Effets des antiparasitaires sur les insectes coprophages - Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005
Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005

MAÎTRISE DU PARASITISME CHEZ LES BOVINS ET LES ÉQUINS

Se former

EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Gaël Virlouvet

Fonctions : 25, rue Pierre et Marie Curie
35300 Fougères

Les antiparasitaires sont administrés à grande échelle chez les animaux de production. L’impact écologique de cette pratique fait l’objet d’une attention croissante.

Les médicaments antiparasitaires sont destinés au traitement préventif ou curatif des infestations parasitaires. Chez les animaux de production, ils ont acquis une place primordiale car ils permettent de limiter les pertes de production dues aux parasites.

Parmi les conséquences écotoxicologiques liées à l’usage des antiparasitaires, la toxicité aquatique élevée des pyréthrinoïdes et des endectocides est bien documentée. De même, les organochlorés ont progressivement disparu du marché en raison de leurs effets sur l’environnement.

L’impact des antiparasitaires vétérinaires sur la faune coprophage non-cible a été exploré à partir de 1976. En 1987, un article paru dans Nature a marqué le début d’une controverse relative aux effets toxiques potentiels des avermectines en général et de l’ivermectine en particulier, sur les coléoptères coprophages qui a duré plus d’une décennie. Depuis quelques années, différentes études se sont intéressées aux effets des pyréthrinoïdes sur les coléoptères coprophages.

Cet article vise à présenter les connaissances actuelles sur la toxicité potentielle des antiparasitaires vétérinaires destinés au bétail et aux chevaux vis-à-vis de la faune coprophage non-cible.

Quels sont les effets écotoxicologiques potentiels ?

L’usage d’antiparasitaires potentiellement toxiques chez la faune non-cible peut avoir des conséquences écotoxicologiques à trois niveaux.

• En premier lieu, l’usage d’antiparasitaires chez le bétail et les chevaux engendre un risque toxique pour les espèces de la faune non-cible, dont la reproduction ou la nutrition sont liées à l’excrément.

La plupart des antiparasitaires administrés au bétail et aux chevaux sont en effet majoritairement éliminés par voie fécale [12]. Après l’administration du traitement, les principes actifs se retrouvent donc dans les fèces sous forme native ou métabolisée. Ces molécules ont des propriétés anthelminthiques ou insecticides, le risque toxique concerne donc a priori les nématodes et les arthropodes vivant dans l’excrément. Les études de terrain n’ont pas démontré d’impact défavorable des anthelminthiques, y compris des endectocides, pour les vers de terre [31, 43]. De nombreuses études ont en revanche établi la toxicité de certaines molécules de la famille des avermectines, des pyréthrinoïdes et des organophosphorés pour les diptères ou les coléoptères coprophages [5, 11, 25, 30, 38, 49] (voir le TABLEAU complémentaire “Durée moyenne des effets létaux chez les insectes non-cibles…” sur Planete-vet). Le recours à des traitements vétérinaires toxiques pour les coléoptères coprophages et les diptères peut provoquer la disparition locale de certaines espèces, l’accentuation corollaire de la dominance d’autres espèces et, finalement, une modification de la communauté [21, 49].

• Le deuxième niveau de conséquences concerne la productivité de l’écosystème prairial. Les coléoptères coprophages contribuent à la dégradation de la matière fécale, donc au “turn-over” de la matière organique (PHOTO 1A, 1B et 1C). Ils participent ainsi à la productivité de la prairie. Si leur activité est entravée, les bouses s’accumulent et la productivité de la pâture diminue, comme le montre l’exemple australien (voir l’ENCADRÉ “Accumulation de bouses en Australie”).

• En troisième lieu, l’emploi d’antiparasitaires vétérinaires toxiques pour la faune non-cible est susceptible d’affecter, par répercussion, des espèces autres que celles directement inféodées à l’excrément. En effet, les insectes coprophages s’inscrivent dans des chaînes alimentaires. Les coléoptères coprophages constituent par exemple, au printemps et en fin d’été, 50 % du bol alimentaire du grand rhinolophe, une espèce de chauve-souris européenne devenue rare [18]. L’impact indirect de l’usage d’avermectines sur le grand rhinolophe est une hypothèse régulièrement évoquée. Les insectes coprophages sont également consommés par de nombreuses espèces d’oiseaux [33].

Quels sont les facteurs qui déterminent la toxicité ?

La toxicité des antiparasitaires vétérinaires pour la faune coprophage non-cible dépend de la molécule considérée, de sa concentration dans la matière fécale (durée d’élimination et persistance) et de la sensibilité des espèces de la faune non-cible.

Tous les principes actifs antiparasitaires ne présentent pas la même toxicité pour les insectes de la faune non-cible. Ainsi, les benzimidazoles et le lévamisole, anthelminthiques stricts, n’ont pas d’impact toxique sur les coléoptères coprophages [2, 5, 30, 32]. Parmi les endectocides, cet impact toxique varie fortement selon la molécule considérée. Parmi les insecticides enfin, certains pyréthrinoïdes (deltaméthrine, cyperméthrine, cyhalothrine) et organophosphorés (dichlorvos, coumaphos, ruélène) ont montré une toxicité pour les coléoptères coprophages [5, 30, 45].

La toxicité d’un traitement antiparasitaire pour la faune coprophage non-cible dépend en outre de la concentration en antiparasitaire atteinte dans l’excrément, donc de la durée et de l’intensité de l’élimination fécale. Or, pour un même principe actif, la courbe d’élimination fécale de celui-ci dépend notamment de la forme pharmaceutique dans laquelle il se trouve. L’exemple de l’ivermectine illustre le lien entre la toxicité et la forme pharmaceutique. Ainsi, l’administration d’un dispositif intraruminal à libération prolongée (bolus) est suivie d’une élimination fécale longue (plus de cent vingt jours) et intense, ce qui entraîne un risque toxique élevé pour les coléoptères coprophages [17]. Les solutions injectables présentent en revanche un risque toxique moindre, car l’excrétion intense (de l’ordre de 1 mg/kg) dure seulement dix à douze jours [17, 26, 37], même si l’impact toxique de ces solutions est observé sur des bouses émises ultérieurement [13]. L’élimination fécale des solutions “pour-on” est plus aléatoire, en raison du léchage que se prodiguent les animaux [24]. Une étude rapporte une durée d’élimination intense inférieure à dix jours, mais avec une concentration maximale très élevée (17 mg/kg) [17]. Les pâtes orales pour chevaux contenant de l’ivermectine entraînent un pic d’élimination fécale précoce (un jour) et des concentrations fécales très faibles dès le troisième jour après l’administration [15]. En résumé, les pâtes orales induisent la période d’élimination intense la plus courte (inférieure à quatre jours), puis viennent les solutions injectables et “pour-on” (dix à douze jours) et enfin le “bolus” (plus de cent-vingt jours). Pour les pâtes orales et les solutions injectables et “pour-on”, cette période d’élimination intense est suivie d’une période d’élimination à faible concentration qui dure plusieurs semaines et qui est liée à la lipophilie des molécules considérées.

La toxicité des antiparasitaires dépend aussi de la sensibilité des organismes considérés, et elle peut s’exprimer sur eux à des concentrations fécales très faibles. Ainsi, les crottins émis pendant vingt et un jours après l’administration d’une pâte orale à base d’ivermectine à des chevaux sont toxiques pour les larves du diptère Neomya cornicina. Les diptères sont globalement plus sensibles que les coléoptères coprophages [11, 39]. Au sein même des coléoptères coprophages, la sensibilité à l’ivermectine diffère selon l’espèce et/ou le stade considérés, les larves et les jeunes adultes étant les plus sensibles [23, 52].

L’exemple d’une injection sous-cutanée d’ivermectine (0,2 mg/kg) à des bovins permet d’illustrer l’influence de la molécule, de sa concentration fécale et de la sensibilité de l’espèce coprophage non-cible considérée. Durant les premiers jours qui suivent l’injection, l’ivermectine atteint des concentrations élevées dans les bouses (0,16 mg/kg), ce qui provoque la mort des larves de coléoptères coprophages. La concentration diminue au cours du temps, et à partir de huit ou dix jours après l’injection (0,6 mg d’ivermectine/kg de bouse), les larves subissent encore un retard de développement [26]. Les coléoptères coprophages ne sont plus affectés par les bouses émises quinze jours après l’injection [37]. Les diptères demeurent en revanche affectés par les bouses émises plus de quatre [27, 31] voire huit à douze [13] semaines après l’injection.

Tous les endectocides ont-ils la même toxicité ?

Apparus en 1979, les endectocides comprennent, d’une part, les avermectines (ivermectine, doramectine, éprinomectine, abamectine) et, d’autre part, les milbémycines (moxidectine).

• L’ivermectine est l’avermectine la plus employée en France. Cette molécule est principalement éliminée par voie fécale. À l’abri de la lumière, sa persistance dans les excréments est longue [42].

La toxicité de cette molécule pour les insectes de la faune non-cible a fait l’objet de nombreuses études depuis une vingtaine d’années. Un article publié dans Nature en 1987 a été le premier à rapporter l’impact négatif du “bolus” à l’ivermectine sur la dégradation des bouses. Cent jours après leur dépôt, les bouses des veaux traités n’étaient pas dégradées, alors que celles du lot témoin (sans traitement) étaient largement dégradées dans le même délai. Les coléoptères coprophages étaient en outre présents en grand nombre dans les bouses du lot témoin, tandis qu’ils étaient presque absents des bouses issues du lot traité, en particulier pendant les premières semaines suivant le dépôt [48]. Depuis, l’impact de l’ivermectine sur les insectes de la faune non-cible et la dégradation des bouses a fait l’objet de multiples publications. Malgré des tentatives de remise en cause [2, 53, 54], l’impact toxique de cette molécule sur les coléoptères coprophages et les diptères a été largement confirmé [9, 10, 13, 31, 32, 39]. À forte concentration dans les matières fécales, l’ivermectine est responsable d’effets létaux sur les larves et les adultes fraîchement émergés de coléoptères coprophages et de diptères [26, 52]. À plus faible concentration, elle entraîne des effets sub-létaux qui affectent par exemple l’appareil ovariolaire des femelles ou le développement des larves des coléoptères coprophages [36, 41]. L’intensité des effets toxiques de l’ivermectine sur les insectes non-cibles dépend de sa concentration fécale, donc de la forme pharmaceutique administrée. L’impact de l’ivermectine sur la dégradation des bouses n’est en revanche pas clairement établi. Si différentes études suggèrent que l’ivermectine peut retarder la dégradation des bouses, cet effet dépend manifestement des conditions régionales et saisonnières [12].

• Les effets toxiques de la doramectine sur les coléoptères coprophages ont été étudiés plus récemment que ceux de l’ivermectine. Après une administration sous-cutanée ou “pour-on” à des bovins, la doramectine s’est avérée autant voire plus toxique que l’ivermectine pour les insectes non-cibles, en particulier les coléoptères coprophages [11, 14, 42]. Il est intéressant de noter que la doramectine, plus lipophile que l’ivermectine, est excrétée pendant plus longtemps [44].

• D’après Floate et coll., l’éprinomectine est moins toxique pour les insectes non-cibles que l’ivermectine [11]. Cependant, Wardaugh et coll. ont montré que l’administration “pour-on” chez les bovins entraînait une forte mortalité parmi les jeunes adultes de coléoptères coprophages (Ontophagus taurus) pendant une à deux semaines après le traitement, ainsi qu’une diminution de la ponte, alors qu’aucun effet n’était observé après l’administration de moxidectine [51].

• Chez les bovins, d’après Floate et coll., les effets toxiques de la moxidectine sur les insectes non-cibles sont très inférieurs à ceux de l’éprinomectine [11]. De nombreuses études ont confirmé que les larves de coléoptères coprophages et de diptères sont beaucoup moins affectées par la moxidectine que par l’ivermectine [11, 27, 40].

Les pyréthrinoïdes détruisent-ils les coprophages ?

L’impact des pyréthrinoïdes sur la faune coprophage non-cible a été moins étudié que celui des endectocides.

Même s’ils sont réputés peu toxiques pour l’homme, par rapport aux organophosphorés et organochlorés notamment, les pyréthrinoïdes demeurent des insecticides. Leur présence potentielle dans les fèces est donc susceptible d’être à l’origine d’effets toxiques chez les insectes non-cibles. Or, chez les bovins, la cyperméthrine connaît une élimination fécale intense pendant cinq à quinze jours après l’application “pour-on” [47]. La deltaméthrine est, elle aussi, majoritairement éliminée par voie fécale [46]. Compte tenu des propriétés insecticides de ces molécules et de leur stabilité, leur présence à concentration élevée dans les fèces suggère un risque toxique élevé pour les insectes coprophiles [47]. Les concentrations fécales dans les jours qui suivent le traitement sont supérieures aux concentrations létales pour les coléoptères coprophages [45], ce qui confirme le risque toxique.

• Appliquées en “pour-on” à des zébus, la fluméthrine, l’alpha-cyperméthrine, la cyhalotrine et la deltaméthrine entraînent des effets létaux significatifs sur Onthophagus gazella, un coléoptère coprophage, pendant une à trois semaines après le traitement [3, 4]. La toxicité de ces formes pharmaceutiques pour les coléoptères coprophages est estimée comme étant supérieure à celle de l’ivermectine en “pour-on” [4]. La cyperméthrine en “pour-on” augmente la mortalité des coléoptères coprophages adultes pendant une semaine environ après l’application [19]. La deltaméthrine administrée en “pour-on” chez les bovins est à l’origine d’effets toxiques pour les coléoptères coprophages jusqu’à vingt et un jours après l’application pour les larves (allongement de la période de développement) et quatorze jours pour les adultes (augmentation de la mortalité, diminution de la fertilité) après l’application [49]. En revanche, la fluméthrine est moins toxique que la cyperméthrine et la deltaméthrine vis-à-vis du diptère Neomya cornicina et des coléoptères coprophages [19, 20, 38, 45].

• Parmi les formes pharmaceutiques autres que les solutions “pour-on”, les boucles auriculaires contenant de la cyperméthrine retiennent l’attention. La seule publication disponible conclut à une toxicité faible des boucles auriculaires à la cyperméthrine par rapport à d’autres insecticides (ivermectine, cyperméthrine “pour-on”) [4]. Cette toxicité est cependant croissante pendant les vingt-deux jours de l’expérience. Or, avec des boucles auriculaires, la cyperméthrine diffuse lentement sur l’ensemble de la peau de l’animal. L’évolution de la concentration fécale en cyperméthrine chez des animaux munis de boucles auriculaires mériterait par conséquent d’être explorée plus avant, au minimum pendant toute la durée d’action annoncée de ces boucles (quatre mois).

• En aspersion, la cyperméthrine et la deltaméthrine sont fortement toxiques pour les coléoptères coprophages au cours des deux semaines qui suivent l’administration [4].

Quelles conditions d’usage augmentent la toxicité ?

L’impact toxique des antiparasitaires pour la faune coprophage non-cible dépend de leur date d’administration, de la fréquence des applications, du nombre d’animaux traités, du régime alimentaire de ces animaux et du contexte climatique régional.

• L’impact du traitement sur les coléoptères coprophages dépend en premier lieu de sa date d’administration par rapport à leur cycle de vie. En effet, l’activité des coléoptères coprophages varie en fonction des saisons et de la région considérée. En montagne par exemple, elle est maximale en juin [35]. Lors de la mise à l’herbe du bétail, les populations de coléoptères coprophages sont faibles et les individus ayant survécu à l’hiver se précipitent vers les excréments disponibles. L’impact de l’administration d’un antiparasitaire à cette période est donc majoré. L’impact sur la première génération de coléoptères coprophages se répercute en outre sur les générations suivantes. Une administration du traitement concomitante à la mise à l’herbe peut ainsi compromettre l’évolution ultérieure de la population de coléoptères coprophages.

• En deuxième lieu, la répétition des traitements antiparasitaires accroît le risque toxique [19]. La modélisation a montré que des applications “pour-on”de deltaméthrine répétées tous les vingt et un jours pouvaient conduire à l’extinction locale des coléoptères coprophages [49]. Par ailleurs, l’administration, simultanée ou alternée, de traitements antiparasitaires différents conduit à une addition, voire à une potentialisation des effets toxiques sur la faune non-cible.

• En troisième lieu, le nombre d’animaux traités et la proximité avec des animaux non traités interviennent également sur les conséquences du traitement toxique pour la population d’insectes coprophages. De nombreux auteurs estiment que l’impact toxique est minoré si les coléoptères coprophages d’une zone donnée ont accès à des bouses qui ne contiennent pas d’antiparasitaires toxiques [22, 34, 53].

• En quatrième lieu, il a été montré que le régime alimentaire de bovins traités à l’ivermectine interfère avec la concentration d’ivermectine retrouvées dans les bouses, donc avec la toxicité des excréments. Les bovins nourris de manière intensive (40 % de foin et 60 % de graines de lupin) présentent une concentration d’ivermectine dans leurs fèces cinq fois plus élevée que celle de bovins élevés au pâturage, avec un complément de foin à volonté. Ces différences s’expliquent notamment par le volume de matière fécale émis, beaucoup plus élevé pour les animaux nourris au foin et à l’herbe [8].

• Les conditions climatiques influent aussi sur l’impact écotoxicologique des antiparasitaires administrés au bétail. L’impact d’une injection d’ivermectine au bétail sur la structure des populations de coléoptères coprophages est ainsi significatif en saison sèche, mais pas en saison humide [21, 22]. Ce constat concorde avec une des lois générales de l’écotoxicologie, qui postule qu’un organisme est plus sensible à un polluant lorsqu’il est déjà soumis à certains facteurs de stress environnementaux [21].

En conclusion, l’emploi d’antiparasitaires sous un climat sec, montagnard ou méditerranéen, où les conditions sont plus difficiles, a donc des conséquences a priori plus importantes sur la faune entomologique non-cible. Les conséquences sur la dégradation des bouses sont d’autant plus marquées que les coléoptères coprophages sont les acteurs majeurs de la dégradation des bouses dans le climat méditerranéen, rôle joué davantage par les lombrics dans un climat plus froid ou plus humide [28].

Quelles méthodes limitent les effets toxiques ?

Certaines collectivités ont instauré des mesures de gestion du parasitisme du bétail visant à protéger les coléoptères coprophages. Elles se sont appuyées sur les suggestions émises par les scientifiques qui ont publié sur le sujet.

Au plan local, deux parcs naturels régionaux ont instauré des chartes qui visent à interdire le recours à l’ivermectine sur les pâtures, notamment dans les prés communaux, dont ils ont la gestion. Quelques conseils généraux ont également choisi de limiter l’administration de l’ivermectine aux animaux mis en pâture sur les espaces naturels sensibles du département. Les solutions de substitution à l’ivermectine mises en œuvre sont le recours à des molécules moins toxiques (benzimidazoles, lévamisole, moxidectine) et, en mesure d’accompagnement, la mise en pâture simultanée de plusieurs espèces. Il semble en revanche que l’emploi des pyréthrinoïdes ou de la doramectine n’ait pas fait l’objet de mise en garde particulière.

Au plan national, en raison de son impact écotoxicologique sur la faune non-cible, l’autorisation de mise sur le marché du “bolus” à l’ivermectine a été retirée en 2003.

Afin de limiter le risque toxique, certains auteurs conseillent de garder les animaux sur des surfaces restreintes pendant la période d’élimination fécale intense qui dure au maximum un mois après l’injection ou l’application “pour-on” des traitements antiparasitaires [25]. Afin de permettre aux coléoptères coprophages d’une zone donnée d’avoir un accès à des bouses exemptes de résidus toxiques, il est également suggéré de ne pas traiter en même temps tous les animaux du troupeau [1].

L’administration des traitements lors de la mise à l’herbe des bovins, pendant la période d’activité intense des coléoptères coprophages, est déconseillée [29].

La répétition trop fréquente des traitements est contre-indiquée, en particulier dans les zones fragiles que sont les estives de montagnes et les pâturages sous un climat méditerranéen ou sec, dans lesquels les coléoptères coprophages jouent un rôle primordial dans la dégradation des excréments et sont plus sensibles aux facteurs toxiques.

La coexistence ou l’alternance de traitements toxiques pour la faune non-cible (avermectines, deltaméthrine, cyperméthrine) doit être considérée avec soin. En effet, les effets toxiques des différents antiparasitaires vétérinaires seraient alors additifs, voire synergiques.

Enfin, la gestion raisonnée du parasitisme (rotation de pâtures, alternance d’animaux d’âges différents, dates d’administration raisonnées [7]) permet de limiter les risques pour la faune non-cible [16].

Le vétérinaire praticien peut lui aussi s’inscrire dans cette démarche et informer l’éleveur des conséquences écotoxicologiques potentielles du traitement prescrit. Le praticien peut alors inciter l’éleveur à choisir des dates de traitement en dehors des périodes critiques du cycle de vie des coléoptères coprophages et à limiter les fréquences d’administration.

Le vétérinaire peut également agir en tant que prescripteur, en favorisant les molécules et les formes pharmaceutiques les moins toxiques.

Comme conseiller d’élevage, il peut orienter son client vers des techniques d’élevage permettant une gestion intégrée du parasitisme et un usage raisonné des antiparasitaires.

Accumulation de bouses en Australie

Chaque jour, un bovin adulte produit environ 20 kg de bouses. Non dégradée, la matière fécale occupe rapidement une surface considérable. En Australie, les coléoptères coprophages autochtones, adaptés aux excréments des marsupiaux, se sont révélés incapables de dégrader ceux du bétail introduit.

Au début des années 1960, l’accumulation des bouses sur les pâtures entraînait, d’une part, la pullulation des mouches qui attaquaient le bétail et d’autre part, une perte annuelle estimée à environ un million d’hectares. Pour remédier à la situation, le CommonwealthScientific Industrial and Research Organisation (CSIRO) a dû importer et acclimater à grand frais (plusieurs millions de dollars australiens), entre 1970 et 1985, cinquante-cinq espèces de coléoptères coprophagesoriginaires d’Afrique australe et du pourtour méditerranéen, adaptées aux excréments du bétail [6].

Remerciements à Jean-Christophe Faucon.

Points forts

Quelles que soient l’espèce traitée et la forme pharmaceutique (solution parentérale, solution “pour-on”, pâte orale), la moxidectine est beaucoup moins toxique pour les insectes non-cibles que l’ivermectine, elle-même moins toxique que la doramectine.

Les formulations “pour-on” et injectables de cyperméthrine, de deltaméthrine, d’ivermectine, de doramectine et d’éprinomectine sont toxiques pour les coléoptères coprophages pendant une à deux semaines après leur administration.

Parmi les pyréthrinoïdes, la cyperméthrine et la deltaméthrine sont plus toxiques pour les diptères et les coléoptères coprophages que la fluméthrine.

De manière générale, les diptères (en particulier les cyclorrhaphes) sont sensibles à de plus faibles concentrations d’antiparasitaires que les coléoptères coprophages.

L’impact du traitement antiparasitaire sur les insectes de la faune non-cible dépend notamment de la date d’administration par rapport à leur cycle de vie.

Congrès

7 - Chauvin A, Quillet JM. Bases pour une gestion raisonnée des strongyloses digestives par HACCP dans les élevages allaitants vendéens. Journée Bovine Nantaise. École Nationale Vétérinaire de Nantes. 11 octobre 2001.

29 - Lumaret JP. Impact des produits vétérinaires sur les insectes coprophages : conséquences sur la dégradation des excréments dans les pâturages. Convention on the Conservation of European Wildlife and Natural Habitats.

Conservation, management and restoration habitats for Invertebrates : enhancing biological diversity. Colloquium, Killarney, Ireland, 27-28 May 1996.

  • 1 - Barbut B. Impact environnemental des endectocides sur la pédofaune. Thèse Méd. Vet., Toulouse. 2002;029.
  • 11 - Floate KD, Colwell DD, Fox AS. Reductions of non-pest insects in dung of cattle treated with endectocides : a comparison of four products. Bull. Ent. Res. 2002;92:471-481.
  • 12 - Floate KD, Wardaugh KG, Boxall ABA et coll. Fecal residues of veterinary parasiticides : nontarget effects in the pasture environment. Annu. Rev. Entomol. 2005;50:153-179.
  • 15 - Gokbulut C, Nolan AM, McKellar QA. Plasma pharmacokinetics and faecal excretion of ivermectin, doramectin and moxidectin following oral administration in horses. Equine vet. J. 2001;33(5):494-498.
  • 25 - Lumaret JP, Errouissi F. Use of anthelmintics in herbivores and evaluation of risks for the non-target fauna of pastures. Vet. Res. 2002;33:547-562.
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