Cyclo-oxygénase 3 : des perspectives nouvelles pour d’anciennes molécules - Le Point Vétérinaire n° 252 du 01/01/2005
Le Point Vétérinaire n° 252 du 01/01/2005

THÉRAPEUTIQUE ET PHARMACOLOGIE CANINE

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Philippe Michon

Fonctions : 21, rue des Ramoneurs, 59600 Maubeuge

Outre les COX-1 et COX-2, l’existence d’une COX-3, susceptible de participer à des phénomènes pathologiques, est probable dans certaines espèces.

De nombreuses communications récentes soulignent l’intérêt de nouvelles cyclo-oxygénases (COX) en médecine humaine et vétérinaire [13, b]. Les preuves de leur existence, notamment chez le chien, permettent d’envisager de nouvelles approches dans la lutte contre la douleur, contre la fièvre et contre les affections du système nerveux central.

Un modèle COX-1/COX-2 insuffisant

La compréhension du mode d’action des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) est récente et partielle. Bien qu’utilisés depuis plus de 3 500 ans (par exemple, sous la forme de décoctions de saule blanc en Égypte antique), leur effet sur la concentration en prostaglandines n’a été décrit que vers 1970 [18]. La production de prostaglandines au niveau du site inflammatoire favorise la sensation de douleur par deux phénomènes :

– les sensibilisations des terminaisons nerveuses nociceptives ;

– l’augmentation de l’afflux sanguin [18].

Les COX ou prostaglandines-H-synthases (PGHS) ont été identifiées sous deux formes : COX-1 et COX-2. La COX-1 a été décrite comme l’enzyme constitutive et “physiologique”, et la COX-2 comme l’enzyme inductible. Les effets secondaires des AINS ont été reliés à l’existence de ces deux COX et l’industrie pharmaceutique a développé des AINS qui inhibent spécifiquement la COX-2 “pathologique” et préservent la COX-1 “physiologique”.

Bien que séduisant, ce modèle COX-1/COX-2 a rapidement révélé ses nombreuses imperfections. Ainsi, l’utilisation des AINS COX-2 sélectifs chez l’homme a montré que ceux-ci avaient également des effets physiologiques dans le tonus vasculaire, par exemple au niveau rénal, et que la COX-2 est constitutive dans cet organe [18]. L’activité COX-1/COX-2 très faible du paracétamol(1) ne permet pas non plus d’expliquer ces effets antalgiques et antipyrétiques.

L’hypothèse d’une enzyme COX-3, d’abord considérée en 2000 comme dérivée du gène COX-2, a donc été émise [2]. Afin de correspondre au mécanisme d’action du paracétamol(1), cette enzyme devait être située dans le système nerveux supraspinal [15].

Du paracétamol à la COX-3

Découvert vers 1900 et mis sur le marché dès 1953, le paracétamol(1) a des activités analgésique et antipyrétique marquées, malgré une activité anti-inflammatoire qui semble faible.

Le paracétamol(1) a une action centrale, tandis que les salicylés et les substances apparentées ont une action périphérique [3].

Chez l’homme, il réduit les métabolites urinaires des prostaglandines [2] et inhibe l’activité COX de leucocytes et de cellules microgliales stimulées par le lipopolysaccharide (LPS) dans des conditions physiologiques [17].

Il ne réduit en revanche pas la synthèse de prostaglandines par les cellules stomacales [2] et pourrait d’ailleurs avoir un rôle gastroprotecteur [6]. Il n’a qu’une faible activité in vitro sur les COX-1 et COX-2 purifiées, et cette activité est d’autant plus limitée que le milieu est oxydant et que les quantités de substrat (acide arachidonique) sont élevées [2, 8, 17, 19].

Lorsque les concentrations en acide arachidonique sont faibles, la COX-2 est l’enzyme principale impliquée dans la synthèse des prostaglandines par une voie qui produit moins de peroxydes et le paracétamol(1) pourrait alors être un inhibiteur efficace [8].

Il a une action controversée sur la production de prostaglandines par les plaquettes [2, 17].

Excepté l’absence d’effets anti-inflammatoires du paracétamol(1) dans l’arthrite rhumatoïde, les effets cliniques du paracétamol(1) sont comparables à ceux des COX-2 sélectifs [8].

Identification de la COX-3

Chez le chien, le paracétamol(1) inhibe l’activité COX de façon plus marquée dans le tissu cérébral que dans le tissu splénique. Ce fait a probablement été à l’origine de la notion des variants COX dès 1972 ([7] cité par [4]). Le laboratoire de Daniel Simmons [4] a révélé, chez le chien, l’existence de deux ARNm différents procédant de l’ADN COX-1 : l’un d’une taille d’environ 2,6 kb et l’autre d’environ 1,9 kb. Ils ont été dénommés COX-3 et partiel COX-1 (PCOX-1( et PCOX-1(). Le terme PCOX a ensuite été repris comme signifiant “Protéine COX” [15].

Les enzymes COX sont présentes dans la lumière du réticulum endoplasmique. Leur activation (par pliage de la molécule) nécessite une glycosylation. Les PCOX qui ne sont pas glycosylées ne pourraient donc pas participer à la synthèse des prostaglandines. Elles pourraient néanmoins posséder d’autres activités enzymatiques [4, 17] et augmenter le spectre des activités COX dans certaines affections [12].

Les travaux de l’équipe de Daniel Simmons suggèrent en outre l’existence de COX dérivées de la COX-2 sensibles au paracétamol(1) [14].

Les COX-3 seulement chez le chien ?

L’enzyme COX-3 n’existe peut-être que chez le chien [15].

Chez la souris, la présence de l’ARN messager de la COX-3 qui est un variant issu de l’épissage de l’ARN prémessager de la COX-1 ne signifie pas nécessairement l’existence de la protéine pour laquelle il code [15]. Comme la COX-1, la COX-3 ne semble pas être une enzyme induite par l’inflammation dans le système nerveux de la souris [16].

De même, dans le cerveau du rat, la COX-3 est exprimée dans toutes les cellules sauf dans les neurones, avec une concentration maximale dans les cellules cérébrales endothéliales. Il s’agit d’une enzyme constitutive dont la production n’augmente pas lors de stimulation par les lipopolysaccharides. Elle n’est donc pas inductible par l’inflammation [10].

Sa présence et sa signification chez l’homme demeurent sujettes à discussion [14, 15] : le gène pourrait ne révéler que l’existence d’une protéine virtuelle [15].

La distribution non homogène de la COX-3 dans l’organisme, ainsi que ses mécanismes d’action , sans doute liés à des teneurs faibles en acide arachidonique et en peroxydes, suggèrent l’existence de spécificités cellulaires [17].

Il est probable, qu’à l’instar des PCOX, elle participe à certains phénomènes pathologiques [12].

COX-3 et fièvre

Le centre de la thermorégulation est situé dans l’hypothalamus [a]. Les modes d’action des COX dans la fièvre sont apparemment contradictoires. Les prostaglandines impliquées ne seraient jamais associées à l’enzyme COX-1 [18]. Chez la souris par exemple, la suppression du gène COX-2 diminue la fièvre, mais pas la suppression du gène COX-1. Lors de l’administration de paracétamol(1) chez la souris en hyperthermie, la PGE2 chute de plus de 90 % dans le cerveau suite à un phénomène supposé COX-2 [1]. Quel peut être alors le rôle de la COX-3 qui est codée par le gène COX-1 ?

Deux mécanismes d’action ont été envisagés pour expliquer le potentiel antipyrétique des AINS :

– une inhibition de l’activité COX dans les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins hypothalamiques ;

– une inhibition de l’activité COX de synthèse des prostaglandines près des récepteurs sensoriels des nerfs vagues sub-diaphragmatiques afférents [3].

Des études de distribution de la COX-3 cérébrale font penser que sa concentration est proportionnelle à l’irrigation sanguine et qu’elle est principalement distribuée dans les capillaires cérébraux, puis dans les artères cérébrales principales. Elle est toutefois présente dans toutes les parties du cerveau, y compris l’hypothalamus [11] contrairement à ce qui était évoqué auparavant [18].

Il est probable que plus d’une COX contribue à la fièvre et que la COX-3 soit impliquée dans la synthèse continuelle de la PGE2 qui assure le maintien de la température corporelle [1].

COX-3 et douleur

Comment expliquer l’effet du paracétamol(1), qui n’est pas un anti-inflammatoire, sur la douleur périphérique due aux prostaglandines locales ? La COX-2 est constitutive au niveau du système nerveux central et sa production est rapidement augmentée et accroît la sensation de douleur. L’équipe de Daniel Simmons [14] a émis l’hypothèse de l’existence d’un isomère COX-2 qui serait particulièrement sensible au paracétamol(1) au niveau du système nerveux central.

D’anciennes molécules à redécouvrir

Certaines molécules qui ont une action sur la COX-1 agissent également sur la COX-3 [14]. Il est donc intéressant d’évaluer à la fois le potentiel et les risques de ces spécialités (voir le TABLEAU “Concentration inhibitrice 50 de quelques AINS et antipyrétiques”).

La phénacétine(1) est une molécule précurseur de la dipyrone, dont l’usage a pratiquement disparu en raison de ses effets secondaires : méthémoglobinémie, toxicité rénale et possible oncogénicité.

La dipyrone, ou métamizole, plus connue sous le nom de noramidopyrine, entre dans la composition de Calmagine®, Dipyralgine® (anciennement Novalgine®), Estocelan® et Spasfortan®. Son action inhibitrice COX-3 s’exprime à une concentration 6,6 fois inférieure à son action inhibitrice COX-1. Son métabolite, l’antipyrine, est un inhibiteur COX-3 beaucoup moins puissant.

L’ibuprofène (Algosedal®), redouté pour sa faible spécificité COX-2/COX-1, pourrait être intéressant en raison de ses effets COX-3 à des doses dix fois inférieures à celles anti-COX-1 [4].

Le paracétamol(1), les salicylés et les pyrazolés pourraient représenter une classe atypique distincte des AINS. Ces principes actifs pourraient être regroupés sous le terme d’“analgésiques et antipyrétiques sensibles au peroxyde” (peroxide sensitive analgesic and antipyretic drugs, PSAAD) [8].

Ces résultats pourraient promouvoir le développement de nouveaux médicaments ou d’associations qui ciblent à la fois les voies COX-2 et COX-3 dans le but de réduire les réactions inflammatoires du système nerveux central, la fièvre et la douleur.

Une prochaine étape pourrait consister à bloquer l’expression de certains gènes COX, pour compléter l’inhibition enzymatique. Trois cibles spécifiques existent pour inhiber la transcription génique : l’initiation, l’épissage alternatif et la stabilité de l’ARN messager [12].

Cette voie de recherche ne devrait toutefois pas déboucher sur des applications pratiques à court terme. Il est probable que l’industrie pharmaceutique cherchera en priorité à approfondir la compréhension des mécanismes d’action des anciennes molécules disponibles, afin de mettre en exergue leurs particularités.

  • (1) Médicament à usage humain.

Congrès

a – Fanuel-Barret D, Devauchelle P. Syndrome fièvre. Proceeding AFVAC. Lille. 2001:256-258.

b – Lascelles BD. Pain and cancer. Masterclass North American Veterinary Conference. Orlando. 2003.

  • 1 - Ayoub SS, Botting RM, Goorha S et coll. Acetaminophen-induced hypothermia in mice is mediated by a prostaglandin endoperoxide synthase 1 gene-derived protein. Proc. Natl. Acad. Sci. USA. 2004;101(30):11165-11169.
  • 8 - Graham GG, Scott KF. Mechanisms of action of paracetamol and related analgesics. Inflammopharmacology. 2003;11(4):401-413.
  • 10 - Kis B, Snipes JA, Isse T et coll. Putative cyclooxygenase-3 expression in rat brain cells. J. Cereb. Blood Flow Metab. 2003;23(11):1287-292.
  • 11 - Kis B, Snipes A, Bari F et coll. Regional distribution of cyclo-oxygenase-3 mRNA in the rat central nervous system. Brain Res. Mol. Brain Res. 2004 Jul 5;126(1):78-80.
  • 14 - Schwab JM, Schluesener HJ, Meyermann R et coll. COX-3 the enzyme and the concept: steps towards highly specialized pathways and precision therapeutics? Prostaglandins Leukot. Essent. Fatty Acids. 2003;69(5):339-343.
  • 16 - Shaftel SS, Olschowka JA, Hurley SD et coll. COX-3 : a splice variant of cyclooxygenase-1 in mouse neural tissue and cells. Brain Res. Mol. Brain Res. 2003;119(2):213-215.
  • 17 - Simmons DL. Variants of cyclooxygenase-1 and their roles in medicine. Thromb. Res. 2003;110(5-6):265-268.
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