Des champignons pour lutter contre les insectes et les acariens - La Semaine Vétérinaire n° 254 du 01/04/2005
La Semaine Vétérinaire n° 254 du 01/04/2005

LUTTE CONTRE LES ARTHROPODES PARASITES

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Mireille Lekimme*, Bernard Mignon**, Bertrand Losson***

Fonctions :
*Département des maladies
infectieuses et parasitaires
Faculté de médecine
vétérinaire, boulevard de
Colonster, 20. B-43
Université de Liège, 4000
Liège, Belgique
**Département des maladies
infectieuses et parasitaires
Faculté de médecine
vétérinaire, boulevard de
Colonster, 20. B-43
Université de Liège, 4000
Liège, Belgique
***Département des maladies
infectieuses et parasitaires
Faculté de médecine
vétérinaire, boulevard de
Colonster, 20. B-43
Université de Liège, 4000
Liège, Belgique

“Mangeurs d’helminthes”, les champignons s’avèrent aussi capables de lutter contre les mouches, les tiques et les gales du bétail.

Parmi les solutions alternatives aux agents chimiques de lutte contre les arthropodes parasites de l’homme et des animaux, des champignons microscopiques sont prometteurs(1). Qualifiés d’“entomophages”,ils “mangent” non seulement les insectes mais aussi les acariens (le terme d’“acarophages” n’est pas officiellement reconnu). Ils n’engendrent pas de résidus dans la viande et/ou dans le lait. Plus ou moins sélectifs de l’agent pathogène visé, ils sont d’une production relativement aisée.

Sylviculture et agriculture

Les principales applications des champignons entomophages concernent les arthropodes nuisibles en sylviculture et en agriculture. Les arthropodes parasites des hommes et des animaux font de plus en plus l’objet de recherches, avec des essais in vitro mais aussi in vivo. Certains arthropodes parasites ont un cycle de vie qui se déroule entièrement ou en partie sur l’hôte (poux, puces, agents de gales et de myiases). Dans ce cas, la population est regroupée et les conditions environnementales sont stables (température, humidité). D’autres ne font qu’un bref séjour sur l’hôte pour s’y nourrir ou pour y pondre (tiques, moustiques, punaises, mouches, etc.). Une connaissance approfondie de leur biologie est alors nécessaire (lieu de ponte, milieu de développement des larves, etc.) afin de définir les zones d’épandage de l’agent biologique.

Tiques, mouches et psoroptes

En médecine vétérinaire, les tiques constituent le groupe de parasites le plus étudié dans le cadre de la lutte biologique. Différentes stratégies ont été mises en œuvre pour contrôler ces acariens nuisibles, comme l’utilisation de bactéries (Cedecea lapagei ou Bacillus thuringiensis), de nématodes (Steinernematidae et Heterorhabditidae), de parasitoïdes (Ixodiphagus sp.), d’oiseaux (Buphagus africanus) et de champignons [18].

Parmi les champignons, Beauveria sp. et Metarhizium sp. ont été utilisés avec succès [2, 9, 13, 14, 17, 25] : 75 à 100 % de mortalité sont généralement obtenus chez les femelles engorgées traitées avec des concentrations supérieures ou égales à 107 spores/ml, ainsi qu’une diminution de leur fécondité et de l’éclosabilité des œufs.

D’autres équipes ont étudié la pathogénicité de champignons vis-à-vis de la mouche domestique (Musca domestica), nuisible dans les unités intensives d’élevage [1]. M. anisopliae et T. cylindrosporum sont les plus virulents et présentent une efficacité élevée à des concentrations aussi faibles que 105 conidies/ml.

Plus récemment, les psoroptes des ovins, bovins et lapins [3, 20] (PHOTOS 1 et 2) sont devenus des cibles des champignons, de même que Dermanyssus gallinae, le faux pou rouge de la volaille [15].

Mélange et formulation

Les champignons entomophages peuvent agir par simple contact en envahissant leur hôte par pénétration directe à travers la cuticule, plus souvent que par ingestion ou par inhalation [12] (voir l’ENCADRÉ “Étapesdela pénétration fongique”). Tous les stades de l’arthropode sont sensibles, de l’œuf à l’adulte.

Pour être utilisable, le champignon entomophage doit avoir un degré de virulence élevé pour l’arthropode visé. Le matériel infestant doit pouvoir être produit en masse (spores). Il convient également de mettre au point une formulation qui facilite son application pratique sur le terrain.

La virulence des champignons entomopathogènes est liée aux conditions environnementales (humidité surtout [10], chaleur, rayonnement solaire, vent).

Le processus d’envahissement de la cible est assez lent. Des stratégies ont été développées pour augmenter l’efficacité et la vitesse d’action du produit, notamment en associant l’utilisation de champignons et l’application de doses sublétales de différents insecticides ou acaricides chimiques [7, 19].

Une autre approche consiste à manipuler génétiquement une souche fongique pour augmenter sa virulence. Par exemple, les recherches visent actuellement à augmenter la production par M. anisopliae de la protéase Pr1, impliquée dans la solubilisation de la cuticule de l’hôte lors de la pénétration [21].

Des huiles végétales à pulvériser, à base de suspensions de conidies de champignons, ont fait l’objet d’études in vitro. De telles suspensionssont commercialisées, ainsi que des granulés d’argile (Ostrinil® à base de champignon Beauveria bassiana). Aucun bio-insecticide fongique n’est toutefois disponible sur le marché pour le traitement des maladies causées par des arthropodes chez l’homme ou chez les animaux.

Spécificité

Les deux premières espèces utilisées dans le cadre d’une lutte biologique contre les arthropodes nuisibles ont été Beauveria bassiana et Metarhizium anisopliae. Depuis lors, de nombreuses espèces ont été identifiées et différents essais ont été réalisés afin d’évaluer et d’exploiter leur pouvoir pathogène contre les arthropodes nuisibles [10, 12].

Plus de sept cents espèces de champignons s’avèrent entomopathogènes [22] et jouent un rôle important dans la régulation naturelle des populations d’insectes [8, 24]. Les plus utilisés appartiennent à la classe des Zygomycètes et à celle des Deutéromycètes (Fungi imperfecti). Certains d’entre eux ont un spectre d’hôtes limité [11] ou sont spécialisés dans l’infestation d’un stade particulier [4]. D’autres peuvent infester de nombreuses variétés d’insectes. C’est le cas des genres Beauveria et Metarhizium pour lesquels respectivement cinq cents et deux cents espèces d’hôtes ont été répertoriées [16, 23].

La question du manque de spécificité de ces champignons a été soulevée, par exemple pour leur épandage sur des cultures. Les facteurs de survie et de pathogénicité de ces derniers sont limitants et ils ne peuvent donc survivre longtemps dans le milieu extérieur. En médecine vétérinaire, l’administration des médicaments à base de champignon serait davantage locale (directement sur l’hôte), ce qui limiterait la dispersion non contrôlée de celui-ci. Limiter le traitement à l’intérieur des bâtiments est aussi envisagé pour le traitement de la gale psoroptique bovine.

Les études sur les champignons entomopathogènes sont donc encore au stade expérimental. Des recherches supplémentaires sont requises afin d’optimiser le rapport efficacité/coût dans le cadre d’une utilisation à large échelle des agents biologiques en santé animale. Une priorité doit désormais être donnée aux techniques de production en masse, de conservation et de formulation.

  • (1) Hoste H, Chartier C. Réduire la contamination parasitaire chez les bovins. Point Vét. 2002;231(33):44-46.

Étapes de la pénétration fongique

Adhérence, germination et pénétration. L’adhérence des spores à la cuticule peut se fairede manière passive (M. anisopliae et B. bassiana [5]) ou spécifique (Lagenidium giganteum sur les larves de moustique [a]). Les conidies germent et se différencient ou non pour former un appressorium, l’organe de fixation qui produit des enzymes de dégradation qui permettent à l’hyphe de pénétrer à travers la cuticule et d’atteindre l’hæmocœle de l’insecte (voir la FIGURE “Structure de la cuticule des insectes et mécanisme de pénétration des champignons entomophages”).

Croissance fongique et envahissement. Le champignon prolifère le plus souvent sous forme de blastospores [12], exposées aux défenses immunitaires de l’arthropode, pas toujours efficaces. La croissance peut alors être importante, avec une pénétration des tissus et un bouleversement de la physiologie de l’hôte, ou, à l’inverse, limitée et accompagnée de la production de cytotoxines ou de toxines neuromusculaires [6].

Propagation. Après la mort de son hôte, le champignon s’y développeet, lorsque les conditions climatiques sont favorables, le mycélium sort de la cuticule et produit des spores qui peuvent infecter d’autres insectes réceptifs.

Site Internet

a - Kerwin JL. Lagenidium giganteum as biocontrol agent. In: Weeden, Shelton, Li, Hoffmann (eds). Cornell University [en ligne] Adresse URL :

http://www.nyases.cornell.edu/ent/biocontrol/pathogens/lagenidium_giganteum.html.

Remerciements :

Ce travail a été rédigé dans le cadre de recherches subventionnées par le ministère de la Santé publique, Administration Recherche et Développement (convention S-6085), Bruxelles, Belgique.

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