Antibiothéraphie raisonnée lors de mammites aiguës - Le Point Vétérinaire n° 252 du 01/01/2005
Le Point Vétérinaire n° 252 du 01/01/2005

INFECTIONS MAMMAIRES DES VACHES LAITIERES

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Ellen Schmitt-van de Leemput*, Olivier Salat**

Fonctions :
*Clinique Vétérinaire
1, rue Pasteur
53700 Villaines-la-Juhel
**2, avenue du Liorant
15100 Saint-Flour

Pour améliorer la pertinence de la prescription lors de traitement de mammites aiguës de type colibacillaire, l’analyse bactériologique “classique” est indispensable.

Plusieurs méthodes d’analyses bactériologiques fondées sur des principes classiques de bactériologie sont disponibles et réalisables dans un cabinet vétérinaire [10, 13, a, d]. La mise en place d’un système d’analyse bactériologique du lait au cabinet vétérinaire met à la portée de tous les praticiens la possibilité d’obtenir des résultats fiables, en peu de temps.

Cet article décrit chronologiquement la mise en œuvre d’une antibiothérapie lors de mammite clinique aiguë, raisonnée d’après l’analyse bactériologique d’un prélèvement de lait.

Première étape : Prélèvement de lait et traitement “d’attaque”

Lors de la première visite, un examen clinique de la vache est effectué.

Les mammites aiguës de type colibacillaire sont caractérisées par une hyperthermie, par un abattement, par une inflammation du quartier atteint et par une modification de l’aspect du lait [1]. De nombreuses bactéries peuvent être à l’origine de ces symptômes [1]. Elles ont chacuneleurs mécanismes pathogéniques propres et devraient, de façon idéale, recevoir un traitement spécifique.

Une gamme d’anti-infectieux efficaces pour traiter les mammites est à la disposition du praticien. Ils présentent toutefois souvent un spectre antibactérien étroit (penéthamate hydriodide contre Streptococcus uberis, pirlimycine contre Streptococcus spp et Staphylococcus spp, cloxacilline longue action contre Staphylococcus sp et Streptococcus spp). Leur utilisation peut aussi être limitée dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) par les indications du résumé des caractéristiques du produit. Par exemple, les fluoroquinolones ne sont autorisées chez la vache que lors d’infection à Escherichia coli.

Dans la pratique courante, en l’absence de méthode diagnostique fiable et permettant d’obtenir des résultats immédiats, le choix d’un traitement antibiotique est fondé sur une évaluation clinique. Cette approche permet souvent d’obtenir une guérison clinique. Toutefois, dans le cas d’infections dues aux germes à Gram positif, l’expérience montre que la guérison bactériologique n’est pas la règle et que des épisodes de rechute (élévation des taux cellulaires, mammites chroniques) sont fréquemment observés après une mammite aiguë.

L’évaluation clinique d’un cas de mammite permet seulement de suspecter l’agent infectieux en cause. Ni les symptômes locaux (aspect du lait et de la mamelle : PHOTO 1), ni l’examen général (température rectale, fréquence cardiaque, fréquence des contractions ruminales, degré de déshydratation) ne permettent d’identifier la bactérie à l’origine des symptômes [8]. L’analyse bactériologique est la seule méthode fiable pour identifier l’agent causal d’une mammite. Or, pour bénéficier pleinement de l’activité des antibiotiques mammaires, il est impératif de connaître la bactérie à l’origine de la mammite.

Lorsqu’unemammite clinique aiguë est diagnostiquée, un échantillon de lait est prélevé de façon stérile (PHOTOS 2 a ET 2 b).

L’échantillon de lait doit être prélevé par le praticien ou par l’éleveur avant la mise en place de tout traitement. Immédiatement après ce prélèvement, un traitement “d’attaque” peut être mis en œuvre. Il n’est fondé que sur l’observation clinique car les résultats de la bactériologie ne sont disponibles que vingt-quatre heures après la première visite.

Ce traitement d’attaque peut être accompagné d’un traitement de soutien (fluidothérapie et anti-inflammatoire) en fonction de l’intensité des signes cliniques.

Les traitements anti-infectieux font désormais fréquemment appel aux fluoroquinolones par voie intraveineuse [16, 17, c]. En cas de mammite colibacillaire, l’administration d’antibiotiques par voie intrathélique n’est théoriquement pas nécessaire [5]. Toutefois, dans environ 50 % des cas de mammites dites “colibacillaires”, des germes Gram + sont également isolés [17]. Dans ce cas, l’effet bénéfique d’un traitement antibiotique par voie intramammaire a été clairement mis en évidence [6] (PHOTO 3).

Le traitement antibiotique d’“attaque”, à la fois systémique et intramammaire, instauré par la majorité des buiatres européens lors de mammite aiguë est par conséquent justifié… dans l’attente des résultats de l’analyse bactériologique.

Deuxième étape : Analyses bactériologiques à la clinique

Dès le retour à la clinique, l’échantillon de lait est misenculture. La mise en culture d’un échantillon de lait nécessite propreté et organisation. Elle peut être réalisée efficacement en moins de cinq minutes. Plusieurs méthodes d’identification des germes, fondées sur des connaissances simples de bactériologie (PHOTO 4) et ne faisant pas appel à des “kits” du commerce sont décrites [10, 13, a, d]. La mise en culture dans un milieu non-sélectif permet de vérifier l’absence de contamination du prélèvement. Si un germe en monoculture est obtenu, l’utilisation de milieux de cultures sélectifs du commerce (PHOTO 5) permet une identification simple et fiable des cinq principales bactéries à l’origine d’infections mammaires (Escherichia coli, Sreptococcus uberis, Streptococcus dysgalactiae, Streptococcus agalactiae et Staphylococcus aureus) [13, d].

Une analyse bactériologique réalisée à la clinique (sans avoir recours à un laboratoire de bactériologie spécialisé) permet d’obtenir un diagnostic fiable vingt-quatre heures après le premier examen de l’animal. Le traitement d’“attaque” peut alors être modifié selon le germe identifié.

Troisième étape : moduler l’antibiothérapie selon les résultats

Le traitement d’attaque peut être modifié dès le lendemain du prélèvement, en fonction du germe identifié.

• Même si le bénéfice d’un traitement antibiotique lors de mammite colibacillaire a parfois été remis en cause, plusieurs études confirment l’intérêt des fluoroquinolones injectables. Elles permettent souvent d’obtenir une guérison bactériologique en quelques jours [16, 17, c].

En revanche, les traitements intramammaires n’améliorent pas le taux de guérison [5, 11]. Lors de mammites à colibacilles, l’aspect du lait peut être modifié jusqu’à deux semaines après le début de l’infection. À l’inverse, lors de mammites à Streptococcus uberis et Staphylococcus aureus, la guérison clinique est obtenue en quelques jours alors que la guérison bactériologique n’est pas systématique. L’aspect du lait ne constitue donc pas un critère fiable pour décider de poursuivre ou non un traitement antibiotique

• Le peu de données disponibles sur le sujet suggère qu’un traitement antibiotique prolongé (plus de cinq jours) améliore le taux de guérison des infections à Streptococcus uberis et Staphylococcus aureus [14, 15]. Le traitement simultané par voie parentérale et intramammaire semble en outre plus efficace que chacune des voies d’administration prise isolément [5, 6, 11, 15].

Plusieurs antibiotiques peuvent être administrés contre les mammites à Staphylococcus aureus et Streptococcus uberis dans le cadre de l’AMM (voir le TABLEAU “Choix du traitement antibiotique selon le résultat de l’analyse bactériologique du lait”).

• En règle générale, Streptococcus uberis est sensible à la pénicilline [4, 12] qui devrait être la molécule de choix contre cette bactérie. Le traitement parentéral au pénéthamate hydriodide (StopM®) est donc théoriquement possible.

En revanche, aucune pénicilline intramammaire à action longue ne dispose d’une AMM en France. Une autre bêtalactamine, la cloxacilline, est toutefois disponible sous une forme galénique longue action qui permet d’obtenir des concentrations de principe actif efficaces dans la mamelle pendant six jours. Une élévation des concentrations minimales inhibitrices de la cloxacilline vis-à-vis de S. uberis a été décrite [4]. La majorité des publications disponibles suggère toutefois que cette bactérie reste sensible à la cloxacilline aux concentrations atteintes dans le tissu mammaire [7, 9, b].

Lors d’infection mammaire à Staphylococcus aureus, les bactéries colonisent le tissu alvéolaire et peuvent envahir le parenchyme mammaire. Le traitement de ces infections requiert donc des antibiotiques qui diffusent profondément dans le tissu mammaire, comme la pirlimycine (Pirsue®) qui dispose d’une AMM permettant un traitement de huit jours. La fréquence de résistance de S. aureus à la pirlimycine est faible (2 à 13 %) [2, 3, 7]. Les caractéristiques de diffusion de cette molécule, ainsi que la durée du traitement, sont des facteurs de succès essentiels lors du traitement des mammites à S. aureus.

La pertinence de l’association d’un traitement antibiotique injectable avec un traitement intramammaire comme la pirlimycine peut être discutée.

L’administration couplée de pirlimycine parentérale et intramammaire lors de mammites à S. aureus n’améliore pas le taux de guérison comparée à la pirlimycine intramammaire administrée seule.

Quatrième étape : établir un profil bactériologique de l’exploitation

Tout programme de prévention des mammites doit être fondé sur la connaissance du germe en cause. L’identification d’une bactérie à partir d’un seul cas de mammite ne permet toutefois pas de tirer des conclusions à l’échelle du troupeau. Plusieurs bactéries pouvant circuler au niveau d’un élevage et les germes prédominants pouvant varier au cours d’une année, il convient d’effectuer des analyses à partir de plusieurs échantillons de lait, prélevés à différents moments de l’année, lors d’épisodes cliniques et subcliniques. Le profil bactériologique de l’exploitation ainsi obtenu aide à identifier le ou les facteurs (souvent zootechniques) à l’origine de l’affection.

L’analyse bactériologique du lait est un outil essentiel pour améliorer la pertinence de la prescription antibiotique. Elle est rapide et peu coûteuse. Ses résultats permettent d’instaurer une antibiothérapie raisonnée. À l’échelle du troupeau, le sondage régulier des germes circulants offre une possibilité supplémentaire de contrôle des infections mammaires et d’identification des erreurs d’élevage sous-jacentes. La bactériologie n’est toutefois qu’un examen complémentaire à la disposition du praticien pour résoudre un épisode de mammite. L’approche raisonnée reste fondée sur l’audit d’élevage et plus particulièrement sur l’observation du déroulement de la traite.

Attention

• Dans le cas d’infections dues aux germes Gram +, l’expérience montre que la guérison bactériologique n’est pas la règle et que des épisodes de rechute sont fréquemment observés après une mammite aiguë.

• L’échantillon de lait pour bactériologie doit être prélevé par le praticien ou par l’éleveur avant la mise en place de tout traitement.

• L’aspect du lait ne constitue pas un critère fiable pour décider de poursuivre ou non un traitement antibiotique.

• L’identification d’une bactérie à partir d’un seul cas de mammite ne permet pas de tirer des conclusions à l’échelle du troupeau.

Congrès

a – Blain S. Intérêt et technique de l’identification bactérienne des germes de mammite au cabinet du vétérinaire. In : Thérapeutique, actualités, outils de prescription. Proc. SNGTV Tours 2004:811-822.

b – Parez V, Morvan H, Cosson C et coll. Comparison of the effect of bovine milk on the bacteriostatic/bactericidal concentrations of the association amoxicilline + clavulanic acid, céfoperazone, cloxacillin et spiramycin against bacterial pathogens isolated from cases of bovine mastitis. Journées Rencontre Recherche Ruminants. 1997;4:286.

c – Salat O. Traitement des mammites cliniques en lactation. Intérêt de l’antibiothérapie parentérale et des thérapeutiques associées. L’avis du praticien. In : Conduite à tenir ; de l’animal au troupeau, du troupeau à l’animal. Proc. Journées Soc. Nat. Groupements Techniques Vétérinaires, Tours. 2002:101–108.

d – Van de Leemput E, Schmitt–Beurrier A, Fréret H, et coll. Analyse bactériologique de prélèvements de lait dans le cadre d’une clientèle rurale : approche bactériologique et résultats. Proc. Journée Nantaise Bovine, Nantes. 2002:129.

  • 4 - Guérin–Faublée V, Tardy F, Bouveron C et coll. Antimicrobial susceptibility of Streptococcus species and Staphylococcus aureus intramammary infections in lactating dairy cows. Vet. Therapeutics. 2002;3:373–380.
  • 5 - Guterbock WM, Van Eenennaam AL, Anderson RJ et coll. Efficacy of intra mammary antibiotic therapy for treatment of clinical mastitis caused by environmental pathogens. J. Dairy Sci. 1993;76:3437–3444.
  • 6 - Hillerton JE, Kliem KE. Effective treatment of Streptoccus uberis clinical mastitis to minimize the use of antibiotics. J. Dairy Sci. 2002;85:1009–1014.
  • 8 - Morin DE, Constable PD, McCoy GC. Use of clinical parameters for differentiation of gram positive and gram negative mastitis in dairy cows vaccinated against lipopolysaccharide core antigens. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1998;212(9):1423–1431.
  • 9 - Morvan H, Cosson C, Parez V. Activité in vitro de cinq antibiotiques couramment utilisés, vis-à-vis de bactéries isolées en France à partir de mammites cliniques bovines. Point Vét. 1996;28:(185):85-86.
  • 10 - Poutrel B. Le diagnostic bactériologique des mammites pour et par le vétérinaire praticien : intérêt et limites. Dans : Maillard R. De la recherche à la clinique. Ed. Société Française de Buiatrie. Paris. 2003:172-181.
  • 12 - Salmon SA, Watts JL, Aarestrup FM et coll. Minimum inhibitory concentrations for selected antimicrobial agents against organisms isolated from the mammary gland of dairy heifers in New Zealand and Denmark. J. Dairy Sci. 1998;81:570–578.
  • 13 - Sears PM. Using milk culture diagnosis for mastitis treatment decisions. Dans : Maillard R. De la recherche à la clinique. Ed. Société Française de Buiatrie. Paris. 2003:162–171.
  • 14 - Sérieys F. Abord du traitement des infections à Streptococcus Uberis. Point Vét. 2003;239(34):36–37.
  • 15 - Taponen S, Jantunen A, Pyorala E et coll. Efficacy of targeted 5-day combined parenteral and intramammary treatment of clinical mastitis caused by penicillin-susceptible or penicillin-resistant Staphylococcus aureus. Acta Vet. Scan. 2003;44(1–2):53–62.
  • 17 - Vandaële E. Première quinolone injectable contre les mammites bovines. Point Vét. 2004;35(247):14-15.
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