Une nouvelle voie d’abord pour l’hypophysectomie chez le chien - Le Point Vétérinaire n° 260 du 01/11/2005
Le Point Vétérinaire n° 260 du 01/11/2005

CHIRURGIE CANINE

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Stéfano Scotti*, Arnaud Klein**, Antoine Hidalgo***, Mathilde Duchaussoy****, Pierre Moissonier*****

Fonctions :
*Service de chirurgie
7, avenue Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort
**Service de chirurgie
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***Service de chirurgie
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L’hypophysectomie est une option thérapeutique lors de micro-adénomes ou de macro-adénomes de la glande pituitaire chez le chien.

Les premières hypophysectomies réalisées chez le chien ont obtenu des résultats peu encourageants, avec une mortalité élevée pendant et après l’intervention chirurgicale et une durée de survie limitée (1886, [1]). En 1956, Markowitz et Archibald ont présenté une description détaillée de l’intervention par voie transphénoïdale à bouche ouverte qui, en raison de ses meilleurs résultats par rapport à la voie temporale, est devenue la technique reconnue encore actuellement [3]. L’intérêt de l’hypophysectomie pour le traitement de la maladie de Cushing est désormais prouvé chez le chien et chez le chat, comme chez l’homme [4, 5, 6]. La maladie de Cushing est liée dans environ 85 % des cas à une tumeur hypophysaire [2]. Les tumeurs de l’hypophyse sont en grande majorité des micro-adénomes, c’est-à-dire d’une taille inférieure à 1 cm de diamètre. Les macro-adénomes représentent 10 à 15 % des cas de tumeur hypophysaire.

Anatomie chirurgicale

L’hypophyse est localisée dans un récessus de l’os basisphénoïde appelé selle turcique. Cette fosse est limitée crânialement par le tuberculum sellae, peu marqué chez le chien, et caudalement par le dorsum sellae. Elle est tapissée par le feuillet externe de la dure-mère. L’hypophyse est entourée par les sinus caverneux latéralement, contenant des sinus veineux et les artères carotides internes qui forment le polygone de Willis. Crânialement à l’hypophyse se trouve le sinus sphénoïde, virtuel chez le chien, comblé par de l’os spongieux. Caudalement passe le sinus intercaverneux [8, 9]. Les repères ventraux qui permettent de localiser la glande sont :

- les processus hamulaires, facilement palpables chez le chien : si une ligne imaginaire est tracée entre les deux processus hamulaires, la glande peut être localisée approximativement ;

- la suture intersphénoïde, mais elle disparaît avec l’âge ;

- la veine émissaire, vestige de la vascularisation de la poche de Rathke, mais elle est inconstante.

Deux techniques d’imagerie ont été décrites pour localiser la glande avec précision :

- la technique de Niebauer prévoit la veinographie des sinus crâniaux et l’utilisation de marqueurs radiographiques pendant l’intervention chirurgicale [10, 11] ;

- la technique de Meij prévoit la localisation précise de la glande par un scanner [7].

Voie d’abord actuelle

Cette technique, dérivée de celle réalisée chez l’homme, est effectuée chez le chien placé en décubitus, soit dorsal soit ventral, avec la bouche ouverte.

Après le repérage des processus hamulaires, une incision médiane est effectuée sur le palais mou sur une longueur de 3 à 4 cm entre ces processus. Un écarteur ou des fils de traction sont alors positionnés sur la muqueuse du palais. La muqueuse nasale est ensuite incisée dans le plan médian et écartée latéralement à l’aide d’un élévateur à périoste, ce qui permet d’exposer la corticale externe de l’os sphénoïde [11, 12].

L’examen tomodensitométrique permet un repérage préalable de la selle turcique par rapport aux repères chirurgicaux utilisés [7].

Le forage est réalisé avec une fraise pneumatique de 4 mm.

Une fois l’hypophyse visualisée, l’incision de la dure-mère permet le retrait de la glande avec une pince à préhension de neurochirurgie ou à l’aide d’une canule d’aspiration.

L’hypophyse est envoyée au laboratoire pour analyse histologique.

Complications

Les principales complications postopératoires après une hypophysectomie peuvent être classées en deux catégories (immédiates et tardives).

• Les complications immédiates sont liées à des hémorragies majeures suite à une lésion iatrogénique des sinus caverneux, ou à une lésion de l’hypothalamus ou des formations adjacentes. Leur visualisation est d’autant plus difficile que l’abord est étroit, situé à distance de l’opérateur et que l’ostéotomie est réalisée obliquement [4, 11]. La longueur du palais oblige en effet l’opérateur à garder un angle de visualisation de l’hypophyse oblique (surtout chez les chiens dolichocéphales), à une grande distance du site opératoire.

• Les complications plus tardives sont des déhiscences de sutures du palais mou (deux à quatre jours) ou des pneumonies par fausse déglutition. Lors de déhiscence, la plaie doit être suturée à nouveau le plus rapidement possible pour éviter les phénomènes de rétraction cicatricielle, qui devraient alors être réparés par des plasties difficiles à effectuer [6].

Des ostéomyélites de l’os sphénoïde sont exceptionnellement décrites. Elles sont dues aux contaminations pendant l’acte chirurgical (la voie d’abord avec la bouche ouverte est considérée comme une chirurgie contaminée) [11].

Ces inconvénients ont conduit à envisager une nouvelle voie d’abord.

Une nouvelle voie d’abord

Cette nouvelle technique “àbouchefermée”, via le récessus lingual (mise au point par le Pr Pierre Moissonnier, ENV d’Alfort), permet d’aborder plus facilement l’hypophyse et de limiter les complications postopératoires. Elle a été testée avec plusieurs têtes de cadavres de chien, sur lesquelles ont ensuite été définies plan par plan toutes les structures anatomiques rencontrées (PHOTO 1). L’expérience a été suivie par un essai réalisé chez deux animaux vivants.

Les principaux temps de cette technique sont : l’incision ; la dissection du récessus lingual ; l’ouverture du nasopharynx ; l’accès à la selle turcique.

• L’incision d’une longueur de 4 à 5 cm est centrée sur l’angle de la mandibule, médialement à son corps. Peau, tissu sous-cutané et muscle platisma cervico-facial sont incisés selon la même ligne.

• La dissection découvre les muscles digastrique (latéralement) et milo-hyoïdiens (médialement). Ces derniers sont écartés, ce qui permet de repérer contre la langue les muscles styloglosse et hypoglosse (PHOTO 2). Un plan profond est alors atteint au sein duquel sont distingués :

- caudalement la glande monostomatique sublinguale, l’artère et la veine linguales et les muscles ptérygoïdiens médiaux ;

- crânialement et médialement le nerf hypoglosse et l’artère et la veine linguales.

Pour se situer précisément à ce stade de la dissection, il est possible de palper, ventralement et médialement la muqueuse buccale et, dorso-latéralement, le muscle ptérygoïdien et les processus hamulaires.

• L’ouverture du nasopharynx permet de se décaler vers le plan médian en repoussant la muqueuse nasale et le voile du palais. Une fois dans le rhinopharynx, la muqueuse nasale est incisée dans le plan médian selon une bissectrice des aplombs des processus hamulaires.

• Le fraisage de l’os sphénoïde dans ses parties corticale, spongieuse puis corticale donne accès à la selle turcique. La dure-mère entourant l’hypophyse est incisée, découvrant la glande qui est retirée par aspiration ou par section du récessus infundibulaire (qui laisse s’échapper du liquide céphalo-rachidien à ce stade) (PHOTOS 3 et 4). Cette dernière partie de l’intervention chirurgicale est réalisée sous microscope opératoire.

Discussion

L’hypophyse est entourée de structures vasculaires et nerveuses qui la rendent difficile d’accès. L’examen tomodensitométrique est un prérequis nécessaire à la localisation correcte de la glande.

La technique chirurgicale de référence actuelle, mais qui reste délicate, est la voie transphénoïdale, qui permet d’atteindre la glande et de l’extraire avec un traumatisme minimal des structures nerveuses adjacentes.

L’abord buccal est la voie habituellement utilisée et donne des résultats comparables, voire meilleurs, que ceux des traitements médicaux actuels. En effet, l’hypophysectomie selon cette technique entraîne une rémission complète des symptômes dans plus de 80 % des cas, avec un taux de récidives de l’ordre de 10 % nettement inférieur à celui des traitements médicaux (plus de 40 % avec l’Op’DDD [2] par exemple), pour un coût financier moindre à terme [4, 5]. Cet abord ne permet toutefois qu’une visualisation limitée de l’hypophyse et des structures, notamment vasculaires, qui l’entourent. La longueur du museau implique en outre un fraisage oblique, dont la profondeur et l’orientation sont plus difficiles à évaluer et à contrôler. Ces deux inconvénients inhérents à la voie buccale majorent considérablement les difficultés de la technique, et par conséquent, les risques per- et postopératoires.

En revanche, l’abord par le récessus lingual permet une visualisation directe de l’hypophyse, ce qui supprime la difficulté liée à la longueur du museau du chien (notamment chez les dolichocéphales), autorise un fraisage perpendiculaire à l’os sphénoïde et permet une meilleure visualisation des structures anatomiques proches de la glande. Le risque d’effraction des sinus veineux, du cercle artériel ou de lésion hypothalamique, complications rares mais presque toujours fatales [4], pourrait ainsi diminuer considérablement.

De même, la kératoconjonctivite sèche est une complication transitoire fréquente (30 % environ) de l’abord buccal [4]. Elle est attribuée à une neurapraxie du nerf ptérygopalatin liée à la mise en place des écarteurs sur le palais mou. Le nouvel abord ne passant pas par le palais, il est raisonnable d’envisager que cette complication sera moins fréquente.

L’absence d’incision palatine annule le risque de déhiscence des sutures, complication rare chez le chien mais fréquente chez le chat, probablement associée au syndrome d’hyperfragilité cutanée observé dans cette espèce [6].

La technique consiste à enlever la totalité de l’hypophyse car, contrairement à l’intervention chez l’homme, l’adénome n’est pas identifiable visuellement. La suppression de la sécrétion hypophysaire de TSH entraîne une hypothyroïdie chez tous les animaux traités par hypophysectomie. Un traitement à base d’hormones thyroïdiennes doit donc être poursuivi à vie.

Le diabète insipide est une complication de l’hypophysectomie qui se manifeste de façon permanente dans 10 % des cas [7]. La forme transitoire, qui peut persister jusqu’à quinze jours, doit être traitée avec la desmopressine (analogue synthétique de la vasopressine). Dans la forme transitoire, il semble que les neurones hypothalamiques des noyaux paraventriculaire et supra-optique reprennent progressivement une sécrétion suffisante de l’hormone antidiurétique [4, 5].

L’application clinique de ce nouvel abord chez des chiens atteints de maladie de Cushing est en cours. Cette nouvelle voie permettra de proposer un traitement chirurgical aussi efficace et plus sûr que par voie buccale.

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