La nutrition parentérale totale chez le chien et le chat - Le Point Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006
Le Point Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006

NUTRITION ET SOINS INTENSIFS

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Céline Migianu, épouse Mélot

Fonctions : 1, rue Montet
33640 Beautirant

La nutrition parentérale totale est parfois la seule solution pour couvrir les besoins nutritionnels des chiens et des chats hospitalisés.

La prise en compte des besoins alimentaires du chien et du chat n’est pas toujours satisfaisante au cours de l’hospitalisation. Or l’expérience en médecine humaine montre qu’un soutien nutritionnel peut réduire la morbidité et la mortalité, notamment lors de maladie inflammatoire de l’intestin ou de pancréatite.

Indications et contre-indications

La principale indication médicale de la nutrition parentérale est la mise au repos du tube digestif (pancréatite aiguë, par vovirose ou de maladies inflammatoires de l’intestin) [2, 9]. Elle est également intéressante chez un animal débilité.

En chirurgie, la nutrition parentérale totale est indiquée lorsque l’animal ne peut se nourrir normalement et que la mise en place d’une sonde est difficile, voire impossible. Elle permet aussi d’assurer la vacuité du tube digestif avant une intervention chirurgicale digestive [4, 5].

En raison de l’osmolarité élevée des solutions (plus de 800 mOsm/l), elle est obligatoirement administrée par une voie veineuse centrale, par exemple par la veine jugulaire ou par la veine fémorale [2].

Les cathéters veineux centraux sont contre-indiqués lorsqu’une hypertension intracrânienne est suspectée, lors de traumatisme crânien par exemple [8].

La pose d’un cathéter veineux central est à éviter chez les animaux atteints d’anémie hémo­lytique auto-immune, chez lesquels le risque de thrombose et de thrombo-embolie pulmonaire est accru [8].

Des solutions de nutrtion destinées à l’homme

Les produits disponibles dans le commerce sont des solutions cristallines d’acides aminés, des solutions glucidiques, des émulsions lipidiques, des suppléments minéraux et des suppléments vitaminiques. Ces derniers ne sont généralement pas utilisés en raison de la durée de la nutrition parentérale chez le chien et chez le chat, habituellement trop courte pour qu’une carence en vitamines ne se développe [7, 9].

Il peut s’agir de composés simples ou de mélanges.

Il n’existe pas de présentation vétérinaire. Des formulations destinées à l’homme sont donc à adapter en fonction des besoins de l’animal.

Il est recommandé d’employer les produits d’un seul fabricant [4]. L’adjonction de médicaments est déconseillée.

Les solutions protidiques

Les solutions cristallines d’acides aminés contiennent un mélange équilibré d’acides aminés non essentiels (généralement dix-huit) et essentiels. Une fois entamées, les solutions d’acides aminés ne se conservent pas plus d’un jour. Le conditionnement est donc choisi en fonction du volume quotidien à administrer, afin de limiter le gaspillage.

Les solutions commercialisées en France ne sont pas adaptées au chien et au chat. Le choix d’une solution est fondé sur la quantité de protéines qu’elle contient et sur la présence ou non des acides aminés essentiels à l’espèce considérée. Il convient donc d’employer des solutions contenant de la taurine et de l’arginine chez le chat.

Les solutions glucidiques

En général, la source de glucides est le glucose, mais il peut également s’agir de fructose (lévulose) oude sorbitol. Le glucose est le glucide de choix, car il stimule la sécrétion d’insuline ce qui favorise les réactions anaboliques. Il est en outre peu coûteux [7].

Les solutions dont la concentration en glucose est trop faible (5 %)ne sont pas utilisées en nutrition parentérale, étant donné le risque de surcharge volémique [7].

Les émulsions lipidiques

Les émulsions lipidiques sont des sources d’acides gras essentiels et de glycérol. Elles constituent également un apport de calories. Elles sont principalement préparées à partir d’huile de soja, constituée de triglycérides à chaîne longue. Les triglycérides à chaîne longue permettent d’éviter les car en ces en acides gras essentiels (linoléique, oléique, palmitique, linolénique et stéarique) et l’utilisation excessive de glucose [3, 6]. Les émulsions lipidiques contiennent également des phospholipides et de la lécithine d’œuf et du glycérol [3]. Certains produits récents contiennent en plus de l’huile d’olive, riche en acides gras monoinsaturés [3].

Il existe des émulsions lipidiques à 10 % de lipides (100 g/l), 20 % (200 g/l) ou 30 % (300 g/l). Pour des raisons galéniques, les solutés à 10 % sont plus riches en émulsifiants que les solutés à 20 et 30 %. Or la toxicité, notamment hépatique, de concentrations élevées de ces émulsifiants est connue. Il est donc conseillé de n’utiliser que des émulsions à 20 ou 30 %.

Mélanges binaires et ternaires

Les mélanges binaires associent des acides aminés et des glucides, ou des acides aminés et des lipides, déjà mélangés en flacon de verre. Les mélanges ternaires (acides aminés + glucides + lipides) peuvent être présentés déjà mélangés ou en poche plastique compartimentée. Chaque compartiment contient un type de nutriment (PHOTO 1). L’inconvénient majeur de ces poches est leur prix. Elles sont deux à trois fois plus chères que les mélanges en flacons [4]. Les nutriments sont isolés les uns des autres par des soudures. Pour les mélanger, il suffit de les enrouler ou de les secouer afin de rompre les soudures. Le mélange des produits avant leur perfusion est toutefois une étape délicate. Si les glucides et les lipides sont mélangés en premier, le faible pH de la solution glucidique peut en effet déstabiliser l’émulsion lipidique [7]. Les lipides doivent donc être introduits en dernier. Le mélange, une fois réalisé, peut être conservé au réfrigérateur pendant quelques jours, mais ne doit jamais être laissé à température ambiante plus de vingt-quatre heures [6, 7, 9].

Le mélange de différentes solutions à la seringue est fortement déconseillé car une contamination est possible.

Circuit de perfusion

Le circuit peut être alimenté par un flacon unique qui contient un mélange équilibré de tous les nutriments ou par différentes solutions en parallèle, ce qui évite tout risque de contamination lié aux manipulations lors des mélanges. Les solutés sont branchés sur des perfuseurs indépendants reliés par un prolongateur en Y, lui-même connecté au cathéter veineux central. Des pompes à perfusion indépendantes permettent alors d’adapter le débit de chaque solution. Des valves assurent l’absence de reflux. Un filtre est placé entre le cathéter et le reste du circuit de perfusion (voir la FIGURE complémentaire“Circuit de perfusion pour la nutrition parentale totale” sur Planète-vet). Ces mailles de 0,22 µm permettent de filtrer les bulles d’air, les particules et les germes [7]. Une pression élevée est nécessaire pour assurer le passage des solutions de nutrition parentérale à travers le filtre car elles sont très denses, en particulier les émulsions lipidiques.

La pompe à perfusion est donc un élément essentiel pour l’administration d’une nutrition parentérale totale.

Voie et rythme d’administration

• La pose du cathéter veineux central peut être réalisée sous anesthésie générale ou locale [10]. L’asepsie doit être rigoureuse lors de la pose du cathéteret des manipulations ultérieures.

• Certains auteurs recommandent d’augmenter graduellement, sur trois à cinq jours, la quantité d’énergie apportée afin d’évaluer la tolérance de l’organisme au soutien nutritionnel mis en place [1]. D’autres auteurs conseillent d’administrer la moitié des besoins énergétiques quotidiens le premier jour de nutrition parentérale, puis la totalité le deuxième jour, si aucune complication (hyperglycémie ou hyperlipidémie) n’est apparue [5, 9].

Les perfusions peuvent être administrées régulièrement sur 24 heures, ou être interrompues pendant une période de la journée. Ce dernier rythme d’administration, dit “cyclique” ou “séquentiel” [4, 5], permet de mimer le cycle nycthéméral et de laisser l’animal sans surveillance, pendant la nuit par exemple. L’administration séquentielle limite également le risque de destruction de la tubulure et de déplacement du cathéter. Elle nécessite toutefois plus de manipulations, ce qui accroît le risque septique [5].

• La reprise de l’alimentation entérale doit être la plus précoce possible. L’alimentation par voie parentérale peut être interrompue dès que l’animal est capable d’absorber par voie entérale (volontairement ou par une sonde) 75 % de ses besoins de repos [1, 5]. L’apport nutritionnel parentéral est diminué progressivement, en réduisant le volume quotidien de moitié un jour avant l’arrêt complet, ou en mettant en place une perfusion de glucose à 5 ou 10 % à l’arrêt de l’alimentation parentérale, afin d’éviter une hypoglycémie rebond [5].

Suivi de l’animal en nutrition parentérale totale

La surveillance clinique de l’animal en nutrition parentérale totale comprend idéalement un examen clinique complet biquotidien ainsi que des analyses biochimiques et hématologiques (voir le TABLEAU complémentaire “Paramètres cliniques et biochimiques à surveiller lors de nutrition parentérale totale” sur Planète-vet).

Solutions et quantités administrées

Les quantités administrées quotidiennement doivent couvrir à la fois les besoins énergétiques et les besoins protidiques. Les mélanges commercialisés, même ternaires, ne contiennent pas suffisamment d’acides aminés pour couvrir les besoins des chiens et des chats. Un mélange binaire ou ternaire est donc systématiquement monté en parallèle avec une solution azotée qui complète la couverture protidique (voir les ENCADRÉS “Exemple d’association applicable au chien et au chat : Périkabiven® et Nutrilamine 16®” et “Méthode de calcul des quantités de solutés de NPT à administrer quotidiennement”).

Le coût de la nutrition parentérale totale dépend des solutions utilisées. Les poches compartimentées sont les plus onéreuses. Périkabiven® (produit disponible en officine sur ordonnance), conditionné en lot de quatre poches de 1 440 ml revient à 130 € hors taxes, soit 32,5 € HT par poche. Une solution azotée telle que le Nutrilamine 16®, coûte environ 10 € par flacon de 500 ml, en conditionnement de 10 flacons. Ce produit, réservé à l’usage hospitalier, peut néanmoins être obtenu sur dérogation auprès du laboratoire fabricant.

Le coût des solutions est donc élevé, mais la nutrition parentérale totale peut être justifiée sur une courte durée. La principale limite est l’inadéquation entre les besoins des petits animaux et le volume des conditionnements, qui conduit à un gaspillage de produits et à l’augmentation du coût du traitement.

Le matériel spécifique (filtre, valves anti-retour, etc.) est en revanche peu coûteux (un filtre coûte environ 2 € chez B Braun Médical).

Exemple d’association applicable au chien et au chat : Périkabiven® et Nutrilamine 16®

Périkabiven® : mélange ternaire (solution 1)

Teneur en acides aminés T1 : 24 g/l

Énergie métabolisable E1 : 714 kcal/l dont 590 apportées par les sources non azotées (ENA1)

Nutrilamine 16® : solution protidique (solution 2)

Teneur en acides aminés T2 : 95,5 g/l

Énergie métabolisable E2 : 382 kcal/l

Méthode de calcul des quantités de solutés de NPT à administrer quotidiennement

Étape 1 : calcul des besoins énergétiques de l’animal au repos (BER) et de l’animal malade (BEAM) en kcal EM

BER = 70 x PM = 70 x PV0,75 BEAM = 1,00 à 2,00 x BER

Étape 2 : calcul des besoins en acides aminés (AA tot) en g

Chien adulte : AAtot = 7 x PM Chat adulte : AAtot = 4 x PV

Chien insuffisant rénal : Chat insuffisant rénal :

AAtot = 1,5 x PV AAtot = 3,3 x PV

Chiot : AAtot = BEAM x 50 : 100 Chaton : AAtot = BEAM x 60 à 90 : 1 000

Étape 3 : calcul de la quantité d’énergie couverte par les acides aminés (EAAtot) et de la quantité d’énergie couverte par les sources énergétiques non azotées (Er) en kcal EM

EAA = 3,5 x AAtot Er = BEAM – EAA

Étape 4 : calcul de la quantité V1 du mélange ternaire ou binaire (solution 1) à administrer V1 = Er : ENA1

Étape 5 : calcul de la quantité V2 de la solution azotée (solution 2) à administrer

AA1 = V1 x T1 AA2 = AAtot – AA1 V2 = AA2 : T2

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