Diagnostic échographique des anomalies cardiaques - La Semaine Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006
La Semaine Vétérinaire n° 265 du 01/05/2006

IMAGERIE BOVINE

Se former

COURS

Auteur(s) : Sébastien Buczinski*, Anne-Marie Bélanger**, David Francoz***

Fonctions :
*Département des sciences
cliniques, Faculté de médecine
vétérinaire,
CP 5000, Saint-Hyacinthe,
Québec,
J2S 7C6, Canada
**Département des sciences
cliniques, Faculté de médecine
vétérinaire,
CP 5000, Saint-Hyacinthe,
Québec,
J2S 7C6, Canada
***Département des sciences
cliniques, Faculté de médecine
vétérinaire,
CP 5000, Saint-Hyacinthe,
Québec,
J2S 7C6, Canada

L’échocardiographie offre un diagnostic précis des affections cardiaques chez les bovins et permet d’éclairer l’éleveur sur les traitements et le pronostic en fonction des lésions observées

L’échocardiographie est un examen complémentaire utile pour le diagnostic des affections cardiaques bovines. Une familiarisation avec la technique échocardiographique et les différentes vues cardiaques est un préalable indispensable pour exploiter au mieux cet examen(1). Le diagnostic précis de l’affection cardiaque permet d’éclairer l’éleveur sur les traitements possibles et le pronostic de l’affection cardiaque en fonction des lésions observées. Ce second article présente les caractéristiques échographiques des anomalies cardiaques les plus fréquentes (voir le TABLEAU “Diagnostic différentiel des cardiopathies bovines”).

Anomalies du péricarde

Les atteintes péricardiques des bovins sont majoritairement caractérisées par un épanchement péricardique [37, 49]. Il s’agit principalement :

- de la péricardite traumatique ;

- d’épanchements péricardiques associés à l’infiltration tumorale de l’oreillette droite lors de lymphome provoqué par le rétrovirus de la leucose bovine enzootique (éradiqué en France, mais toujours présent en Europe de l’Est et en Amérique du Nord) ;

- d’épanchements péricardiques associés au mésothéliome ou à d’autres tumeurs qui perturbent le drainage lymphatique péricardique.

D’autres affections, plus rares, peuvent être à l’origine d’anomalies du péricarde :

- des péricardites idiopathiques non septiques ont été décrites récemment chez des bovins adultes qui présentaient des signes de tamponnade cardiaque. Leur pronostic à long terme est bon [24] ;

- des pneumonies ou des pleurésies peuvent induire une péricardite [14].

L’espace péricardique, habituellement virtuel au cours d’un examen échocardiographique chez un animal normal, devient alors visible. Il est caractérisé par un contenu anéchogène qui peut être parsemé de filaments hyperéchogènes (fibrine). Un épaississement du péricarde et des dépôts de fibrine sur l’épicarde peuvent également être observés (voir la FIGURE “Aspect des péricardites exsudatives bovines”).

Il convient d’effectuer l’examen échographique des plèvres au même moment afin de différencier un épanchement pleural d’un épanchement péricardique [18, 25, 39]. L’examen échographique permet aussi de déterminer le site le plus propice à la péricardiocentèse.

La cytologie et la bactériologie du liquide prélevé apportent des informations complémentaires à l’échographie [46].

La présence d’un cloisonnement, de flocons ou de filaments hyperéchogènes de fibrine dans le péricarde est un critère pronostique important.

Une quantité importante de fibrine laisse présager une évolution vers une péricardite constrictive trois à cinq mois après la péricardiostomie malgré les traitements [14, 37].

Une évaluation régulière du cœur peut également être réalisée pour suivre l’évolution de la quantité de liquide péricardique et réévaluer la fraction de raccourcissement afin de s’assurer que le phénomène de tamponnade n’est plus présent [14].

Anomalies de l’endocarde et des valves cardiaques

L’endocardite bactérienne valvulaire végétante (EBV) est l’affection endocardique la plus fréquente chez les bovins [40]. Elle se caractérise par un épaississement de la valve affectée et par l’apparition de végétations sur celle-ci. La valve tricuspide est la plus fréquemment atteinte, suivie de la valve mitrale et pulmonaire [22, 50, 51] (voir la FIGURE “Endocardite bactérienne végétante”). La raison de l’atteinte plus fréquente de la valve tricuspide chez les bovins reste inconnue [22, 44].

Dans certains cas, la portion de l’endocarde affectée n’est pas une valve mais un segment de l’endocarde ventriculaire ou atrial : on parle alors d’endocardite murale (voir la FIGURE “Endocardite murale”). L’échocardiographie réalisée par un opérateur expérimenté est plus sensible que l’auscultation pour détecter une endocardite (un épaississement de 5 mm peut être objectivé) [51]. Elle est plus sensible que la simple auscultation cardiaque qui ne permet de détecter un souffle que dans 40 à 50 % des cas, mais elle nécessite une observation complète des valves atrio-ventriculaires et semi-lunaires. Lorsque l’examen Doppler est disponible, la mise en évidence de turbulences sanguines signale une régurgitation par la valve affectée [22, 26, 40]. Des lésions de projection sur l’endocarde associées à une régurgitation de la valve affectée (« jet lesions ») sont parfois observées. Elles sont caractérisées par une hyperéchogénicité de l’endocarde, liée à une fibrose de la zone lésée. La sévérité de la régurgitation peut également être évaluée indirectement par la distension des oreillettes lors d’affection des valves atrio-ventriculaires.

Le pronostic de l’EBV reste sombre. Selon l’étude de Healy [21], la survie à long terme est de 18 %. Néanmoins, l’administration prolongée d’antibiotiques choisis en fonction des résultats d’hémocultures successives peut être mise en place si l’animal est de bonne valeur génétique, jeune et pris en charge en début d’affection. Ce traitement peut permettre de le maintenir en vie le temps nécessaire pour récolter sa semence ou pour mener à terme sa gestation [16, 22, 50]. Les autres affections valvulaires telles que les malformations congénitales des valves, rares chez les bovins, peuvent également être diagnostiquées grâce à l’échocardiographie [12, 21, 40].

Anomalies du myocarde

Les anomalies myocardiques sont rares chez les bovins [38]. Les cardiomyopathies rencontrées sont le plus souvent de type dilaté [7, 32]. Elles sont classées en deux groupes : les cardiomyopathies primaires (d’origine héréditaire ou idiopathique) et les cardiomyopathies secondaires à un agent infectieux ou toxique ou à une carence nutritionnelle (vitamine E/sélénium). La cardiomyopathie primaire la plus fréquente a été décrite chez les bovins laitiers à robe rouge (races holstein rouge, simmental, ayrshire). À l’échographie, cette cardiopathie dilatée se caractérise par un amincissement de la paroi myocardique, une dilatation des ventricules [20] et une diminution notable de la fraction de raccourcissement cardiaque (non systématique) [20, 31]. Les cardiomyopathies secondaires peuvent être associées à des carences en vitamine E/sélénium, en cuivre, à des intoxications aux antibiotiques ionophores, à des complications rares de certaines maladies virales (fièvre aphteuse) ou bactériennes (pneumonie à Histophilus somni) [38]. L’intoxication aux ionophores (comme le monensin) est aussi une cause de cardiomyopathie dilatée. Néanmoins, son aspect échographique n’a pas été décrit chez les bovins.

Les autres anomalies du myocarde sont généralement focales (myocardites bactériennes ou virales). Elles sont caractérisées par une hétérogénéité échographique au sein du myocarde et peuvent être observées lors d’abcès intramyocardiques [19] ou de lésions tumorales cardiaques [47].

Anomalies cardiaques congénitales

Les malformations congénitales sont variées, mais restent rares chez les bovins [12, 32]. Un diagnostic dichotomique fondé sur la présence ou l’absence de cyanose est utile au praticien [12]. L’anomalie la plus fréquemment rencontrée chez les bovins est la communication interventriculaire (CIV) caractérisée par une anomalie de fermeture du septum interventriculaire. Une étude rétrospective réalisée à la Faculté de médecine vétérinaire de St-Hyacinthe sur 25 cas de CIV montre que cette affection est sous-diagnostiquée car elle est fréquemment confondue avec une atteinte respiratoire [11]. L’échographie se révèle alors sensible pour détecter cette anomalie (diagnostic échographique dans 16 cas sur 17, soit 94 %) [11]. La visualisation d’une discontinuité dans la partie membraneuse du septum interventriculaire sous les valvules aortiques est caractéristique (voir la FIGURE “Communication interventriculaire”) [35]. Cependant, pour une bonne sensibilité diagnostique, le manipulateur doit réaliser un examen échographique en mettant en évidence la coupe grand axe cinq cavités afin de voir la CIV sous l’aorte. La coupe quatre cavités ne permet souvent pas de visualiser cette anomalie septale.

Lors de CIV, le shunt s’effectue le plus souvent de gauche à droite. Lorsqu’une hypertension pulmonaire s’installe (pneumonie chronique, congestion pulmonaire), il peut toutefois s’inverser, de droite à gauche. Cette complication, nommée “complexe d’Eisenmenger”, est associée à une cyanose et évolue fréquemment vers la mort de l’animal [11, 12, 19]. La direction du shunt est donc un critère pronostique majeur qui peut être évalué à l’échographie par le “test des bulles”. Ce dernier consiste à injecter une solution aqueuse (NaCl 0,9 %) dans la veine jugulaire via un cathéter. Les turbulences et les microbulles d’air sont ensuite observées dans le ventricule droit. Elles restent dans le cœur droit en l’absence de shunt droite-gauche significatif. Elles passent en revanche dans le ventricule gauche lors de shunt droite-gauche.

À l’heure actuelle, il n’existe aucun autre critère échocardiographique à visée pronostique lors de CIV chez le bovin, à l’inverse du cheval pour lequel la taille de la communication associée à la vitesse du sang à travers le shunt constitue un facteur pronostique important [41].

La tétralogie de Fallot a également un aspect échographique caractéristique [29, 31]. Elle associe une sténose pulmonaire avec une communication interventriculaire, une hypertrophie ventriculaire droite et une dextroposition de l’aorte qui chevauche les deux ventricules. Lorsqu’une communication interatriale (ou persistance du trou de Botal ou du foramen ovale) s’ajoute à ce tableau, on parle de pentalogie de Fallot (voir la FIGURE “Communication interatriale”). De multiples autres anomalies existent, mais elles sont plus rares et difficiles à caractériser par un non-spécialiste en échographie cardiaque [12, 21, 32].

Chez le bovin, l’examen échographique du cœur permet de déceler facilement les principales affections cardiaques. Lorsque le diagnostic clinique est douteux, une visualisation directe des lésions cardiaques ou péricardiques est ainsi possible. Lorsque le diagnostic clinique est aisé, l’échocardiographie peut avoir un intérêt pronostique grâce à la visualisation de l’étendue et de la sévérité des lésions. Cet examen constitue donc une aide à la fois diagnostique non invasive et pronostique qui éclaire l’éleveur sur la maladie et lui permet de choisir de mettre en place un traitement ou non. Lorsque celui-ci est commencé, l’échocardiographie permet de réaliser un suivi des lésions.

  • (1)Voir l’article “Indication et réalisation de l’échocardiographie bovine” des mêmes auteurs, Point Vét.2006; 264(37):24-28.

Remerciements au Professeur Ueli Braun et au Dr Thomas Schweizer.

Points forts

Lors de suspicion de péricardite, l’examen échographique permet d’objectiver la quantité de liquide et le cloisonnement du péricarde par de la fibrine (facteur de risque d’évolution vers une forme constrictive fatale à moyen terme).

L’échocardiographie est plus sensible que l’auscultation lors d’endocardite (souffle audible dans moins d’un cas sur deux).

Les atteintes myocardiques sont rares et se manifestent souvent par une diminution de la fraction de raccourcissement, une dilatation des chambres cardiaques ou des foyers d’échogénicité variable dans le myocarde.

La mise en évidence de la communication interventriculaire nécessite une visualisation de la partie membraneuse du septum interventriculaire proche de la racine aortique.

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