Alternance électrique chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006
Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006

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CARDIOLOGIE

Auteur(s) : François Serres*, Carolina Carlos Sampedrano**, Vassiliki Gouni***, Valérie Chetboul****, Jean-Louis Pouchelon*****

Fonctions :
*Unité de cardiologie d’Alfort, ENVA.
**Unité de cardiologie d’Alfort, ENVA.
***Unité de cardiologie d’Alfort, ENVA.
****Unité de cardiologie d’Alfort, ENVA.
*****UMR INSERM-ENVA U660
******Unité de cardiologie d’Alfort, ENVA.
*******UMR INSERM-ENVA U660

Un chien de race beauceron mâle non castré, âgé de sept ans, est présenté pour un abattement d’apparition brutale, associé à une distension abdominale apparue depuis 48 heures.

L’animal, d’ordinaire sportif, est très faible et anorexique depuis la veille. Aucun antécédent pathologique n’est rapporté par les propriétaires.

Au cours de l’examen clinique, des signes d’insuffisance circulatoire sont mis en évidence. Les muqueuses sont discrètement pâles et le temps de recoloration capillaire est augmenté (3 s). La distension abdominale est due à la présence d’un épanchement abondant. Une polypnée modérée est observée (fréquence respiratoire de 40 mouvements par minute).

L’examen cardiovasculaire révèle une fréquence cardiaque élevée (160 à 180 battements par minute) associée à un rythme régulier. Le pouls, synchrone, est filant. Lors de l’auscultation, un souffle systolique apexien gauche d’intensité 4/6 est détecté. Les bruits cardiaques sont d’intensité légèrement diminuée.

Examens complémentaires

L’épanchement abdominal est ponctionné afin de déterminer sa nature et son origine. Il possède des caractéristiques de transsudat modifié (aspect séro-hémorragique ; concentration en protéines totales : 25 g/l ; densité : 1,030), compatibles avec un épanchement cardiogénique. Considérant l’association d’un souffle cardiaque avec des signes d’insuffisance cardiaque congestive et circulatoire, un bilan cardiaque complet est réalisé.

Un examen électrocardiographique (ECG) est décidé dans un premier temps afin d’explorer la tachycardie (tracé). Le tracé confirme une tachycardie sinusale régulière (170 bpm). Plusieurs anomalies de l’amplitude des ventriculogrammes sont observées, incluant un hypovoltage généralisé (amplitude des qRs entre 1 et 1,2 mV) associé à la présence d’une alternance électrique (la variation de l’amplitude des ventriculogrammes étant ici régulière). L’ensemble de ces anomalies est fortement évocateur d’un épanchement péricardique. Un examen échocardiographique est alors réalisé, afin de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

• L’échographie cardiaque confirme la présence d’un épanchement péricardique abondant. L’examen ne révèle aucune lésion macroscopique cardiaque ou péricardique compatible avec un processus néoplasique. L’atrium droit montre des signes de collapsus au cours du cycle cardiaque. Ces signes, compatibles avec l’évolution d’une tamponnade, motivent la réalisation d’une péricardiocentèse qui permet de prélever 40 ml de liquide d’aspect hémorragique, riche en cellules inflammatoires. Un épaississement des feuillets mitraux, à l’origine d’un reflux systolique occupant moins de 50 % de la surface atriale gauche, est également mis en évidence, ce qui explique le souffle systolique apexien gauche.

Un diagnostic d’épanchement péricardique, probablement idiopathique, est ainsi établi. Un traitement à la prednisolone est instauré (Mégasolone®, 0,25 mg/kg/12 h par voie orale), associé à une antibiothérapie pour prévenir d’éventuelles surinfections consécutives à la ponction péricardique (céfalexine, Rilexine®, 20 mg/kg/12 h par voie orale). Après la péricardiocentèse, l’état de l’animal s’améliore rapidement et l’ascite rétrocède en 48 heures.

Discussion

L’épanchement péricardique chez le chien est souvent associé à un assourdissement des bruits cardiaques, mais l’auscultation n’est pas modifiée dans près d’un quart des cas (selon une étude rétrospective sur 143 chiens [3]).

L’ECG peut également être normal :

- l’hypovoltage des ventriculogrammes n’est retrouvé que dans 17 % des cas [3]. Cette anomalie est en outre peu spécifique [2] : elle peut être secondaire à une hypovolémie, une hypothyroïdie, un épanchement pleural ou à une surcharge pondérale ;

- l’alternance électrique, qui traduit les mouvements de balancier subis par le cœur au sein du sac péricardique, est retrouvée dans 37 % des cas [3]. Cette anomalie est beaucoup plus spécifique de la présence d’un épanchement péricardique que l’hypovoltage des ventriculo­grammes. Ce phénomène est “fréquence dépendant” et peut disparaître lors de tachycardie ou de bradycardie marquées [2] ;

- d’autres anomalies ventriculaires (extrasystoles et tachycardie ventriculaire) ou supraventriculaires (extrasystoles et fibrillation atriale) peuvent être observées. Ces anomalies sont toutefois non spécifiques, comme la présence d’une surélévation du segment S-T.

L’évolution d’un épanchement péricardique idiopathique est le plus souvent favorable (médiane de survie 1 068 jours [3]). Cependant, plus d’un animal sur deux présente une récidive après péricardiocentèse [3].

Le traitement de choix en première intention est médical et fondé sur l’administration d’anti-inflammatoires stéroïdiens jusqu'à la disparition complète de l’épanchement.

En cas de récidive sous traitement anti-inflammatoire, un traitement chirurgical (péricardectomie le plus souvent) est préconisé et donne de bons résultats (survie supérieure à 18 mois dans 72 % des cas [1]).

Chez un animal qui présente des symptômes d’insuffisance cardiaque congestive droite et/ou circulatoire, l’hypothèse d’épanchement péricardique doit être formulée même si l’auscultation cardiaque est normale ou très peu modifiée comme dans le cas décrit. Un examen échographique et électrocardiographique est alors recommandé. En ne se fondant que sur l’examen clinique de ce cas, associant un souffle avec des signes d’insuffisance cardiaque droite, un diagnostic erroné de cardiopathie droite ou globale (myocardiopathie, valvulopathie) aurait pu être établi. Cette erreur aurait pu avoir des conséquences regrettables : l’administration de furosémide (par voie intraveineuse) avant la péricardiocentèse était ici clairement contre-indiquée, en raison de la tamponnade débutante.

  • 1 - Aronsohn MG, Carpenter JL. Surgical treatment of idiopathic pericardial effusion in the dog : 25 Cases (1978-1993). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1999;35:521-525.
  • 2 - Fox PR, Sisson D, Moïse NS. Pericardial disease and cardiac tumors. In : Textbook of canine and feline cardiology. WB Saunders eds., Philadelphia. 1999:679-701.
  • 3 - Stafford Johnson M, Martin M, Binns S et coll. A retrospective study of clinical findings, treatment and outcome in 143 dogs with pericardial effusion. J. Small Anim. Pract. 2004;45:546-562.
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