un mois plus tard (PHOTO 7). Les lésions initiales ont complètement disparu, mais des séquelles cicatricielles sont visibles sur le chanfrein. Une numération-formule sanguine montre une normalisation de l’éosinophilie sanguine. Six mois plus tard, les séquelles cicatricielles sur le chanfrein sont toujours présentes, mais moins marquées car masquées par la repousse des poils.

Discussion

La furonculose éosinophilique est une dermatose peu fréquente, décrite en 1993 [8]. Cependant, des affections autrefois dénommées “pyodermite du chanfrein” ou “pyodermite nasale” étaient peut-être des cas de furonculose éosinophilique [5, 9]. Il est possible, en raison de modalités cutanées réactionnelles communes, de relier la furonculose éosinophilique au groupe de dermatoses pour lesquelles le polynucléaire éosinophile est la cellule dominante : granulomes oraux éosinophiliques, pustulose éosinophilique stérile et folliculite et furonculose éosinophiliques [1, 3, 4, 7, 9, 14, 16, 19]. Contrairement à ce qui se passe chez le chat, ces dermatoses sont rares chez le chien.

1. Épidémiologie

La furonculose éosinophilique se rencontre de préférence chez les races de grand format dans plus de trois quarts des cas rapportés, comme le berger allemand, le labrador, le golden retriever, mais aussi chez des races de format moindre, comme l’alaskan malamute et le siberian husky, et de nombreuses autres races de format identique [1, 5, 8, 9, 10, 11, 15]. Les races de format moyen représentent moins d’un quart des cas et les races miniatures sont exceptionnelles [1, 8, 9, 11, 15]. Un cas chez un chihuahua a toutefois été rapporté dernièrement [11].

La furonculose éosinophilique atteint surtout de jeunes adultes : près de 50 % des animaux ont moins de deux ans et plus de 80 % ont moins de quatre ans [5, 8, 9, 10, 11]. Quelques cas chez des animaux plus âgés ont été observés [8, 9, 11]. Aucune prédisposition sexuelle n’a été mise en évidence [8, 9, 15].

La race (golden retriever) et l’âge (trois ans) du cas décrit dans cet article correspondent aux caractéristiques de la population atteinte.

La saisonnalité estivale, relevée dans l’étude de Gross [8], n’est pas retrouvée dans d’autres essais et des cas de furonculose éosinophilique peuvent être observés toute l’année [9, 11, 15]. En revanche, une promenade en campagne, en forêt ou dans un jardin est presque systématiquement rapportée dans les 24 heures précédant l’apparition des lésions [8, 9]. Conformément à cette observation, la chienne ici présentée passe toute la journée à l’extérieur, dans un jardin situé dans un environnement campagnard.

2. Symptômes

La furonculose éosinophilique est une dermatose d’apparition brutale, en moins de 24 heures, avec des lésions d’emblée sévères [8, 15]. Il s’agit typiquement de plaques ou de nodules érythémateux, douloureux, œdémateux qui deviennent rapidement croûteux, érosifs, voire ulcérés [2, 8, 9, 11, 15]. La topographie de ces lésions est particulièrement évocatrice de furonculose éosinophilique : elles sont localisées préférentiellement sur le chanfrein, les paupières, les pavillons auriculaires, le menton et les zones proches des ailes de la truffe [5, 8, 9, 10, 11, 15]. Le cas décrit correspond à ces localisations. Cependant, des atteintes des faces postérieures et internes des cuisses, du scrotum ou des carpes sont rapportées, et, de façon plus exceptionnelle, au niveau du tronc [6, 9, 11]. Le propriétaire de la chienne présentée dans cet article a confirmé que les lésions étaient apparues en une demi-journée, avec une topographie lésionnelle habituelle sur le chanfrein.

La furonculose éosinophilique s’accompagne d’une dégradation de l’état général, d’une anorexie et d’une hyperthermie dans environ un tiers des cas [5, 8, 9, 11]. Le cas décrit présente seulement une légère diminution de dynamisme.

3. Étiologie et pathogénie

L’étiologie de la furonculose éosinophilique reste encore mal connue. Une réaction d’hypersensibilité à des piqûres d’hyménoptères ou de diptères, notamment de moustique, est suspectée [1, 2, 8, 11, 18]. Il existe, en effet, des ressemblances lésionnelles, topographiques et histopathologiques avec l’hypersensibilité aux piqûres de moustique du chat (PHOTO 8) [12].

Cependant, cette dermatose féline présente une évolution chronique, saisonnière, et affecte des animaux de tous âges [12, 13, 15]. Or des cas de furonculose éosinophilique canine en hiver sont régulièrement décrits, et des tests intradermiques réalisés avec des extraits de venins de diptères et d’hyménoptères chez un chien affecté de furonculose éosinophilique se sont révélés négatifs [9]. Par conséquent, l’hypothèse d’une réaction d’hypersensibilité à des piqûres d’insectes ne peut expliquer tous les cas de furonculose éosinophilique.

D’autres auteurs suspectent l’intervention d’une dermatite de contact irritative ou allergique avec des végétaux ou après un épisode de fouissage, ce qui pourrait expliquer la topographie lésionnelle (principalement le chanfrein, mais aussi parfois les membres et le scrotum) [9, 11].

Cependant, les lésions histopathologiques décrites lors de dermatite de contact sont caractérisées par un infiltrat périvasculaire (et non folliculaire) de polynucléaires majoritairement neutrophiles (et non éosinophiles) [15, 17, 18]. L’étiologie de la furonculose éosinophilique reste donc mal élucidée à ce jour.

4. Diagnostic

Le diagnostic différentiel doit inclure une folliculite ou une furonculose bactérienne, et des dermatoses dont l’évolution est cependant rarement suraiguë, comme une dermatophytose ou une démodécie localisées. L’examen cytologique révèle de nombreux polynucléaires éosinophiles et des polynucléaires neutrophiles dégénérés, avec une présence possible de bactéries intracellulaires en cas de surinfection secondaire [15]. Une éosinophilie sanguine est notée dans près de 75 % des cas [5, 9]. Après la guérison, trois semaines sont nécessaires pour normaliser la formule sanguine [5]. Dans le cas décrit, une éosinophilie sanguine très nette est observée lors de la première consultation, avec un retour aux valeurs usuelles un mois plus tard, soit environ 20 jours après la guérison.

L’examen histopathologique permet de confirmer le diagnostic. Il met en évidence des images de furonculose et de folliculite de nature éosinophilique, accompagnées souvent d’un infiltrat éosinophilique diffus et dense du tissu dermique [5, 8, 9, 15, 18]. La présence de neutrophiles, de lymphocytes ou de macrophages peut rendre l’interprétation histopathologique plus délicate [9, 15]. L’activation et la dégranulation des éosinophiles sont, dans près de 80 % des cas, responsables de l’apparition au sein du derme de foyers de dégénérescence collagénique, voire de nécrose focale de certaines fibres [1, 5, 8, 9, 15, 18].

Les autres lésions secondaires consistent en des hémorragies ou en des ulcérations, en fonction du choix de la lésion biopsiée : il est préférable de sélectionner des lésions récentes non ulcérées [8, 9]. Des lésions de mucinose dermique sont parfois décrites [5, 6, 8, 9, 10]. Les observations histopathologiques constatées dans le cas décrit sont typiques, avec de nombreuses images de furonculose éosinophilique, mais une absence de folliculite, liée peut-être au fait que la dermatose évolue depuis plusieurs jours. En revanche, aucune lésion de mucinose dermique n’a été retrouvée.

5. Traitement

La corticothérapie par voie orale donne d’excellents résultats, avec une régression rapide du prurit et de la douleur en moins de 24 heures [1, 8, 9, 15]. De la prednisone ou de la prednisolone sont prescrites pendant une à trois semaines à la dose de 0,8 à 1 mg/kg/j, voire parfois à une posologie plus élevée (2 mg/kg/j) lors de réponse thérapeutique initiale insuffisante [5, 8, 9]. Une injection de phosphate de dexaméthasone par voie intraveineuse, à la dose de 0,2 mg/kg, le premier jour du traitement, pourrait raccourcir la durée du traitement à base de prednisolone à cinq jours seulement [11].

Le cas décrit a nécessité 48 heures de corticothérapie par voie orale avant la diminution du prurit et deux semaines pour une régression complète des lésions, ce qui le situe dans des délais légèrement supérieurs à la moyenne. De très rares cas ont nécessité plusieurs mois de corticothérapie avant d’observer une guérison définitive [5].

Les surinfections bactériennes sont contrôlées par l’application d’un topique antiseptique ou par une antibiothérapie par voie générale en cas de lésions secondaires plus évoluées. Toutefois, l’antibiothérapie seule ne peut apporter au mieux qu’une faible amélioration en raison du caractère secondaire de l’éventuelle infection bactérienne [5, 8].

Les lésions évoluées et profondes, avec destruction massive de follicules pileux, peuvent laisser des séquelles cicatricielles, comme dans le cas décrit.

Si la furonculose éosinophilique peut sembler spectaculaire par la soudaineté d’apparition de lésions d’emblée profondes, son pronostic n’en reste pas moins excellent. Son étiologie reste à préciser, mais semble mettre en jeu des mécanismes d’hypersensibilité. Le traitement ne nécessite une corticothérapie que de quelques jours, donc dénuée d’effets secondaires gênants.

Points forts

La furonculose éosinophilique se rencontre surtout dans les races de grand format et chez de jeunes adultes.

Une promenade à la campagne est presque systématiquement constatée dans les 24 heures précédant l’apparition des lésions.

Les lésions de furonculose éosinophilique sont préférentiellement localisées sur le chanfrein, les paupières, les pavillons auriculaires, le menton et les zones proches des ailes de la truffe.

L’étiologie, mal connue, évoque une hypersensibilité aux piqûres d’insectes et une dermatite de contact.

L’examen histopathologique (furonculose et folliculite de nature éosinophilique) est diagnostique. L’éosinophilie sanguine, fréquente, n’est pas constante.

Remerciements aux docteurs D.-N. Carlotti et P.-A. Germain.

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