Régurgitations chez le chien et chez le chat - Le Point Vétérinaire n° 260 du 01/11/2005
Le Point Vétérinaire n° 260 du 01/11/2005

GASTRO-ENTÉROLOGIE CANINE ET FÉLINE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Thomas Chuzel

Fonctions : 1190 H Colline Pierredon,
13510 Éguilles

Les régurgitations doivent en premier lieu être différenciées des vomissements. La recherche de l’affection en cause fait appel à des radiographies sans et avec préparation, et éventuellement à une endoscopie.

La régurgitation sensu stricto est un trouble du transport du bol alimentaire défini par le rejet de nourriture non digérée ou de fluides avant leur arrivée dans l’estomac [3, 4, 8]. Il s’agit d’un phénomène d’évacuation rétrograde et passif des aliments de l’œsophage vers la cavité buccale.

Les régurgitations sont principalement un signe d’appel des affections œsophagiennes obstructives ou fonctionnelles (méga-œsophage) [6, 7, 11, 13]. Ce signe clinique est à différencier des vomissements, caractérisés par l’expulsion active d’aliments à partir de l’estomac.

Il convient donc, devant des rejets de nourriture, d’effectuer la dichotomie entre les régurgitations et les vomissements, puis d’identifier l’affection œsophagienne (obstructive, fonctionnelle ou autre), et ensuite de rechercher sa cause afin de la traiter.

Première étape : diagnostiquer des régurgitations

• Chez un animal présenté pour des régurgitations, il convient en premier lieu de faire la différence avec des vomissements car les propriétaires ne distinguent pas toujours ces deux signes cliniques. Cette dichotomie est relativement simple à réaliser et peut se faire lors de l’anamnèse par la réalisation d’un interrogatoire bien mené et précis (présence ou non d’efforts expulsifs, etc.) (voir le TABLEAU “Dichotomie entre vomissements et régurgitations”) [2, 10, 16, 18].

• Si les descriptions sont floues ou peu fiables, il est possible de procéder à une épreuve de repas afin de mieux caractériser les rejets de nourriture. Cette épreuve est réalisée simplement en donnant un repas à l’animal et en observant les signes cliniques associés aux rejets de nourriture. Dans la majorité des cas, l’observation permet de faire la dichotomie.

• Si la différenciation est difficile à réaliser, la détection d’un pH acide ou de bilirubine dans les rejets alimentaires grâce à un papier pH ou à une bandelette urinaire permet d’affirmer l’origine gastrique et/ou duodénale de ces derniers [2, 14]. Il existe toutefois des faux négatifs : assez fréquemment, le pH n’est pas acide et la bilirubine ne peut être mise en évidence par une bandelette urinaire.

• Les régurgitations ne sont parfois pas décrites par les propriétaires et seuls les symptômes associés permettent de suspecter une affection œsophagienne : présence d’une salivation excessive associée ou non à la prise de nourriture, douleur lors de la palpation de la gouttière jugulaire cervicale, etc. Ces symptômes ne sont pas classiquement associés aux vomissements [3, 7, 13, 15]. La présence d’une toux, petite et profonde, d’une tachypnée ou d’une dyspnée associée à des épisodes d’hyperthermie chez un animal suspect de régurgitations doit faire suspecter une pneumonie par aspiration, complication fréquente chez les animaux atteints de régurgitations [4, 8, 11].

Cette étape est primordiale car le diagnostic différentiel, la conduite à tenir et le traitement des régurgitations sont différents de ceux des vomissements (voir la FIGURE “Conduite à tenir lors de régurgitations”).

Deuxième étape : identifier l’affection œsophagienne

• Une fois les rejets de nourriture identifiés comme des régurgitations, des radiographies du thorax et du cou sans préparation sont réalisées. L’œsophage est ainsi visualisé dans son ensemble.

L’œsophage n’est normalement pas visible sur les radiographies du thorax car sa lumière est virtuelle (sauf lorsqu’elle contient du liquide).

Cet examen permet de détecter la présence d’un corps étranger œsophagien radio-opaque (PHOTO 1) ou d’un méga-œsophage (PHOTO 2).

Lors de dilatation œsophagienne, une accumulation anormale d’air est observée en région dorsale de la trachée, ce qui forme un triangle transparent délimité dorsalement par les muscles longs du cou, ventralement par la trachée et caudalement par la crosse de l’aorte. La paroi ventrale apparaît relativement épaisse, car elle représente à la fois les parois trachéale et œsophagienne. La partie caudale de l’œsophage dilaté est visible sous la forme de deux traits fins qui convergent caudalement vers le diaphragme. La présence de nourriture accumulée dans la lumière de l’œsophage, associée à une dilatation localisée de ce dernier fait suspecter un obstacle, une striction ou un diverticule œsophagien [5, 9].

L’examen radiographique sans préparation permet aussi la recherche d’autres affections responsables de régurgitation : notamment les tumeurs intrathoraciques (lymphome, thymome) ou les masses médiastinales (PHOTO 3). La présence d’une pneumonie par aspiration, complication sévère des régurgitations, est également recherchée [9, 17].

• Une radiographie de l’œsophage avec produit de contraste (ou œsophagographie) peut être nécessaire dans un deuxième temps pour évaluer la forme et la taille de l’œsophage, ainsi que pour rechercher un corps étranger œsophagien radio-transparent, une masse, une striction œsophagienne ou une fistule broncho-œsophagienne et des anomalies vasculaires (voir l’ENCADRÉ “L’œsophagographie”, PHOTOS 4A ET 4B) [1, 5, 9, 17].

• Si l’affection causale n’a pu être identifiée avec certitude lors de l’examen radiographique, l’endoscopie œsophagienne permet souvent d’établir le diagnostic. L’œsophagoscopie permet en effet d’apprécier la motilité et le degré de dilatation de l’œsophage, de réaliser des biopsies perendoscopiques pour analyses histologiques lors de masses intraluminales, de contrôler le degré de dilatation lors de strictions ou de suivre l’évolution de l’état de la muqueuse dans les cas d’œsophagite [6, 7, a]. La radiographie est toutefois une étape préalable obligatoire car un méga-œsophage peut ne pas être détecté par l’endoscopie.

Troisième étape : rechercher la cause et la traiter

• Lorsque les radiographies du thorax et/ou l’œsophagographie ont permis d’identifier la cause des régurgitations (voir l’ENCADRÉ “Causes de régurgitations”), un traitement spécifique doit être entrepris en fonction de l’affection sous-jacente. Dans le cas d’un corps étranger œsophagien, son retrait au cours d’une endoscopie est le traitement recommandé. Une thoracotomie est envisagée lors d’une persistance du quatrième arc aortique droit. La présence d’une masse médiastinale nécessite une exploration plus approfondie (biopsie ou exploration chirurgicale) [13, 15, 18].

• Lorsqu’un méga-œsophage est diagnostiqué, des examens complémentaires sont nécessaires pour rechercher sa cause. Les examens à réaliser sont dictés par les commémoratifs, l’anamnèse et le tableau clinique de l’animal, en fonction des principales hypothèses diagnostiques (voir le TABLEAU “Causes de méga-œsophage secondaire et options thérapeutiques”). Lorsqu’un diagnostic causal est établi, un traitement spécifique est entrepris. Toutefois, malgré un traitement causal, la résolution du méga-œsophage peut être tardive, voire impossible [10, 12, 14].

En raison de l’incidence des formes localisées de myasthénie sévère qui ne se caractérisent que par un méga-œsophage, il convient de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse par le recours à la biologie clinique en l’absence d’autre cause identifiée.

Si aucune cause n’est mise en évidence, le méga-œsophage est dit idiopathique et le traitement est fondé sur des mesures hygiéniques. L’administration des repas est fractionnée, sous forme semi-liquide, placée en hauteur. Néanmoins, le risque de fausse déglutition assombrit le pronostic à long terme [8, 14, 16]. Le recours aux modificateurs de la motilité digestive (cisapride, métoclopramide) ne semble pas avoir montré des résultats satisfaisants sur la musculature de l’œsophage [15, 18].

La reconnaissance des régurgitations et leur distinction des vomissements sont primordiales car elle permet de localiser l’affection œsophagienne. L’examen radiographique est réalisé en première intention lors de régurgitations car elle permet la détection de nombreuses affections. Le recours à l’endoscopie et aux autres examens complémentaires est toutefois nécessaire pour identifier certaines causes de régurgitation comme le méga-œsophage acquis.

Causes de régurgitations

Méga-œsophage idiopathique ou secondaire

Hernie hiatale

Intussusception gastro-œsophagienne

Reflux gastro-œsophagien

Œsophagite

Diverticule œsophagien

Fistules broncho-œsophagiennes

Obstruction œsophagienne :

- anomalie vasculaire ;

- striction postœsophagite ;

- infestation par Spirocerca lupi ;

- compression extraluminale (thymome, lymphome) ;

- corps étranger ;

- tumeurs de l’œsophage.

D’après [2, 4, 10, 14, 16].

L’œsophagographie

Indications

L’œsophagographie (ou transit œsophagien) est indiquée lors de régurgitations, de dysphagie et lors de suspicion de corps étranger œsophagien. Elle permet d’évaluer la morphologie et le fonctionnement de l’œsophage.

Précautions

Il n’existe pas de contre-indication absolue. Lors de dysphagie, il convient de s’assurer de l’absence de fausse déglutition. Le passage d’une faible quantité de baryum dans la trachée et les bronches est souvent sans gravité. Il provoque en revanche une réaction inflammatoire aiguë lors d’atteinte alvéolaire ou médiastinale. Ainsi, le sulfate de baryum est contre-indiqué lors de suspicion de perforation ou de fistules broncho-œsophagiennes. Un produit de contraste iodé (type iohexol) peut être administré car celui-ci est rapidement absorbé sans incident lors de perforation.

Produit de contraste

Une pâte ou une solution concentrée de sulfate de baryum est préférée. La pâte présente l’avantage d’être plus opaque et de mieux adhérer à la muqueuse. Le produit de contraste est préparé dans une seringue et administré par voie orale à la dose de 1 à 2 ml/kg. Il peut aussi être mélangé à la nourriture pour former un bol alimentaire solide opaque aux rayons X.

Technique

Des radiographies de face et de profil du cou et du thorax sont réalisées juste après l’absorption du produit de contraste. La radioscopie peut être utile pour observer de manière dynamique le passage du bol alimentaire de la cavité buccale jusqu’à l’estomac.

Principes d’interprétation

Le produit de contraste adhère à la muqueuse et reste visible sur les radiographies en soulignant les plis œsophagiens. L’œsophage du chien présente des plis longitudinaux sur toute sa longueur, tandis que celui du chat présente des plis transverses sur le tiers caudal donnant une image particulière appelée “en arêtes de poisson”.

L’accumulation anormale de produit de contraste dans l’œsophage est le signe d’une anomalie de contraction (méga-œsophage) ou d’une obstruction.

Les corps étrangers entraînent l’apparition d’images par soustraction.

Un rétrécissement de la lumière de l’œsophage traduit une sténose.

Lors de perforation, le produit de contraste est visible en dehors de la lumière de l’œsophage. Une lésion pariétale se traduit par la présence d’une surface muqueuse très irrégulière et déchiquetée.

D’après [1, 5, 9, 17].

À lire également

a - Dargent F. Affections chroniques du tube digestif. Dépêche Vet. 2001. Supplément du n° 74 du 3 au 9 février 2001.

  • 1 - Barthez P.  Technique en radiologie des petits animaux. Editions Prat. Méd. Chir. Anim. Comp.  Paris. 1997 : 180pp.
  • 2 - Guilford WG, Strombeck DR. Diseases of Swallowing. In : Guilford WG, Center SA, Strombeck DR et coll. Strombeck’s Small Animal Gastroenterology. 3rd ed. WB Saunders eds. Philadelphia. 1996 : 211-238.
  • 3 - Holland CT, Satchell PM. Mega-œsophage chez le chien et le chat. Rec. Med. Vet. 1993 ; 169 : 969-984.
  • 4 - Jenkins CC. Dysphagia and regurgitation. In : Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medecine. 5th ed. WB Saunders eds., Philadelphia. 2000 : 114-117.
  • 5 - Konde LJ, Green PA, Pugh CR. Radiology and ultrasonography of the digestive system. In : Tams TR. Handbook of Small Animal Gastroenterology. WB Saunders eds. St Louis. 2003 : 51-96.
  • 6 - Lecoindre P.  Atlas d’endoscopie chez les carnivores domestiques. Ed. Med’com, Paris. 2001 : 159pp.
  • 7 - Lecoindre P, Cadoré JL. Les affections de l’œsophage des carnivores domestiques. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp.  1994 ; 29 : 25-43.
  • 8 - Leib MS. Diseases of the œsophagus. In : Leib MS, Monroe WE. Practical Small Animal Internal Medicine. WB Saunders eds. Philadelphia. 1997 : 634-652.
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  • 10 - Mears EA, De Novo RC. Canine megaesophagus. In : Bonagura JD. Kirk’s Current Veterinary Therapy XII. WB Saunders eds. Philadelphia. 1995 : 602-607.
  • 11 - Simpson JW, Else RW. Digestive diseases in the dog and cat. Blackwell eds. Oxford. 1991 : 287pp.
  • 12 - Strombeck DR, Guilford WG. Pharynx and esophagus : normal structure and function. In : Guilford WG, Center SA, Strombeck DR et coll. Strombeck’s Small Animal Gastroenterology. 3rd ed. WB Saunders eds. Philadelphia. 1996 : 202-210.
  • 13 - Tams TR. Diseases of the esophagus. In : Tams TR. Handbook of Small Animal Gastroenterology. WB Saunders eds. St Louis. 2003 : 118-156.
  • 14 - Tennant B. Small animal abdominal and metabolic disorders. Manson eds. Londres. 1999 : 192pp.
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  • 16 - Washabau RJ. Swallowing disorders. In : Thomas DA, Simpson JW, Hall EJ. Manual of canine and feline gastroenterology. BSAVA eds. Gloucestershire. 1996 : 67-89.
  • 17 - Watrous BJ. The esophagus. In : Thrall DE. Textbook of veterinary diagnostic radiology. 4th ed. WB Saunders eds. Philadelphia. 2002 : 329-348.
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