Maladie d’Addison chez une chienne - La Semaine Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006
La Semaine Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006

ENDOCRINOLOGIE CANINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Marianne Juès*, Pauline de Fornel-Thibaud**, Dan Rosenberg***

Fonctions :
*6, route des postillons,
92310 Sèvres.
**Unité de Médecine,
ENV d'Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94700 Maisons-Alfort
***Unité de Médecine,
ENV d'Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94700 Maisons-Alfort

Une jeune chienne âgée de trois ans présente de l’anorexie et des vomissements chroniques. L’hypothèse diagnostique de maladie d’Addison est confirmée par un test de stimulation à l’ACTH.

La maladie d’Addison est une dysendocrinie peu fréquente, probablement parce qu’elle est sous-diagnostiquée. L’expression clinique de cette affection est en effet souvent fluctuante et peu spécifique. Dans le cas présenté, une jeune chienne, anorexique et abattue depuis trois jours présente des vomissements chroniques depuis l’âge d’un an.

Cas clinique

1. Anamnèse et Commémoratifs

Une chienne grœnendael, non stérilisée et âgée de trois ans, anorexique et abattue depuis trois jours est présentée en consultation. Elle présente des vomissements chroniques depuis l’âge d’un an. Elle est correctement vaccinée et vermifugée.

Une endoscopie réalisée deux mois auparavant a mis en évidence une duodénite d’intensité modérée, avec une infiltration de cellules inflammatoires principalement plasmocytaires, et une gastrite majeure, non suppurée, avec une infiltration macrophagique, lymphocytaire et plasmocytaire.

2. Examen clinique

Les constantes vitales sont normales (notamment absence de déshydratation et fréquence cardiaque de 100 battements par minute).

Les selles recueillies par un toucher rectal sont noirâtres et les urines sont claires.

La chienne est maigre, son poids est de 20 kg.

3. Examens complémentaires et diagnostic

• Des examens sanguins et urinaires sont réalisés (voir le TABLEAU “Examens sanguins et urinaires”). Les résultats montrent une insuffisance rénale aiguë probablement d’origine pré-rénale, une légère hypoprotéinémie, un rapport sodium/potassium diminué et une densité urinaire basse.

• L’ensemble des commémoratifs (femelle non stérilisée âgée de trois ans), des signes cliniques (vomissements chroniques et abattement) et des examens sanguins et urinaires (insuffisance rénale aiguë, relative hypoprotéinémie, rapport sodium/potassium diminué, isosthénurie) est en faveur d’une maladie d’Addison.

• Un test de stimulation de la cortisolémie par l’ACTH est réalisé pour confirmer cette suspicion. Une ampoule de Synactène(1) (tétracosactide) est administrée par voie intramusculaire à T0. Deux prises de sang sont réalisées, à T0 et T0 +1 h 30 (voir le TABLEAU “Test de stimulation de la cortisolémie par l’ACTH”).

Les valeurs de cortisol avant et après la stimulation confirment la maladie d’Addison (ou insuffisance surrénalienne périphérique).

4. Traitement

• Les déséquilibres hydro-électrolytiques sont compensés par l’administration d’une perfusion de NaCl, afin de traiter l’insuffisance rénale aiguë supposée d’origine prérénale à ce stade.

• Dès la réception des résultats et la confirmation du diagnostic de maladie d’Addison, 0,2mg/kg d’acétate de désoxycorticostérone(1) (Syncortyl®) est injecté par voie intramusculaire tous les deux jours et 0,25 mg/kg/j de prednisone (Cortancyl 5 mg®(1), un comprimé par jour) est administré par voie orale jusqu’à la première visite de contrôle, sept jours plus tard.

5. Évolution

• Le lendemain de l’administration de Syncortyl®(1) et de prednisone, la chienne se nourrit spontanément.

• À la première visite de contrôle, sept jours après la première injection de Syncortyl®(1), la chienne a bon appétit et ne présente plus de vomissement ni de diarrhée. L’ionogramme est conforme aux objectifs du traitement et met en évidence une normalisation de la natrémie et de la kaliémie (voir le TABLEAU “Évolution de l’ionogramme au cours du traitement”).

Les doses de Cortancyl®(1) sont diminuées à 0,18 mg/kg/j puis à 0,15 mg/kg/j et les injections intramusculaires de Syncortyl®(1) sont maintenues à un rythme d’une fois tous les deux jours.

• Lors de la seconde visite de contrôle, un mois plus tard, le poids de la chienne a augmenté de 2,5 kg. Aucune anomalie clinique ou biologique n’est notée.

Discussion

L’insuffisance surrénalienne périphérique (ou maladie d’Addison) est un défaut de production des glucocorticoïdes et des minéralocorticoïdes par les glandes surrénales (voir l’ENCADRÉ “Définitions”). Une destruction auto-immune de la corticosurrénale est suspectée chez le chien par analogie avec le processus le plus courant lors d’insuffisance surrénalienne périphérique chez l’homme [3].

1. Une anamnèse et une expression clinique évocatrices

• La plupart des chiens atteints d’insuffisance surrénalienne périphérique présentent un défi­cit combiné en glucocorticoïdes et en minéralocorticoïdes.

Ces chiens sont généralement présentés en urgence. L’association d’un amaigrissement, d’une déshydratation, de vomissements, d’un choc hypovolémique, d’une hypothermie et, plus rarement, d’une bradycardie est alors fortement évocatrice d’une maladie d’Addison, surtout si le contexte épidémiologique concorde (chien généralement âgés de deux à six ans, avec une nette prédominance des femelles) [3, 8].

Des prédispositions raciales (dogue allemand, caniche, west-highlands-white-terrier, etc.) ont été identifiées. Une transmission héréditaire a été démontrée chez le bearded collie. Des formes familiales ont également été décrites (chez le leonberg par exemple) [1, 6]. La grande diversité des races atteintes et l’abondance d’individus croisés au sein des séries de cas de maladies d’Addison conduisent toutefois à suspecter cette affection dans un contexte évocateur quelle que soit la race.

• Dans le cas présenté, où l’expression clinique était peu spécifique, le sexe et l’âge de l’animal ont orienté vers une suspicion de maladie d’Addison.

2. Des modifications biologiques peu marquées

• Lors du diagnostic de maladie d’Addison, 4 % des chiens ont un ionogramme normal (déficit unique en glucocorticoïdes ou hypocortisolisme). La plupart de ces animaux développent une hyponatrémie associée à une hyperkaliémie, signes d’un hypo-aldostéronisme, dans les semaines ou dans les mois qui suivent le diagnostic [3]. Cela suggère que la destruction des zones fasciculées et réticulées, qui entraîne un déficit primitif en glucocorticoïdes, précède celle de la zone glomérulée, responsable du déficit en minéralocorticoïdes. Cette séquence est à distinguer d’un hypocortisolisme simple, d’origine central ou périphérique, qui n’évolue pas vers un déficit en minéralocorticoïdes.

Dans le cas décrit, l’anamnèse rapporte des vomissements sur une très longue période (deux ans). Ceux-ci peuvent n’avoir été dus qu’au déficit en glucocorticoïdes. Au moment du diagnostic, l’ionogramme n’était pas fortement modifié. Une destruction par étage est donc envisageable.

• La maladie d’Addison entraîne une insuffisance rénale aiguë (IRA) d’origine prérénale. Une IRA d’origine prérénale est caractérisée par une déshydratation, un hématocrite et élévation des protéines totales, une densité urinaire normale ou augmentée, et par une augmentation de l’urémie supérieure à l’augmentation de la créatinémie.

L’hyponatrémie présente lors de maladie d’Addison peut cependant entraîner une diminution de la densité urinaire malgré l’IRA prérénale, le déficit en sodium contribuant alors à une diminution du gradient corticomédullaire rénal [3, 8]. Une hyponatrémie marquée entraîne une réduc­tion de l’osmolarité du sérum et l’hormone anti­diurétique n’est alors pas sécrétée. La maladie d’Addison s’accompagne donc parfois d’une polyuro-polydypsie (PUPD) avec hypo- ou isosthénurie, ce qui peut orienter vers un diagnostic erroné d’insuffisance rénale chronique (IRC).

Environ 15 % des chiens atteints de maladie d’Addison présentent en outre une protéinémie diminuée dont l’origine n’est pas certaine (pertes gastro-intestinales, entéropathie exsudative, malassimilation, hépatopathie par hypovolémie et hypotension hépatique chronique) [4, 8]. Cette diminution de la protéinémie peut également gêner le diagnostic de l’insuffisance rénale fonctionnelle.

Dans le cas décrit, malgré la densité urinaire 1,015 et l’hypoprotéinémie, la chienne présentait une IRA prérénale (et non une IRC ou une IRA d’origine rénale à diurèse conservée). Les indices épidémiologiques et cliniques en faveur de la maladie d’Addison et l’augmentation de l’urémie supérieure à l’augmentation de la créatinine ont aidé à cette distinction. La réversibilité de l’ensemble des modifications biochimiques après l’instauration du traitement a confirmé l’origine prérénale.

• Un rapport sodium sur potassium inférieur à 24 ou 27 selon les auteurs est considéré comme un signe évocateur de maladie d’Addison [7, 9]. Ce rapport est généralement diminué en raison de l’association d’une hyponatrémie et d’une hyperkaliémie. Cependant, d’autres affections à l’origine d’une hyponatrémie ou d’une hyperkaliémie isolées peuvent également abaisser ce rapport [7, 9]. Selon une étude de 1999, l’insuffisance rénale est ainsi la cause la plus fréquente des rapports sodium/potassium bas [9] et la plupart des chiens avec un rapport inférieur à 24 se révèlent en hyperkaliémie sans hyponatrémie. Seuls 24 % des chiens avec un rapport inférieur à 24 présentent une insuffisance surrénalienne périphérique. En revan­che, la totalité des chiens dont le rapport est inférieur à 15 présente une maladie d’Addison, avec une hyperkaliémie et d’une hyponatrémie conjointes.

Le diagnostic différentiel de l’hyperkaliémie isolée comprend, entre autres, le diabète acidocétosique, l’IRA d’origine post-rénale, l’IRA d’origine rénale, oligurique ou anurique, les troubles gastro-intestinaux (ou encore la vidange répétée d’un épanchement pleural).

L’hyponatrémie isolée peut être due à une affection tubulaire rénale, à un œdème ou à une diurèse osmotique (diabète sucré, diurèse post-obstructive) [3, 9].

Dans le cas décrit, le rapport sodium/potassium était de 24. Cette valeur limite aurait pu être à l’origine d’un diagnostic différentiel large. Elle était néanmoins due ici à l’association d’une hyponatrémie modérée (135 nmol/l) et d’une légère hyperkaliémie (5,5 nmol/l). Cette association confrontée au contexte épidémiologique et clinique a donc restreint les hypothèses diagnostiques à une suspicion d’insuffisance surrénalienne périphérique.

3. Démarche diagnostique

• Seul un dosage de la cortisolémie avant et après stimulation à l’ACTH peut confirmer ou infirmer la suspicion d’hypocortisolisme. Une cortisolémie basale basse associée à l’absence de réponse à la stimulation prouvent l’insuffisance surrénalienne, qu’elle soit d’origine centrale ou périphérique. [3, 5].

Une hyponatrémie associée à une hyperkaliémie démontrent l’existence d’un hypo-aldostéronisme. Ce dernier, ajouté à l’hypocortisolisme, permet notamment dans ce cas d’établir le diagnostic d’une insuffisance surrénalienne périphérique.

Lors d’hypocortisolisme sans anomalie de l’ionogramme, deux hypothèses peuvent être formulées. Il peut s’agir d’une insuffisance surrénalienne d’origine centrale (déficit de production de l’ACTH) ou d’une insuffisance surrénalienne périphérique qui ne concernerait que les glucocorticoïdes, et évoluerait ou non vers un déficit en minéralocorticoïdes [2].

Un dosage de l’ACTH plasmatique permet de différencier ces deux types d’hypocortisolisme. La totalité des chiens “addisonniens” ont un niveau d’ACTH plasmatique supérieur aux valeurs usuelles, en raison de l’absence de rétrocontrôle négatif des glucocorticoïdes sur l’axe hypothalamo-hypophysaire. Ce dosage est cependant complexe à réaliser. Il nécessite une centrifugation réfrigérée, une congélation rapide du plasma et un transport qui respecte la congélation en raison de la demi-vie courte de l’ACTH (25 minutes) [3, 5].

• Théoriquement, le dosage de l’aldostéronémie avant et après stimulation à l’ACTH permettrait de différencier les insuffisances surrénaliennes centrales des insuffisances surréna­liennes périphériques. En effet, lors d’insuffisance surrénalienne centrale, le déficit attendu en minéralocorticoïdes est faible car leur sécrétion dépend essentiellement des variations du système rénine/angiotensine.

Par ailleurs, les insuffisances surrénaliennes périphériques deviennent, en général et à court terme, des insuffisances combinées en gluco- et minéralocorticoïdes. Des altérations des capacités de sécrétion de l’aldostérone pourraient donc être attendues [10]. Les études cliniques réalisées pour l’instant sur un petit nombre de chiens (en raison de la rareté des cas) n’ont pourtant mis en évidence que de très faibles différences d’aldostéronémie entre ces deux types d’insuffisance surrénalienne [3, 8].

Le dosage de l’aldostéronémie avant et après stimulation à l’ACTH semble en revanche intéressant pour différencier un hypocortisolisme d’origine périphérique voué à évoluer à court terme vers un hypo-aldostéronisme (4 % des chiens “addisonniens”), d’un hypocortisolisme périphérique isolé (un seul cas décrit dans la littérature [2]).

Chez le chien, la maladie d’Addison se manifeste par des symptômes peu spécifiques. Elle est donc probablement sous-diagnostiquée. Elle doit être suspectée chez les chiennes jeunes, abattues, anorexiques ou qui présentent des vomissements chroniques. Une fois le diagnostic établi, une substitution en glucocorticoïdes et en minéralocorticoïdes est instaurée à vie. Le traitement substitutif permet d’obtenir une disparition complète des symptômes. Le pronostic de l’affection est alors bon avec une médiane de survie d’environ cinq ans.

  • (1) Médicament à usage humain.

Définitions

L’hypocortisolisme est un déficit de sécrétion de glucocorticoïdes par la glande surrénale.

L’hypo-aldostéronisme est un déficit de sécrétion de minéralocorticoïdes par la glande surrénale.

L’insuffisance surrénalienne centrale ou insuffisance corticotrope est un déficit de sécrétion d’ACTH qui entraîne un déficit en glucocorticoïdes.

L’insuffisance surrénalienne périphérique ou maladie d’Addison est une destruction bilatérale des glandes surrénales qui entraîne un déficit, généralement combiné, en glucocorticoïdes et en minéralocorticoïdes.

Points forts

Lors du diagnostic de maladie d’Addison, 4 % des chiens présentent un ionogramme normal qui suggère une destruction de la zone glomérulée plus tardive.

La densité urinaire et la protéinémie peuvent être diminuées malgré la présence d’une IRA d’origine prérénale.

Un rapport sodium sur potassium inférieur à 24 ou 27 est considéré comme un signe évocateur de maladie d’Addison mais il peut être dû à une hyponatrémie ou à une hyperkaliémie isolée, dansun contexte pathologique différent.

Seule une cortisolémie faible avant et après la stimulation par l’ACTH confirme un hypocortisolisme, d’origine centrale ou périphérique.

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