SUIVI DE TROUPEAU LAITIER
Se former
CONDUITE À TENIR
Auteur(s) : Joël Bedouet
Fonctions : Clinique vétérinaire
6 rue Julien-Launay
53600 Évron
Étudier la ration et suspecter certaines affections métaboliques est possible en analysant les variations des taux de matière utile du lait : taux butyrique, taux protéique et taux d’urée.
Dans le cadre d’un suivi de troupeau laitier, même si l’objectif initial est l’amélioration de la fécondité, il est essentiel de s’intéresser à la nutrition et à la production du troupeau sous peine de se priver de moyens d’action et d’investigation essentiels.
Le plus souvent, l’éleveur dispose déjà d’une ration alimentaire, calculée grâce aux multiples outils informatiques disponibles. La ration ainsi calculée est souvent correcte, mais l’éleveur la distribue à des quantités incertaines. Il existe également une inconnue sur les quantités véritablement ingérées, selon le mode de distribution et en fonction des facilités d’accès à la nourriture. En outre, la ration est plus ou moins bien assimilée selon le rythme de distribution ou les associations d’aliments choisies.
Il est intéressant d’étudier les effets de la ration sur les vaches plutôt que la ration stricto sensu. Une façon logique, mais coûteuse, d’y parvenir, serait de faire des profils biochimiques réguliers sur un nombre significatif de vaches [e]. Un moyen plus accessible est de suivre la production laitière, en particulier d’étudier les variations des composants du lait ou “taux”. Ceux-ci fournissent un reflet rapide des changements de rations (voir l’ENCADRÉ “Reflets des changements de ration…”) qui peuvent avoir des conséquences pathologiques [d, e]. Une démarche d’intervention raisonnée peut être proposée, inspirée de notre expérience et des travaux de R. Eicher à Saint-Hyacinthe (Canada) [c].
Parmi les facteurs de variation des composants du lait, les facteurs d’ordre alimentaire sont les plus importants (voir les ENCADRÉS “Principaux facteurs de variation du taux butyreux” et “Principaux facteurs de variation du taux protéique”). Des variations par rapport à “la normale” des composants du lait peuvent donc refléter des anomalies de la ration. L’utilisation combinée des trois indicateurs, taux butyreux (TB), taux protéique (TP) et taux d’urée du lait, permet de suivre presqu’en temps réel les effets de la ration alimentaire sur les vaches.
Un taux protéique du lait anormalement bas suggère des apports énergétiques insuffisants et/ou un déséquilibre de la flore microbienne intraruminale. Le taux protéique des trois premiers contrôles laitiers d’une vache est corrélé à son statut énergétique en début de lactation (voir l’ENCADRÉ “Exemple d’utilisation des taux : interprétation des TP”). Une enquête récente du contrôle laitier de l’Orne a mis en évidence une corrélation nette entre des TP bas lors des trois premiers contrôles et une mauvaise réussite à l’insémination [b].
La source principale de matière protéique du lait est constituée par les acides aminés issus de la digestion des protéines digestibles dans l’intestin d’origine microbienne (PDIM). La quantité de lait produite est le reflet de la qualité de la digestion de la biomasse ruminale. Celle-ci nécessite notamment un apport énergétique suffisant pour optimiser l’action de la flore du rumen. De l’énergie est également nécessaire pour transformer les acides aminés en caséines. Les apports azotés interviennent peu, sauf lors de rations extrêmement déséquilibrées.
Un taux butyreux individuel anormalement élevé évoque en premier lieu un amaigrissement excessif. Un taux anormalement bas suggère une acidose ruminale. Ces hypothèses doivent être confrontées à l’étude de la composition de la ration et à son mode de distribution.
La source la plus constante et la plus importante de matière grasse pour le lait est constituée par les acides gras du rumen, surtout les acides “en C2” (acide acétique) et “en C4” (acide butyrique). L’acide acétique est le produit de la digestion de la cellulose. Sa production diminue lorsque la fibrosité de la ration baisse ou si la cellulose n’est pas bien digérée, par exemple lors d’abaissement du pH du rumen qui engendre une destruction de la flore cellulolytique. L’acide butyrique est le produit de la digestion des sucres dans le rumen. Sa contribution à la formation des matières grasses du lait est nettement inférieure à celle de l’acide acétique sauf cas particulier (présence en quantité élevée de betteraves ou de mélasse dans la ration). La lipolyse des graisses de réserve est une source non négligeable de matières grasses du lait. Elle est surtout élevée lors du premier mois de lactation, alors que le déficit énergétique est pratiquement inévitable.
Le taux d’urée du lait est étroitement corrélé au taux d’urée sanguin, dont la source principale est l’ammoniac qui traverse la paroi du rumen.
Lorsque le taux d’urée est bas, il existe peu d’azote dégradable dans le rumen. Lorsqu’il est anormalement élevé, il y a un gaspillage d’azote dégradable dans le rumen. Les apports peuvent être excessifs par rapport aux besoins ou être mal valorisés, en raison d’une efficacité insuffisante de la flore du rumen, en particulier lorsque les apports en énergie rapidement utilisable sont insuffisants.
Le taux d’urée du lait est donc un bon indicateur de l’équilibre énergie-azote de la ration. Il varie davantage selon la quantité de lait produite qu’en fonction du stade de lactation [c].
Les taux normaux varient d’une race à l’autre, d’un troupeau à l’autre et d’une saison à l’autre [a, 1].
Pour déterminer les taux “standards” d’un troupeau mal connu, l’un des seuls moyens pratiques est d’étudier les taux moyens des mois, voire des années précédentes. Cela est également valable pour un individu.
Le TB et le TP doivent toujours être mis en relation avec la quantité de lait produite et avec le stade de lactation et le numéro de lactation (voir les FIGURES “Lien entre matière grasse et production journalière” et “Relation entre taux protéique et production journalière”) [c]. Les taux butyreux les plus élevés (plus de 45 g/kg de lait) sont observés surtout chez les vaches en début de lactation, en raison d’un phénomène quasiment physiologique de mobilisation des graisses de réserves. Donc, si les vêlages sont groupés et qu’une majorité des vaches sont en début de lactation au moment de l’examen des taux, le TB moyen peut être extrêmement élevé, sans que cela ait forcément de conséquences.
La détermination d’un taux optimal (par exemple TP à 30 à 32 g/kg de lait) a des conséquences sur la production escomptée en théorie [c].
L’observation des taux moyens d’un troupeau constitue une approche indispensable mais généralement insuffisante. Il convient de s’intéresser autant à la dispersion des valeurs qu’à leur moyenne.
Des taux butyreux anormalement élevés ou anormalement bas par rapport au potentiel du troupeau constituent une alerte sérieuse. Il en est de même pour un taux protéique moyen bas. Le taux moyen peut toutefois paraître normal alors qu’il existe des anomalies dans le troupeau, lors de grandes disparités individuelles.
Un TB moyen de 42 g/kg, normal pour un troupeau Prim’holstein, peut ainsi être la résultante de TB individuels compris entre 38 et 48 g/kg (normal) ou entre 32 et 56 g/kg. Dans le second cas, les taux extrêmement élevés peuvent correspondre à des vaches qui lipomobilisent trop (ou produisent peu de lait). Ils sont compensés par les taux anormalement bas de vaches en acidose du rumen par exemple.
De même, un TP moyen de 32 g/kg peut correspondre à la moyenne de valeurs comprises entre 29 et 36 g/kg, ou entre 25 et 40 g/kg de lait. Dans le second cas, les valeurs anormalement basses sont liées à un déficit énergétique élevé chez certaines vaches, et sont masquées par les valeurs élevées de vaches qui produisent peu de lait, par exemple.
En pratique, il convient en premier lieu d’examiner les taux individuels des vaches en deuxième ou en troisième contrôles, qui sont les plus représentatifs.
Pour le taux d’urée du lait, sauf pour quelques départements, les résultats du Contrôle laitier ne mentionnent que les moyennes du troupeau et les résultats individuels qui ont servi à leur élaboration ne sont malheureusement pas publiés.
TB et TP sont liés génétiquement : peu de taureaux sont donc censés être améliorateurs de TP sans faire augmenter le TB chez leurs filles. Des facteurs extérieurs, comme la saison ou le stade de lactation, font également varier le TB et le TP dans le même sens.
Le rapport TB/TP doit se situer entre 1,2 et 1,4. Ce critère est facile à utiliser lorsqu’un logiciel de calculs pour le troupeau est disponible, par exemple au sein de Vet’expert développé par la Société nationale des groupements techniques vétérinaires, ou dans des logiciels développés à l’Université de Montréal [c]. En l’absence d’outils informatiques, les calculs sont rébarbatifs.
Un moyen plus simple d’appréhender la relation TB-TP est de considérer la différence entre le TB et le TP en examinant directement les résultats du Contrôle laitier (voir le TABLEAU “Interprétation des différentiels de TB-TP”).
En race Prim’holstein, un écart de 10 à 12 points est normal : par exemple, un TB de 46 g/kg et un TP de 34 g/kg ou encore un TB de 42 g/kg et un TP de 32 g/kg de lait. Au niveau individuel, des écarts d’un ou deux points en plus ou en moins peuvent être normaux. Ils dépendent de la race ou du potentiel génétique de l’animal.
Des configurations particulières de TB et TP amènent à suspecter des affections métaboliques :
- un TB de 48 avec un TP de 28 g/kg de lait reflète un déficit énergétique élevé qui engendre probablement une mobilisation des graisses de réserve ;
- une vache au TB de 38 et au TP de 34 est sans doute en acidose latente. Lorsque le TB est à 32 et le TP à 34, l’acidose ruminale avérée est probable (voir l’ENCADRÉ “Exemple de lecture des taux : utilisation du différentiel TB-TP”).
Le taux optimal d’urée du lait pour de bons taux protéiques a été déterminé, et cela en fonction du stade de lactation (voir la FIGURE “Production journalière pour divers niveaux d’équilibre de la ration”) [c]. Le taux d’urée est le reflet de l’équilibre de la ration, il traduit donc l’efficacité de la valorisation de la ration alimentaire. Une étude a permis l’élaboration d’un graphe “Relation entre énergie et protéines dans la ration”. Elle porte sur des troupeaux dans lesquels la ration est bonne et dont la production est quantitativement et qualitativement proche de l’optimum. Elle isole une zone “optimum” dans laquelle il est souhaitable que la production de la majorité des animaux se trouve (selon le stade de lactation) (voir la FIGURE “Relation entre énergie et protéines dans la ration”) [c].
La prise en compte simultanée des trois taux permet d’aboutir à des conclusions précises sur les défauts de la ration qui peuvent avoir des conséquences métaboliques [d] (voir le TABLEAU “Interprétation des profils de taux”).
Il convient se méfier des conclusions rapides lors de l’examen des taux de matière utile du lait.
Il est ainsi tentant d’expliquer un taux anormalement élevé d’urée du lait par un apport excessif d’azote dans la ration. Si l’apport d’azote n’est pas excessif et que, parallèlement, les taux protéiques du lait de plusieurs vaches sont particulièrement bas, il convient d’attribuer un taux d’urée élevé à un déficit énergétique : il y a en fait gaspillage plutôt qu’excès d’apports azotés. En effet, les matières dégradées dans le rumen sous la forme d’ammoniac ne sont que partiellement utilisées par la flore microbienne en raison de l’insuffisance d’énergie. Dans ce cas, il suffit d’augmenter les apports énergétiques, sans modifier le niveau des apports azotés, pour faire baisser le taux d’urée du lait. La situation inverse est également à prendre en considération : devant un taux d’urée bas, il est facile d’imaginer que les apports protéiques sont insuffisants. Si tel n’est pas le cas, il convient de penser à une dégradabilité insuffisante dans le rumen des composés azotés ingérés. Il convient donc de changer la nature des apports azotés pour faire remonter le taux d’urée, sans augmenter la quantité globale d’apports azotés.
Examiner régulièrement les taux butyreux, protéiques et d’urée du lait permet de corriger rapidement la composition de la ration ou son mode de distribution. Ce moyen est efficace et peu invasif pour juger de l’effet de la ration alimentaire sur un troupeau, à la double condition de ne pas se cantonner à l’examen des taux moyens et de raisonner en fonction de la physiologie de la nutrition. Cet outil diagnostique est précieux pour la prévention des maladies métaboliques et de toutes leurs conséquences, telles que sous-production ou infécondité [d]. Afin de donner un conseil pertinent à l’éleveur, il convient de distinguer le “juste acceptable”, donc “perfectible”, de ce qui est satisfaisant, ce qui requiert un peu d’expérience. L’intervention est plus facile lorsqu’un ou plusieurs paramètres sont anormaux.
Dans un troupeau avec une mauvaise fécondité ou en sous production, un déficit énergétique est suspecté, mais il n’est pas facile de l’objectiver quelques semaines ou quelques mois parfois après la période au cours de laquelle la ration était inadéquate.
Les vaches peuvent avoir maigri anormalement en début de lactation, puis avoir “ajusté” leur production, ce qui peut passer inaperçu, ou la ration a changé (autre saison) et les vaches ont retrouvé un état d’entretien normal au moment de la visite d’élevage.
En étudiant les taux protéiques des vaches en début de lactation à la période à laquelle le déficit d’apport énergétique a pu se produire, il est possible de prévenir son effet. Si, par exemple, les TP au premier, deuxième ou troisième contrôle de plus de 20 % de vaches sont particulièrement bas (< 28 g/kg chez des Prim’holstein), le déficit énergétique est avéré à cette période. Cela est confirmé par la mise en évidence de chutes de production nombreuses au deuxième ou au troisième contrôle. Ces critères a posteriori restent précoces.
Taux d’urée du lait
Aspect des fèces
Évolution de la quantité de lait produite
Variations des taux butyreux (TB) et protéique (TP)
Variation de l’état corporel : état d’engraissement, taux de remplissage du rumen, état du pelage, etc.
Incidence des maladies métaboliques dans le troupeau
Incidence des métrites chroniques post-partum
Qualité d’extériorisation des manifestations de chaleurs
Taux de réussite à l’insémination
La race : + ou - 2,5 g/litre de lait
Le stade de lactation : + ou - 3 g/litre de lait
La saison : + ou - 2 g/litre de lait
La nature du régime : + ou - 2,5 g/litre de lait
Les erreurs de rationnement : + ou - 5 g/litre de lait
D’après : Institut de l’Élevage
La race : + ou - 5 g/litre de lait
Le stade de lactation : + ou - 4 g/litre de lait
La saison : + ou - 4 g/litre de lait
La nature du régime : + ou - 7 g/litre de lait
Les erreurs de rationnement : + ou - 10 g/litre de lait
D’après : Institut de l’Élevage
Dans un élevage laitier, un état d’acidose est suspecté : certaines vaches ont le poil piqué, les bouses sont dans l’ensemble plutôt liquides et claires.
La ration présente a priori un risque acidogène. Pour l’objectiver de façon fiable, il est possible de mesurer le pH du contenu de la panse d’un certain nombre de vaches. Il convient toutefois d’effectuer des prélèvements sur plusieurs animaux. En outre, le résultat est le reflet de la situation le jour du prélèvement, mais ne fournit pas d’informations sur l’historique de l’anomalie, contrairement à l’examen des TB.
Si les TB individuels ne sont pas beaucoup plus élevés que les TP, voire inférieurs, la forte suspicion d’acidose digestive est confortée. Si les taux sont inversés (TB < TP) chez plus de 20 % des animaux, l’état d’acidose est confirmé. Il reste à en trouver les causes en proposant une analyse approfondie de la ration.