Polyuro-polydipsie associée à un lymphome malin - Le Point Vétérinaire n° 254 du 01/04/2005
Le Point Vétérinaire n° 254 du 01/04/2005

CANCÉROLOGIE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Stéphane Malgaillan*, Frédérique Ponce**

Fonctions :
*Département des animaux
de compagnie
Unité de médicine interne
ENV Lyon
69280 Marcy-L'Étoile
**Département des animaux
de compagnie
Unité de médicine interne
ENV Lyon
69280 Marcy-L'Étoile

Le lymphome malin canin s’exprime classiquement par une polyadénomégalie superficielle. La polyuro-polydipsie peut toutefois constituer l’unique symptôme d’appel.

Une chienne welsh terrier âgée de six ans, stérilisée et pesant 9,5 kilos, est présentée chez son vétérinaire traitant pour une polyuro-polydipsie (PUPD) observée depuis trois semaines.

Cas clinique

1. Anamnèse et examen clinique

La chienne boit un litre d’eau par jour (soit 105 ml/kg/j) et urine dans la maison.

L’examen clinique ne révèle aucune anomalie.

Différents examens complémentaires sont réalisés afin d’explorer cette PUPD (voir la FIGURE “Démarche diagnostique devant une polyuro-polydipsie”).

2. Analyse d’urine

Une analyse est réalisée sur l’urine recueillie par cystocentèse :

- la densité urinaire de 1,009 révèle une polyurie ;

- la bandelette urinaire est normale : il n’y a pas de glycosurie ;

- la réaction de Heller est négative : il n’y a pas de protéinurie ;

- le culot urinaire révèle une absence d’éléments caractéristiques.

3. Analyse sanguine

• D’après la numération-formule réalisée, l’hémoglobine s’élève à 20,4 g/dl (valeurs usuelles : 12 à 18 g/dl), l’hématocrite à 59 % (valeurs usuelles : 37 à 54 %) et les leucocytes à 8 560/mm3 (valeurs usuelles : 6 000 à 17 000/mm3), avec 81 % de polynucléaires neutrophiles, 11 % de lymphocytes et 8 % de monocytes.

Aucune anomalie n’est observée à la lecture du frottis sanguin.

Les bilans biochimiques hépatique et rénal sont normaux. Les protéines totales sont dans la limite supérieure des valeurs usuelles (72 g/l ; valeurs usuelles : 50 à 72 g/l).

L’ionogramme montre une natrémie, une chlorémie et une kaliémie normales, mais révèle une hypophosphatémie (1,8 mg/dl ; valeurs usuelles : 2,5 à 5 mg/dl) et une hypercalcémie (calcémie corrigée : 13,9 mg/dl ; valeurs usuelles <12 mg/dl) (voir la FIGURE “Démarche diagnostique devant une hypercalcémie”).

4. Hypothèses diagnostiques

Les hypothèses diagnostiques qui permettent d’expliquer l’hypercalcémie et la PUPD consécutive sont :

- un syndrome paranéoplasique. En l’absence de polyadénomégalie superficielle, il convient de rechercher en premier lieu une adénomégalie profonde, une hypertrophie de la rate ou une masse médiastinale ;

- une hyperparathyroïdie primaire.

De nouveaux examens sont entrepris afin de confirmer ou d’infirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses.

5. Autres examens complémentaires

L’examen radiographique thoracique met en évidence des nodules médiastinaux et une hypertrophie du nœud lymphatique sternal (PHOTO 1).

L’échographie abdominale révèle une splénomégalie modérée, avec une hétérogénéité du parenchyme qui présente de petites zones hypo-échogènes (PHOTO 2) et une adénomégalie marquée des nœuds lymphatiques hépatiques (certains mesurent plus de 3 cm) (PHOTO 3).

L’examen échographique du médiastin crânial montre également une augmentation de la taille des nœuds lymphatiques sternal et médiastinaux crâniaux (PHOTO 4).

Une cytoponction échoguidée des nœuds lymphatiques précités et de la rate est réalisée.

La parathormone est dosée : le résultat de 4,8 pg/ml (valeurs usuelles : 20 à 80 pg/ml) est compatible avec un syndrome paranéoplasique. Pour ce dosage, il est nécessaire d’acheminer immédiatement le prélèvement congelé et d’utiliser des milieux de transport spéciaux.

Un myélogramme pour un bilan d’extension est proposé, mais il est refusé par les propriétaires.

La polyadénomégalie thoracique et abdominale, ainsi que la splénomégalie, observées lors des examens radiographiques et échographiques, sont compatibles avec une infiltration tumorale diffuse par un lymphome malin.

L’examen cytologique des prélèvements réalisés par cytoponction et les immunomarquages sont diagnostiques d’un lymphome malin de haut grade, d’aspect pléomorphe mixte, de phénotype T (PHOTOS 5a et 5b).

Le bilan de l’examen clinique et des examens complémentaires permet de préciser le stade clinique du lymphome malin : l’adénomégalie et l’infiltration de la rate correspondent à un stade IV (voir le TABLEAU “Stades cliniques du lymphome malin canin”).

6. Traitement

Une chimiothérapie est entreprise selon le protocole de Cotter modifié, utilisé par les écoles nationales vétérinaires de Lyon et d’Alfort (voir le TABLEAU “Protocole de Cotter modifié”).

L’animal est hospitalisé pour surveiller l’apparition éventuelle d’un syndrome de lyse tumorale aiguë suite à l’injection de L-asparaginase(1). Une corticothérapie est mise en place.

7. Évolution

Une semaine plus tard, l’examen clinique général est bon. Les propriétaires de l’animal rapportent une diminution de la quantité d’eau absorbée.

La radiographie thoracique révèle une légère adénomégalie sternale.

L’échographie abdominale révèle une diminution notable des nœuds lymphatiques gastriques et hépatiques, ce qui traduit une rémission clinique.

L’analyse hématologique de contrôle ne montre aucune anomalie.

La chimiothérapie est poursuivie : vincristine(1), cyclophosphamide(1) et prednisone, selon les doses du protocole de Cotter.

Discussion

1. Épidémiologie

Le lymphome malin est la troisième tumeur par ordre de fréquence chez le chien, après les tumeurs mammaires et cutanées. Il représente 83 % de toutes les hémopathies malignes chez cette espèce [7] et affecte préférentiellement les chiens d’âge moyen à âgés (six à douze ans) [1].

Aucune prédisposition de sexe ne semble exister, sauf dans le cas particulier des lymphomes gastro-intestinaux canins pour lesquels l’incidence est significativement supérieure chez les mâles [2].

Il existe en revanche une prédisposition nette de certaines races : boxer, berger allemand, beauceron, scottish-terrier, basset hound, airedale-terrier, bull-dog anglais, rottweiller et cocker spaniel, notamment [1, 9].

2. Symptômes

Chez le chien, 80 à 85 % des cas de lymphome malin sont caractérisés par une hypertrophie des organes lymphoïdes, avec en particulier une polyadénomégalie superficielle : l’appellation “lymphome multicentrique” est alors employée.

Toutefois, chez la chienne présentée ici, aucun ganglion superficiel n’est hypertrophié : des formes atypiques existent et l’observation d’un certain nombre de signes doit conduire à suspecter un lymphome malin [1, 9] :

- l’association de signes généraux graves, tels qu’un amaigrissement, avec un abattement intense et une hyperthermie ;

- un ensemble de signes fonctionnels tels qu’une dysphagie, des régurgitations, des vomissements, une diarrhée, une dyspnée, une discordance, une toux, etc. Ces signes sont fonction de la localisation du processus tumoral, de la compression et des éventuels déplacements d’organes qu’il peut induire ;

- la présence d’une PUPD consécutive à une hypercalcémie, comme chez cette chienne, éventuellement accompagnée d’un abattement et d’une anorexie.

L’hypercalcémie, retrouvée dans 20 % des cas de lymphome malin multicentrique [13] et dans 40 % des cas de lymphome médiastinal [11], est d’origine paranéoplasique. Elle résulte de la sécrétion par la tumeur d’un peptide analogue à la parathormone (PTH, produite normalement par les glandes parathyroïdes), la PTHrP (parathormon related peptid) et de son action sur les reins et les os [8, 16].

Même si le dosage de la PTH n’est pas une priorité pour le diagnostic d’une hypercalcémie secondaire à un processus tumoral, il est intéressant de montrer la bonne corrélation entre une valeur basse de la PTH endogène et le syndrome paranéoplasique constaté. En effet, la PTHrP provoque une augmentation de la calcémie qui induit un rétrocontrôle négatif sur les glandes parathyroïdes ; la sécrétion de PTH endogène diminue donc fortement.

La phosphorémie est normale, voire légèrement diminuée en début d’évolution du processus tumoral, en raison de l’élimination rénale du phosphore. En revanche, si l’animal est présenté à la consultation alors que l’hypercalcémie est installée depuis longtemps, une hyperphosphatémie est mise en évidence : elle résulte alors de complications rénales de néphrocalcinose.

Chez le chien, il convient donc de rechercher en priorité un processus tumoral à l’origine de cette hypercalcémie.

3. Diagnostic

L’hypercalcémie paranéoplasique est observée dans les cas de lymphome malin et principalement de lymphome de phénotype T chez le chien [13]. Elle est également souvent retrouvée lors d’adénocarcinomes apocrines des sacs anaux, de myélome multiple et, éventuellement, lors d’adénocarcinomes mammaires.

Cette modification biochimique permet parfois de diagnostiquer précocement un processus tumoral. Elle peut en effet précéder l’émergence clinique de l’affection tumorale [16].

Le diagnostic de certitude du lymphome malin est apporté par les examens cytologique et/ou histologique qui permettent de déterminer le type morphologique et le grade (voir le TABLEAU “Classification de Kiel actualisée, adaptée aux lymphomes canins”) [9].

Le bilan d’extension complète alors la démarche diagnostique et permet d’affiner le pronostic. La radiographie du thorax, l’échographie abdominale et le myélogramme sont les trois examens complémentaires de choix. Dans le cas décrit, l’imagerie médicale a permis de localiser l’affection tumorale à l’origine de l’hypercalcémie paranéoplasique.

4. Traitement

La polychimiothérapie est le traitement de choix et permet une rémission dans 80 à 90 % des cas [1]. Le recours à la chirurgie et/ou à la radiothérapie peut éventuellement être utile pour les formes localisées.

Le traitement utilisé, initialement mis au point par Susan Cotter, présente l’avantage d’être à la fois simple d’emploi et efficace [9]. Il est divisé en deux grandes parties : la phase d’induction d’une durée de quatre semaines, pendant laquelle la rémission clinique doit être constatée, et la phase d’entretien.

Dans le cas clinique présenté, une dose unique de 400 UI/kg de L-asparaginase(1) (Kidrolase®) est ajoutée au protocole classique la première semaine de la phase d’induction (voir l’ENCADRÉ “Effets secondaires éventuels du protocole de Cotter”). Cette enzyme, particulièrement intéressante dans le traitement des lymphomes malins, intervient en hydrolysant l’asparagine extracellulaire nécessaire aux synthèses protéiques des cellules tumorales qui meurent alors par apoptose [9].

5. Pronostic

Le pronostic des lymphomes malins dépend de différents facteurs. Un stade clinique avancé, l’existence de syndromes paranéoplasiques (notamment l’hypercalcémie) ou d’insuffisances organiques graves sont autant de facteurs péjoratifs qui peuvent compromettre l’efficacité du traitement.

En règle générale, la réponse au traitement est complète. Elle procure une rémission d’environ douze mois [13]. Le grade histologique intervient également : un lymphome malin de haut grade a une évolution spontanée plus rapide qu’un lymphome malin de bas grade mais sa réponse à la chimiothérapie est bien meilleure.

Le pronostic dépend également du sous-type morphologique.

La motivation des propriétaires et l’expérience en chimiothérapie du praticien (connaissances des principes actifs utilisés et suivi au long cours) sont autant d’éléments qui peuvent modifier le pronostic vital de l’animal [9].

Globalement, pour tous types de lymphome malin, l’espérance de vie des chiens non traités est d’environ quatre à huit semaines, alors qu’elle s’élève à douze à seize mois sous traitement ; 20 % des chiens traités sont encore en vie deux ans après le diagnostic [1].

L’exploration d’un syndrome polyuro-polydypsique peut conduire à la mise en évidence d’une hypercalcémie et, secondairement, à un diagnostic de lymphome malin. Ce cas expose la nécessité d’une démarche diagnostique rigoureuse chez un chien présenté à la consultation pour une PUPD et l’importance du diagnostic différentiel de l’hypercalcémie, qui a permis de diagnostiquer un lymphome malin avant qu’il n’entraîne d’autres signes cliniques. Il permet également de souligner que ces lymphomes malins de présentation atypique, c’est-à-dire sans adénomégalie superficielle, sont de plus en plus fréquents.

  • (1) Médicament à usage humain.

Remerciements aux services d’Imagerie médicale et de cytohématologie de l’ENV Lyon pour le prêt d’images.

Points forts

Parmi les affections responsables d’hypercalcémie chez le chien, l’origine paranéoplasique est la plus fréquente. Une hypercalcémie peut notamment être présente lors de lymphome malin, de myélome et d’adénocarcinome des glandes apocrines du sac anal.

L’absence d’hypertrophie ganglionnaire superficielle chez un chien qui présente une hypercalcémie ne permet pas d’exclure l’hypothèse de lymphome malin.

Lors de lymphome malin, une chimiothérapie selon le protocole de Cotter conduit à une rémission clinique dans la majorité des cas mais nécessite un suivi rigoureux, notamment hématologique.

La normalisation de la calcémie est obtenue dès la rémission du lymphome malin sous chimiothérapie.

Effets secondaires éventuels du protocole de Cotter

Des modifications de la numération-formule sanguine peuvent survenir. Le cyclophosphamide(1) est myélotoxique et son effet se répercute essentiellement sur la lignée blanche [10]. Cependant, une atteinte de la lignée rouge et des plaquettes peut aussi survenir. Un nadir neutrophilique, susceptible de provoquer un choc septique, intervient généralement entre le cinquième et le dixième jour de traitement [9]. Il est donc indispensable de contrôler le statut hématologique de l’animal à l’aide d’une numération-formule sanguine toutes les semaines pendant l’induction et toutes les trois semaines lors de la phase d’entretien [6].

Un syndrome de lyse tumorale aiguë est parfois observé lors de lymphomes de haut grade qui répondent bien à la chimiothérapie. Il est lié à la libération massive de métabolites toxiques dans le sang lors de la lyse massive des cellules tumorales, ce qui peut conduire à un état de choc.

Des troubles digestifs(nausées, vomissements et anorexie) sont très souvent observés suite à l’administration d’un traitement chimiothérapique [9].

La survenue d’une cystite hémorragique est liée à la prise du cyclophosphamide(1).

! Une alopécie et une hyperpigmentation progressives peuvent apparaître suite à l’administration de vincristine(1) et de cyclophosphamide(1). Elles restent toutefois exceptionnelles.

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