Radiographie des lésions osseuses des membres - Le Point Vétérinaire n° 250 du 01/11/2004
Le Point Vétérinaire n° 250 du 01/11/2004

IMAGERIE DES BOVINS

Se former

COURS

Auteur(s) : Laurent Blond*, Guy Beauregard**, Pierre-Yves Mulon***

Fonctions :
*Service d’imagerie
**Service de chirurgie
des grands animaux
Département des sciences
cliniques, Faculté de médecine
vétérinaire de l’Université de
Montréal, Saint-Hyacinthe,
Québec J2S 7C6 (Canada)

Les caractéristiques radiographiques des lésions osseuses de l’appareil locomoteur permettent de confirmer le diagnostic clinique, puis surtout de préciser le pronostic et d’adapter le traitement.

Les causes de boiterie les plus fréquentes chez les bovins sont les infections et les fractures de l’appareil locomoteur. Même si un examen clinique complet de l’animal suffit souvent à établir le diagnostic, la radiologie apporte des renseignements complémentaires utiles. Les structures atteintes (tissus mous, articulation, os) peuvent être identifiées. La sévérité de l’affection peut être appréciée, ainsi que la durée nécessaire à sa résolution. Le diagnostic, le pronostic et la conduite thérapeutique sont ainsi précisés, ce qui permet de gagner du temps dans la gestion d'une boiterie.

En outre, la radiographie facilite le suivi et l’évolution d’une affection, comme par exemple la cicatrisation d’une fracture ou la guérison d’une infection. Avec l’évolution de la qualité du matériel radiographique disponible, la radiologie devrait faire partie de l’arsenal diagnostique du praticien pour la gestion des affections de l’appareil locomoteur des bovins. Ce premier article expose les principales anomalies radiographiques liées aux lésions osseuses de l’appareil locomoteur. Les lésions articulaires et celles des tissus mous feront l’objet d’un second article.

Ostéite

L’ostéite, inflammation du cortex osseux sans implication de la moelle, peut être d’origine septique ou traumatique. Le terme d’ostéite est principalement employé lors d’inflammation de la phalange distale, dépourvue de cavité médullaire.

L’atteinte se manifeste sur les radiographies par une perte d’opacité de la phalange ou par une irrégularité de ses contours due à un élargissement des canaux vasculaires. Une réaction du périoste, qui a pour point de départ le rebord dorsal du tiers proximal de la phalange distale, est parfois visible.

Ostéomyélite

L’ostéomyélite est une inflammation du cortex osseux qui implique également la moelle osseuse. Elle est presque toujours d’origine septique. Les sources d’infection des os longs sont similaires à celles de l’arthrite septique : il peut s'agir de la pénétration d’un corps étranger, de la dispersion d’une cellulite consécutive à une plaie de décubitus, de l'implantation d’un germe pathogène provenant d’un foyer infectieux adjacent ou de la nidation d’un agent pathogène propagé par voie hématogène à partir d’un foyer.

L’adulte est moins sujet à l’ostéomyélite du fémur et de l’humérus que le veau. La nidation de l’agent infectieux arrivé au sein de l’os par voie hématogène a lieu au niveau de la microvascularisation des métaphyses et des épiphyses, où le flux sanguin diminue et où, par conséquent, l’implantation est plus facile.

Deux types d’ostéomyélites hématogènes sont connus : l’ostéomyélite physaire (OP) et l’ostéomyélite épiphysaire (OE). La localisation des lésions radiographiques diffère selon le type d’ostéomyélite. Lors d’une OP, les lésions apparaissent dans la région de la plaque de croissance, du côté épiphysaire ou surtout métaphysaire (PHOTOS 1 et 2). Lors d’une OE, les lésions sont préférentiellement localisées à proximité de l’os sous-chondral, donc souvent accompagnées d’une arthrite septique (PHOTO 3).

Les signes radiographiques d’ostéomyélite apparaissent plus de cinq jours après le début des signes cliniques [19].

La lésion prédominante est une ostéolyse médullaire à proximité de la plaque de croissance lors d’une OP ou une ostéolyse sous-chondrale lors d’une OE. Le contour de la lésion devient plus net avec la chronicité. La lésion a aussi tendance à être mieux définie dans le cas d’une OE. Lors d'OP, le cortex est atteint et le périoste prolifère au-delà de la lésion. La réaction du périoste est retardée lors d’OE, puisque celle-ci fait généralement suite à la distension articulaire associée à une arthrite septique qui apparaît secondairement à l’ostéomyélite [19].

Séquestres

Un séquestre se forme généralement lorsque le traumatisme provoque une ischémie corticale. L'ischémie est à l'origine d'une perte d’intégrité et de viabilité du périoste et des tissus mous adjacents, ce qui favorise une invasion bactérienne secondaire. Plus rarement, le séquestre peut être le résultat d’une infection osseuse hématogène [18]. Le séquestre correspond donc à un fragment d’os dévascularisé, infecté ou non, qui reste minéralisé et agit comme un corps étranger.

Les manifestations cliniques d'un séquestre osseux sont caractéristiques : la boiterie survient entre quatre à six semaines après le traumatisme initial, simultanément avec l’apparition d’une zone d’inflammation très focale sur le rayon osseux, souvent associée à une petite plaie plus ou moins productive.

La confirmation de la présence d'un séquestre peut être obtenue par radiographie. Les métatarses et métacarpes sont les os les plus atteints [18]. Au niveau du pied, les séquestres affectent le plus souvent la phalange distale.

L’image radiographique caractéristique d’un séquestre est un fragment d’opacité minérale, isolé du reste de l’os par un contour radiotransparent (l’involucrum) entouré d’une réaction périostée et endostée (augmentation d’opacité osseuse au niveau de la cavité médullaire) qui forme le circonvolucrum (PHOTO 4). Un trajet fistulaire se forme parfois dans l’os à partir du circonvolucrum.

Chez le jeune bovin, l’humérus et le fémur sont fréquemment le siège de séquestres suite à une ostéomyélite [6]. L’apparition d’un séquestre associé à une OE est plus rare que lors d’une OP [19] (PHOTO 5). La source est vraisemblablement hématogène [5, 6].

Le séquestre est rare au niveau de l’humérus et du fémur chez l’adulte parce que l’origine traumatique ou hématogène est improbable à cet âge et à ce niveau.

Fractures

Les fractures peuvent être pathologiques (suite à une ostéomyélite) ou traumatiques.

La radiographie est le seul examen complémentaire qui permette d’établir un bilan complet lors de suspicion de fracture chez un animal qui présente une boiterie avec suppression d’appui et une inflammation du membre, associées à une crépitation des tissus mous.

En l’absence de plaie visible lors du trauma, la radiographie permet de s’assurer que la fracture évolue bien à foyer fermé (absence d’air au niveau des tissus mou).

Elle est l'examen de choix pour suivre l’évolution de la guérison osseuse une fois le traitement de la fracture mis en place [4, 15].

Lors de fractures multiples, la séquestration d’un ou plusieurs fragment(s) osseux peut se produire. La radiographie permet alors d’ajuster le temps d’immobilisation et d'éviter ainsi que l’animal ne s’appuie trop tôt sur un rayon osseux encore fragile.

1. Fractures du métacarpe ou du métatarse

L’incidence des fractures traumatiques des os longs est élevée chez le veau, en raison des manipulations obstétricales [3, 7, 8, 10, 16, 17].

Les fractures chez le veau nouveau-né sont liées à l’utilisation des chaînes de vêlage lors de dystocies [2] ou à un trauma provoqué par la mère dans les premières heures de vie. Elles sont typiquement localisées au niveau de la métaphyse distale du métatarse ou du métacarpe et ont une configuration transverse ou oblique courte.

Les fractures épiphysaires de type I et II selon la classification de Salter-Harris, avec ou sans déplacement (PHOTO 6), sont également fréquentes sur ces os. La compression circulaire (bracelet de vêlage) qui est à l’origine de la fracture provoque des dommages vasculaires étendus radiographiquement invisibles. Il convient donc de réserver son pronostic lors de la réduction de la fracture. Ces dommages vasculaires peuvent être à l’origine d’un retard de guérison osseuse. Lors d’atteinte de la plaque de croissance, la croissance des animaux est généralement peu affectée.

Les fractures diaphysaires du métacarpe et du métatarse ont une configuration oblique, spiralée ou de type comminutif, avec un éclatement de l’os et une migration importante des fragments osseux.

2. Fractures de l’humérus

Les fractures de l’humérus représentent moins de 5 % des fractures chez les bovins [7]. Cette faible incidence est attribuée au fait que l’humérus est court, que ses cortex sont épais et qu’il est protégé par une imposante masse musculaire.

La cause de ces fractures est principalement traumatique et la force impliquée est généralement très élevée.

Elles sont principalement diaphysaires et ont classiquement une configuration oblique ou spiralée multiple (PHOTO 7). Les fragments principaux se chevauchent rapidement en raison de la contracture musculaire [7, 14].

Occasionnellement, ces fractures impliquent la plaque de croissance proximale ou distale.

3. Fractures du fémur

Les fractures du fémur sont plus fréquentes et représentent 30 % des fractures chez les bovins [17] (PHOTO 8). Elles impliquent principalement la diaphyse, la métaphyse distale et la plaque de croissance proximale.

Les fractures diaphysaires ont une configuration oblique ou spiralée. Les fractures métaphysaires distales sont transverses ou obliques courtes [7, 8, 17].

Les fractures comminutives sont fréquentes et le déplacement des fragments est marqué.

Les fractures épiphysaires proximales sont de type Salter-Harris I ou II.

Le déplacement du col fémoral est souvent évident sur un cliché radiographique en projection ventrodorsale, réalisé en abduction ou en extension.

Dans les cas chroniques, une résorption partielle du col et parfois de la tête fémorale est parfois observée [10] (PHOTO 9).

Ces fractures épiphysaires peuvent aussi survenir chez le jeune adulte puisque la plaque de croissance se ferme vers l’âge de quarante mois [7, 12].

Les fractures du col fémoral chez l’adulte sont beaucoup plus rares [17].

4. Fractures du bassin

Les fractures du bassin autres que celles de l’aile de l’ilium sont rares chez l’adulte [7, 9, 11]. Elles devraient cependant toujours être incluses dans le diagnostic différentiel lors d’un syndrome “vache couchée”.

L’asymétrie des hémipelvis et le déplacement des fragments sont souvent les seuls signes radiographiques visibles [1]. Un déplacement marqué des abouts osseux peut réduire le diamètre du canal pelvien et occasionner des difficultés de vêlage.

L’intégrité de l’articulation coxofémorale doit être attentivement évaluée puisque le pronostic de ces fractures est mauvais [7].

Chez le veau, une attention particulière est portée aux plaques de croissance, à leur symétrie et à leur largeur.

5. Fractures des phalanges

La plupart des fractures traumatiques du pied concernent le membre pelvien. Elles impliquent presque toujours la phalange distale.

Une ligne verticale allant dans le sens dorsoplantaire est visible dans le plan transverse, sur un cliché interdigité de préférence (PHOTO 10).

Il est essentiel de déterminer si cette fracture est articulaire car une ostéoarthrose peut alors se développer.

Ce type de fracture cicatrise par la formation d’un cal fibreux. Le trait de fracture reste donc visible sur les radiographies, mais ses contours deviennent moins nets.

Lors de fractures pathologiques, une ligne radiotransparente irrégulière, parfois incomplète, traverse la phalange. Les signes d’infection de l’os sont alors souvent évidents (ostéolyse). Le fragment osseux peut se résorber par nécrose ou se transformer en séquestre.

Ostéoporose

L’ostéoporose est une déminéralisation générale des os. Elle peut être la conséquence d’une maladie métabolique, nutritionnelle ou d’une suppression d’appui prolongée (consécutive à la pose d’un plâtre par exemple).

Sur les radiographies, l’os apparaît moins opaque et les cortex sont amincis. Les cortex, plus épais au milieu de la diaphyse qu’aux extrémités chez l’animal sain, apparaissent alors fins et d’épaisseur égale sur toute leur longueur [13].

Lorsque ces signes radiographiques sont mis en évidence, l’os est fragilisé et prédisposé aux fractures.

Lors d’ostéoporose de non-usage, certains espaces articulaires peuvent apparaître plus étroits en raison d’une atrophie du cartilage, particulièrement au niveau du carpe et du tarse.

La plupart des affections des membres des bovins ont des caractéristiques radiographiques qui facilitent leur diagnostic et orientent l’approche thérapeutique. Le retard d’une cicatrisation de fracture ou la récidive d’une infection peuvent être objectivés rapidement par radiographie. Un nouveau traitement peut ainsi être mis en place. Les lésions osseuses ne sont parfois pas radiologiquement visibles et il convient, lors de forte suspicion clinique de fracture ou d’ostéomyélite, de répéter les clichés sept jours après le premier examen afin d'exclure définitivement ces hypothèses.

ATTENTION

• Les signes radiographiques d’ostéomyélite apparaissent plus de cinq jours après le début des signes cliniques

• Lors de séquestre, la boiterie survient entre quatre à six semaines après le traumatisme initial

À lire également

- Bellon J. Traitement des fractures du fémur chez le veau par enclouage centromédullaire. Point Vét. 2001 ; 32 (n° spécial « Chirurgie des ruminants ») : 87-91.

- Blond L. Examen radiographique de la partie distale des membres. Point Vét. 2004 ; 35(245) : 24-28.

- Blond L. Radiographie de la partie proximale des membres. Point Vét. 2004 ; 35(246) : 26-30.

- Chatré JL. Fractures du métacarpe, du métatarse et du tibia chez le veau : utilisation raisonnée de la fixation externe. Point Vét. 1995 ; 27(169) : 225-235.

- Chatré JL. Principes généraux du traitement chirurgical des fractures des membres chez le veau. Point Vét. 2001 ; 32 (n° spécial « Chirurgie des ruminants ») : 81-84.

- Chatré JL. Fractures du canon chez le veau traitées avec des Fessa. Point Vét. 2003 ; 34(241) : 70-72.

- Desrochers A. Fractures hautes des membres chez les bovins adultes. Point Vét. 2003 ; 34(233) : 40-43.

- Ravary B, Desrochers A. Fractures métacarpiennes et métatarsiennes. Point Vét. 2003 ; 34(235) : 42-45.

- Vignault G. Particularités du traitement chirurgical des fractures du tibia chez le veau. Point Vét. 2001 ; 32 (n° spécial « Chirurgie des ruminants ») : 80.

Points forts

L’ostéite de la phalange distale se manifeste sur les radiographies par une perte d’opacité de la phalange ou par une irrégularité de ses contours.

La lésion d’ostéomyélite prédominante est une ostéolyse médullaire à proximité de la plaque de croissance lors d’une ostéomyélite physaire ou une ostéolyse sous-chondrale lors d’une ostéomyélite épiphysaire.

L’image radiographique caractéristique d’un séquestre est un fragment d’opacité minérale, isolé du reste de l’os par un contour radiotransparent, entouré d’une réaction périostée et endostée.

Les fractures du canon chez le veau sont localisées typiquement sur la métaphyse distale du métatarse ou du métacarpe.

Les fractures du fémur impliquent principalement la diaphyse, la métaphyse distale et la plaque de croissance proximale.

Les fractures traumatiques du pied impliquent presque toujours la phalange distale du membre pelvien.

Sur les radiographies, l’os ostéoporotique est moins opaque et les cortex sont amincis. Lors d’ostéoporose de non-usage, certains espaces articulaires peuvent apparaître plus étroits.

ATTENTION

• Les fractures du bassin autres que celles de l’aile de l’ilium sont rares chez l’adulte.

• L’intégrité de l’articulation coxofémorale doit être attentivement évaluée puisque le pronostic de ces fractures est mauvais.

  • 1 - Bargai U, Pharr JW, Morgan JP. Bovine Radiology. Ames, Iowa State University Press ed. 1989 : 206 pp.
  • 2 - Chatré JL. Les fractures chez le veau : éléments cliniques et thérapeutiques raisonnés. Bull. GTV. 1998 : 83-100.
  • 3 - Déry M, Couture Y. Mise à jour des cas de fracture des os longs chez l’espèce bovine à la Faculté de médecine vétérinaire de 1985 à 1990. Méd. Vét.. Québec. 1991 ; 21(2) : 70-72.
  • 4 - Desrochers A. Les fractures des membres chez les bovins adultes. Point Vét. 2003 ; 34(232) : 50-54.
  • 5 - Farrow CS. The radiologic investigation of bovine lameness associated with infection. In : Farrow CS, Bovine medical imaging. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1999 ; 15(2) : 425-441.
  • 11 - Hull BL. Fractures and luxations of the pelvis and proximal femur. In : Saint-Jean G, Advances in ruminant orthopedics. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1996 ; 12(1) : 47-58.
  • 15 - Ravary B, Desrochers A. Vingt fractures du canon chez des bovins adultes. Point Vét. 2003 ; 34(235) : 64-67.
  • 16 - Saint-Jean G, Saint-Pierre H, Lamothe P et coll. Fractures épiphysaires et des os longs chez les ruminants. Méd. Vét. Québec 1985 ; 15(2) : 63-76.
  • 18 - Valentino LW, Saint-Jean G, Anderson DE et coll. Osseous sequestration in cattle : 110 cases (1987-1997). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2000 ; 217 : 376-383.
  • 19 - Verschooten F, Vermeiren D, Devriese L. Bone infection in the bovine appendicular skeleton : a clinical, radiographic, and experimental study. Vet. Radiol. Ultrasound. 2000 ; 41(2) : 250-260.
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