Un cas de lymphome digestif chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 268 du 01/09/2006
Le Point Vétérinaire n° 268 du 01/09/2006

CANCÉROLOGIE CANINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Esteban Pujol*, François Serres**

Fonctions :
*ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94700 Maisons-Alfort
**Service de médecine
ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94700 Maisons-Alfort

Un lymphome gastrique primaire, affection très rare chez le chien, est diagnostiqué chez un beauceron. Une polychimiothérapie peut être mise en place, mais le pronostic reste extrêmement sombre.

Un chien beauceron mâle, âgé de huit ans, est référé pour des vomissements chroniques et une anorexie intermittente, réfractaires au traitement, qui évoluent depuis quinze jours.

Cas clinique

1. Anamnèse

Un premier traitement à base de métoclopramide (Primpérid® à 0,5 mg/kg trois fois par jour per os) et de phosphate d’aluminium (Phosphaluvet® à 145 mg/kg trois fois par jour per os), puis un deuxième à l’aide de cisapride (Prépulsid®(1) à 0,3 mg/kg trois fois par jour per os) et d’oméprazole (Mopral®(1) à 0,5 mg/kg trois fois par jour per os) pendant quatorze jours n’ont pas apporté d’amélioration. Ce chien n’avait pas d’antécédents pathologiques. Selon les propriétaires, les vomissements survenaient au départ immédiatement après les repas. Puis, ils apparaissent plusieurs fois par jour et sont liés ou non à la prise de nourriture. L’examen biochimique sanguin réalisé par le vétérinaire traitant n’a pas révélé d’anomalie.

2. Examen clinique

L’état général est altéré, avec un amaigrissement marqué (l’animal a perdu 15 kg en quinze jours). Une légère hyperthermie est mise en évidence (39,5 °C). Une masse d’environ 5 cm de diamètre est palpée dans la partie craniale de l’abdomen. Les propriétaires rapportent une augmentation de la prise de boisson (non quantifiée) et de la quantité d’urines émises depuis l’apparition des vomissements. Les selles sont moulées.

3. Hypothèses diagnostiques

L’anamnèse et le tableau clinique sont fortement évocateurs d’une tumeur digestive ou d’une affection digestive chronique.

4. Examens complémentaires

• La densité urinaire est mesurée pour vérifier la polyurie-polydipsie : un résultat de 1,042 exclut cette dernière. La bandelette urinaire ne montre pas d’anomalie.

• Des radiographies abdominales de face et de profil sont effectuées. La radiographie de profil montre un effet de masse dans la portion craniale de l’abdomen : les anses intestinales sont repoussées caudalement. La radiographie de face confirme ce déplacement, sans permettre de déterminer si la masse implique la paroi digestive, les ganglions mésentériques ou le pancréas.

• L’échographie abdominale montre un épaississement circonférentiel hypoéchogène de la paroi gastrique (2 à 4 cm). Cet épaississement est associé à une stéatite omentale (hyperéchogénicité de l’omentum autour de la paroi gastrique) et à un épanchement périgastrique (PHOTO 1). Un “cratère” est visualisé dans la paroi gastrique, ce qui évoque un ulcère (PHOTO 2). Des lésions nodulaires de 3 à 4 cm de diamètre sont mises en évidence le long du bord caudal de la paroi gastrique à droite, sans pouvoir conclure s’il s’agit de l’estomac ou du pancréas (PHOTO 3). Une adénopathie jéjuno-mesentérique marquée, de 3 à 4 cm de diamètre, est également présente.

• Des cytoponctions échoguidées de la paroi gastrique et des nœuds lymphatiques à l’aiguille fine sont réalisées.

• En raison de la suspicion de tumeur, une hypercalcémie est recherchée, car elle fait partie des syndromes paranéoplasiques les plus fréquemment rencontrés lors de lymphome. Des examens sanguins biochimiques et hématologiques sont effectués (voir le TABLEAU “Résultats des examens biochimiques et hématologiques”). Une légère hypoalbuminémie et une légère hypercalcémie (calcémie corrigée : 127 mg/l) sont mises en évidence. Le reste de l’examen biochimique est normal. La numération formule sanguine montre une anémie importante et une leucocytose avec neutrophilie et lymphopénie.

5. Diagnostic

Après l’examen échographique, l’hypothèse principale est une tumeur gastrique, principalement un adénocarcinome ou un lymphome gastrique.

L’analyse des prélèvements de la paroi gastrique et des nœuds lymphatiques jéjuno-mésentériques montre une population dense de cellules lymphoïdes blastiques (PHOTO 4). Les cellules présentent un rapport nucléo-cytoplasmique élevé. Elles sont de taille moyenne et possèdent un volumineux noyau pourvu d’un ou plusieurs nucléoles proéminents. Le cytoplasme, basophile, est peu abondant et certaines cellules sont en mitose. Ces caractéristiques sont celles de cellules tumorales malignes.

Ce chien est donc atteint d’un lymphome malin avec infiltration de la paroi gastrique.

6. Traitement

Le lymphome est une tumeur qui répond bien à la chimiothérapie. Le protocole proposé est celui du Centre anticancéreux vétérinaire d’Alfort et de l’ENV de Lyon (voir la FIGURE “Protocole de traitement du lymphome”). Il s’agit d’un protocole cyclophosphamide, Oncovin®, prednisone, adriamycine (COPA) dans lequel de la L-asparaginase est ajoutée en induction, à la dose unique de 400 UI/kg par voie intramusculaire (une induction en deux injections à 200 UI/kg, à quarante-huit heures d’intervalle, diminue les risques d’intolérance, mais limite l’efficacité). Le propriétaire est préalablement informé des moyennes de survie et du pronostic très réservé du lymphome gastrique comparé à la forme multicentrique.

Induction

Le premier jour, l’induction du traitement comprend une injection par voie intramusculaire de L-Asparaginase(1) (Kidrolase® 10 000 UI) à 400 UI/Kg (14 000 UI, soit 3,6 ml pour ce chien) et l’administration par voie orale de :

- sucralfate(1) (Ulcar®) à 30 mg/kg, soit 10 ml en deux prises quotidiennes ;

- cisapride(1) (Prépulsid®) à 0,2 mg/kg deux fois par jour ;

- oméprazole(1) (Mopral®) à 0,5 mg/kg deux fois par jour ;

- prednisone (Cortancyl®) à 1 mg/kg par jour.

Quarante-huit heures après l’induction, l’état général s’améliore. Aucun vomissement n’a été constaté et une reprise de l’alimentation est observée.

Deuxième injection

• Quatre jours plus tard, sont administrés :

- de la vincristine(1) (Oncovin®) 0,75 mg/m2 par voie intraveineuse stricte ;

- de la cyclophosphamide à 250 mg/m2 par voie orale ;

- de la prednisone (Cortancyl®) 1 mg/kg par jour par voie orale ;

- du sucralfate(1), du cisapride(1) et de l’oméprazole(1), aux mêmes doses que précédemment.

• Quarante-huit heures plus tard, le chien est présenté aux urgences en décubitus latéral et en mauvais état général. L’euthanasie de l’animal est décidée. Une autopsie est réalisée.

7. Autopsie

• À l’examen nécropsique, un épanchement abdominal trouble de 30 ml environ est collecté. La muqueuse pylorique est épaissie et la muqueuse gastrique apparaît ulcérée, mais sans perforation (PHOTOS 5, 6 et 7). Le nœud lymphatique mésentérique est de taille augmentée, sans réaction inflammatoire du péritoine.

• Une endocardiose mitrale modérée avec une dilatation du ventricule gauche est trouvée de façon fortuite.

Discussion

Le lymphome digestif malin chez le chien peut être soit une composante d’un lymphome multicentrique, soit une métastase par dissémination d’un lymphome localisé primitivement sur un autre organe, soit un lymphome primaire qui affecte l’estomac ou l’intestin, en impliquant ou non les nœuds lymphatiques mésentériques, le foie et la rate.

Le lymphome gastro-intestinal est assez fréquent chez le chien et le chat. Le lymphome primaire de l’estomac est en revanche extrêmement rare chez le chien. L’adénocarcinome gastrique est la tumeur la plus fréquente des tumeurs de l’estomac [7]. La seule étude rétrospective publiée, menée chez vingt chiens, montre une prédisposition de 90 % chez le mâle et de 10 % chez la femelle [1, 7]. Une prédisposition raciale chez le basenji est décrite [4].

1. Des signes cliniques peu spécifiques

Les signes cliniques observés lors de lymphome digestif ne sont pas spécifiques de l’affection : anorexie, vomissements, parfois diarrhée (hémorragique ou non), perte de poids et éventuellement un syndrome de malabsorption. Ces symptômes ne rétrocèdent le plus souvent pas sous traitement symptomatique. Une masse abdominale est palpable dans 25 % des cas [1].

2. Démarche diagnostique

• Les anomalies hématologiques rencontrées sont une anémie (30 % des cas) et une leucocytose due à une neutrophilie (50 % des cas). L’anémie peut être liée à la persistance de la maladie, à une perte chronique de sang au niveau digestif et à une carence en fer. Une augmentation des enzymes hépatiques peut être mise en évidence (30 % des cas) et elle est attribuée à une infiltration de cellules lymphoïdes ou à une corticothérapie. L’anomalie biologique la plus fréquemment rencontrée est une hypo-protéinémie associée à une hypo-albuminémie (due à une entéropathie) [1].

• Les radiographies abdominales peuvent s’avérer utiles dans 50 % des cas (image d’effet de masse) [1, 7].

Dans ce cas, le diagnostic définitif a été établi rapidement (très forte suspicion un jour après l’arrivée de l’animal aux urgences et diagnostic définitif quatre jours après).

• L’échographie est un examen complémentaire essentiel lors d’affection gastro-intestinale (entérite, gastrite, corps étrangers, ulcères, tumeur, etc.).

La cytoponction échoguidée est une technique facile à réaliser par des manipulateurs compétents, qui se montre rapide et sûre pour le diagnostic des affections infiltrantes de l’appareil digestif (voir l’ENCADRÉ “Le diagnostic cytologique des différents types de lymphomes”). Des études ont montré que l’utilisation de cytoponctions échoguidées à l’aiguille fine permet d’établir un diagnostic causal dans plus de 95 % des cas de maladie gastro-intestinale [3].

• La biopsie sous endoscopie est utile, mais elle se révèle parfois non concluante, car il est très difficile de prélever en profondeur avec des pinces à biopsie. En outre, il est parfois difficile de différencier une entérite lymphoplasmocytaire d’un lymphome sur un échantillon de biopsie. L’échographie endoscopique est une méthode efficace pour mesurer la paroi du duodénum, amincie en cas de lymphome. Cette technique est plus précise que l’échographie transabdominale, au cours de laquelle la mesure peut être perturbée par la présence de gaz intestinal [6].

3. Pronostic et traitement

• Le pronostic de lymphome gastrique est toujours sombre. La moyenne de survie est de six mois avec chimiothérapie. Les animaux meurent souvent avant le diagnostic d’une péritonite associée à une perforation gastrique ou intestinale.

• Dans ce cas, le chien a bien supporté la première séance de chimiothérapie. La deuxième séance est en revanche suivie d’une baisse de l’état général, puis d’une demande d’euthanasie de la part des propriétaires, sans qu’un syndrome de lyse tumorale aiguë n’ait été confirmé (voir l’ENCADRÉ “Le syndrome de lyse tumorale aiguë”). Dans la majorité des cas de lymphome malin digestif chez le chien, une euthanasie est demandée après une baisse de l’état général et de la qualité de vie de l’animal.

• Le traitement du lymphome est fondé sur la polychimiothérapie. Divers protocoles sont efficaces. Le plus ancien est celui de S. Cotter qui utilise la vincristine(1) (Oncovin®) à 0,75 mg/m2, le cyclosphosphamide(1) (Endoxan®) à 250 mg/m2 et la prednisone (Cortancyl®) à 1 mg/kg par jour (Protocole COP). Le protocole de Cotter nº 2 introduit l’adriamycine(1) (Adriblastine®) à 30 mg/m2, une fois toutes les neuf semaines, en remplacement de l’association vincristine-cyclophophamide, d’où le sigle COPA. Le protocole de Madison-Wisconsin introduit la L-asparaginase(1) (Kidrolase®) à 400 UI/kg par voie intramusculaire le même jour que la vincristine, ce qui est assez risqué car la L-asparaginase diminue la clairance hépatique de la vincristine. Le centre anticancéreux d’Alfort utilise un protocole particulier de type COPA modifié dans lequel la L-Asparaginase est ajoutée en induction, à la dose unique de 400 UI/kg par voie intramusculaire.

Le lymphome digestif malin chez le chien est une affection rare (5 à 7 % des lymphomes chez le chien) et de pronostic sombre.

Les limites du traitement en ce qui concerne l’allongement de la moyenne de survie doivent être clairement présentées au propriétaire.

  • (1) Médicament à usage humain.

Points forts

Le lymphome gastro-intestinal est fréquent chez le chien et le chat.

Le lymphome primaire de l’estomac est très rare chez le chien.

La cytoponction échoguidée est une méthode diagnostique rapide et sûre des affections infiltrantes de l’appareil digestif.

Le pronostic du lymphome gastrique est toujours sombre.

Le diagnostic cytologique des différents types de lymphomes

La lignée cellulaire affectée lors de lymphome est difficile à déterminer, et la corrélation entre les différentes formes anatomiques de lymphome malin (multicentrique, digestif, médiastinal et extranodal) et le type cellulaire impliqué reste encore mal connue [4].

Il existe des analogies de morphologie cellulaire et d’architecture tumorale entre les lymphomes humain et canin. Chez l’homme, les formes à cellules B et T ont des fréquences équivalentes. Une corrélation apparaît entre le lymphome digestif chez l’homme et une précédente hyperplasie ou un infiltrat lymphoplasmocytaire. Chez le chien, une relation a été démontrée entre l’entérite lymphoplasmocytaire et le lymphome chez le basenji [4]. Le développement d’un lymphome gastrique en réponse à une stimulation antigénique chronique, comme avec Helicobacter pilori, a été démontré chez l’homme, mais il reste à prouver chez l’animal [8].

Les méthodes d’identification des lymphomes à cellules B ou T sont immuno-histochimiques et ou immunologiques. Des anticorps monoclonaux anti-marqueurs spécifiques de cellules T, tels que la partie du récepteur antigénique CD-3, sont utilisés pour déterminer le phénotype des lymphomes dans de nombreuses espèces (chien et chat inclus) [1, 4].

Une population de cellules pléiomorphiques pourrait être un indicateur de lymphome à cellules T (ces cellules ayant un rôle de régulation des populations leucocytaires) [4].

Le syndrome de lyse tumorale aiguë

Le syndrome de lyse tumorale aiguë est consécutif à une chimiothérapie sur une tumeur répondant à ce traitement. L’anamnèse comprend une décompensation aiguë, une anorexie et un collapsus. Les signes cliniques sont des muqueuses pâles, une baisse du temps de remplissage capillaire, une baisse du débit cardiaque, des arythmies, des vomissements, une diarrhée.

Le diagnostic est fondé sur la mise en évidence de signes d’insuffisances organiques multiples, d’une acidose métabolique, d’une hyperkaliémie, d’une hyperphosphatémie et d’une azotémie.

La prévention est essentielle. Le traitement repose sur la restauration de la perfusion tissulaire par des solutés et sur la stabilisation de l’appareil cardiovasculaire. Il est également nécessaire de corriger les déséquilibres acido-basique, électrolytique et l’azotémie.

D'après Ogilvie.

Remerciements aux services d’imagerie et d’anatomie pathologique de l’ENV d’Alfort.

  • 1 - Couto GC, Rutgers C, Sherding RG et coll. Gastrointestinal lymphoma in 20 dogs. J. Vet. Intern. Med. 1989;3:73-78.
  • 2 - Couto GC, Nelson RW. Lymphoma in the cat and the dog. Small Animal Internal Medicine. Mosby, Saint-Louis. 2003;1122-1132.
  • 3 - Crystal MA, Penninck DG, Matz ME et coll. Use of ultrasound-guided fine-needle aspiration biopsy and automated core biopsy for the diagnosis of gastrointestinal diseases in small animals. Vet. Radiol. Ultrasound. 1993;34:438-444.
  • 4 - French RA, Seitz SE, Valli V. Primary epitheliotropic alimentary T-cell lymphoma with hepatic involvement in a dog. Vet. Pathol. 1996;33:349-352.
  • 5 - Magnol JP, Marchal Th, Delisle F et coll. Hémopathies malignes : lymphomes malins. Dans : Cancérologie clinique du chien. 1998:55-66.
  • 6 - Miura T, Maruyama H, Sakai M et coll. Endoscopic findings on alimentary lymphoma in 7 dogs. J. Vet. Med. Sci. 2004;66(5):577-580.
  • 7 - Steinberg H, Dubielzig R, Thompson J et coll. Primary gastrointestinal lymphosarcoma with epitheliotropism in three Shar-pei and one Boxer dog. Vet. Pathol. 1995;32:423-426.
  •  - Simpson KW. Diseases of the stomach. In : Textbook of Veterinary Internal Medicine, Ettinger SJ, Feldman EC, 6th ed. Elsevier-Saunders, 1330.
  • 9 - Ogilvie GK, Moore AS. Manuel pratique de cancérologie vétérinaire. Masson. Paris. 1997;157-159.
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