Douleur et distension abdominale : chirurgie ou non ? - Le Point Vétérinaire n° 253 du 01/03/2005
Le Point Vétérinaire n° 253 du 01/03/2005

COLIQUES ET DÉFORMATIONS DU FLANC CHEZ LE BOVIN ADULTE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Sébastien Buczinski*, Anne-Marie Bélanger**, David Francoz***

Fonctions :
*Dép. des sciences cliniques
Faculté de médecine vétérinaire,
Saint-Hyacinthe QC,
J2S 7C6, Canada
**Dép. des sciences cliniques
Faculté de médecine vétérinaire,
Saint-Hyacinthe QC,
J2S 7C6, Canada
***Dép. des sciences cliniques
Faculté de médecine vétérinaire,
Saint-Hyacinthe QC,
J2S 7C6, Canada

Lors de douleur et/ou de déformation du flanc, la démarche clinique classique permet parfois un diagnostic. Plus souvent, le recours au diagnostic thérapeutique ou à la laparotomie est nécessaire.

L’abdomen aigu et les coliques, définis comme des signes de douleur abdominale (palpation abdominale douloureuse, abdomen tendu, piétinement, prostration, etc.), ainsi que la distension abdominale, sont fréquemment rencontrés par le praticien en médecine bovine. Ils ne sont pas spécifiques d’une atteinte digestive (voir la FIGURE “Affections entraînant des coliques dont le traitement est chirurgical ou médical”) [28]. La présence de tels symptômes amène à s’interroger sur le bien-fondé d’une chirurgie ou d’un simple traitement médical pour traiter efficacement l’animal. Différer le traitement chirurgical ne risque-t-il pas d’assombrir le pronostic à court et à moyen termes ?

Première étape : éléments de l’anamnèse

L’anamnèse est un élément essentiel parmi les critères de décision chirurgicale.

1. L’animal et son stade de production

La race (laitier ou allaitant), le mode d’alimentation et l’âge de l’animal peuvent être des indices intéressants pour le diagnostic différentiel. Les déplacements de caillette ou de cæcum sont par exemple souvent observés lorsque la ration contient de forts pourcentages de concentrés [15, 16].

Le stade de lactation fournit également des informations précieuses. Les premières semaines de lactation sont ainsi propices aux affections de la caillette ou du cæcum chez la vache laitière [15, 16]. Le risque de survenue d’un iléus paralytique est aussi plus élevé autour des chaleurs en raison de l’hypocalcémie transitoire péri-œstrale [2, 17]. Ce phénomène, observé chez certaines vaches, est peut-être lié à la baisse de consommation pendant cette période.

2. Durée d’évolution

La plupart des affections purement chirurgicales ont des évolutions rapides : la torsion de la racine du mésentère évolue en quelques heures seulement [12]. L’animal a généralement été vu par l’éleveur quelques heures avant sans signe clinique. Les coliques et/ou la distension abdominale apparaissent brusquement. La chute de la production laitière est soudaine.

Les intussusceptions font figure d’exception : leur durée d’évolution peut atteindre sept jours (médiane de trois jours) [10].

3. Autres signes

Certains signes mentionnés par l’éleveur peuvent orienter le diagnostic clinique vers des affections extradigestives. Par exemple, des efforts de mictions infructueux peuvent être mentionnés chez un taurillon affecté d’urolithiase. Un ténesme peut être rapporté lors d’affections utérines (torsion) [28].

Deuxième étape : examen clinique rigoureux

Dans de nombreux cas, l’examen clinique initial permet de distinguer facilement les affections qui nécessitent une intervention chirurgicale de celles qui requièrent un traitement uniquement médical.

1. Observation du flanc

En localisant la distension abdominale, un premier diagnostic différentiel peut être réalisé [23 ,25]. Une distension ventrale bilatérale est ainsi souvent retrouvée lors d’atteinte de l’intestin grêle : volvulus ou intussusception notamment (PHOTO 1). Une distension en arrière des dernières côtes est associée au déplacement de la caillette, à gauche comme à droite. Une distension du flanc gauche au niveau de la fosse paralombaire peut également caractériser tout type de météorisation du rumen.

2. Examen cardiovasculaire

Une tachycardie marquée (supérieure à 120 battements par minute), associée à une forte déshydratation augurent souvent d’une affection chirurgicale. La tachycardie résulte généralement de l’hypovolémie et de la douleur viscérale engendrée par l’ischémie de l’organe affecté et par le relargage de différents médiateurs de la douleur vers les voies nerveuses afférentes qui transmettent l’influx douloureux [18]. Lorsque la vascularisation des organes digestifs n’est pas compromise, la tachycardie n’est que modérée. Elle résulte alors de la distension modérée de l’intestin lors d’iléus paralytique, de l’inflammation lors de péritonite ou de l’hypovolémie lors de déshydratation modérée.

3. Muqueuses

Des muqueuses rouge-sombres ou violacées peuvent traduire une endotoxémie. Celle-ci est consécutive au passage d’endotoxines de la lumière digestive vers la circulation sanguine lors d’atteinte de l’intégrité de la muqueuse digestive (ischémie ou rupture) [21, 30].

4. Bruits anormaux

L’identification et la localisation précise d’un “ping” lors de l’auscultation-percussion abdominale permet le plus fréquemment de suspecter la structure en cause [25, 27]. La présence concomitante d’une succussion positive (bruit de flot ausculté pendant le ballottement de l’abdomen) permet d’identifier une interface liquide/gaz dans l’abdomen.

5. Émission de fèces

En l’absence de fèces, une obstruction digestive doit être suspectée. Néanmoins, la présence de fèces ne permet pas d’exclure l’hypothèse d’une obstruction. Des fèces situées en aval de l’obstruction peuvent en effet être émises jusque vingt-quatre heures après l’obstruction totale d’un segment digestif, selon la localisation du site obstrué [23]. Une vache qui présente une intussusception peut émettre des fèces en faible quantité, généralement avec du méléna, pendant plusieurs jours [10, 12], car la lumière du segment télescopé n’est pas totalement obstruée au début d’évolution (PHOTO 2).

Troisième étape : palpation transrectale

Une exploration transrectale permet de préciser les anomalies relevées lors de l’observation, de l’auscultation et de la palpation.

• La caillette déplacée, lorsqu’elle est suffisamment dilatée, peut être palpée à gauche comme à droite [12, 14], néanmoins cette découverte reste rare.

• La position de l’apex cæcal est un indice utile pour la prise de décision médicale ou chirurgicale lors de dilatation/déplacement du cæcum [29]. Lorsque l’apex est senti en portion caudale sans bande de tension, une simple dilatation, qui peut être traitée médicalement, est diagnostiquée [8]. Lorsque l’apex est en rétroflexion (dirigé crânialement), une approche chirurgicale doit être envisagée [29].

• Lors de mise en évidence de bandes de tension (bandes dures et douloureuses), de sensation de boudins indurés, d’axe de torsion d’organes (torsion cæcale), une laparotomie exploratrice est indiquée [29].

• Si des anses dilatées sont palpées à côté d’anses de faible diamètre, un iléus mécanique est également suspecté et une exploration chirurgicale doit être réalisée. Les rapports anatomiques peuvent être complètement modifiés lors de torsion de la racine du mésentère [12].

• La présence d’adhérences est un indice intéressant pour le diagnostic d’une péritonite dans l’abdomen caudal. Elle se manifeste par la sensation d’irrégularités rugueuses sur les séreuses des organes, une mobilité réduite du rectum et une capacité d’exploration manuelle limitée (“signe du bras”) [26].

• Chez un animal qui n’a pas subi de chirurgie récente, un pneumopéritoine (air libre dans la cavité péritonéale) évoque une rupture d’organe digestif ou une péritonite (production de gaz par des bactéries libres dans la cavité péritonéale) [26]. À la palpation, le rectum se moule autour du bras et le déplacement dans l’abdomen met en évidence une sensation de “vide”.

Quatrième étape : examens complémentaires

Pour choisir entre un traitement chirurgical ou médical, une série d’examens simples peuvent être entrepris “au chevet” de l’animal.

1. Analyses de sang

• L’hématocrite et les protéines totales plasmatiques permettent d’objectiver la déshydratation de l’animal, ainsi que la présence éventuelle d’un troisième secteur (lors de péritonite aiguë par exemple). Une chute des protéines totales et une augmentation de l’hématocrite sont alors observées. Ces paramètres sont facilement évalués en pratique avec une centrifugeuse et un réfractomètre.

• Lorsque la mesure des gaz sanguins est disponible, le pH veineux, les bicarbonates et la pression partielle en CO2 peuvent préciser les composantes respiratoires et métaboliques du déséquilibre acidobasique observé. Une acidose métabolique chez un bovin adulte qui présente une obstruction digestive est souvent de pronostic réservé [12, 30]. En effet, les obstructions digestives entraînent d’abord une alcalose métabolique (stase digestive). L’acidose ne se met en place que lorsque l’hypoperfusion est sévère et que les acides organiques générés par l’anaérobiose sont présents en grande quantité [31]. La mesure des lactates sanguins peut à ce titre présenter un intérêt pronostique, comme chez les chiens et les chats [24] ou chez l’homme : elle augmente lors d’acidose métabolique, d’ischémie par hypovolémie et de métabolisme anaérobie. Toutefois, des études validées manquent encore chez le bovin [31]. Les lactates peuvent être évalués par des appareils portatifs ou par une mesure indirecte à l’aide du “trou anionique” : (Na+ + K+) - (Cl- + HCO3-) [31]. Ce “trou anionique” augmente principalement avec la production de lactate, lors d’acétonémie ou d’insuffisance rénale aiguë (lorsque différents déchets du métabolisme ne sont plus éliminés par le rein).

Un dosage des électrolytes qui agissent sur la contractilité intestinale doit être entrepris. Par exemple, lors d’iléus paralytique, une hypocalcémie et/ou une hypokaliémie doivent être recherchées et corrigées pour espérer un retour à une motricité intestinale normale.

2. Échographie

L’échographie abdominale, à l’aide d’une sonde 3,5 MHz, constitue un examen complémentaire de choix lors d’affection digestive [3, 7]. Elle permet une évaluation de la caillette, de l’intestin grêle [5, 6], du côlon et du cæcum [4]. La position des organes, la motilité et la taille des anses intestinales sont ainsi appréciées. Lors d’iléus par exemple, des anses d’une taille supérieure à 3,5 cm sont observées (PHOTO 3) [6]. Lors d’intussusception (PHOTO 4) [5] ou d’obstruction duodénale haute [3], l’échographie peut s’avérer diagnostique alors que l’examen physique ne l’est pas toujours.

Une obstruction intestinale peut être suspectée lors de la visualisation d’une zone d’intestin grêle de taille augmentée et d’une zone où les anses sont vides [5]. Du liquide libre est parfois observé dans la cavité péritonéale (PHOTO 5).

3. Paracentèse

Une ponction abdominale peut montrer la présence d’un épanchement cavitaire [28]. Elle peut être réalisée à l’aveugle au niveau de l’abdomen caudal ou crânial [28]. Une ponction échoguidée ou après échographie augmente les chances de récolter du liquide. Celui-ci est trouble et d’odeur fétide lors de péritonite suite à une rupture digestive [13].

Les analyses à pratiquer sur le liquide d’épanchement sont choisies selon l’affection suspectée à ce stade (protéines totales, composition cellulaire, urée, créatinine, voir le TABLEAU “Caractéristiques du liquide péritonéal normal chez la vache adulte”).

La paracentèse peut aider au diagnostic mais le liquide recueilli peut être normal, malgré une affection sévère.

4. Laparoscopie

La laparoscopie, peu invasive, permet d’observer directement la cavité péritonéale et les organes digestifs. Elle est de plus en plus pratiquée en Europe (grâce à son développement, notamment en Allemagne, par des praticiens tels que Janowitz à Lubeck) et en Amérique du Nord. Toutefois, son intérêt diagnostic n’a pas encore été correctement évalué lors d’affections digestives aiguës chez les bovins. Elle pourrait avoir un rôle diagnostique important par la visualisation directe des anomalies.

5. Laparotomie exploratrice par le flanc droit sur animal debout

La laparotomie exploratrice par le flanc droit sur animal debout peut être à la fois diagnostique et thérapeutique [1]. Elle est bien supportée par les bovins.

Cinquième étape : prise de décision

1. Évaluer l’urgence

Chez certains bovins qui présentent une douleur ou une distension abdominale, l’indication chirurgicale est claire dès les premiers examens (voir le TABLEAU “Critères d’approche médicale ou chirurgicale d’une colique bovine”) :

- parce qu’il n’y a pas d’autre alternative face à une affection d’emblée diagnostiquée (nœud de torsion à la palpation transrectale, torsion de la racine du mésentère, torsion cæcale ou intestinale, voire volvulus de la caillette) ;

- et/ou parce que l’intensité de la douleur et/ou la dégradation métabolique et cardiovasculaire sont telles qu’elles nécessitent une correction rapide. Lors de torsion de racine du mésentère par exemple, les coliques sont tellement violentes et la distension abdominale majeure et rapide que l’intervention chirurgicale ne peut être différée.

Dans de nombreux cas toutefois, le diagnostic clinique ne peut être établi. En pratique courante par exemple, les obstructions intestinales ne sont parfaitement diagnostiquées que lors d’une laparotomie exploratrice, avec l’observation pathognomonique d’anses d’intestin grêle distendues en amont de la lésion et d’anses vides de diamètre faible en aval de la lésion (PHOTO 6).

2. Différer pour stabiliser

L’intervention chirurgicale est parfois décidée mais différée jusqu’à ce que le bovin soit en état de la supporter (risque de chute peropératoire, etc.). Une hypovolémie et/ou des anomalies électrolytiques suspectées ou avérées doivent ainsi être préalablement corrigées, au moins partiellement.

3. Diagnostic thérapeutique

Lorsque la décision n’est pas évidente a priori, il est possible de débuter par un traitement médical (voir la FIGURE “Démarche décisionnelle lors d’un abdomen douloureux et distendu chez un bovin adulte”).

Le traitement de base des diverses affections en cause lors de coliques ou de distension abdominale est fondé sur l’utilisation d’analgésiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens ou AINS), sur la fluidothérapie pour corriger l’hypovolémie et les déséquilibres électrolytiques, voire sur l’administration de calcium, essentiel pour la motilité intestinale.

Temporiser avec des analgésiques ne fait pas courir de risque majeur au bovin car, contrairement au cheval [19], aucun AINS ne semble suffisamment analgésique pour masquer une colique chirurgicale. Toutefois, une réévaluation clinique quatre à six heures après le premier traitement symptomatique s’impose : fréquence cardiaque, signes de coliques, distension abdominale, émission de fèces, etc.

Même s’ils facilitent parfois un tri rapide des affections abdominales aiguës, tous les examens complémentaires décrits ne sont pas encore à la disposition du praticien. L’évaluation de quelques paramètres clés (calcémie, hématocrite, protéines totales) est essentielle dans la décision thérapeutique. L’essor de nouveaux examens en médecine bovine, telle que l’échographie transabdominale, donne de nouvelles armes qui améliorent le diagnostic et le suivi de l’animal.

Réévaluer fréquemment l’état clinique est une clé de la démarche lors d’abdomen “aigu” chez un bovin. À tout moment, en cas de doute et si la valeur de l’animal le justifie, une laparotomie exploratrice du flanc droit peut être proposée. Généralement bien supportée par les bovins à condition que leur état médical soit stabilisé, elle peut se poursuivre par le traitement direct de l’affection lorsque celle-ci se révèle une indication chirurgicale.

Attention

Une vache présentant une intussusception peut émettre des fèces pendant plusieurs jours.

Une tachycardie marquée (supérieure à 120 battements par minute), associée à une forte déshydratation augurent souvent d’une affection chirurgicale.

Attention

Un état d’hypocalcémie ou hypokaliémie doit être recherché et corrigé pour espérer un retour à une motricité normale.

Attention

La paracentèse peut aider au diagnostic mais le liquide peut être normal malgré une affection sévère si l’épanchement péritonéal est localisé.

  • 5 - Braun U. Ultraschalluntersuchung des Darms. In: Braun U. Atlas und Lehrbuch der Ultraschalldiagnostik beim Rind. Parey Buchverlag ed., Berlin. 1997:91-114.
  • 8 - Braun U, Steiner A, Bearth G. Therapy and clinical progress of cattle with dilatation and torsion of the caecum. Vet. Record. 1989;125:430-433.
  • 10 - Constable PD, St-Jean G, Hull BL et coll. Intussusception in cattle: 336 cases (1964-1993). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1997;210(4):531-536.
  • 12 - Ducharme NG Surgery of the bovine digestive system. In: Fubini SL, Ducharme NG. Food Animal Surgery. WB Saunders ed. Philadelphia. 2004:161-281.
  • 14 - Fubini SL, Grohn YT, Smith DF. Right displacement of the abomasum and abomasal volvulus in dairy cows: 458 cases (1980-1987). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1991:198(3):460-464.
  • 15 - Fubini SL, Erb HN, Rehbun WC et coll. Cecal dilatation and volvulus in dairy cows: 84 cases (1977-1983). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1986;189:96-98.
  • 17 - Goff JP. Pathophysiology of calcium and phosphorus disorders. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2000;16(2):319-337.
  • 26 - Roch N, Demangel L. Les péritonites chez les bovins adultes: Pathogénie, symptômes et diagnostic. Point Vét. 2000;31(210):39-47.
  • 28 - Sattler N. Diagnostic différentiel des coliques chez les bovins. Point Vét. 2004;35(N°Spécial « Actualités en pathologie digestive des bovins »):120-123.
  • 29 - Steiner A, Eicher R. Le syndrome dilatation-déplacement du cæcum. Point Vét. 2000;31 (N°Spécial « Chirurgie des bovins et des petits ruminants »):125-129.
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