Des “normes” à la hausse pour l’iode - Le Point Vétérinaire n° 267 du 01/07/2006
Le Point Vétérinaire n° 267 du 01/07/2006

DOSAGES D’OLIGO-ÉLÉMENTS CHEZ LES BOVINS

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Pierre-Emmanuel Radigue*, James Husband**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
rue Sébastien Keller
54300 Lunéville
**Clinique vétérinaire
rue Sébastien Keller
54300 Lunéville

De nouveaux seuils de carence émergent pour les dosages d’iode inorganique plasmatique. Des analyses, en particulier post-mortem, permettent d’asseoir un diagnostic.

Le dosage de l’iode inorganique plasmatique (IIP) est utilisé pour objectiver une carence en iode chez les bovins et les ovins. Un laboratoire privé, spécialisé dans les explorations fonctionnelles en oligo-éléments (NBVC-Iodolab), proposait jusqu’à présent des intervalles de référence issus de sa propre expérience. Divers experts en biochimie lui reprochaient un manque de validation scientifique. Il y a quelques mois, le Veterinary Laboratories Agency, organisme d’état basé à Luddington au Royaume-Uni, a diffusé des valeurs d’iode dosées chez les bovins qui rejoignent celles du NBVC [c].

Les propositions récentes du laboratoire britannique conduisent à valider des intervalles de référence revus à la hausse par rapport aux recommandations anciennement admises dans la littérature sur le continent nord-américain.

Le Canadien Robert Puls, qui fait référence sur le sujet, a également revu à la hausse ses intervalles de référence pour l’IIP, 100 à 400 µg/l [4] alors qu’il admettait précédemment des valeurs à seulement 50 à 100 µg/l [3]. Ces évolutions conduisent à rappeler l’intérêt du dosage de l’IIP, mais aussi ses limites. D’autres critères peuvent être pris en compte pour évaluer la fonction thyroïdienne (le TABLEAU “Exploration du statut en iode”).

L’IIP : un “instantané”

Lors de suspicion de carence en iode, l’IIP est un marqueur de choix pour mettre en évidence un manque d’apport alimentaire. Toutefois, ce paramètre ne reflète que les apports alimentaires des quelques jours précédents, c’est-à-dire l’iode disponible “instantanément” dans la ration. Il ne rend pas compte de l’iode stocké dans l’organisme, ni de l’historique des apports alimentaires. Si une ration a été déficiente en iode mais ne l’est plus, la concentration en IIP apparaîtra normale.

Privilégier l’évaluation organique post-mortem

Idéalement, en particulier chez les veaux mort-nés, l’évaluation organique post-mortem est à privilégier, comme le rappelle le Veterinary Laboratories Agency. Elle consiste à peser la glande thyroïde et à réaliser son examen histologique, éventuellement complété par un dosage de la concentration en iode dans la thyroïde (PHOTOS 1A, 1B ET 2). Il est alors possible de différencier, par exemple, un goitre dû à une carence en iode, d’une hyperplasie secondaire à un excès d’apport ou d’une anomalie congénitale.

Trop de fluctuations hormonales

Une approche “traditionnelle” consiste à évaluer le fonctionnement thyroïdien à partir de la concentration en hormones circulantes. Il est alors plus approprié de doser la tétra-iodothyronine (T4 ou thyroxine) que la tri-iodothyronine (T3). La T4 correspond à la forme de transport tandis que la T3 est l’hormone active, mais cette dernière n’est présente qu’en faible concentration dans le plasma, donc peu représentative quantitativement. 90 % de l’iode circulant dans le plasma est sous forme de T4.

Chez la vache laitière cependant, d’importantes fluctuations font varier les niveaux de T4. Ce paramètre ne constitue donc pas un indicateur de flux d’iode dans l’organisme. La concentration de T4 varie en fonction de l’âge, du sexe, du stade physiologique, de l’état de santé (par exemple lors d’infection par le virus BVD). L’alimentation, la température extérieure, l’apport éventuel de sélénium, la présence de substances goitrogènes dans l’aliment et certaines maladies génétiques sont également des facteurs de variation. L’utilisation de la concentration en T4 pour le diagnostic de carence en iode est donc extrêmement discutable. L’interprétation d’un résultat de dosage doit être nuancée. Employée isolément, la T4 n’est un bon indicateur de carence en iode que chez les bovins et ovins en croissance, car les variations physiologiques sont, à ce stade, minimes. Le dosage de T4 reste aussi utilisable lors de signes évocateurs à l’échelle d’un troupeau : sous-production, pathologie de la reproduction et affections récurrentes inexpliquées. Même dans ce cadre, les nombreux facteurs de fluctuation cités à l’échelle de l’individu doivent être pris en considération lors de l’interprétation. L’utilisation seule du dosage d’hormones thyroïdiennes comme outil diagnostique de la carence en iode n’est pas recommandée chez les bovins ou les ovins.

En complément de l’évaluation indirecte du statut nutritionnel thyroïdien, il est possible de doser la glutathion peroxydase, une enzyme pourtant séléno-dépendante, mais fortement impliquée dans le métabolisme des hormones thyroïdiennes.

Importance des dosages de contrôle

Les apports en iode varient fortement selon la ration, les saisons, etc. (voir le TABLEAU “Variabilité des teneurs en iode des fourrages d’une exploitation”). Des dosages de contrôle doivent donc être mis en place lors de toute correction de carence. Ces contrôles sont particulièrement importants d’un point de vue santé publique dans les troupeaux laitiers en lactation. En effet, environ 8 % de l’iode ingéré est éliminé par le lait. Le consommateur peut donc être exposé à des excès d’iode. En pratique, un dosage d’iode dans le lait est recommandé après quarante-cinq jours de complémentation, afin d’ajuster les niveaux d’apports. Selon des études internes NBVC, la teneur en iode moyenne du lait de commerce est de 153 ± 72 µg/l. La teneur maximale tolérable est fixée à 500 µg/l [a]. Un excès d’apport constitue un risque. Toutefois, la tendance globale chez l’homme adulte en France est plutôt à une légère déficience en iode, en particulier dans l’est (voir la FIGURE “Carte de France des ioduries régionales moyennes chez l’homme/la femme”). L’origine des disparités nationales observées n’est pas clairement identifiée [b]. La diversité des habitudes alimentaires chez l’homme intervient : consommation de produits laitiers, qui sont une source d’apport chez l’homme, d’aliments goitrogènes, etc. La nature du sol et la teneur de l’eau peut aussi jouer un rôle, comme chez les bovins [b].

Une approche diagnostique globale

Les dosages d’iode tissulaire, d’IIP, de T4 ou d’enzymes séléno-dépendantes permettent d’établir une stratégie de correction spécifique lors de suspicion de carence en iode chez les bovins, mais aussi de vérifier ou de comparer l’effet des complémentations. Les travaux récents des organismes d’états ou privés, en France comme à l’étranger, sur les intervalles de référence représentent une avancée dans ces deux domaines. Toutefois, chez les ruminants, un diagnostic de carence est avant tout fondé sur le contexte clinique, épidémiologique (teneur en iode du sol) et sur un examen de la conduite d’élevage. En particulier, la ration doit être examinée, afin de rechercher la présence d’aliments goitrogènes par exemple. La décision de corriger un déficit en administrant un complément d’iode doit être le résultat d’une approche globale de chaque cas d’élevage.

  • 1 - Loué A. Les oligo-éléments en agriculture. Ed. Nathan SCPA Antibes. 1993:577p.
  • 2 - Piel HP. Goitre chez le veau : mise en évidence et traitement d’une carence en iode sur un troupeau de bovins en Combrailles (France). Rec. Med. Vet. 1979;155:695-610.
  • 3 - Puls R. Veterinary trace mineral deficiency and toxicity information. Info. Services, ministère de l’Agriculture, Ottawa, Ontario, Canada. 1981 ; 1er janvier (Publ. 5139) ASIN : B0007B2K1E:101p.
  • 4 - Puls R. Mineral levels in animal health : diagnostic data. 2nd edition, Sherpa international eds Clearbrook, British Columbia, Canada. 1994:356p.
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