Dermatose améliorée par la vitamine A chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 267 du 01/07/2006
Le Point Vétérinaire n° 267 du 01/07/2006

DERMATOLOGIE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : William Bordeau

Fonctions : Consultant en dermatologie
vétérinaire,
Clinique vétérinaire,
3, avenue Foch,
94700 Maisons-Alfort

Une chienne cavalier king charles est atteinte de dermatose améliorée par l’administration de vitamine A : il s’agit de la première description clinique dans cette race.

Une chienne cavalier king charles, non stérilisée et âgée de six ans, présente un pelage anormalement gras et très malodorant depuis deux ans. Initialement, aucun érythème abdominal, ni aucun prurit n’a été noté.

Cas clinique

1. Commémoratifs

Cette chienne vit en appartement avec un chat âgé de six ans qui ne présente aucune dermatose et qui ne sort pas. Aucune amélioration ou détérioration de l’état dermatologique de l’animal n’ont été constatées lors des voyages effectués depuis l’apparition de la dermatose. Aucune contagion humaine n’est relatée. Aucune prévention antiparasitaire n’a été instaurée aussi bien chez l’animal que dans l’environnement.

Précédemment, des biopsies cutanées, analysées dans un laboratoire d’anatomopathologie vétérinaire, ont orienté le praticien vers une dermatite allergique : un régime Hill’s z/d ultra® a été prescrit à la chienne. Une sérologie allergologique a conclu à une sensibilisation à la puce et à Tyrophagus spp.

La chienne est à jour de ses vaccins. Elle ne reçoit actuellement aucun traitement par voie générale. Un shampoing antiseptique est effectué toutes les semaines (Etiderm®).

2. Examen dermatologique

L’examen clinique ne révèle rien d’anormal hormis les lésions cutanées.

Examen dermatologique à distance

La chienne présente une dermatose multifocale qui affecte essentiellement la tête, les épaules, le thorax, les régions dorsolombaire et périvulvaire (voir la FIGURE “Silhouette dermatologique”).

Examen rapproché

Le dessus de la truffe de l’animal présente un épaississement cutané prononcé (PHOTO 1). Une inflammation de la face antérieure des deux conques auriculaires et une cheilite modérée (PHOTO 2) sont observées.

La région dorsolombaire, le thorax, les membres et l’abdomen présentent des plages alopéciques de cinq à sept cm de diamètre, avec un érythème, des croûtes, des squames et des manchons pilaires. Sur ces zones, une séborrhée grasse, à l’origine d’une odeur rance prononcée, et une pyodermite superficielle sont également visibles (PHOTOS 3, 4 ET 5).

En région périvulvaire, un intertrigo marqué et quelques papules sont présents (PHOTO 6).

Une pododermatite modérée sans atteinte des coussinets est mise en évidence sur les quatre pattes.

Cette dermatose est faiblement prurigineuse.

3. Synthèse clinique et hypothèses diagnostiques

Il s’agit donc d’une chienne âgée de six ans, dont l’état général est bon, qui présente une dermatose multifocale, faiblement prurigineuse. Elle se manifeste par un important trouble de la kératinisation, avec une séborrhée grasse, un squamosis et des manchons pilaires. Une inflammation auriculaire, labiale et périvulvaire est également observée.

Les hypothèses diagnostiques sont :

- une dermatite atopique ;

- une séborrhée primaire idiopathique ;

- une adénite sébacée ;

- une dermatose améliorée par la vitamine A ;

- une dermatose améliorée par le zinc.

4. Examens complémentaires

Un examen cytologique cutané réalisé au niveau des babines de la chienne met en évidence des cocci en nombre anormalement élevé, probablement des staphylocoques et de nombreux neutrophiles.

Des biopsies cutanées sont pratiquées à l’aide d’un trépan de 6 mm sur divers sites lésionnels après une anesthésie par une association de zolazépam et de tilétamine (Zoletil®). Les prélèvements déposés dans du formol sont envoyés dans un laboratoire d’anatomopathologie vétérinaire.

L’analyse anatomopathologique révèle que l’épiderme est le siège d’une acanthose discrète à modérée, relativement régulière, avec une émission de petites digitations coniques, papillaires, aux marges des ostia folliculaires. Ces petites digitations se couvrent de croûtes parakératosiques ponctuelles (PHOTO 7). L’épiderme et, surtout, les follicules pileux primaires montrent une importante hyperkératose orthokératosique, avec une formation de manchons folliculaires qui engainent les tiges pilaires émergentes (PHOTO 8). Au sein des unités annexielles, les follicules pileux sont en phase anagène ou, parfois, télogène. L’épiderme et les infundibula folliculaires sont régulièrement le lieu d’une exocytose multifocale de cellules mononucléées, notamment des cellules lymphoïdes et vraisemblablement des cellules plus pâles de type Langerhans (PHOTO 9). Au sein des unités annexielles, les glandes sébacées sont de petite taille, mais paraissent normalement représentées, sans remaniements inflammatoires. Les glandes sudorales sont également normales. Sur certaines biopsies, des foyers inflammatoires en évolution, suppurés ou pyogranulomateux sont notés. Aucun élément figuré infectieux, parasitaire ou fongique n’est mis en évidence.

Cette chienne présente donc une dermatose kératoséborrhéique qui se caractérise par une kératose folliculaire marquée, avec des manchons pilaires et des digitations coniques aux marges des ostia folliculaires et des lésions de pyodermite superficielle et profonde.

Cet aspect lésionnel est compatible avec une dermatose améliorée par l’administration de vitamine A ou une séborrhée primaire idiopathique qui se compliquent de lésions de pyodermite superficielle et profonde. Pour différencier ces deux hypothèses, l’animal est soumis à un traitement d’essai.

5. Traitement

Le traitement de la pyodermite fait appel à la céfalexine (Thérios 150®, 30 mg/kg/j en deux prises par voie orale) pendant deux mois, complétée par un shampooing antiseptique hebdomadaire à base de chlorhexidine (Vétriderm®). Le rythme bihebdomadaire est trop contraignant pour les propriétaires.

De la vitamine A (Avibon®(1)) est associée à la dose de 8 000 UI/j. Les gélules dosées à 50 000 UI sont reconditionnées par le pharmacien.

Des acides gras essentiels (Megaderm®) sont également prescrits, à raison d’une dose journalière, à vie.

Un contrôle clinique est réalisé un mois plus tard. Les manifestations cutanées ont fortement régressé, notamment le squamosis marqué et la séborrhée grasse.

L’excellente réponse obtenue avec la vitamine A permet de conclure à une dermatose améliorée par la vitamine A.

6. Suivi

Un contrôle clinique est réalisé quatre mois après la première consultation. Pendant toute cette période, la chienne a été régulièrement suivie par son vétérinaire traitant, qui a constaté une régression progressive de la dermatose jusqu’à sa rémission complète. Toutefois, une récidive a motivé cette consultation de contrôle. La chienne reçoit toujours 8 000 UI/j de vitamine A, ainsi que des acides gras essentiels. Aucun effet secondaire n’est observé.

Aucun symptôme général ni aucune anomalie n’est noté à l’exception des lésions cutanées.

Des lésions similaires à celles observées lors de la première consultation sont présentes : une cheilite et une pyodermite superficielle avec des lésions multifocales squamocroûteuses essentiellement localisées sur l’abdomen, les membres et la région dorsolombaire. Les squames sont compactes et adhérentes. Le prurit est toujours modéré. La principale différence avec la première consultation réside dans un épaississement cutané prononcé des coussinets des quatre pattes (PHOTOS 10 et 11).

Dans un premier temps, la dose journalière de vitamine A est augmentée de 8 000 à 10 000 UI. Les acides gras essentiels sont poursuivis à la même dose. Une antibiothérapie (céfalexine, 30 mg/kg/j en deux prises) et un shampooing antiseptique hebdomadaire sont prescrits pendant deux mois pour prévenir une récidive de pyodermite superficielle.

Lors d’un contrôle par téléphone réalisé deux mois plus tard, la propriétaire de l’animal rapporte que l’ensemble des lésions a disparu. La prescription de vitamine A et d’acides gras essentiels est maintenue aux mêmes doses.

À ce jour, soit près de deux ans plus tard, aucune récidive n’est survenue.

Discussion

La dermatose améliorée par la vitamine A est une affection rare, classée parmi les états kératoséborrhéiques primaires, décrite chez des chiens adultes de race cocker spaniel, labrador retriever, shar-pei, schnauzer nain et setter gordon [2, 7]. À notre connaissance, il s’agit de la première description chez le cavalier king charles.

Cette dermatose se manifeste cliniquement par une odeur rance et des squames compactes qui agglutinent les poils jusqu’à former des manchons pilaires, essentiellement sur le tronc et les membres. Une otite bilatérale érythémato-cérumineuse peut être associée. Le prurit, d’intensité variable, est généralement modéré. Des complications bactériennes ou fongiques aggravent parfois les signes cliniques.

Le diagnostic définitif repose sur la réalisation de biopsies cutanées et la réponse à l’administration de vitamine A. L’examen histopathologique met en évidence une hyperkératose orthokératosique folliculaire intense, alors qu’elle semble plus modérée au sein de l’épiderme, et une dermatite périvasculaire modérée à prédominance mononucléée [4].

Le traitement fait appel à la vitamine A. Elle est prescrite à la dose de 500 à 800 UI/kg en une prise orale journalière. Une amélioration clinique est visible après quatre à six semaines de traitement et la rémission survient en deux à trois mois. Aucune étude n’a cependant mis en évidence de vraie carence en vitamine A [8]. L’existence de cette dermatose est donc controversée et l’hypothèse d’une séborrhée primaire idiopathique qui répond à la vitamine A (rétinol) est avancée. En effet, la différence entre ces deux dermatoses se fonde essentiellement sur la réponse à la vitamine A. Cette déficience pourrait aussi être limitée au territoire cutané soit par carence d’apport au niveau de la peau, soit par mauvaise utilisation cutanée de cette vitamine [7]. Un traitement d’entretien, à moduler au cas par cas, est nécessaire, car l’arrêt de l’administration de vitamine A ou la diminution de la dose conduit souvent à la réapparition des symptômes [9]. Tous les médicaments contenant de la vitamine A ne présentent pas la même efficacité, notamment les génériques. En cas d’inefficacité, il convient de changer de médicaments avant d’essayer les rétinoïdes [6].

Les rétinoïdes de synthèse comme l’isotrétinoïne (Roaccutane®(1)) ou l’acitrétine (Soriatane®(1)) à la posologie de 1 mg/kg/j sont parfois prescrits avec succès. L’acitrétine(1) remplace l’étrétinate(1) dont la demi-vie est plus longue (100 jours au lieu de deux jours) et la toxicité plus forte [1]. Pour certains auteurs, ces molécules seraient inefficaces dans le contrôle de cette dermatose [7]. Une fois l’amélioration obtenue, ce traitement est maintenu une semaine par mois. L’emploi de rétinoïdes nécessite une surveillance thérapeutique, clinique et biologique plus stricte qu’avec la vitamine A : tests de Schirmer réguliers, bilan biochimique (cholestérol, triglycérides, enzymes hépatiques).

En effet, ils peuvent être à l’origine d’une augmentation de la pression intracrânienne, de vomissements, d’une anorexie, d’une perte de poids, d’une apathie, d’une douleur osseuse ou articulaire, d’une hépato- et splénomégalie et d’une sécheresse oculaire. Ces molécules sont en outre fortement tératogènes et contre-indiquées chez les animaux diabétiques [9]. Aux doses recommandées, la vitamine A n’entraîne que peu d’effets secondaires, à la différence des rétinoïdes, aussi bien à court qu’à long terme. À notre connaissance, la vitamine A n’a jamais provoqué d’épaississement cutané des coussinets et ce signe, observé lors du second contrôle, doit plutôt être considéré comme l’une des manifestations de cette dermatose. La rémission obtenue malgré l’augmentation de la dose conforte cette hypothèse.

Une supplémentation en hormones thyroïdiennes ou une corticothérapie n’est d’aucun intérêt [9].

Les acides gras essentiels présentent le double avantage d’être peu coûteux et dénués de toxicité.

Les complications infectieuses, qui sont fréquentes, doivent faire l’objet d’un traitement par voie topique ou systémique.

La sévérité de l’état kératoséborrhéique est contrôlée par des shampooings kératomodulateurs bihebdomadaires [5] : kératolytiques, ils visent à réduire l’épaisseur de la couche cornée (acide salicylique) ; kératorégulateurs, ils régulent la cinétique et l’activité des cellules de la couche basale (goudron de houille, ichtyol); antiséborrhéiques, ils diminuent la production sébacée et l’encombrement du canal sébacé (soufre, sélénium) [3].

La dermatose améliorée par la vitamine A est une affection rare, probablement sous-diagnostiquée, notamment en raison d’une confusion clinique possible avec une dermatite atopique bien plus fréquente dans les races pour lesquelles cette dermatose a été décrite. En outre, de nombreuses spécialités vétérinaires qui contiennent des acides gras essentiels, employées dans le traitement de la dermatite atopique, comportent également des quantités élevées de vitamine A. Aussi, des chiens atteints de dermatose améliorée par la vitamine A pourraient être guéris avec ces produits, utilisés initialement pour traiter les symptômes de dermatite atopique.

  • (1) Médicament à usage humain.

Remerciements aux docteurs Geneviève Karsenty et Frédérique Degorce.

Points forts

La dermatose améliorée par la vitamine A est une affection rare décrite dans de nombreuses races, notamment le cocker, le labrador et le setter gordon.

La dermatose améliorée par la vitamine A se manifeste par un trouble marqué de la kératinisation, avec une séborrhée grasse, un squamosis et des manchons pilaires. Le prurit est plus ou moins sévère et une inflammation auriculaire et labiale peut être présente.

Cliniquement, la dermatose améliorée par la vitamine A est proche de la dermatite atopique, commune dans les races précitées, de la séborrhée primaire idiopathique et de l’adénite sébacée.

Son diagnostic, histologique, est confirmé par une réponse à une supplémentation en vitamine A à la dose de 500 à 800 UI/kg.

  • 1 - Carlotti DN, Bensignor E. Management of keratoseborrheic disorders. Eur. J. Companion Anim Pract. 1990;12:123-132.
  • 2 - Guaguère E. Le syndrome kératoséborrhéique. 1re partie. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1990;25:117-127.
  • 3 - Guaguère E. Le syndrome kératoséborrhéique. 2e partie. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1990;25:197-204.
  • 4 - Guaguere E. Cas clinique : séborrhée primaire répondant à l’administration de vitamine A. Point Vét. 1984;16:689-691.
  • 5 - Guaguère E, Hubert T, Muller A. Troubles de la kératinisation chez le chien : actualités cliniques. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 2003;38:9-20.
  • 6 - Ihrke PJ, Goldschmidt MH. Vitamin A-responsive dermatosis in the dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1983;182:687-690.
  • 7 - Kwochka KW. Primary keratinization disorders of dogs. In : Griffin CE, Kwochka KW, McDonald JM. Current Veterinary Dermatology. Ed. Mosby Year Book, Saint Louis. 1983:176-190.
  • 8 - Parker W, Yager-Johnson JA, Hardy MH. Vitamin A responsive seborrheic dermatosis in the dog : a case report. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1983;19:548-554.
  • 9 - Scott DW. Vitamin A-responsive dermatosis in the Cocker Spaniel. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1986;22:125-129.
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