Conduite à tenir face à une fracture dentaire - Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006
Le Point Vétérinaire n° 269 du 01/10/2006

DENTISTERIE DU CHIEN ET DU CHAT

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : François Debette

Fonctions : 71, Avenue de Hambourg
13008 Marseille

Lors de fracture dentaire, le choix entre l’extraction et la conservation de la dent repose sur un ensemble de critères cliniques et radiologiques. Le suivi clinique et radiologique de la dent traitée est important.

Les fractures dentaires sont souvent d’origine traumatique chez le chien. À chaque fois que la pulpe dentaire est exposée, il est nécessaire d’effectuer un traitement.

Première étape : repérer les fractures dentaires

Un examen clinique général permet parfois de mettre en évidence une lésion évocatrice d’une affection endodontique (abcès sous-orbitaire, rhinite liée à une fistule oronasale par exemple).

Mais le chien ne manifeste souvent pas de signes cliniques détectables par le propriétaire. Si les fractures dentaires se révèlent aisément lors de traumatismes de la face ou d’accident (PHOTO 1), leur mise en évidence peut s’avérer plus délicate dans de nombreux cas et nécessiter un examen attentif de la cavité buccale. Par exemple, les fractures en biseau de la carnassière supérieure (PM4) se dissimulent souvent sous un amas de tartre, ce qui rend leur détection possible uniquement lors de soins dentaires (PHOTO 2). De même, la fistulisation d’un abcès apical n’est parfois observable que sur la muqueuse buccale au voisinage de l’apex dentaire.

Dans certains cas, l’utilisation d’une sonde exploratrice peut s’avérer utile pour distinguer une coloration liée à une abrasion (production de dentine réparatrice) d’une fracture. La sonde, lors de fracture, met en évidence le point d’entrée de la chambre pulpaire qui a été exposée, alors que dans le cadre d’une simple usure, la surface est lisse et régulière (PHOTO 3).

Il est donc primordial de profiter de chaque occasion (consultation vaccinale, anesthésie, etc.) pour effectuer un examen aussi détaillé que possible de la cavité buccale. Il peut également permettre de déceler des habitudes néfastes (ronger des cailloux, mordillements de barreaux de cage, etc.) qui entraînent une usure prématurée, donc une fragilisation de la dent.

Deuxième étape : qualifier la fracture

Deux éléments orientent la thérapeutique : l’atteinte de la pulpe dentaire et la zone fracturée. Ils sont explorés par l’examen clinique et la radiographie (voir l’ENCADRÉ “L’examen radiographique dentaire”).

1. Trait de fracture

La fracture dentaire peut toucher indifféremment les trois parties de la dent :

- la couronne dentaire : fracture coronaire ;

- la couronne et la racine : fractures corono-radiculaires ;

- uniquement la racine : fractures radiculaires.

Les fractures coronaires sont les plus fréquentes ; citons parmi celles-ci les fractures coronaires transversales des incisives ou des crocs, la fracture de la PM4 supérieure (en particulier pour les chiens qui mastiquent des os ou des pierres). Ces fractures peuvent en général faire l’objet d’un traitement conservateur.

Parfois le trait de fracture descend sous la limite gingivale : ce sont les fractures corono-radiculaires. L’exemple le plus classique est la fracture en biseau des crocs rencontrée chez les chiens de travail (PHOTO 4). Tant que le trait de fracture ne descend pas trop loin sous la limite gingivale, ces fractures peuvent êtres traitées comme des fractures coronaires en pratiquant une élongation de la couronne dentaire. Cette élongation a pour but de visualiser et d’extérioriser la limite basse de la fracture, notamment lorsqu’une reconstitution prothétique est envisagée. En revanche, dès lors que les fractures sont basses et que la partie coronaire restante est trop faible voire inexistante, l’extraction est de rigueur.

Les fractures radiculaires sont beaucoup plus rares et difficiles à mettre en évidence. L’examen radiographique dentaire permet d’objectiver ce type de fracture (PHOTO 5). En outre, un traitement conservateur ne peut être envisagé que dans les cas où la fracture est relativement transverse et concerne uniquement le tiers (ou la moitié) de la racine. Une contention externe en résine stabilise la dent en la solidarisant au niveau coronaire avec les dents voisines.

2. Fracture simple ou compliquée

Lors de la découverte d’une fracture dentaire, un point capital est de déterminer si elle engendre une exposition de la pulpe (fracture compliquée) ou non (fracture simple).

• Une fracture simple est une fracture coronaire qui touche l’émail et une partie de la dentine sans effraction de la cavité pulpaire. Les fractures superficielles ne nécessitent pas généralement de traitement particulier. Il convient, dans les semaines qui suivent, de contrôler tout changement d’aspect de la dent : coloration rouge signalant une hémorragie pulpaire (parfois réversible) (PHOTO 6), coloration grise signant une nécrose de l’appareil pulpaire. Dans certains cas, une instrumentation rotative permet d’arrondir les bords tranchants d’un trait de fracture qui peut blesser l’animal.

Lorsque la fracture est à la limite de l’exposition pulpaire sans effraction de la cavité pulpaire, il convient de réaliser un coiffage pulpaire afin d’isoler la pulpe et d’éviter toute contamination par l’extérieur (perméabilité des tubules dentinaires). Un suivi radiologique à six mois, en plus de la surveillance clinique, est souhaitable pour contrôler l’intégrité de l’appareil pulpaire.

• Une fracture compliquée est une fracture au cours de laquelle la pulpe a été exposée au milieu extérieur (PHOTO 7). L’appareil pulpaire est contaminé et enflammé (voir l’ENCADRÉ “Atteinte pulpaire et pathogénie de la pulpite”). La conduite à tenir dans le cadre de ces fractures est multifactorielle. Cependant, un examen radiographique dentaire est une étape primordiale.

Troisième étape : choisir entre extraction et traitement conservateur

Même s’il est toujours un peu frustrant de le reconnaître, l’extraction constitue toujours une alternative lors de fracture dentaire compliquée (voir l’ENCADRÉ “Indications de l’extraction”). En plus des considérations décrites dans l’examen clinique, de nombreux paramètres influencent la décision finale (voir la FIGURE “Fractures compliquées”).

1. Statut parodontal et osseux

La dent ne peut être considérée comme une entité à part entière sans prendre en compte le parodonte. C’est pourquoi le statut parodontal de la dent fracturée, mais aussi celui de la bouche en général, doivent être considérés avant d’envisager tout traitement conservateur. L’examen clinique et la radiographie dentaire permettent d’évaluer dans sa globalité la qualité du parodonte et de l’os. Une parodontite sévère est une contre-indication formelle à toute tentative de traitement conservateur. De même, un délabrement important des tissus de soutien (ostéolyse verticale ou horizontale) ou une ostéomyélite constitue un critère défavorable à un traitement conservateur de la dent.

En revanche, une dent qui présente une lésion apicale dans un contexte parodontal sain peut faire l’objet d’un traitement conservateur (pulpectomie).

2. Âge de l’animal

L’âge de l’animal revêt également une importance considérable. Lors de son éruption, la dent est immature : elle n’est que partiellement formée. Elle va évoluer au cours de la vie de l’animal. Une étape fondamentale de sa modification est l’apexogénèse, c’est-à-dire la fermeture de la racine dentaire et la constitution d’un delta apical (voir la FIGURE “Apexogénèse de la dent”). Cette fermeture de l’apex a lieu vers l’âge de dix à douze mois chez le chien. Dès lors, une chambre pulpaire est délimitée (dent mature), par opposition à la dent immature non fermée. La dent poursuit sa croissance par une apposition de dentine sur sa face interne, réduisant ainsi progressivement la taille de la chambre pulpaire au fil des années. La morphologie du canal dentaire évolue tout au long de la vie de l’animal : plus l’animal vieillit et plus le canal sera étroit et fin (et la dentine épaisse). Une dent immature, une jeune dent mature ou une dent mature nécessitent une approche différente (voir la FIGURE “Fractures compliquées” et les PHOTOS 9, 10 ET 11).

3. Importance fonctionnelle de la dent

Certaines dents présentent une importance fonctionnelle majeure, ou un rôle dans le maintien du capital osseux et la structure de la mâchoire (c’est le cas par exemple des crocs mandibulaires). Leur conservation, grâce à un traitement, est donc une priorité. À l’opposé, l’extraction de certaines dents dites mineures a moins de répercussion sur la physiologie manducatrice.

4. Facteurs liés au propriétaire

Les traitements conservateurs nécessitent souvent un suivi et engendrent des coûts importants pour le propriétaire : cela peut amener le praticien à proposer l’extraction. À l’inverse, certains propriétaires de chiens (chiens de race, chiens d’exposition, chien de travail, etc.) sont disposés à effectuer des soins importants pour que la dent de leur animal retrouve une esthétique ou une fonction normale.

Quatrième étape : choisir un traitement conservateur

L’objectif du traitement d’une fracture dentaire est de décontaminer la dent de façon durable, et d’empêcher la recontamination de la pulpe.

1. Choix d’un traitement canalaire

Le choix thérapeutique consiste à évaluer les possibilités de procéder à une décontamination en minimisant les risques de complications ultérieures. Plus les risques de complications augmentent, moins il convient d’envisager de conserver la pulpe.

• La pulpotomie consiste à enlever seulement la partie la plus superficielle de la pulpe (PHOTO 12), afin de conserver la vitalité de la dent (sur la partie plus profonde de la pulpe). Pour cela, un agent favorisant la dentinogénèse est déposé sur la pulpe saine (PHOTO 13). Cette procédure est à privilégier chaque fois que possible sur les dents immatures afin de permettre l’apexogénèse, et sur les jeunes dents matures, afin de permettre le dépôt ultérieur de dentine. Plus la dent est traitée rapidement après la fracture, moins la contamination est étendue et plus les chances de réussite du traitement sont bonnes. Au-delà d’une semaine, les chances de succès de la pulpotomie sont faibles et il vaut mieux recourir à la pulpectomie (une intervention dans les 48 heures permet d’approcher 80 % de taux de réussite si l’on maîtrise bien la technique).

La pulpotomie doit faire l’objet d’un suivi radiologique pour matérialiser son succès par la formation d’un pont dentinaire sous la restauration et l’absence de réaction apicale. Une comparaison de la taille de la chambre pulpaire de la dent traitée par rapport à celle de la dent adelphe est intéressante : si les tailles des chambres pulpaires sont identiques, la dent est bien restée vivante et la dentine continue d’être déposée. Dans le cas contraire, il convient de procéder à une nouvelle intervention pour enlever la totalité de la pulpe : la pulpectomie.

• La pulpectomie, encore appelée dévitalisation, consiste à enlever la totalité de la pulpe et à nettoyer la cavité pulpaire pour la débarrasser de toute infection. Toute croissance ultérieure de la dent est alors impossible. C’est la méthode de choix sur une dent mature adulte, dans le cadre de fractures anciennes et à chaque fois qu’une lésion apicale est visible radiologiquement (PHOTO 13). Détailler la procédure dans son ensemble sort du cadre de cet article, mais chaque étape vise à décontaminer la dent de façon la plus complète, et à préparer le canal en vue de l’obturer. Tout en vidant la chambre pulpaire de son contenu, il convient de procéder à une irrigation minutieuse et régulière du canal, après quoi une obturation (à l’aide de gutta-percha après enduction des parois dentinaires à l’eugénol) peut être entreprise. Il est fondamental que cette obturation soit la plus complète possible, notamment à l’extrémité du canal dentaire (delta apical). Cette obturation terminale conditionne en effet grandement la réussite à long terme du traitement canalaire et doit être contrôlée radiologiquement (PHOTO 14).

• Dans de rares cas, lorsque le traitement par pulpotomie d’une dent immature ne peut être réalisé (pulpe nécrotique ou échec de la pulpotomie), une autre procédure est possible : l’apexification. Par opposition au processus naturel de fermeture de l’apex (apexogénèse), ce traitement endodontique particulier a pour but de fermer artificiellement l’apex dentaire. Il consiste à vider la totalité de la pulpe et à la remplacer par de l’hydroxyde de calcium, pour stimuler la formation de tissu calcifié. Cette procédure complexe, réservée aux jeunes chiens, est dans tous les cas du ressort du spécialiste et ne permet, dans le meilleur des cas, que de conserver une dent qui reste fragile car les parois dentinaires restent fines.

2. Empêcher la recontamination : importance de la restauration

Une fois que la décontamination est réalisée, il convient d’empêcher toute recontamination externe en fermant de façon étanche la cavité pulpaire : c’est l’un des rôles de la restauration. Cette restauration, réalisée à l’aide d’amalgame ou de résines composites, va remplacer la perte de substance liée à la fracture et au traitement. Le choix entre résine et amalgame repose sur plusieurs facteurs. L’amalgame exige la taille de cavités rétentives dans lesquelles il est compacté alors que le collage des composites permet de réaliser une préparation a minima, conservervant plus de substance dentaire. En revanche, l’amalgame présente une sûreté dans le temps supérieure.

La qualité de la restauration (ou étanchéité) est fondamentale au devenir du traitement dans le temps. Une reconstruction prothétique (PHOTO 15) peut être associée lorsque les pertes de substances sont importantes ou lorsqu’il est souhaitable de renforcer la dent ou de lui redonner son allure initiale (chien de travail).

L’examen radiographique dentaire

L’examen radiographique dentaire a une place essentielle dans la décision thérapeutique, et il doit être entrepris systématiquement avant tout traitement. Pour cela, un (ou plusieurs) cliché(s) rétro-alvéolaire(s) à l’aide d’un appareil de radiographie dentaire sont réalisés. En l’absence de matériel spécifique, un cliché avec une cassette (à mammographie) en position extra-orale (incidence oblique) peut se révéler intéressante. Toutefois certaines dents sont très difficiles à évaluer sans pouvoir disposer de clichés intra-oraux.

Ces clichés permettent d’évaluer le stade de maturation de la dent, son statut apical, ainsi que la qualité de l’os alvéolaire. Ceci permet d’orienter le choix thérapeutique, mais aussi de renseigner sur la morphologie de la dent avant d’entreprendre un traitement conservateur.

Atteinte pulpaire et pathologie de la pulpite

Le choc de la fracture et l’exposition pulpaire engendre une lésion initiale (pulpite). Très rapidement, en l’absence de traitement, la pulpe est contaminée ce qui induit une nécrose ascendante progressive de la pulpe jusqu’au delta apical, provoquant une réaction inflammatoire localisée de l’organisme.

Cette réaction peut être plus ou moins rapide en fonction des défenses de l’organisme et du degré de contamination de la pulpe (vitesse de progression). Dans tous les cas, elle évolue inexorablement vers un des états suivants, que sont le granulome apical, le kyste apical, et l’abcès apical. Ces stades ne sont pas successifs : le kyste ou l’abcès apical peuvent survenir d’emblée.

La différence entre ces trois stades est d’ordre histologique et il est impossible de les distinguer cliniquement (sauf dans le cas d’un abcès qui a entraîné une fistule ou une ostéomyélite). De même, ces lésions se traduisent toutes radiologiquement de manière identique, par l’apparition d’une zone radiotransparente plus ou moins marquée centrée sur l’apex radiculaire (PHOTO 8).

La visualisation d’un kyste apical signifie que la dent est atteinte depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois (décalage entre l’effraction pulpaire et la visualisation radiologique de la contamination apicale).

Indications de l'extraction

Fractures coronaires basses, corono-radiculaires et radiculaires délabrantes et fractures longitudinales ;

Lésions du parodonte et lésions endo-parodontales sévères ;

Dents mineures (en l’absence de considérations esthétiques) ;

Dents immatures, lorsque le propriétaire refuse toute “prise de risque” ;

Absence de motivation ou/et de possibilité de suivi du traitement conservateur.

En savoir plus

- Emily P, Penman S. Dentisterie du chien et du chat. Carnets cliniques. Éd. Point Vét., Maisons-Alfort. 1992 : 208p.

- Fountain SB, Camp JH. Traumatic injuries. In : Cohen S, Burn RC. Pathway of the pulp. 6th ed. Mosby, St Louis. 1994 : 436-485.

- Girard N, Hennet P. Endodontie vétérinaire. Elsevier, Encyclopédie vétérinaire. 2005.

- Gorrel C. Veterinary dentistry for the general practitioner. Saunders, Philadelphie. 2004 : 216p.

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- Niemiec BA. Dental radiographic interpretation. J. Vet. Dent. 2005 ; 22 (1) : 53-59.

- Niemiec BA. Assessment of vital pulp therapy for nine complicated crown fractures and fifty-four crown reductions in dogs and cats. J. Vet. Dent. 2001 ; 18 (3) : 122-125.

- Verstraete F. Dentisterie vétérinaire. Éd. Point Vét., Maisons-Alfort. 2003 : 224 p.

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