Luxation latérale du coude d’origine traumatique - Le Point Vétérinaire n° 262 du 01/01/2006
Le Point Vétérinaire n° 262 du 01/01/2006

ORTHOPÉDIE CANINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Pierre Guillaumot*, Éric Viguier**

Fonctions :
*Centre hospitalier vétérinaire
Frégis,
43, avenue Aristide Briand,
94110 Arcueil
**ENV de Lyon,
Service de chirurgie,
1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-l’Étoile

Les luxations du coude chez le chien peuvent être d’origine acquise. La cause est le plus souvent traumatique. Le pronostic est bon lorsqu’elles sont traitées précocement par réduction à foyer fermé.

Un chien basset fauve de Bretagne mâle, âgé de dix mois, est présenté à la consultation pour une boiterie avec suppression totale d’appui du membre thoracique droit. L’animal a été acquis pour une utilisation sportive comme chien de chasse.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

La boiterie est consécutive à un accident de la voie publique survenu trois jours auparavant. L’animal a été présenté à son vétérinaire traitant qui a diagnostiqué une luxation du coude. Les tentatives de réduction de cette luxation ayant été infructueuses, il est référé pour un traitement orthopédique.

2. Examens clinique et orthopédique

L’examen général ne révèle aucune anomalie.

Le chien présente une boiterie sans appui sur le membre thoracique droit. Celui-ci est en abduction et en rotation interne, le coude en flexion (PHOTO 1).

Un œdème du coude est observé. La palpation met en évidence une vive douleur. La position des reliefs osseux est modifiée : une proéminence de l’épicondyle médial et un déplacement latéral de la tête du radius sont notés. Une douleur est également exprimée lors des mouvements de flexion et d’extension, dont l’amplitude est considérablement réduite. L’axe de rotation de l’articulation du coude est modifié et une laxité anormale est notée.

3. Examens complémentaires

Des clichés radiographiques du coude (face et profil) sont réalisés sous anesthésie générale (par injection intraveineuse d’un mélange de médétomidine, Domitor® à la dose de 40 µg/kg, et de kétamine, Imalgène® 1 000‚ à la dose de 5 mg/kg) (PHOTOS 2A ET 2B).

Ils permettent de confirmer l’hypothèse de luxation du coude et d’effectuer un bilan des lésions osseuses associées.

La radiographie de face montre un déplacement latéral de la tête du radius et de l’ulna, caractéristique des luxations latérales du coude. Aucune fracture associée n’est visualisée.

4. Traitement

L’animal est intubé et placé sous un mélange d’oxygène et d’isoflurane pour poursuivre l’anesthésie afin de réaliser une réduction de la luxation à foyer fermé.

La stabilité de cette réduction est vérifiée par des contraintes dans les différents axes de mobilisation de l’articulation. La contention de l’articulation par les muscles et le reste de la capsule articulaire, ainsi que la stabilité relative des ligaments sont évaluées par des exercices de rotations interne et externe de l’avant-bras, coude et poignet fléchis à 90°. Les ligaments collatéraux sont intacts et la réduction est globalement stable, mais une légère subluxation persiste.

Un pansement de contention du coude est réalisé. Il s’agit d’un pansement de Robert-Jones modifié, avec des attelles caudale et latérale qui maintiennent le coude en extension (PHOTO 3). Ce pansement est laissé en place pendant quinze jours.

Un anti-inflammatoire non stéroïdien, le méloxicam (Metacam®, à la dose de 0,1 mg/kg/j en une prise quotidienne par voie orale), est prescrit pendant une semaine afin de diminuer la douleur et de réduire l’inflammation articulaire.

5. Suivi et évolution

Au moment du retrait du pansement, quinze jours après sa pose, le coude est stable.

Un exercice limité et contrôlé pendant quatre semaines est conseillé : sorties limitées aux besoins hygiéniques, en laisse, et pas de sortie de chasse. Une reprise progressive de l’activité est recommandée pendant trois semaines supplémentaires.

Six mois après le retrait du pansement de contention, un suivi téléphonique est réalisé : les consignes de restriction d’activité ont été suivies et l’animal ne présente plus de boiterie, sauf occasionnellement après une journée de chasse intensive. Le propriétaire est satisfait des résultats obtenus.

Discussion

1. Épidémiologie

La luxation du coude est une affection rare chez les chiens et chez les chats en raison de la stabilité intrinsèque de l’articulation du coude [1], [2]. Elle est cependant plus fréquente que la luxation de l’épaule [3].

Elle concerne essentiellement les animaux adultes (âgés de plus d’un an), les jeunes étant plus facilement sujets aux fractures épiphysaires [a].

2. Étiopathogénie

Chez le chien, le déplacement du radius et de l’ulna s’effectue généralement en direction latérale pour des raisons anatomiques : proéminence de la crête épicondylaire médiale, pente distale de la surface articulaire médiale, faiblesse relative du ligament collatéral médial par rapport au ligament collatéral latéral [2], [3], orientation disto-médiale et oblique des ligaments olécraniens qui s’oppose à la luxation médiale [9].

Chez le chat, la luxation du coude semble être plus fréquente en direction médiale [1], [5].

Le traumatisme responsable de la luxation est violent et souvent responsable de lésions sévères des tissus mous environnants (déchirure de la capsule articulaire, rupture ou avulsion des ligaments collatéraux), ainsi que d’autres atteintes à distance (comme un pneumothorax, une hernie diaphragmatique, des fractures de côtes, etc.). Il s’agit le plus souvent d’un accident de la voie publique ou de circonstances dans lesquelles l’animal se retrouve suspendu par l’extrémité d’un membre [4].

Pour permettre le déplacement du segment distal de l’articulation, le processus anconé doit être dégagé de la fosse olécranienne lors du choc. Il s’agit donc d’un traumatisme avec le coude en flexion qui forme un angle de moins de 45° entre l’axe de l’humérus et l’axe radio-ulnaire [4], [8].

3. Diagnostic

La présentation est celle d’une boiterie sans appui, avec maintien du membre en flexion, légère abduction et rotation interne. La posture caractéristique due à la douleur et l’anomalie des reliefs osseux à la palpation rendent le diagnostic clinique facile [10].

La radiographie confirme le diagnostic de luxation latérale du coude (voir la FIGURE “Diagnostic radiographique de la luxation latérale du coude”). Elle permet de visualiser la position de l’olécrane : dans la fosse humérale ou luxé latéralement ou encore (plus rarement) médialement. Elle permet en outre de différencier une luxation d’une fracture de Monteggia (fracture de l’ulna avec luxation de la tête du radius), dont le traitement est obligatoirement chirurgical [8] (voir la FIGURE “Diagnostic radiographique d’une fracture de Monteggia”). Dans l’étude de Schaeffer et coll., sur trente et un cas de luxation du coude, seulement cinq chiens présentent un processus anconé dans la fosse de l’olécrane [8]. Cet examen fournit en outre les éléments de décision du traitement : orthopédique ou chirurgical.

La présence d’une fracture parcellaire ou complète oriente vers un traitement chirurgical (voir la FIGURE “Conduite à tenir devant une luxation du coude”).

4. Traitement

Réduction à foyer fermé

Dans tous les cas de luxation aiguë (moins de sept à dix jours après sa survenue [3]), en l’absence de fracture (ou d’avulsion radiographiquement visible), une réduction à foyer fermé doit être tentée. Elle s’effectue sous anesthésie générale, et l’analgésie et la myorelaxation sont recherchées : profondeur adéquate de l’anesthésie, suspension du membre à un pied de perfusion, mouvements répétés et prolongés d’hyperflexion, administration éventuelle d’agents bloquants neuromusculaires [2].

De nombreux protocoles répondent à ces objectifs. Ils doivent être adaptés en fonction de l’âge de l’animal, de son état général et de la présence ou non de lésions associées. Les différentes étapes dépendent de la position du processus anconé.

• Si ce dernier est dans la fosse de l’olécrane, il s’agit de replacer la tête du radius en effectuant une pression en direction médiale (cas d’une luxation latérale) dans un mouvement de flexion progressive du coude, en réalisant une rotation interne et une adduction de l’avant-bras, l’humérus étant maintenu en abduction.

• Si le processus anconé est également déplacé latéralement (cas d’une luxation latérale complète), il est remis en place médialement à la face médiale de l’épicondyle latéral, le coude fléchi à 110°, en appuyant sur la face latérale de l’olécrane, dans un mouvement d’extension du coude et de rotation interne de l’avant-bras [2, 7]. La mise en place d’une pince à champs ou d’un davier à pointe sur l’olécrane peut aider à réaliser une distraction caudale de l’about osseux et à placer le processus anconé dans la fosse de l’olécrane [2] (voir l’ENCADRÉ “Réduction manuelle de la luxation latérale du coude”).

L’opération de réduction peut nécessiter une force considérable en raison de l’importante congruence de l’articulation du coude. Des traumatismes du cartilage ou des fractures par avulsion peuvent survenir [3, 8]. Des radiographies postréduction permettent de repérer ces complications ou la persistance d’une subluxation résiduelle.

• Dans les cas pour lesquels la réduction à foyer fermé est possible, il convient de tester la stabilité de l’articulation en la mobilisant dans les différentes directions. L’intégrité des ligaments collatéraux est testée en opérant des mouvements de rotations interne et externe de l’avant-bras, avec le coude et le poignet fléchis à 90°. Lors de rupture du ligament collatéral latéral, la rotation interne de la main peut être réalisée selon un angle de 140° (contre 70° si le ligament est intégral). En cas de rupture du ligament collatéral médial, la rotation externe de la main peut être réalisée selon un angle de 90° (contre 45° si le ligament est intégral). La fiabilité accordée à cette évaluation clinique des ligaments collatéraux doit cependant être pondérée par les signes radiographiques d’instabilité et par un éventuel œdème des tissus mous péri-articulaires qui rend difficile la manipulation [6].

Réduction à foyer ouvert et stabilisation chirurgicale

En cas de fracture ou d’avulsion visible radiographiquement, d’instabilité majeure après la réduction, d’échec de la tentative de réduction manuelle, de récidive de la luxation ou de luxation ancienne [5], une réduction chirurgicale et/ou une réparation ligamentaire sont indiquées.

L’abord articulaire choisi dépend de la localisation et de l’ancienneté des lésions.

Lors de luxation récente, des abords médial et/ou latéral simple peuvent suffire.

En cas de luxation ancienne, un abord caudal par ostéotomie de l’olécrane peut s’avérer nécessaire pour soulager la tension du triceps et permettre un abord plus complet [2, 7, 8, 9].

La réduction à foyer ouvert s’effectue après le débridement des tissus mous, le retrait des reliquats d’hématome ou de ligaments interposés entre les surfaces articulaires. Un instrument mousse peut être utilisé comme levier, mais cette méthode est à éviter autant que possible (risque de dégâts cartilagineux) [7].

Si une instabilité persiste après cette réduction, la suture des tissus mous de soutien (muscles, capsule, ligaments) est à envisager.

Contention externe

La durée de la contention doit être réduite au minimum afin de limiter l’ankylose à laquelle le coude est facilement sujet [1, 2].

Plusieurs techniques ont été proposées (Robert-Jones, Robert-Jones modifié avec attelles, écharpe Velpeau, fixateurs externes, etc.). L’immobilisation du coude en extension permet de bloquer le processus anconé dans la fosse de l’olécrane et de réduire le risque de récidive.

Après une réduction à foyer fermé relativement stable, cinq à sept jours d’immobilisation sont conseillés. Si la stabilité est douteuse ou si un traitement chirurgical a été mis en œuvre, dix à quinze jours sont nécessaires [2, 7].

Le retrait de la contention est suivi de consignes de restriction d’activité pendant trois semaines à un mois. Des exercices de mobilisation passive par le propriétaire de l’animal sont encouragés. Afin de faciliter les mouvements de flexion du coude, il est recommandé de fléchir le carpe en même temps [7].

5. Pronostic

Le pronostic semble être meilleur lors de luxations traitées précocement et à foyer fermé [1]. Le retour à une fonction normale du membre est essentiellement fonction de la précocité de l’intervention et de la sévérité des lésions des tissus péri-articulaires et du cartilage.

Il convient de s’attendre à une diminution de l’amplitude articulaire du coude et au développement inéluctable d’un certain degré d’arthrose à long terme [1], [6, 8].

La luxation du coude est une affection orthopédique rare, mais facile à diagnostiquer et à traiter. Des critères de choix définis (l’existence ou non d’une fracture, d’une rupture ou d’une avulsion des ligaments collatéraux) orientent vers un traitement conservateur ou chirurgical. La prise en charge orthopédique est indiquée lors de luxations du coude médiale et latérale récentes sans fracture associée. Dans tous les autres cas, un traitement chirurgical doit être mis en œuvre. Le pronostic est lié à la précocité de l’intervention et à la gravité des lésions rencontrées : plus la prise en charge est précoce et plus les lésions articulaires sont mineures, moins sévères seront les lésions arthrosiques inévitables à plus ou moins long terme.

Les dernières publications conseillent de réduire autant que possible la durée de la contention postréduction afin de limiter l’ankylose de l’articulation et d’encourager la rééducation fonctionnelle à l’issue de cette période [2].

Points forts

La luxation du coude chez le chien fait suite à un traumatisme sévère et est associée en général à un déplacement latéral de la tête du radius.

La réduction à foyer fermé doit être tentée sous anesthésie générale et suivie d’un test des ligaments collatéraux par rotation de l’avant-bras avec le coude et le carpe fléchis à 90°.

En cas de fracture associée, d’instabilité après réduction, d’impossibilité de réduction à foyer fermé ou de luxation chronique, le recours à la chirurgie s’impose.

Le coude doit être immobilisé en extension cinq à sept jours lors de réduction orthopédique stable, et dix à quinze jours lors de réduction chirurgicale ou orthopédique instable.

À lire également

a - Deneuche A. Les luxations : la luxation traumatique du coude. Action Vét. 2002(éd. spéciale du 5 juillet 2002) : 22-23.

  • 1 - Billings LA, Vasseur PB, Todoroff RJ et coll. Clinical results after reduction of traumatic elbow luxations in nine dogs and one cat. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1992 ; 28 : 137-142.
  • 2 - Dassler C, Vasseur PB. Elbow luxation. In : Textbook of small animal surgery. 3rd ed. WB Saunders, Philadelphia. 2003 : 1919-1927.
  • 3 - DeCamp CE. Dislocation of the elbow. In : Small animals orthopedics. Mosby-Year Book ed., St Louis, Missouri. 1995 : 339-359.
  • 4 - Denny HR, Butterworth SJ. Traumatic elbow luxation. In : A guide to canine and feline orthopaedic surgery. 4th ed. Blackwell Science ed. Paris. 2000 : 381-388.
  • 5 - Hecquet N. Luxation latérale du coude chez une chienne. Point Vét. 2002 ; 33(227) : 56-59.
  • 6 - O’Brien MG, Boudrieau RJ et Clark GN. Traumatic luxation of the cubital joint (elbow) in dogs : 44 cases (1978-1988). J. Vet. Med. Assoc. 1992 ; 201(11) : 1760-1765.
  • 7 - Piermattei DL, Flo GL. Traumatic luxation of the elbow. In : Brinker Piermattei and Flo’s Handbook of small animal orthopedics and fracture repair. 3rd ed. WB Saunders ed., Philadelphia. 1997 : 288-292.
  • 8 - Schaeffer IGF, Wolvekamp P, Meij BP et coll. Traumatic luxation of the elbow in 31 dogs. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 1999 ; 12 : 33-39.
  • 9 - Taylor RA. Treatment of elbow luxations. In : Current techniques in small animal surgery. Williams & Wilkins ed., Baltimore. 1998 : 1101-1102.
  • 10 - Viguier E. La sémiologie des boiteries du coude. Point Vét. 1999 ; 30(199) : 34-39.
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