BIOCHIMIE CHEZ LA VACHE LAITIÈRE
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NOUVEAUTÉS
Auteur(s) : Stephen LeBlanc
Fonctions : Médecine des populations
Ontario Veterinary College
Université de Guelph,
Ontario, Canada N1G 2W1
Reflets du déficit énergétique, le β-hydroxybutyrate et les acides gras non estérifiés confirment leur bonne valeur prédictive pour le déplacement à gauche
Le déplacement de caillette est une affection fréquente d'incidence économique majeure chez les bovins laitiers. Outre le coût du traitement, les vaches affectées produisent moins de lait à court terme et leur taux de réforme est accru.
Il existe de nombreux facteurs de risque connus de déplacement de caillette à gauche (DCG) [1, 2, 4] mais il reste des lacunes à combler dans la compréhension de sa pathogénie.
L'association entre la concentration en divers métabolites et le risque ultérieur de DCG a fait l'objet de nombreuses études, résumées par Geishauser et coll. [3]. Par exemple, une cétose subclinique et une élévation des taux d'aspartate aminotransférase (ASAT) dans les deux premières semaines post-partum ont été reliées à un risque accru de DCG. Il existe en outre des preuves expérimentales qu'une grave hypocalcémie est associée à une diminution de la motilité abomasale. Il n'est toutefois pas évident d'étendre cette observation à une hypocalcémie clinique (fièvre de lait avérée) ou subclinique. Plusieurs auteurs suggèrent également qu'un défaut de remplissage du rumen et une atonie abomasale interviennent dans la pathogénie du DGC, mais peu de preuves directes confortent ces hypothèses.
Une étude a été réalisée dans la province d'Ontario (Canada) pour identifier des métabolites associés à un risque accru de DGC et pour préciser leurs valeurs discriminantes(1), afin d'améliorer le suivi pratique des vaches en peripartum. Les vaches de cette étude sont toutes de race holstein. Elles appartiennent à vingt élevages laitiers qui comptent trente à cent trente vaches en lactation. La production moyenne de ces troupeaux est d'environ 9 000 kg de lait par vache, sur 305 jours. Des techniciens se rendent chaque semaine dans chacun des élevages sélectionnés pour l'étude, le même jour, approximativement à la même heure, c'est-à-dire dans les deux heures qui suivent la distribution d'aliment du matin. Lors de ces visites hebdomadaires, des échantillons de sang sont prélevés sur les vaches à partir de quatre à dix jours avant la date prévue de leur vêlage et jusqu'à sept jours post-partum. Les concentrations sériques de divers métabolites sont mesurées :
- β-hydroxybutyrate (BHBA) ;
- acides gras non estérifiés (AGNE) ;
- cholestérol ;
- glucose ;
- urée ;
- calcium ;
- phosphore.
Un échantillon de lait est collecté entre un et sept jours post-partum (jpp) pour mesurer le taux de β-hydroxybutyrate, à l'aide d'une bandelette validée pour cet usage (Keto-Test®). Divers événements sont enregistrés (jumeaux, dystocie, rétention placentaire, fièvre de lait, métrite systémique). Les DCG sont diagnostiqués par un vétérinaire et généralement confirmés lors de l'intervention chirurgicale pratiquée.
Les facteurs de risque déterminants de DCG avant 30 j pp sont analysés à l'aide d'une analyse de régression multivariée, en tenant compte des corrélations entre vaches à l'intérieur de chaque élevage. Les échantillons sont regroupés en trois groupes, selon qu'ils ont été prélevés dans l'une des trois périodes suivantes :
- une semaine (quatre à dix jours) avant la date prévue de vêlage : n = 1 132 ;
- la semaine précédant la date de vêlage effectif : n = 1 044 ;
- et un à sept jours post-partum : n = 1 063.
Pour chacune de ces périodes, un seul prélèvement par vache est inclus. Il a été suggéré d'exclure les échantillons prélevés dans les deux jours qui précèdent le vêlage car la concentration sérique en acides gras non estérifiés (AGNE) commence alors à s'élever physiologiquement. L'effet de l'exclusion de ces échantillons « tardifs » a donc été étudié.
Les prélèvements après diagnostic de DCG ont été exclus et les événements de santé survenus avant DCG ont été inclus dans l'analyse.
Pour les paramètres métaboliques finalement retenus, diverses valeurs discriminantes ont été testées, en calculant la sensibilité, la spécificité et les rapports de vraisemblance (RV ou“likelihood ratio”) pour chacune (voir le TABLEAU “Métabolites intéressants pour prédire la survenue d'un déplacement de caillette à gauche”).
Cinquante-trois cas de DCG ont été observés (d'incidence de 5,1 %) avec un temps moyen de diagnostic de 11 j pp. Chez les vaches qui présentent un DCG, la concentration moyenne en AGNE commence à s'écarter de celle observée chez les vaches non affectées quatorze jours avant vêlage. En revanche, la concentration moyenne sérique en BHBA n'évolue pas avant le jour du vêlage (voir la FIGURE “Concentrations sériques en β-hydroxybutyrate » et la FIGURE complémentaire « Concentrations sériques en acides gras non estérifiés” sur Planète-vet).
En étudiant avant le vêlage tous les métabolites, la parité et le score d'état corporel, seule la concentration en AGNE est associée à un risque conséquent de DCG. Entre zéro et six jours avant vêlage, les vaches qui présent en tune concentration en AGNE ≥ 0,5 mEq/l ont un risque 3,6 fois plus élevé de présenter un DCG après vêlage. En vue d'une future application de ces observations, sur des échantillons prélevés quatre à dix jours avant la date prévue de vêlage, la valeur optimale au-delà de laquelle le taux d'AGNE correspond à une situation à risque (valeur discriminante) est de 0,5 mEq/l. La sensibilité associée à ce critère est alors de 46 %, la spécificité de 82 % et le RV de 2,6. Lorsque les échantillons prélevés dans les deux jours avant vêlage sont exclus, la valeur discriminante ne change pas et le RV s'élève à 3,3. Exclure ces prélèvements “tardifs” de l'analyse n'est donc pas utile.
Entre un et sept jours post-partum, la rétention placentaire, la métrite et l'augmentation des concentrations sériques en BHBA et AGNE sont associées à un risque accru de DCG ultérieur.
Toutefois, en les considérant séparément pendant le post-partum, la mesure du BHBA sérique est plus sensible et plus spécifique que celle des AGNE. Le risque de DCG est huit fois plus élevé chez les vaches avec un BHBA sérique ≥ 1 200 mmol/l (RV = 3,5). Les vaches avec une concentration en BHBA dans le lait 200 mmol/l ont un risque 3,4 fois plus grand de présenter par la suite un DCG. La concentration sérique en calcium et la survenue d'une fièvre vitulaire ne présentent pas d'association statistique avec la survenue d'un DCG (voir la FIGURE complémentaire “Concentrations decalcium sérique ” sur Planète-vet).
Les AGNE et le BHBA sont deux paramètres de mesures indirectes de l'ampleur du déficit énergétique et de la capacité d'adaptation de la vache à ce phénomène.
Le score d'état corporel n'est pas associé à un risque de DCG. Les taux d'AGNE et de BHBA donnent un meilleur reflet des anomalies métaboliques impliquées dans la survenue de DCG. Ces résultats confirment une précédente étude à large échelle datant de 1998 [1] qui montrait que l'étendue du déficit énergétique, reflétée par la concentration en AGNE, est un élément clé dans l'étiologie du DCG. Une large part de la variabilité des concentrations en AGNE etBHBAest probablement à relier à des différences d'ingestion, largement influencées par la conduite d'élevage. Les programmes de surveillance des vaches autour de la mise bas visent, soit à une surveillance de l'adéquation de la conduite d'élevage à l'échelle du groupe, soit à détecter précocement les vaches qui présentent des anomalies métaboliques au sein d'un cheptel afin de les corriger. Les résultats de cette étude ont été analysés et doivent être interprétés à l'échelle individuelle.
La difficulté majeure à résoudre pour améliorer les tests de détection métabolique du DCG pre-partum tient à l'impossibilité de déterminer précisément la date de vêlage. Toutefois, selon les résultats décrits, lorsque l'échantillon est prélevé environ une semaine avant la date prévue de vêlage, il ne semble pas nécessaire d'attendre toutes les mises bas puisque le critère AGNE a une bonne valeur prédictive, sans exclusion des vaches qui ont vêlé dans les deux jours qui suivent la mesure.
En outre, peu d'éléments existent sur la conduite à tenir devant une élévation des concentrations en AGNE ou BHBA. L'administration de propylène glycol pourrait être bénéfique. De plus amples recherches sont nécessaires sur les traitements susceptibles de réduire le risque de DCG.
La réponse à une balance énergétique négative est un élément clé dans la pathogénie du DCG. Le moment et l'ampleur de l'augmentation peripartum des taux d'AGNE et de BHBA circulants sont associés au risque deDCG. Les programmes de suivi général de la conduite d'élevage en peri-partum et du risque de DCG en particulier doivent être centrés sur l'évaluation des concentrations en AGNE dans la semaine qui précède la date prévue de vêlage, et en BHBA dans la semaine qui suit le vêlage.
(1) Valeur discriminante : valeur au-delà de laquelle le risque est avéré. Elle est souvent supérieure à la valeur normale supérieure.
D'après : Le Blanc SJ, Les lie KE, Duffield TF. Metabolic predictors of displaced abomasum in dairy cattle. J. Dairy Sci. 2005;88:159-170.
- Alogninouwa T. Déplacements et dilatations/volvulus. Point vét 2004;35(numéro spécial “Actualités en pathologie digestive des bovins”):40-45.