Conduite à tenir devant une hypercalcémie - Le Point Vétérinaire n° 262 du 01/01/2006
Le Point Vétérinaire n° 262 du 01/01/2006

DÉSÉQUILIBRES HYDRO-ÉLECTRIQUES CHEZ LE CHIEN ET CHEZ LE CHAT

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Thomas Chuzel

Fonctions : 1190 H, Colline-Pierredon,
13510 Éguilles

Cliniquement, l’hypercalcémie associe des signes digestifs, rénaux, neuro­musculaires et cardiaques. Une fois l’hypercalcémie objectivée, un traitement conservatoire peut être utile et une exploration étiologique est nécessaire.

Le calcium est un ion extrêmement important pour l’organisme. Il intervient dans de nombreuses réactions, le plus souvent intracellulaires. Le calcium plasmatique existe sous trois formes distinctes :

- une forme ionisée ultrafiltrable, la seule biologiquement active, qui représente environ 55 % du calcium total ;

- une forme liée aux protéines (trois quarts à l’albumine et un quart aux globulines) non ultrafiltrable qui représente 40 % du pool sanguin du calcium ;

- une forme complexée à des anions (acides organiques, phosphates ou bicarbonates) ultra-filtrable également et qui représente 5 % du total. Les valeurs usuelles de la calcémie totale sont de 85 à 110 mg/l chez le chien et 80 à 105 mg/l chez le chat.

Le calcium ionisé doit être compris entre 1,2 et 1,5 mmol/l chez le chien et 1,1 et 1,4 mmol/l chez le chat.

La calcémie est l’une des constantes les plus fixes de l’organisme car sa stricte régulation est vitale pour le maintien de l’homéostasie.

La régulation phosphocalcique est complexe et fait intervenir la parathormone (PTH), le calcitriol (1,25-dihydroxycholécalciférol ou 1,25 DHCC) et ses métabolites, ainsi que leurs nombreux effecteurs : l’intestin qui contrôle les entrées, le tissu osseux qui joue un rôle de réserve et le rein qui ajuste les sorties urinaires. La PTH est hypercalcémiante et hypophosphatémiante par son action sur le territoire osseux et sur le rein. Le calcitriol est hypercalcémiant et hyperphosphatémiant (voir le TABLEAU “Rappels sur la régulation phosphocalcique”) [3, 12 , 13, b].

L’augmentation de la concentration calcique plasmatique entraîne des symptômes cliniques variés et peut engendrer des séquelles rénales irréversibles, un coma, voire la mort. Le praticien doit donc être en mesure de reconnaître cliniquement une hypercalcémie, de rechercher sa cause et de la traiter rapidement afin d’éviter l’installation de lésions irréversibles.

Première étape : reconnaître l’hypercalcémie

L’hypercalcémie peut être définie comme une augmentation permanente et pathogène de la calcémie, supérieure à 110 mg/l (ou 2,8 mmol/l) [2, 5, 7, 9, 12].

Comme l’ion calcium intervient dans de nombreuses fonctions cellulaires, son augmentation chez le chien et le chat se caractérise cliniquement par des symptômes qui ne sont pas spécifiques lorsqu’ils sont considérés individuellement, mais qui deviennent évocateurs lorsqu’ils sont assemblés. Il s’agit de l’association de signes digestifs, rénaux, neuromusculaires et cardiaques (visibles surtout lorsque l’hypercalcémie apparaît sur un mode aigu) (voir l’ENCADRÉ “Signes cliniques et biologiques de l’hypercalcémie”). L’intensité des symptômes varie selon la sévérité, l’ancienneté et la rapidité de l’apparition de l’hypercalcémie [6, 8, a, b, c].

Les altérations de la fonction rénale entraînent les manifestations cliniques les plus fréquentes et les plus précoces de l’hypercalcémie. Ainsi, lors des stades débutants, la polyuro-polydipsie (PUPD) peut être le seul symptôme décrit avant l’apparition du cortège de symptômes qui accompagnent l’hypercalcémie. Chez le chat, de l’anorexie, des vomissements, une déshydratation et une perte de poids peuvent être les seuls signes visibles. La PUPD n’est pas systématiquement retrouvée dans cette espèce [6, 10].

Deuxième étape : confirmer l’hypercalcémie

Lors de suspicion clinique, l’hypercalcémie est confirmée par la réalisation d’un dosage sanguin.

Comme le calcium est présent sous plusieurs formes dans le compartiment sanguin, différentes méthodes de dosage sont disponibles. Elles mesurent soit le calcium total, soit uniquement le calcium ionisé. Le diagnostic d’hypercalcémie repose sur l’observation d’une augmentation du calcium ionisé (3 mEq/l ou 1,5 mmol/l) ou du calcium total. La mesure de la forme ionisée doit être préférée car elle est la seule fraction active. Si c’est impossible, l’interprétation de la valeur de la calcémie totale doit tenir compte de deux paramètres.

1. La protéinémie (ou albuminémie)

La calcémie varie dans le même sens que la protidémie sans modification de la fraction ionisée. Toute hyperprotéinémie ou hyper­albuminémie provoque une augmentation de la valeur de la calcémie totale sans que le pool ionisé soit changé. Un diagnostic erroné d’hypercalcémie peut alors être établi sur la valeur du calcium total. L’inverse est valable lors d’hypoprotéinémie : une élévation du calcium ionisé, définissant véritablement une hypercalcémie, peut ainsi être masquée par la diminution de la forme liée ; le calcium total reste dans les limites de la normale.

2. L’état acidobasique

L’alcalose est responsable d’une diminution de la fraction du calcium ionisé contrairement à l’acidose. Malheureusement, aucune formule de correction simple permettant de corriger le calcium total en fonction du pH sanguin n’a été proposée.

3. Calcium corrigé

Si la valeur du calcium ionisé est inconnue, il est préférable d’utiliser la valeur du calcium corrigé. Des formules arithmétiques permettent de donner la valeur du calcium corrigé en fonction de la protéinémie ou de l’albuminémie à partir du calcium total :

- Ca corrigé (mg/l) = Ca mesuré (mg/l) – albuminémie (g/l) + 35 ;

- Ca corrigé (mg/l) = Ca mesuré (mg/l) – [0,4 x protéinémie (g/l)] + 33.

La confirmation du diagnostic d’hypercalcémie repose donc sur l’observation d’une calcémie totale corrigée augmentée (> 110 mg/l) ou sur une valeur augmentée du calcium ionisé (> 1,5 mmol/l [2, 9, 14, c] ; 1 mmol/l = 2 meq/l car l’ion Ca2+ est bivalent).

Troisième étape : traiter les hypercalcémies graves

Dans les cas d’hypercalcémie sévère (> 160 mg/l) qui mettent en jeu le pronostic vital, un traitement symptomatique d’urgence doit être entrepris afin d’abaisser la calcémie.

Lorsque le produit phosphocalcique dépasse 70 (avec le Ca total et P exprimés en mg/dl), une réanimation médicale qui lutte contre les effets cardiaques (arythmies, extrasystoles, voir la FIGURE “Tracé d’ECG”) et rénaux (néphrocalcinose) est nécessaire.

L’administration de solutés isotoniques de NaCl 0,9 % (en doublant les besoins d’entretien : 100 à 125 ml/kg/j) favorise la diurèse rénale du calcium.

L’administration de diurétiques de l’anse de Henlé (furosémide à la dose de 2 à 5 mg/kg par voie intraveineuse) qui activent la calcidiurèse est recommandée. Les autres familles de diurétiques (thiazidiques ou antagonistes de l’aldostérone) diminuent la calcidiurèse et sont donc à proscrire.

L’emploi de corticoïdes (une fois le diagnostic établi) permet d’augmenter l’excrétion rénale (prednisolone à la dose de 1 à 2 mg/kg par voie intraveineuse).

L’utilisation de la calcitonine(1) lors d’hypercalcémie sévère et réfractaire a été suggérée à la dose de 8 UI/kg par voie sous-cutanée une fois/jour chez le chien et de 4 UI/kg par voie intramusculaire deux fois/jour chez le chat.

D’autres substances peuvent être administrées afin de baisser la calcémie lors d’hypercalcémies sévères et réfractaires.

Les diphosphonates, en particulier l’étidronate(1) (Didronel®, comprimés à 200 mg) et le pamidronate(1) (Arédia®, solution injectable à 50 mg/ml) sont utilisés en médecine humaine. Ils contrent les effets de la résorption osseuse. L’étidronate(1) peut être administré aux doses de 5 mg/kg/j par voie orale chez le chien et de 10 mg/kg/j par voie orale chez le chat. Le pamidronate(1) peut être administré aux doses de 1,3 à 2 mg/kg par voie intraveineuse une fois par jour pendant une semaine [3, 13].

Lors d’hypercalcémie liée à une insuffisance rénale oligo-anurique, la dialyse péritonéale peut être utile. Un liquide de dialyse pauvre en calcium est utilisé à la dose de 50 mg/kg et par séance avec cinq séances de dialyse par jour. La mise en place d’une telle thérapie reste néanmoins contraignante [4, 7].

Quatrième étape : identifier la cause

Une fois l’hypercalcémie confirmée et stabilisée si elle est sévère, sa cause doit être déterminée. En effet, l’hypercalcémie n’est pas en elle-même une maladie, mais correspond à la manifestation d’une affection sous-jacente, responsable de signes cliniques.

La recherche de l’affection causale s’appuie sur toutes les données de l’anamnèse, sur les commémoratifs et sur les signes cliniques et nécessite le recours à des examens complémentaires (voir l’ENCADRÉ “Étiologie des hypercalcémies” et la FIGURE “Algorithme diagnostique face à une hypercalcémie”).

• La réalisation d’un examen clinique approfondi est la première étape diagnostique lors d’hypercalcémie.

La palpation des structures lymphatiques externes est notamment nécessaire afin de rechercher une adénomégalie secondaire à un lymphome malin responsable d’une hypercalcémie paranéoplasique due à la sécrétion de substances PTH-like et pour lequel l’hypercalcémie est un signe d’appel (PHOTO 1).

Un toucher rectal permet de rechercher une masse anale suspecte, les adénocarcinomes des glandes anales peuvent induire une hypercalcémie paranéoplasique de même mécanisme que les lymphomes.

• Différents examens biologiques permettent ensuite d’orienter le diagnostic :

- analyse d’urine récoltée par cystocentèse avec mesure de la densité urinaire pour identifier une baisse du pouvoir de concentration des reins secondaire à une IRC ;

- numération-formule sanguine et examen cytologique du frottis sanguin afin de rechercher des cellules blastiques, lors de lymphomes ou de leucémies, ou d’identifier une éosinophilie associée à une lymphopénie lors d’hypocorticisme ;

- bilan biochimique, qui comprend le dosage de la phosphatémie afin de rechercher une hypophosphatémie concomitante révélatrice d’un excès de PTH, et le dosage des électrolytes (hyponatrémie et hyperkaliémie lors d’hypocorticisme).

De nombreuses affections (hypocorticisme, IRC, hypervitaminose D, myélome multiple) peuvent être identifiées au cours de ces examens [2, 3, 7].

Lors de dosage sanguin de la parathormone (PTH), les prélèvements s’effectuent sur des tubes spéciaux fournis par les laboratoires. Ce dosage ainsi que celui du phosphate sont utiles au diagnostic différentiel des causes d’hypercalcémie (voir le TABLEAU “Évolution de la calcémie, de la phosphatémie et de la parathormonémie lors d’affections hypercalcémiantes”). La PTH-RP, peptide analogue structural de la PTH sécrété par les cellules tumorales, peut également être dosée lorsque la présence d’une tumeur occulte est suspectée. Cette molécule constitue un véritable marqueur de la présence d’une activité tumorale responsable de l’hypercalcémie [1, 6, 8, 10].

• Le recours à l’imagerie médicale, avec la réalisation de radiographies du thorax, et/ou d’échographies (abdominales, etc.) (PHOTOS 2 et 3), permet l’exploration des organes abdominaux ou des structures lymphatiques intrathoraciques afin de déterminer l’existence d’un processus tumoral [7, 16].

Cinquième étape : traiter la cause de l’hypercalcémie

Le traitement de l’hypercalcémie passe par l’éviction de la cause lorsqu’elle est possible. Une exérèse chirurgicale peut être envisagée lors d’hyperparathyroïdie primaire. Une chimiothérapie peut être mise en place lors de lymphomes. Un traitement à base de minéralo- et de glucocorticoïdes est instauré lors d’hypocorticisme, etc.

Dans la majorité des cas, l’hypercalcémie se résout lors du traitement étiologique. Un traitement hypocalcémiant adjuvant peut en outre être mis en place si la calcémie ne retrouve pas une valeur normale. Ce traitement repose sur l’administration des mêmes substances que celles utilisées en urgence.

L’hypercalcémie est caractérisée par des manifestations cliniques peu spécifiques et polymorphes et il est nécessaire de la confirmer par un dosage du calcium. Une fois l’hypercalcémie objectivée, un traitement conservatoire peut être utile si l’hypercalcémie est sévère, mais l’exploration étiologique du déséquilibre de la calcémie est nécessaire dans tous les cas. Un examen clinique approfondi, complété par le recours à l’imagerie médicale et/ou à de nouveaux tests biochimiques, permet en général de déterminer l’affection causale et de la traiter de manière spécifique. En l’absence de traitement, l’hypercalcémie conduit à la mort de l’animal par insuffisance rénale chronique en quelques semaines, voire quelques jours.

  • (1) Médicament à usage humain.

Signes cliniques et biologiques de l’hypercalcémie

Signes urinaires

PUPD

Azotémie

Hyperphosphatémie

Glucosurie

Néphrocalcinose

Infection urinaire

Urolithiase

Signes cardiaques

Bradycardie

Arythmies ventriculaires

Hypertension

Diarrhée/constipation

Raccourcissement du segment QT

BAV 1

Signes neuromusculaires

Faiblesse musculaire

Tremblements

Dépression

Stupeur

Coma

Convulsions

Signes gastro-intestinaux

Anorexie

Vomissements

Perte de poids

Calcifications intestinales

D’après [2, 3, 7, 8, 11, b].

Étiologie des hypercalcémies

Hypercalcémie paranéoplasique :

- peptide PTH-like (lymphome malin, adénocarcinome du sac anal ou mammaire) ;

- ostéolyse tumorale (ostéosarcome, myélome multiple).

Hypocorticisme

Insuffisance rénale chronique

Hypervitaminose D (intoxication ou accidentelle)

Hypervitaminose A

Hyperparathyroïdisme :

- primaire ;

- secondaire ou nutritionnel ;

- tertiaire.

Idiopathique (chat)

D’après [2, 5, 9, 14, a, c].

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