Hydronéphrose unilatérale suite à une sténose urétérale - Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005
Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005

URONÉPHROLOGIE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Romain Béraud*, Claude Carozzo**

Fonctions :
*Unité de chirurgie
et d’anesthésiologie
ENV de Lyon
1, av. Bourgelat
69280 Marcy-l’Etoile

L’hydronéphrose unilatérale consécutive à une gêne à l’excrétion urinaire est souvent diagnostiquée lorsque les lésions rénales sont irréversibles. Le traitement consiste alors en une néphrectomie.

L’augmentation de taille d’un ou des deux reins est fréquente chez le chien et le chat [7]. Les causes peuvent être regroupées en trois types d’atteintes [4, 10] (voir sur Planete-vet le TABLEAU “Étiologie des néphromégalies”) :

- parenchymateuses ;

- sous-capsulaires et périrénales ;

- du système collecteur, comme lors d’hydronéphrose.

L’hydronéphrose correspond à une dilatation progressive du bassinet rénal consécutive à une gêne à l’excrétion urinaire. Elle est parfois associée à une dilatation de l’uretère correspondant (méga-uretère). L’atteinte peut être bilatérale, avec l’apparition rapide de symptômes liés à l’azotémie (en trois jours dans un cas rapporté [9]). Elle peut aussi être unilatérale, avec une évolution plus progressive : absence fréquente de conséquences sur la fonction urinaire et présence seulement d’une distension et d’une douleur abdominales.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

Un chien Lhassa Apso mâle, âgé de quatre ans, est présenté pour l’exploration d’une distension abdominale, remarquée par les propriétaires une semaine auparavant. Aucun autre symptôme n’est rapporté (pas de trouble de la miction ou de la défécation) et la prise de boisson et d’aliments est normale.

2. Examen clinique d’admission

L’état général du chien est bon. Sa température est de 39 °C.

La palpation abdominale est difficile, en raison de la douleur qu’elle semble engendrer.

L’abdomen est tendu et une déformation de sa paroi gauche apparaît nettement (PHOTO 1). Aucun signe du flot n’est mis en évidence. Les deux testicules sont en place et leur palpation est normale.

3. Diagnostic différentiel

Les deux principaux éléments du tableau clinique sont une distension abdominale crâniale gauche et un abdomen aigu (voir sur Planete-vet le tableau “Diagnostic différentiel d’une distension abdominale”).

En raison du caractère asymétrique de la distension, les causes de relâchement de la sangle abdominale sont écartées (hypercorticisme, rupture du tendon prépubien, etc.).

Les principales hypothèses retenues sont une hypertrophie hépatique, splénique ou rénale, une atteinte de la paroi abdominale ou un lymphome digestif.

4. Examens complémentaires

• Une analyse urinaire est réalisée : la densité urinaire est de 1,030, le pH est de 6. Une bilirubinurie modérée est mise en évidence (notée de “traces” à “une croix”), vraisemblablement physiologique (voir sur Planete-vet l’encadré “Interprétation de la bilirubinémie”).

Un bilan hématologique et biochimique est réalisé : la seule anomalie observée est une augmentation modérée de l’urémie (voir le TABLEAU “Résultats des analyses sanguines”).

• Une échographie abdominale sous anesthésie générale est pratiquée en première intention (voir l’encadré “Protocole anesthésique”). Elle met en évidence une dilatation de la cavité pyélique du rein gauche, qui mesure 8 cm sur 14 cm (PHOTO 2). L’uretère gauche présente également une dilatation marquée. Le rein droit ainsi que les autres organes abdominaux paraissent normaux.

5. Diagnostic

Le diagnostic d’hydronéphrose gauche associée à un méga-uretère gauche, sans répercussion sur la fonction urinaire, est donc établi. Une urémie modérément augmentée et une créatininémie légèrement inférieure à la limite pourraient évoquer une insuffisance rénale débutante. La densité urinaire, signe plus précoce que l’augmentation de l’urémie et de la créatininémie, est toutefois normale. L’augmentation de l’urémie seule peut vraisemblablement être d’origine prérénale.

En l’absence de commémoratifs, d’éléments de l’examen clinique et d’examens complémentaires en faveur d’une origine acquise de l’hydronéphrose, une cause congénitale est suspectée.

6. Traitement

Les images échographiques, avec une disparition presque totale du parenchyme rénal, suggèrent que le rein gauche n’est plus fonctionnel. Le traitement n’a donc pas comme objectif de préserver le parenchyme rénal encore fonctionnel mais de décomprimer l’abdomen. Une néphrectomie gauche est donc proposée.

• Le chien est placé en décubitus dorsal. Une incision médiane est réalisée, du processus xiphoïde au pénis.

Le rein gauche est immédiatement visualisé : son volume est nettement augmenté (14 cm sur 8 cm) et son contenu semble liquidien et sous pression (PHOTO 3A).

L’aspect macroscopique du rein droit est préalablement vérifié afin de s’assurer du caractère unilatéral de l’atteinte (dans le cas contraire, l’intervention chirurgicale ne présente pas d’intérêt) (PHOTO 3B).

• Le rein gauche est libéré de l’espace rétro-péritonéal. L’artère et la veine rénales correspondantes sont disséquées, puis ligaturées séparément afin d’éviter tout risque de fistule artério-veineuse. Deux ligatures simples, dont la plus distale est transfixiante, sont mises en place sur chaque vaisseau [2, 6].

L’uretère gauche est très dilaté (2 cm de diamètre), sauf dans sa partie distale qui est au contraire sténosée (PHOTO 4). Le trajet urétéral est disséqué jusqu’à son abouchement à la vessie. Une ligature est placée au plus près de la vessie afin d’éviter la formation d’un cul-de-sac susceptible d’être à l’origine d’infections vésicales chroniques [2, 6].

Pendant l’intervention, l’artère et la veine testiculaires gauches sont visualisées : leur paroi est accolée à l’uretère correspondant, ce qui rend leur dissection impossible (voir la FIGURE “Vascularisation du rein et des testicules”). Elles sont donc ligaturées pour permettre l’ablation de l’uretère.

Après section des vaisseaux et de l’uretère, le rein et l’uretère gauches sont retirés. Le testicule gauche est extrait de manière conventionnelle, afin d’éviter un œdème, voire une nécrose postopératoire.

L’exploration des autres organes abdominaux ne montre pas d’anomalie. La cavité abdominale est abondamment rincée. La fermeture (plan par plan) de la paroi abdominale est réalisée.

Les soins postopératoires consistent en une analgésie (morphine(1) 0,2 mg/kg à l’extubation puis quatre heures plus tard) et en l’administration de céfalexine (Rilexine®15 mg/kg, deux fois par jour durant cinq jours). La fluidothérapie est poursuivie et la diurèse est surveillée. Cette dernière est d’emblée satisfaisante (supérieure à 2 ml/kg/h) et aucune hématurie macroscopique n’est observée.

Le chien est rendu à ses propriétaires le lendemain.

7. Histologie

Une analyse histologique est réalisée sur :

- le rein (PHOTO 5). Les lésions sont évocatrices d’une hydronéphrose au stade terminal, sans élément en faveur d’une origine néoplasique ;

- l’uretère (PHOTO 6 ET PHOTO 7). Les lésions observées évoquent, en premier lieu, un phénomène réactionnel hyperplasique secondaire à une sollicitation mécanique répétée.

8. Évolution

Le chien revient en visite de contrôle dix-sept jours après l’intervention chirurgicale. Son examen clinique est normal.

Un contrôle de la fonction rénale est réalisé :

- bandelette urinaire : la densité urinaire est de 1,026, le pH de 6 et une bilirubinurie modérée est toujours observée ;

- urémie : 0,28 g/l (soit 9,9 mmol/l), créatininémie : 13,9 mg/l (soit 123 ìmol/l).

Les différents paramètres évalués sont stables par rapport au bilan préopératoire. Aucune répercussion majeure sur le fonctionnement rénal ne semble donc être apparue.

9. Pronostic

Le pronostic est bon, dans ce cas. L’origine congénitale suspectée et la nature unilatérale de l’affection laissent penser que le rein et l’uretère controlatéraux sont sains. Le suivi de la fonction rénale montre une stabilité de ces différentes valeurs et vraisemblablement une bonne tolérance de la néphrectomie. Un suivi régulier de la fonction rénale est toutefois fortement conseillé aux propriétaires du chien.

Discussion

1. Étiologie de l’hydronéphrose unilatérale

Les causes d’hydronéphrose unilatérale chez le chien sont nombreuses et peuvent être classées en deux catégories : congénitales et acquises [1, 2, 3, 4, 7, 8].

Dans le cas présenté, une origine congénitale a été privilégiée avant l’intervention chirurgicale (voir le TABLEAU “Étiologie des hydronéphroses unilatérales chez le chien et évaluation des hypothèses”).

Les observations peropératoires, ainsi que les résultats histologiques, ont confirmé cette hypothèse : l’anomalie primitive, une sténose urétérale distale, serait à l’origine d’une obstruction partielle à l’écoulement urinaire, d’où la dilatation du segment en amont. Cette obstruction aurait entraîné une sollicitation mécanique urétérale répétée, à l’origine de la réaction hyperplasique observée, augmentant elle-même progressivement le degré d’obstruction.

L’âge de ce chien (quatre ans) n’est pas incompatible avec cette hypothèse : une obstruction unilatérale partielle peut en effet évoluer très lentement, sans répercussion sur la fonction rénale tant que le rein controlatéral compense. Les seuls troubles observés sont alors mécaniques, liés à la néphromégalie.

2. Symptômes de l’hydronéphrose unilatérale et diagnostic différentiel

• Lors d’hydronéphrose unilatérale, une distension abdominale progressive, éventuellement associée à une douleur abdominale, est généralement le seul symptôme [5, 7, 10].

Le caractère unilatéral de l’atteinte explique en effet l’absence de conséquences sur la fonction urinaire, donc de symptômes associés (abattement, anorexie, perte de poids, etc). De même, les signes urinaires (strangurie, hématurie, etc.) associés lors d’atteintes de la vessie (carcinome transitionnel, etc.), de l’urètre (calcul, etc.) ou de la prostate (carcinome, etc.) ne sont (occasionnellement) présents que lors d’hydronéphrose bilatérale [7].

• Le diagnostic différentiel inclut les nombreuses causes de distension abdominale, voire d’abdomen aigu. La palpation abdominale seule permet rarement de préciser l’origine rénale de la masse, voire d’en apprécier son caractère uni- ou bilatéral. Dans la grande majorité des cas, des examens complémentaires sont indispensables.

3. Diagnostic de l’hydronéphrose unilatérale

Ce cas montre que l’exploration d’une atteinte rénale ne se limite pas aux examens biochimiques rénaux classiques (urémie, créatininémie, analyse urinaire). Ce chien, malgré l’atteinte sévère du rein gauche, ne présentait comme seule anomalie qu’une élévation modérée de l’urémie, dont l’origine dans la plupart des cas est prérénale (déshydratation, régime hyperprotéique, fonte musculaire, etc.) : il est en effet nécessaire que deux tiers des néphrons soient lésés pour engendrer une perte de la capacité de concentration des urines et trois quarts des néphrons pour entraîner une azotémie [10]. Il existe en outre des mécanismes fonctionnels compensatoires lors de diminution de la masse néphrotique fonctionnelle. Dans les cas d’atteinte rénale unilatérale avec un rein controlatéral fonctionnel, la masse néphrotique fonctionnelle résiduelle (au moins de 50 %) est suffisante.

Le praticien doit donc faire appel à d’autres techniques d’examens, complémentaires et/ou plus sensibles, tels que l’imagerie médicale. L’échographie abdominale, examen rapide, non-invasif, dépourvu d’effets secondaires (contrairement à l’urographie intraveineuse par exemple) et spécifique, peut jouer un rôle primordial [7, 10]. Elle peut même remplacer la radiographie et être utilisée en première intention. Elle permet alors non seulement de confirmer la présence d’une masse, mais aussi d’apporter des précisions sur son origine, voire sur sa nature.

4. Traitement de l’hydronéphrose unilatérale

De manière générale, il convient de respecter trois étapes lors du traitement [5] :

- la prise en charge des conséquences de l’obstruction urinaire (rarement présentes lors d’hydronéphrose unilatérale) : essentiellement l’hyperkaliémie, l’acidose et l’insuffisance rénale ;

- le traitement palliatif afin de préserver le parenchyme rénal encore fonctionnel et la fonction vésicale : cathétérisme, surveillance de la diurèse, etc. ;

- le traitement causal chirurgical de l’hydronéphrose.

Cette dernière étape découle directement de la cause de l’hydronéphrose. Le rein atteint, s’il est potentiellement fonctionnel, est autant que possible préservé. Ceci implique deux conditions :

- qu’une correction chirurgicale soit réalisable ;

- que le rein soit potentiellement fonctionnel : plus l’intervention chirurgicale est réalisée précocement, plus les conséquences rénales sont faibles. En effet, lors d’obstruction urétérale complète avec un rein controlatéral normal, il a été observé que la récupération du taux de filtration glomérulaire du rein atteint est de 100 % lors d’une obstruction d’une semaine, de 70 % à deux semaines, de 30 % à quatre semaines et nulle au-delà de six semaines [5].

Dans la plupart des cas d’hydronéphrose unilatérale, l’évolution progressive exclut généralement la possibilité d’un diagnostic précoce, donc d’une intervention précoce. Dans ce cas, ou lorsqu’une chirurgie conservatrice ne peut être envisagée (néoplasie, etc.), une néphrectomie doit alors être réalisée.

L’hydronéphrose est une atteinte congénitale ou acquise du système collecteur d’un ou des reins(s). Dans les deux cas, l’accent doit être mis sur la précocité du diagnostic et du traitement afin de préserver le parenchyme rénal encore fonctionnel. Malheureusement, l’évolution insidieuse de l’hydronéphrose unilatérale proscrit dans la majorité des cas un sauvetage du rein atteint et oriente le praticien vers la néphrectomie. Le pronostic reste malgré tout favorable, même si un suivi assidu de la fonction rénale est alors fortement conseillé [11].

  • (1) Médicament à usage humain.

Remerciements aux Pr. Frédérique Ponce et Thierry Marchal.

Protocole anesthésique

Le protocole anesthésique comporte :

- une prémédication avec une association de morphine(1) (0,2 mg/kg) et de midazolam (1) (Hypnovel®, 0,4 mg/kg) ;

- une induction au propofol (Rapinovet®, 4 mg/kg) ;

- un entretien par anesthésie gazeuse (isoflurane).

Un suivi de l’électrocardiogramme, de l’oxymétrie, de la capnographie et de la pression artérielle systolique est réalisé : aucune anomalie n’est observée.

Une fluidothérapie est initiée, lors de l’intervention chirurgicale, à l’aide de lactate deRingerà un débit de 10 ml/kg/heure.

Points forts

Les hydronéphroses unilatérales évoluent fréquemment de manière progressive, à bas bruit, avec comme seuls symptômes une distension et une douleur abdominales.

La fonction urinaire est généralement conservée (biochimie rénale et analyse urinaire normales) et l’établissement du diagnostic nécessite, dans la majorité des cas, une échographie abdominale.

Le traitement consiste en une néphrectomie, après vérification de l’aspect du rein controlatéral.

Le pronostic varie selon l’origine de l’hydronéphrose. Dans tous les cas, un suivi régulier de la fonction rénale est conseillé.

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