ANALGÉSIE DU CHIEN ET DU CHAT
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Auteur(s) : Philippe Michon
Fonctions : 13, rue Pierre Gillet
08800 Charleville-Mézières
Une meilleure connaissance des mécanismes centraux de la douleur permet d’optimiser l’usage des anti-inflammatoires et d’envisager de nouveaux traitements.
La douleur arthrosique, combinaison de mécanismes périphériques et centraux [13], est généralement gérée comme une douleur inflammatoire périphérique. Son contrôle peut être amélioré en bloquant la sensibilisation centrale. Elle a été attribuée à de nombreux médiateurs. Leur étude permet de comprendre les activités des molécules utilisées dans le traitement de la douleur arthrosique.
La stimulation répétée des nocicepteurs articulaires transforme le fonctionnement des voies centrales neurogènes, médullaires et supérieures, en un processus d’hypersensibilité à la douleur appelé sensibilisation centrale [13]. Parallèlement, une sensibilisation périphérique augmente le relargage des transmetteurs qui accroissent l’excitabilité des neurones spinaux [32].
Les réponses de l’articulation aux stimuli douloureux sont alors modifiées. Une pression non douloureuse sur une articulation non inflammatoire entraîne un relargage de glutamate des neurones afférents vers la corne dorsale, mais n’ouvrent pas les canaux N-Méthyl-D-Aspartate (NMDA). Lors de pression douloureuse ou d’inflammation, ces canaux s’ouvrent [32] et jouent un rôle essentiel dans la sensibilisation centrale [25].
Divers neuromodulateurs augmentent la sensibilisation centrale : le glutamate, la substance P, l’oxyde nitrique (NO) et certaines molécules dont les rôles modulateurs centraux ont été démontrés ces dix dernières années : des prostaglandines, des cytokines pro-inflammatoires, des chémokines et certains facteurs neurotrophiques, tels que le nerve growth factor (NGF) en périphérie et le brain-derived neurotrophic factor (BDNF) au niveau central [20, 21].
Les prostaglandines (PG) agissent soit directement sur les nocicepteurs, soit comme des agents sensibilisants et sont impliquées à différents niveaux de la voie nociceptive [30]. Elles sont synthétisées par les cyclo-oxygénases 1 (COX-1), présentes dans de nombreux tissus, et les COX-2 présentes dans le rein canin et sécrétées en réaction dans la plupart des tissus. La COX-2 est également présente en grande quantité sous une forme inactivée et de manière constitutive dans les neurones et les cellules gliales impliqués dans la douleur [7]. Lors de stimulation nociceptive d’intensité suffisante, la COX-2 serait immédiatement activée : il convient donc de bloquer préventivement sa synthèse lors de chirurgie et de la limiter en continu lors de maladies à nociception chronique comme l’arthrose. La COX-3 est identifiée dans le cerveau canin. Alors que la douleur arthrosique intraarticulaire serait initiée au moins à 30 % par la COX-1, la sensibilisation spinale serait uniquement due à la COX-2 d’origine périphérique et spinale [7, 19].
L’interleukine-1β (IL-1β) augmente l’activité centrale des COX-2 et contribue à la sensibilisation centrale [31].
Le facteur de nécrose tumorale α (TNFα) est produit en trop grande quantité dans les articulations rhumatoïdes et agit directement sur les neurones [11].
L’augmentation de l’excitabilité neuronale est normalement diminuée par des systèmes descendants inhibiteurs [13, 34]. Un mauvais fonctionnement des systèmes inhibiteurs augmente la douleur lors d’arthrose [15]. Quand la sensibilisation centrale est initiée, les cellules gliales spinales sécrètent des cytokines qui favorisent l’inflammation et des neuromodulateurs excitateurs : ceci augmente le relargage des molécules excitatrices dans la corne dorsale et induit une hyperexcitabilité des neurones de cette corne [3, 22, 38].
La douleur inflammatoire, composante majeure de la douleur arthrosique, est due à des dégâts tissulaires alors que la douleur neuropathique, composante majeure de la douleur oncologique, est due à des atteintes neuronales [29]. Elles partagent cependant certaines caractéristiques. Les modifications dégénératives associées à l’arthrose entraînent des compressions nerveuses et induisent une douleur neuropathique [27, 35] et une sécrétion de neurotransmetteurs qui sensibilisent le niveau central [29]. Des mécanismes de la sensibilisation centrale comme la voie du TNF sont susceptibles d’être communs aux douleurs neuropathiques et inflammatoires [26]. Les traitements de la douleur neuropathique peuvent donc être nécessaires lors de douleurs d’origine arthrosique.
La douleur et l’inflammation associées à l’arthrose sont traitées avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui peuvent diminuer la sensibilisation centrale à la douleur [36, 40]. Le passage de la barrière hémato-méningée revêt une grande importance dans l’efficacité des AINS sur la sensibilisation centrale. Peu de données ont été publiées dans des revues à comité de lecture chez le chien. Cependant, le passage de l’acide tolfénamique, du kétoprofène, du carprofène, du méloxicam et du tépoxalin est décrit comme bon, ce qui n’est pas le cas de l’aspirine et de la phénylbutazone [23]. En plus de son action sur la COX-1, le kétoprofène possède une activité antinociceptive sérotoninergique sur les récepteurs de la 5-hydroxy-tryptamine (5-HT1, 5-HT2 et 5-HT7 supraspinaux, 5-HT3 spinal) [5]. La 5-HT ou sérotonine est un médiateur impliqué dans les radiculopathies : lors de hernie discale, l’utilisation d’inhibiteurs spécifiques donne des résultats équivalents aux AINS [37]. L’action de nombreux AINS sur la sensibilisation à la douleur a été évaluée comme identique à celle des opioïdes [19].
L’hyperalgie due à l’IL-1β intra-articulaire est bloquée par des inhibiteurs spécifiques COX-1 et COX-2 tandis que l’hyperalgie due à l’IL-1β d’origine centrale n’est bloquée que par la COX-2 et par le paracétamol [17]. Les AINS qui conservent une activité COX-1 sont donc intéressants lors d’inflammation aiguë, alors que les COX-2 spécifiques sont plus indiqués lorsque le processus est chronique. La plupart des analgésiques (AINS, opioïdes, antidépresseurs) sont métabolisés par le cytochrome P450 dont les iso-enzymes sont susceptibles de polymorphisme génétique ce qui permet d’expliquer les sensibilités individuelles aux AINS [1]. Ceci se retrouve dans les expérimentations comparant le carprofène aux opioïdes chez le chat : malgré un meilleur effet antinociceptif, le carprofène présente une plus grande variabilité individuelle [12]. Le rofecoxib, une molécule proche du firocoxib, et l’ibuprofène bloquent le site actif des COX et empêchent la synthèse de leur forme active. L’utilisation de ces différentes propriétés permet d’envisager un traitement raisonné de la douleur en ciblant des sites et des doses spécifiques [4] : par exemple, l’activité centrale de l’ibuprofène ne demande qu’un dixième de sa dose périphérique. Malgré un bon passage dans le système nerveux central (SNC), tous les coxibs n’y atteignent pas une concentration efficace : chez l’homme, par exemple, le rofecoxib(1), le valdecoxib(1) et le celecoxib(1) passent dans le SNC, mais seuls les deux premiers sont efficaces. La différence est essentiellement due à la fixation protéique : plus le coxib est fixé, moins son passage est efficace. Les coxibs ont une action incomplète sur les douleurs inflammatoires et neuropathiques : leur utilisation doit être raisonnée et orientée sur la douleur chronique dans les phases où l’articulation n’est pas inflammatoire [2].
À la dose thérapeutique, le paracétamol est inefficace sur les douleurs induites par les cytokines TNF-α et IL-β [18]. En plus de l’action sur la COX- 3 qui n’existe peut-être que chez les carnivores, le paracétamol bloquerait l’activité des COX spinales en réduisant la forme oxydée active en une forme inactive [4]. Le stress oxydatif limité dans les nerfs permettrait cette action.
Les récepteurs NMDA sont présents dans la plupart des parties du cerveau et interviennent dans de nombreux systèmes neuronaux. L’utilité de leurs antagonistes comme l’amantadine est en cours d’étude [32].
Chez l’homme, plusieurs molécules bloquants les TNF-α et les récepteurs IL-1 ont une autorisation de mise sur le marché dans le traitement de l’arthrite rhumatoïde [10, 39]. Chez le chien, cette action sur les cytokines est surtout recherchée par le biais des acides gras poly-insaturés.
La choline est efficace contre la douleur inflammatoire par son action sur les récepteurs (-7 nicotiniques, mais son dosage demeure à préciser chez le chien [16].
Aucune cible spécifique n’a encore été identifiée pour la sensibilisation centrale lors de douleur neuropathique [6]. Les antidépresseurs, les antiépileptiques, les traitements topiques et les opioïdes sont cependant tous efficaces [9, 33]. Les antidépresseurs tricycliques comme la clomipramine (utilisé chez le chien à la dose de 0,5 à 4 mg/kg/j par voie orale) sont à la fois efficaces sur les douleurs neuropathiques et sur les douleurs arthrosiques. Parmi les antiépileptiques, la phénytoïne(1) (utilisé chez le chien à la dose de 2 à 20 mg/kg/j par voie orale), la gabapentine(1) (utilisé chez le chien à la dose de 35 mg/kg/j par voie orale) et la prégabaline(1) sont utilisées chez l’homme contre l’arthrose rhumatoïde [24, 28] et la douleur centrale à médiation inflammatoire [ 8 ] . Les opioïdes oraux, comme le tramadol(1) utilisé chez le chien à la dose de 2 à 5 mg/kg, sont efficaces contre les douleurs arthrosiques, mais avec des effets secondaires importants [14].
Il existe de plus en plus de preuves de l’implication de la sensibilisation centrale dans les douleurs chroniques inflammatoires et neuropathiques. Bien que les traitements contre la douleur neuropathique, en particulier ceux qui agissent sur les mécanismes centraux, soient efficaces pour traiter la douleur inflammatoire chronique, les AINS représentent encore à l’heure actuelle les molécules les plus utilisées.
- Michon P. Acides gras polyinsaturés et arthrose : quelles sont les informations validées ? Point Vét. 2005;36(259):8-9.
- Michon P. Traitement médical de la douleur cancéreuse. Point Vét. 2005;36(256):30-35.
- Michon P. Cyclo-oxygénase 3 : des perspectives nouvelles pour d’anciennes molécules. Point Vét. 2005;36(252):10-11.
- Michon P, Dumas P. Intérét des AINS dans le traitement du cancer. Point Vét. 2004;35(250):30-34.