Fièvre catarrhale ovine : quand la suspecter ? - Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006
Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006

BLUETONGUE CHEZ LES RUMINANTS

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Jean-Marie Gourreau*, Stéphan Zientara**, Corinne Sailleau***

Fonctions :
*AFSSA-LERPAZ
23, avenue du Général-de-Gaulle
94706 Maisons-Alfort Cedex
**AFSSA-LERPAZ
23, avenue du Général-de-Gaulle
94706 Maisons-Alfort Cedex
***AFSSA-LERPAZ
23, avenue du Général-de-Gaulle
94706 Maisons-Alfort Cedex

À la suite de l’apparition de cas inhabituels de fièvre catarrhale chez des bovins dans le nord-est de la France, les cadres dans lesquels la maladie peut être suspectée sont à revoir.

Quatre foyers de fièvre catarrhale ovine (FCO ou bluetongue) viennent d’être déclarés chez des bovins dans les départements du Nord et des Ardennes (voir l’ENCADRÉ “Retour sur les premiers cas au nord-est de la France”). Un sérotype inconnu jusqu’alors en Europe est mis en cause. Est-il seul responsable ? L’hypothèse qu’un autre agent pathogène potentialise sa pathogénicité est évoquée.

Première étape : zone de suspicion

Jusqu’alors, en Europe, la FCO ne sévissait que dans le bassin méditerranéen, et seulement chez des moutons. Seuls les sérotypes 1, 2, 4, 9 et 16 étaient en cause. Le sérotype 8, mis en évidence dans les récents foyers, ne l’avait jamais été en Europe.

Il a été rapporté pour la dernière fois en 1996, cantonné en Afrique du Sud et centrale, en Australie, ainsi qu’en Amérique du Sud.

La contagiosité du sérotype 8 au sein du troupeau semble réduite. En France, dans chaque foyer, seuls un ou deux animaux atteints ont été généralement dénombrés. La maladie n’a été mise en évidence qu’à la suite de sondages sérologiques effectués dans le cadre d’enquêtes épidémiologiques dans deux des quatre foyers autochtones identifiés à ce jour.

Culicoides imicola, vecteur connu dans les régions méditerranéennes pour transmettre et diffuser la maladie, n’a jamais été mis en évidence dans les régions actuellement contaminées. Il pourrait être remplacé par d’autres moucherons ou des dyptères piqueurs (Stomox). C. obsoletus, C. nubeculosus, C. pulicaris ou C. punctatus sont présents dans ces régions et susceptibles de transmettre le virus de la FCO.

Deuxième étape : symptômes chez les bovins

• Les bovins ne manifestent en général des signes cliniques que lorsqu’ils sont infectés par le sérotype 8, mis en évidence dans les récents foyers. Lorsqu’ils le sont par l’un des 23 autres sérotypes, ils ne présentent aucun signe clinique de maladie et sont considérés comme de simples réservoirs. La persistance du virus dans leur organisme peut égaler, voire même dépasser trois mois. Les résurgences de cette affection après l’hiver peuvent ainsi être expliquées, bien que la totalité des culicoïdes vecteurs ait été éliminée par le froid.

• Les signes cliniques observés sont :

- une hyperthermie fugace (deux jours) atteignant 40 °C ;

- une anorexie et une chute pondérale ;

- un œdème du bourrelet coronaire qui peut s’étendre à tout le membre (PHOTO 1), d’où l’apparition de boiteries.

- une sialorrhée, une congestion et des lésions ulcéreuses du mufle (PHOTOS 2A ET 2B), des gencives et des parois de la cavité buccale (PHOTOS 3A ET 3B). Elles s’accompagnent d’un dessèchement et d’un craquèlement de la peau des lèvres et du mufle, ainsi que d’un jetage et d’un épiphora muco-purulent (PHOTO 2C) ;

- une congestion et une ulcération superficielle et douloureuse de la peau des trayons, qui provoquent une chute de la production lactée (PHOTOS 4A ET 4B) ;

- des avortements et malformations congénitales (hydranencéphalie, microcéphalie, cécité, déformations des membres et des mâchoires) chez les veaux infectés in utero ;

- un larmoiement séromuqueux.

Troisième étape : signes chez les petits ruminants

La présente forme de bluetongue semble sévir moins facilement chez le mouton que chez les bovins, et le plus souvent sans provoquer de signes cliniques.

Chez les ovins, la fièvre catarrhale sévit sous plusieurs formes : une forme aiguë et des formes subaiguës.

1. Formes subaiguës

Les formes subaiguës chez les ovins ont été jusqu’alors rares en Europe et sont survenues généralement chez des animaux rustiques dans les pays où la maladie sévit à l’état endémique. Elles se traduisent par une symptomatologie atténuée par rapport à la forme aiguë, c’est-à-dire souvent par un simple syndrome fébrile de courte durée. Dans les pays où des formes subaiguës sévissent, la fièvre catarrhale est considérée par les éleveurs et les autorités sanitaires comme une affection peu grave.

2. Forme aiguë chez les ovins

L’incubation dure en moyenne de deux à huit jours, mais elle peut atteindre trois semaines.

En premier lieu, l’infection se traduit par une forte hyperthermie, qui peut atteindre 42 °C, et de l’abattement durant quatre à huit jours.

• Vingt-quatre à quarante-huit heures après le début de cette hyperthermie apparaissent les premiers signes cliniques de types congestif, œdémateux et hémorragique :

- une congestion et des hémorragies punctiformes (PHOTO 5), qui évoluent vers l’ulcération et la nécrose sur les lèvres et le museau, ainsi que dans la cavité buccale, en particulier sur les gencives et la face interne des lèvres (PHOTO 6) ;

- un œdème des lèvres, de l’auge et de la langue qui peut s’étendre à l’ensemble de la tête, en particulier aux paupières et aux oreilles : c’est la phase d’œdème de la face (PHOTO 7) ;

- une cyanose de la langue, mais ce signe clinique est inconstant (PHOTO 8) ;

- un ptyalisme important, consécutif à la présence de lésions buccales. La salive devient vite sanguinolente et nauséabonde en raison des surinfections ;

- un jetage et un épiphora séromuqueux, puis rapidement mucopurulents abondants, avec formation de croûtes ;

- une anorexie suivie d’un amaigrissement important (PHOTO 9).

• À partir du sixième jour sont observés :

- des arthrites, ainsi que des lésions congestives puis ulcératives du bourrelet coronaire des onglons (PHOTOS 10A ET 10B), qui entraînent des boiteries prononcées, voire un refus de se déplacer ;

- une myosite dégénérative qui provoque une raideur des membres, un torticolis, une voussure du dos et, surtout, une fonte musculaire spectaculaire de 30 à 40 % du poids en quelques jours ;

- des avortements ;

- une congestion de la peau qui peut causer une chute de la laine en quelques semaines.

3. Complications/mortalité

Des complications secondaires pulmonaires (toux) ou digestives (diarrhée sanguinolente) surviennent parfois et entraînent la mort de l’animal, d’autant que certaines maladies intercurrentes aggravent la situation : ecthyma, gale sarcoptique, œstrose, myiases, piétin, pasteurellose et entérotoxémies (PHOTOS 11A ET 11B).

Entre 10 et 40 % des animaux atteints peuvent mourir, généralement dans les dix à douze jours après le début de la maladie. Lorsque l’animal résiste, sa convalescence, toujours extrêmement lente, débute vers le quinzième jour. La maladie est débilitante, elle entraîne des retards de croissance, une stérilité et une altération de la qualité de la viande. Il est possible que la morbidité atteigne 80 % des individus contaminés, voire davantage dans les troupeaux où les animaux sont entretenus dans de mauvaises conditions d’élevage.

4. Cas des caprins

L’affection est généralement plus grave chez les ovins que chez les caprins. Chez ces derniers, une hyperthermie transitoire, de la faiblesse, des avortements et des malformations congénitales peuvent être observés. Des surinfections sont également fréquentes.

Quatrième étape : observations lésionnelles

Lors de fièvre catarrhale ovine, les lésions, congestives et hémorragiques, ne sont généralement observées que chez les petits ruminants.

Elles incluent :

- un œdème et une hyperémie (pétéchies, hémorragies et ecchymoses) dans la plupart des tissus, en particulier sur les muqueuses de tout le tractus digestif, le tractus uro-génital, les poumons, le tissu conjonctif sous-cutané et intermusculaire (PHOTOS 12 ET 13). Ce dernier est infiltré par un liquide rosé et gélatineux (PHOTO 14) ;

- des hémorragies de la paroi artérielle à la base de l’artère pulmonaire. Cette lésion est considérée comme pathognomonique (PHOTO 15) ;

- une congestion et des pétéchies du bourrelet et de la couronne de l’onglon (PHOTO 10A) ;

- une dégénérescence musculaire nette, les muscles prenant une teinte grisâtre et un aspect marbré.

Cinquième étape : diagnostic différentiel

1. Chez les bovins

La fièvre catarrhale ovine a des points cliniques communs avec la maladie des muqueuses, la rhinotrachéite infectieuse bovine, le coryza gangreneux, la fièvre aphteuse, la maladie hémorragique des cervidés (Elk hemorragic disease ou EHD), la peste bovine et la stomatite vésiculeuse.

Toutes ces maladies ne sont pas présentes en France (voir le TABLEAU “Diagnostic différentiel clinique de la fièvre catarrhale ovine chez les bovins”). Le contexte épidémiologique est à prendre en ligne de compte dans le diagnostic différentiel.

2. Chez les ovins

La fièvre catarrhale ovine doit être distinguée de l’ecthyma contagieux, de la nécrobacillose, des épidermolyses bulleuses, de la photosensibilisation, de la fièvre aphteuse, de la peste des petits ruminants, de la clavelée et de la maladie hémorragique des cervidés. Les quatre dernières ne sont pas présentes actuellement en France (voir le TABLEAU “Diagnostic différentiel clinique de la fièvre catarrhale ovine chez les ovins”).

Sixième étape : examens complémentaires

Toute suspicion doit être confirmée ou infirmée par le laboratoire.

Des fragments d’épithélium sont prélevés en cas de lésions cutanées patentes. Les prélèvements adéquats sont surtout des prélèvements sanguins, sur tube sec et sur anticoagulant.

Le virus est recherché dans le sang total par amplification génique (polymerase chain reaction ou PCR) qui permet de mettre en évidence des fragments génomiques caractéristiques. Les résultats sont obtenus en quelques heures. Une culture sur œuf de poule embryonné est aussi mise en œuvre, en une semaine. Elle est éventuellement complétée par un passage sur cellules (compter alors deux jours en plus). Le sérum permet la mise en évidence des anticorps. Dans cette maladie, virus et anticorps peuvent coexister durant plusieurs jours dans le sang.

Si le sérotype de bluetongue qui sévit actuellement dans le nord de l’Europe n’est pas inconnu, des interrogations subsistent. Face à l’extension de la maladie en Belgique, une surveillance épidémiologique et sérologique a été mise en place dans les zones frontalières. Les entomologistes du Centre international de recherches pour l’agriculture et le développement (Cirad) et de la faculté de Strasbourg ont posé des pièges lumineux afin d’identifier le(s) vecteur(s) en cause. Il est en effet indispensable d’acquérir rapidement un maximum d’informations sur cette forme inhabituelle de bluetongue. Aucun vaccin contre le sérotype 8 n’est disponible. Un vaccin atténué est bien utilisé en Afrique du Sud, mais aucune garantie n’est actuellement disponible concernant son innocuité et son efficacité dans un contexte européen. En l’état actuel des connaissances, il est impossible de prévoir à longue et même à brève échéance son devenir dans notre pays et en Europe du Nord.

Retour sur les premiers cas au nord-est de la France

Aux Pays-Bas, le 17 août dernier, un premier foyer de fièvre catarrhale ovine a été diagnostiqué dans la région de Maastricht. Quelques jours plus tard, la maladie était mise en évidence en Belgique et en Allemagne, dans des zones limitrophes. La présence de cette affection en Europe serait antérieure de quelques semaines au moins à sa mise en évidence. Elle se serait étendue avant que le diagnostic ne soit effectué.

En Belgique, lors de la canicule de juillet, quelques éleveurs de la zone atteinte ont ainsi constaté la présence de signes cliniques évocateurs de photosensibilisation chez certains de leurs bovins au pâturage. Cette hypothèse diagnostique ne paraissait pas totalement satisfaisante, en raison de la présence de lésions de congestion buccale notamment. Ce n’est que lorsque les scientifiques hollandais ont mis en évidence le virus chez des animaux dans leur pays que les chercheurs belges ont décidé d’effectuer les mêmes examens sur les sérums de leurs bovins malades. Les résultats, positifs, ont montré que la fièvre catarrhale ovine sévissait également depuis quelque temps déjà en Belgique. Au 12 septembre, 81 foyers sont dénombrés.

En Allemagne à la même date, 67 foyers étaient déclarés, et 41 aux Pays-Bas.

En France, un quatrième foyer proche de la frontière belge a été déclaré le 8 septembre.

En savoir plus

- Lefèvre PC. Fièvre catarrhale du mouton. In : Lefèvre PC, Blancou J, Chermette R. Principales maladies infectieuses et parasitaires du bétail, Europe et régions chaudes. TEC et DOC ed. Paris. 2003 ; I : 667-686.

- Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales. Vademecum fièvre catarrhale ovine à l’usage des vétérinaires sanitaires, DGAL. 2004 : 50p.

- Sailleau C, Bréard E, Zientara S. La fièvre catarrhale ovine ou bluetongue. Point vét. 2006 ; 262 (37) : 38-41.

- Zientara S, Bréard E, Hammoumi S, et coll. La fièvre catarrhale du mouton. Point Vét. 2002 ; 33(spécial “Pathologie ovine et caprine”) : 70-73.

- Zientara S, Gourreau JM. La fièvre catarrhale du mouton. Virologie. 2001 ; 6 (5) : 449-451.

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