CARDIOLOGIE BOVINE
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CONDUITE À TENIR
Auteur(s) : Sébastien Buczinski
Fonctions : Département des sciences
cliniques, Faculté de médecine
vétérinaire, 3200 rue Sicotte,
Saint-Hyacinthe, Québec, J2S 7C6, Canada
La péricardite doit être documentée (examens complémentaires) pour déterminer son origine (réticulopéritonite traumatique), formuler un pronostic adéquat et évaluer l'intérêt d'un traitement.
Les affections cardiaques des bovins adultes sont peu fréquentes. Elles comprennent deux grandes entités : la péricardite exsudative et l’endocardite bactérienne végétante. La forme cardiaque du lymphome associé à la leucose bovine doit aussi être prise en considération dans les pays où cette maladie n’est pas éradiquée. D’après les données de l’Office international des épizooties en 2003, l’Europe de l’Ouest est quasi indemne, mais les pays de l’Est comme la république Tchèque, la Pologne, etc., ne le sont pas.
La péricardite traumatique, qui fait suite à une réticulo-péritonite traumatique (RPT), est plus fréquente que les péricardites consécutives à une septicémie, à une pneumonie et à une pleurésie [2]. Le praticien confronté à un animal atteint d’une péricardite doit savoir quand tenter un traitement médico-chirurgical, en alternative à l'euthanasie, et quelles sont les chances de survie, ainsi que le coût de ce choix.
Les signes d’insuffisance cardiaque congestive peuvent se rencontrer quelle que soit l’atteinte cardiaque. Il convient donc d’établir le diagnostic de certitude de la péricardite traumatique avant de pouvoir entreprendre une démarche thérapeutique. Les autres affections cardiaques (endocardite, myopathie par carence en vitamine E/sélénium, cardiopathies congénitales, lymphome, etc.), mais aussi les affections extra-cardiaques susceptibles de provoquer un œdème périphérique, doivent préalablement être exclues du diagnostic différentiel [3].
Chez un bovin, la présence de symptômes d’insuffisance cardiaque est toujours d’un pronostic réservé à sombre (PHOTO 1) [9, 11]. Les signes d'insuffisance cardiaque chez le bovin (turgescence des jugulaires, œdème périphérique, ascite, œdème pulmonaire, etc.) indiquent souvent un stade avancé de maladie cardiaque. Le symptôme le plus précoce d’une affection cardiaque primitive est la tachycardie. Les maladies cardiaques des bovins sont rarement diagnostiquées avant que les signes d’insuffisance cardiaque ne soient présents.
Lors d'insuffisance cardiaque, le diagnostic d’une péricardite nécessite la mise en évidence de signes cliniques évocateurs (bruits de clapotis, assourdissement des bruits cardiaques bilatéraux, etc.), ainsi que des examens complémentaires variés : hématologie, péricardiocen-tèse (PHOTO 2) [2, 13], échographie cardiaque (PHOTO 3) [7,14], radiographie du réseau, etc.
La rapidité d’intervention une fois les signes d'insuffisance cardiaque apparus est l’un des éléments qui conditionnent le pronostic [5, 10, 14]. La péricardite par effraction du péricarde par un corps étranger septique, débute en effet par une phase dite exsudative, durant laquelle un liquide d'épanchement inflammatoire s'accumule dans le péricarde. Les signes cardiaques apparaissent lorsque l’exsudat est devenu suffisamment volumineux pour comprimer le cœur. La relaxation du cœur (donc son remplissage) est limitée en diastole par la présence du liquide péricardique. La libération de médiateurs inflammatoires et promoteurs de la coagulation entraîne également la formation de fibrine qui cloisonne progressivement l’espace péricardique et séquestre ainsi le processus inflammatoire.
La formation de fibrine constitue la première étape de la complication la plus néfaste de la péricardite : la fibrose du péricarde par envahissement de la fibrine par les fibroblastes. Cette fibrose entraîne invariablement, en raison de la formation d’adhérences qui gênent le travail myocardique, un dysfonctionnement cardiaque. Cette péricardite constrictive est la complication majeure et la plus redoutée lors de péricardite chez l'homme [1]. Il est primordial d’identifier cette complication précocement lorsqu’une tentative de traitement est envisagée. Plus le cloisonnement du péricarde est étendu lors du diagnostic initial, plus les chances de succès thérapeutique sont réduites [10]. L’aspect du liquide lors de la péricardiocentèse et la visualisation de l’épanchement péricardique à l’échographie (présence ou non de fibrine et de cloisonnement) constituent donc des indices utiles au praticien. La péricardite bovine est rarement diagnostiquée lors du stade exsudatif pur, sans fibrine. Dans la majorité des cas, des logettes et des cloisons de fibrine sont mises en évidence, associées à la présence de fibrine sur la surface du cœur (épicarde). Elles suggèrent une fibrose péri-cardiaque à plus ou moins long terme. La valeur de l’animal (génétique ou affective) ou de l’embryon que la vache porte constitue un critère de décision fondamental. Le taux de guérison après traitement médico-chirurgical (péricardiostomie associée à des lavages péricardiques et antibiothérapie) est variable selon la littérature (voir le TABLEAU “Traitements effectués et devenir des cas de péricardite suite à RPT rapportés dans la littérature” et l'ENCADRÉ “Complications du traitement de la péricardite suite à RPT”). La plupart des études décrivent un taux de survie de plusieurs mois dans environ 10 à 15 % des cas [4, 5, 6, 8, 14]. En raison des faibles chances de réussite thérapeutique, du mauvais pronostic, du coût du traitement médico-chirurgical et des soins postopératoires, il est ainsi impératif d'informer précisément l’éleveur afin qu’il puisse prendre une décision éclairée. Si l’embryon est d’une valeur supérieure à la vache qui le porte, tout doit être mis en œuvre pour maintenir la gestation suffisamment longtemps afin que le fœtus soit viable lors du déclenchement de la mise bas. Lorsque la vache a plus de valeur que le veau, un déclenchement précoce de la mise bas peut être envisagé afin de limiter les effets néfastes du fœtus en croissance sur le retour veineux maternel.
Une fois le diagnostic établi et si l’animal a une certaine valeur, un traitement peut être proposé.
Dans un premier temps les signes d’insuffisance cardiaque doivent être combattus. Le nombre de molécules disponibles est toutefois limité chez les bovins, exceptés les diurétiques, comme le furosémide (0,5 à 2 mg/kg) qui diminue la précharge cardiaque et limite ainsi l’œdème périphérique [9]. Lors de l'administration de diurétiques, les électrolytes doivent être fréquemment surveillés afin de détecter précocement l’installation d’une éventuelle hypokaliémie [9].
Un traitement plus spécifique est ensuite rapidement instauré. Une péricardiocentèse, accompagnée d’un nettoyage du péricarde par des solutions isotoniques, peut constituer un des traitements de la péricardite traumatique (PHOTO 4). Une fluidothérapie intraveineuse doit être administrée dès le début du drainage du péricarde. Celle-ci diminue en effet le risque de collapsus vasculaire lié à la chute de pression intrapéricardique pendant l’évacuation du liquide péricardique.
Le nettoyage péricardique est répété si nécessaire lorsque le péricarde est à nouveau rempli de liquide. Le nettoyage peut être incomplet dans la mesure où il est impossible de vérifier si l’ensemble du péricarde est rincé. Les cloisons de fibrines limitent en outre rapidement l'efficacité des instillations. Les tentatives rapportées de traitement des péricardites par péricardiocentèses répétées se sont toujours soldées par des échecs [2, 12, 14].
Une intervention chirurgicale peut ainsi être indiquée. Si un corps étranger métallique est suspecté (ou visualisé lorsque les radiographies du réseau sont possibles), il convient de le retirer par ruminotomie. Une péricardiostomie est ensuite réalisée [6, 13]. Elle permet une visualisation et une exploration complète du péricarde (PHOTO 5). La cinquième côte est réséquée et le péricarde est suturé à la peau, afin d'accéder au cœur. Le péricarde est alors nettoyé abondamment avec de l’eau additionnée d’antiseptiques. Les morceaux de fibrine sont évacués grâce à une exploration manuelle minutieuse. Un traitement anti-inflammatoire et antibiotique est en outre administré en fonction du germe impliqué. Les germes les plus fréquemment isolés sont des bactéries
Gram positif ou des bactéries anaérobies. La pénicilline est donc souvent l’antibiotique de choix.
Le cœur peut être ainsi directement palpé et les dépôts de fibrine appréciés.
Les rinçages sont répétés aussi souvent que nécessaire afin de prévenir un dépôt de fibrine sur l’épicarde. Entre deux rinçages, un pansement au sucre cristallisé ou au miel peut être mis en place en raison de ses propriétés antibactériennes [6]. Lors de pansement au sucre, il convient de rajouter du sucre au moins deux fois par jour, afin de maintenir un milieu hyperosmotique non propice aux proliférations bactériennes. Si le pansement est changé moins souvent, l’osmolarité baisse alors entre deux pansements et l’effet inverse est obtenu : le pansement devient un milieu de culture idéal pour les bactéries.
Une fois l’infection traitée, la plaie de péricar-diostomie est laissée ouverte ; elle se referme par seconde intention.
La lactation d'une vache atteinte de péricardite est fortement compromise. Le foyer inflammatoire et toxique que constitue le péricarde entraîne en effet souvent une chute de la production laitière et une baisse de l’état général.
L’aspect de l’épicarde est un critère pronostique essentiel : plus la fibrine et les cloisons sont nombreuses, et l’épaississement de l'épicarde marqué, plus le risque de fibrose à terme est grand.
La disparition des signes d'insuffisance cardiaque est souvent rapide après la décompression du péricarde. Leur réapparition est toutefois d’un pronostic sombre (absence de capacité à drainer, constriction du cœur par fibrose de la fibrine déposée sur l’épicarde, etc.). Cette complication est également redoutée en médecine humaine où la fibrose péricardiaque lors de péricardite constrictive est associée à un taux de mortalité élevé.
L’examen échographique du cœur est également un moyen intéressant de suivi du liquide péricardique [2]. Cet examen sur des bovins adultes est toutefois encore réservé à des centres de référence.
Huit pour cent des cas de RPT se compliquent d’une atteinte péricardique [10]. La prévention de la RPT constitue donc le meilleur moyen de prévenir la péricardite traumatique. Peu de moyens préventifs existent, excepté de faire avaler un aimant aux génisses lors de leur première insémination ou de leur diagnostic de gestation initial [10, 11].
L’éleveur doit également éviter tout comportement à risque : il convient de ne jamais laisser de corps étrangers métalliques contondants dans les fourrages ou à proximité des animaux (notamment lors de travaux sur l’exploitation, de la réfection des clôtures, etc.). Des aimants peuvent également être mis dans les systèmes de distribution des aliments.
La péricardite traumatique est une affection de pronostic grave chez les bovins adultes. Même si le taux de guérison à long terme des péricardites est faible, il est possible d’espérer, dans certains cas, un retour en production normal pour les vaches atteintes de péricardite traumatique [4, 5, 6, 8]. Certains animaux traités ont survécu jusqu’à six ans [6]. Des vaches en gestation avancée atteintes de péricardite peuvent avoir des mises bas normales et une production laitière suffisante [5, 6, 8]. Le traitement de la péricardite traumatique peut donc être tenté chez des animaux de valeur, à condition d’obtenir le consentement éclairé de l’éleveur.
La formation de fibrine constitue la première étape de la complication la plus néfaste de la péricardite. Il est primordial d'identifier cette complication précocement lorsqu'une tentative de traitement est envisagée.
Plus le cloisonnement du péricarde est étendu lors du diagnostic initial, plus les chances de succès thérapeutiques sont réduites [10].
Les complications associées aux tentatives de traitement des péricardites traumatiques sont nombreuses.
L’ouverture du péricarde peut s’accompagner d’une ouverture malencontreuse de la cavité pleurale gauche. Chez les bovins cependant, le pneumothorax est souvent unilatéral ; il peut donc être maîtrisé facilement, sans risques pour l’animal [13].
L’inflammation de l’épicarde peut également fragiliser les vaisseaux coronaires myocardiques. Ils peuvent alors se rompre lors des rinçages du péricarde et être à l’origine d’une hémorragie fatale. Cet incident est cependant extrêmement rare [10].
Un phlegmon proche du site de péricardiostomie (notamment du coude) est une complication fréquente de l’écoulement du liquide péricardique septique [6]. Un traitement classique des phlegmons est alors entrepris.