Conduite à tenir face à une plaie palpébrale - Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005
Le Point Vétérinaire n° 255 du 01/05/2005

OPHTALMOLOGIE CANINE ET FÉLINE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Nicolas Deveaux*, Christelle Decosne-Junot**

Fonctions :
*Département des animaux
de compagnie ENVL
413, av. Bourgelat
**Siamu de l’ENVL, 1 av. Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

La plupart des plaies palpébrales nécessitent un traitement chirurgical. Le pronostic est généralement bon si le traitement est précoce et si certaines règles sont respectées lors de la reconstruction.

Les plaies palpébrales surviennent quasi exclusivement à la suite de traumatismes qui affectent une ou plusieurs paupières (voir l’ENCADRÉ “Rappels anatomiques” et la FIGURE “Représentation schématique de la structure d’une paupière supérieure normale”), et dont l’origine peut être :

- un conflit entre animaux ;

- une blessure mécanique (coup de ciseau ou de tondeuse lors d’une tonte, contact avec une plante piquante ou avec un objet coupant) ;

- un corps étranger qui est entré en contact avec l’œil (plomb de chasse, etc.).

Première étape : examen clinique

Les traumatismes palpébraux sont fréquemment à l’origine de plaies de forme angulaire et de saignements initialement abondants [8].

Les plaies observées peuvent toutefois être de nature variée (étendue et profondeur de la plaie, lésions associées, etc.), ce qui impose la réalisation d’un examen clinique général et d’un examen oculaire complet.

1. Examen clinique général

Les traumatismes palpébraux survenant essentiellement à l’occasion de conflits entre animaux, un examen clinique complet est réalisé avant l’examen de la région oculaire. Il convient en effet de stabiliser l’état de santé de l’animal et de vérifier que ses fonctions vitales ne sont pas altérées, avant d’effectuer la réparation des plaies palpébrales [7].

2. Examen oculaire

Après un traumatisme palpébral, l’animal manifeste dans la plupart des cas un blépharospasme, en raison d’une douleur intense, associé à un œdème palpébral marqué et à un épiphora [a]. Des saignements peuvent persister durant plusieurs minutes, puisque les paupières présentent une vascularisation riche et diffuse.

L’examen oculaire peut être réalisé sans préparation. Toutefois, lors de blépharospasme marqué, une anesthésie locale peut être envisagée afin d’examiner l’ensemble des structures oculaires : une ou deux gouttes par œil d’oxybuprocaïne(1) ou de tétracaïne sont alors instillées une à deux minutes avant l’examen [9]. Le risque hémorragique peut être modérément augmenté en cas d’anesthésie locale, mais la durée du saignement reste en général limitée.

Examen palpébral

L’examen palpébral est parfois perturbé par un œdème et par une déformation palpébrale.

Il a pour but d’évaluer le type d’atteinte, sa profondeur, son étendue et les possibilités de traitement [4].

L’examen palpébral peut être divisé en deux parties [6].

• L’examen palpébral statique permet d’apprécier :

- l’aspect des téguments, la position et le volume des paupières, l’orientation des cils ;

- une éventuelle atteinte de la conjonctive palpébrale et des glandes tarsales, grâce à un mouvement d’éversion des paupières ;

- la profondeur de la plaie palpébrale : y a-t-il une ou deux lamelles atteintes ? Le limbe est-il concerné par la plaie ? Les culs-de-sac conjonctivaux sont-ils touchés ?

- l’étendue de la plaie : y a-t-il une perte de substance ? Si oui, est-elle étendue ou localisée ? etc.

• L’examen palpébral dynamique a pour but de détecter :

- un défaut de fermeture des paupières (lié à la paralysie du muscle orbiculaire ou à une perte majeure de substance), une dissymétrie entre les fentes palpébrales ;

- une ptôse des paupières, consécutive à une parésie ou à un traumatisme affectant le muscle releveur de la paupière (paupière supérieure) ou le muscle malaire (paupière inférieure) [6].

L’examen palpébral est complété par l’évaluation du réflexe palpébral qui permet de tester la sensibilité cutanée et la motricité du muscle orbiculaire.

Examen des canalicules lacrymaux

Toute plaie ou lacération palpébrale est susceptible de créer des dommages aux canalicules lacrymaux inférieurs et supérieurs. Si ces dommages ne sont pas corrigés, le drainage ne s’effectue plus correctement et l’animal est alors susceptible de présenter un épiphora chronique.

En règle générale, les canalicules inférieurs sont les plus touchés lors de bagarres et leur réparation doit être la plus précoce possible. L’évaluation de l’intégrité des canalicules lacrymaux consiste en un cathétérisme naso-lacrymal. Si l’animal est présenté tardivement après le traumatisme palpébral ou si le cathétérisme n’est pas possible, il est possible de réaliser un nouveau drainage en direction des cavités nasales grâce à une méthode de conjonctivo-rhinostomie [7].

Recherche d’éventuelles lésions associées

Un examen soigné de la cornée, de la sclère, de la chambre antérieure, du globe oculaire et de l’orbite permet de rechercher des lésions apparues de façon concomitante au traumatisme palpébral.

Deuxième étape : examens complémentaires

Rarement réalisés en première intention, ils sont mis en œuvre dans quelques cas particuliers.

• Les radiographies du crâne sont utiles lors de suspicion de fracture de l’orbite, ou si la présence d’un corps étranger (plomb de chasse, etc.) ne peut être exclue par les commémoratifs et l’examen clinique.

• L’échographie oculaire constitue un examen de choix pour vérifier l’intégrité des structures oculaires (cornée, chambre antérieure, sclère, cristallin, orbite). Elle permet en outre de visualiser un éventuel corps étranger à l’origine de la plaie [2].

Les sondes le plus souvent utilisées vont de 7,5 à 10 MHz.

Deux modes d’échographie oculaire peuvent être distingués :

- l’échographie en mode A (mode linéaire qui permet de réaliser des mesures oculaires). Un collyre anesthésique est instillé au préalable, puis la sonde est positionnée sur la cornée ;

- l’échographie en mode B (obtention d’une image bidimensionnelle). Du gel échographique est appliqué sur la paupière supérieure, puis la sonde est mise au contact de celle-ci [5].

Troisième étape : traitement médical

Quels que soient le type de plaie et la durée écoulée entre le traumatisme et la consultation, il convient, dès l’admission de l’animal :

- de mettre en place par voie systémique une antibiothérapie à large spectre qui présente une bonne diffusion cutanée (par exemple, amoxicilline + acide clavulanique, 12,5 mg/kg, deux fois par jour, ou gentamicine, 4 à 8 mg/kg/j) ;

- d’appliquer un anesthésique local sur le globe oculaire, voire de réaliser une anesthésie loco-régionale (voir la FIGURE “Technique d’anesthésie péri-oculaire et palpébrale par injection loco-régionale”) ou générale si la douleur provoque chez l’animal un prurit en région oculaire [2] ;

- de nettoyer soigneusement la plaie avec du sérum physiologique salé et d’appliquer un collyre antibiotique [8] ;

- de mettre en place dès que possible une protection de la plaie à l’aide d’un collier carcan.

Quatrième étape : traitement chirurgical

Un traitement chirurgical est nécessaire dans de nombreux cas de traumatismes palpébraux.

1. Facteurs de décision préalables

La décision de mise en œuvre du traitement chirurgical et les modalités de celui-ci sont dictées par plusieurs facteurs [7].

Temps écoulé depuis le traumatisme palpébral

Si le temps écoulé depuis le traumatisme est inférieur à quatre heures, il convient d’intervenir dès que possible. S’il est de quatre à vingt-quatre heures, le praticien apprécie la sévérité de la plaie (plaie anfractueuse, déchirée), le degré de contamination bactérienne et les autres lésions qui affectent éventuellement l’animal. Une fois ces paramètres pris en compte, la plaie est traitée immédiatement ou de façon différée.

Si le traumatisme date de plus de vingt-quatre heures, le traitement chirurgical de la plaie est différé ; lorsque les contaminations septiques sont maîtrisées (antibiothérapie, soins locaux), la plaie est alors traitée comme une lésion de moins de quatre heures.

Implication du limbe et des voies lacrymales

L’implication du limbe ou des voies lacrymales nécessite un traitement chirurgical le plus précoce possible.

L’étendue de la lésion

Plus la lésion est étendue, plus le traitement chirurgical s’avère indispensable (le recours à une plastie cutanée est parfois nécessaire).

2. Règles à respecter

Lors de la prise en charge chirurgicale d’une plaie palpébrale, un ensemble de règles sont à respecter afin d’optimiser la qualité du traitement :

- si la plaie est profonde, une suture de chaque lamelle est réalisée (suture conjonctivo-tarsale et suture cutanée) ;

- les sutures ne doivent pas frotter contre la cornée ;

- il convient de veiller au parfait alignement du bord libre (limbe) ;

- les voies lacrymales (points et canalicules) doivent être préservées ;

- le maximum de tissu sain est conservé [6].

3. Préparation de l’animal

L’anesthésie générale est obligatoire et un entretien anesthésique grâce à un agent volatil (type isoflurane ou halothane) est fortement conseillé.

Une pommade ophtalmologique protectrice (type Ocrygel®) ou antibiotique est appliquée sur le globe oculaire avant la coupe des poils. Ceux situés dans la zone péri-oculaire sont coupés au ciseau plutôt qu’à la tondeuse, afin de limiter le prurit postopératoire.

L’asepsie cutanée et oculaire est réalisée grâce à l’application de Vétédine® solution, diluée au moins à 50 % [7].

L’animal est ensuite placé en décubitus sternal ou latéral selon la localisation de la plaie ; un coussin est mis en place sous la mandibule afin de relever la tête.

4. Traitement chirurgical

Plaie courte, sans ou avec peu de perte de substance

Lors de plaie courte, la réparation est faite en un seul plan et la suture est effectuée dans toute l’épaisseur de la paupière.

Au préalable, les bords de la plaie sont modérément parés et débridés, de façon à obtenir une plaie en forme de V. La suture est réalisée avec une aiguille courbe, sertie et triangulaire et un fil irrésorbable de faible décimale (5/0 ou 6/0) [4].

Si le bord libre n’est pas impliqué dans la plaie palpébrale, celle-ci est traitée comme une lacération cutanée simple, en suturant avec des points simples ou un surjet. La tension exercée sur le limbe doit être modérée.

Le limbe est toutefois fréquemment impliqué dans ce type de plaie. L’affrontement des tissus doit donc être parfait en surface, mais aussi en profondeur (pour cette raison, l’aiguille est implantée jusqu’à la conjonctive palpébrale). Le fil ne doit en aucun cas reposer sur le limbe, sous peine d’observer un mauvais affrontement des deux bords libres palpébraux. À terme, un fil placé sur le limbe peut conduire à l’apparition d’un entropion ou d’un ectropion, à des frottements sur la cornée ou à une mauvaise répartition du film lacrymal sur celle-ci.

La technique du point en lacet de bottine permet un affrontement parfait sans que le fil de suture ne repose sur le limbe [6] (voir la FIGURE “Mise en place du point en lacet de bottine” et les PHOTOS 1 ET 2).

Plaie longue et irrégulière

Lors de plaie longue et irrégulière, la suture palpébrale doit être réalisée en deux plans, que la perte de substance soit modérée ou notable [2]. Les plaies de la lamelle postérieure sont en effet plus graves que celles de la lamelle antérieure en raison des complications possibles (entropion, ectropion), ce qui impose une bonne qualité de cicatrisation. Des points tarso-conjonctivaux sont donc mis en place avec enfouissement des nœuds. La préparation de l’intervention est identique à celle décrite pour les plaies courtes (voir la FIGURE “Traitement chirurgical d’une plaie palpébrale longue et irrégulière”).

Cas des plaies longues avec perte de substance importante

Une plaie longue avec une perte de substance importante nécessite la plupart du temps des plasties cutanées et des résections de conjonctive, afin de conserver la fonctionnalité et l’esthétique des paupières.

Pour les plaies palpébrales, ce genre d’acte chirurgical peut être réalisé d’emblée (comme lors de tumeur palpébrale) ou de façon différée (quatre à six semaines plus tard afin d’obtenir une rétraction des bords de la plaie au moment de l’intervention).

Des techniques qui utilisent des lambeaux cutanés d’avancement sont ainsi décrites pour traiter les plaies qui affectent une partie de l’épaisseur palpébrale et celles qui intéressent la totalité de cette épaisseur [7].

L’intérêt de ces techniques de plasties palpébrales est surtout esthétique et leur mise en œuvre est optionnelle. Elles nécessitent en outre des compétences et des connaissances accrues en chirurgie oculaire.

Soins postopératoires

Les soins postopératoires consistent en :

- l’administration d’un antibiotique en collyre ou en pommade (de type chloramphénicol, tobramycine, gentamicine), trois ou quatre fois par jour, pendant dix jours [8] ;

- la mise en place de mesures d’hygiène [7] : port d’une collerette pendant au moins dix jours, humidification de l’œil grâce à des larmes artificielles (trois ou quatre fois par jour), protection des structures oculaires vis-à-vis de l’environnement (poussière, corps étrangers divers, luminosité, etc.).

Un contrôle est réalisé sept à huit jours après l’intervention afin de vérifier qu’aucune complication n’apparaît. Les points sont retirés dix à quatorze jours après l’intervention en cas de traitement chirurgical immédiat, et deux à trois semaines plus tard, si le traitement a été différé [7].

Complications

Les complications sont les conséquences d’un mauvais affrontement des bords palpébraux, et comportent l’ apparition de malpositions palpébrales (entropions, ectropions), une mauvaise répartition du film lacrymal sur la cornée, un épiphora chronique. Des déhiscences de plaies et des complications septiques sont également possibles.

Certaines complications (telles que la mauvaise répartition du film lacrymal) peuvent être détectables dès le contrôle, mais la plupart sont susceptibles d’apparaître plus tard.

Lors de malpositions palpébrales, le praticien peut avoir recours à des techniques d’excisions de lambeaux cutanés ou à des plasties.

La mauvaise répartition du film lacrymal est corrigée par des applications fréquentes de larmes artificielles (cinq ou six fois par jour). Lors d’épiphora chronique, il convient d’en déterminer la cause exacte (irritation cornéenne, défaut d’écoulement des larmes lié à une malposition palpébrale, obstruction ou rupture des canalicules lacrymaux) et d’envisager un traitement médical ou chirurgical adapté à la situation rencontrée.

Le pronostic est généralement bon pour les plaies palpébrales, à condition que celles-ci soient traitées précocement (dans les vingt-quatre premières heures), avant qu’un bourgeonnement anarchique ne se mette en place. Si la prise en charge est tardive ou incorrecte, le pronostic visuel à long terme peut être mis en cause.

  • (1) Médicament à usage humain.

Rappels anatomiques

Chez les chiens et chez les chats, la paupière supérieure est plus grande que la paupière inférieure. D’un point de vue anatomique, la paupière inférieure et la paupière supérieure présentent une organisation structurelle presque identique. Chaque paupière peut être subdivisée en une lamelle antérieure et une lamelle postérieure.

La lamelle antérieure, aussi appelée lamelle musculo-cutanée, comprend la peau et le muscle orbiculaire.

Dans l'espèce canine, lapeau comporte des poils, ainsi que des cils situés uniquement près du bord libre de la paupière supérieure. Deux types de glandes existent à la base des cils : les glandes de Zeiss (glandes sébacées) et les glandes de Moll (glandes sudoripares).

Chez le chat, la lamelle antérieure est également composée de la peau et du muscle orbiculaire, mais la peau est généralement glabre (absence de poils et de cils) et des glandes de Zeiss et de Moll sont observées près du bord libre des deux paupières [6]

Le muscle orbiculaire, fixé à l’orbite par le ligament palpébral médial et innervé par le nerf facial, assure la fermeture des paupières et la répartition uniforme du film lacrymal à la surface de la cornée.

La lamelle postérieure, ou lamelle tarso-conjonctivale, est composée des tarses (inférieur et supérieur) et de la conjonctive palpébrale.

Les tarses, insérés sur le pourtour de l’orbite, ont une composition fibreuse et constituent véritablement la charpente des paupières inférieure et supérieure. Ils contiennent aussi les glandes tarsales (ou glandes de Meibomius), qui sont localisées perpendiculairement au bord libre des paupières et forment ainsi la ligne grise [2]. Cette ligne se situe près du limbe (ou bord libre) des paupières. Le limbe constitue donc une véritable frontière entre le tissu cutané palpébral et la conjonctive palpébrale ; son intégrité doit être préservée sous peine de voir apparaître des frottements de la peau contre la cornée, des malpositions palpébrales (entropions, ectropions) et une mauvaise répartition du film lacrymal [6].

La conjonctive palpébrale a pour fonction d’unir les paupières au bulbe de l’œil (en regard de la face bulbaire des paupières) et présente une grande laxité.

Les paupières sont situées près de l’appareil lacrymal, qui comprend la glande lacrymale (responsable de la production de la majeure partie du film lacrymal), les points et les canalicules lacrymaux, ainsi que le conduit lacrymo-nasal.

  • 2 - Clerc B. Ophtalmologie vétérinaire. 2e Ed. Editions du Point Vét. Maisons-Alfort. 1997:664 pages.
  • 4 - Gelatt KN. Essentials of veterinary ophthalmology. Lippincott Williams and Wilkins, Philadelphia. 2000:595pages.
  • 6 - Schmidt-Morand D. Affections des paupières. Prat. Med. Chir. Anim. Comp. 2001 ; Numéro spécial “Ophtalmologie du chien”: 39-64.
  • 7 - Slatter D. Fundamentals of veterinary ophthalmology, 3rd Ed. WB Saunders Company. Philadelphia. 2001:640 pages.
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