L’acquéreur n’est pas tenu de recourir au vétérinaire du vendeur - Le Point Vétérinaire n° 250 du 01/11/2004
Le Point Vétérinaire n° 250 du 01/11/2004

ERREUR SUR LA QUALITE SUBSTANTIELLE

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LÉGISLATION

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : 6, impasse Salinié, 31100 Toulouse

L’acheteur d’un cheval inapte à l’entraînement pour une raison antérieure à la vente ne peut être débouté parce qu’il n’a pas fait réaliser de visite d’achat.

1. Les faits : Jument aux enchères

Le 9 octobre, la société Beau-Haras organise une vente aux enchères de chevaux. M. Acheteur se porte acquéreur d’une jument de deux ans et quatre mois présentée au catalogue dans le lot des « trotteurs à l’entraînement ».

La société organisatrice a pris la précaution de mettre à la disposition des acheteurs une équipe de vétérinaires, présents sur place et chargés de réaliser, à leur demande, les « examens d’achat » correspondants à leurs souhaits avant que leur acquisition ne soit définitive.

M. Acheteur n’y a pourtant pas recours. Il confie aussitôt la jument à un entraîneur qui, le surlendemain, constate un léger gonflement de l’articulation du jarret droit (un vessigon tarsien). Les 5 décembre, 10 mars et 18 mars suivants, la jument échoue aux épreuves de qualification(1). Ce dernier jour, une ostéochondrite disséquante est diagnostiquée.

Le cas est soumis à un expert judiciaire qui conclut dans son rapport que le vessigon, d’origine traumatique antérieure à la vente, n’entraînait pas de boiterie apparente au jour de la vente et que l’entraînement subséquent a aggravé la lésion au point que la jument ne peut plus avoir qu’une carrière de poulinière. Par assignation, M. Acheteur demande à la société Beau-Haras le remboursement du prix et le paiement de dommages et intérêts.

2. Le jugement : Un trotteur doit-il trotter ?

La cour d’appel de Caen donne raison à M. Acheteur, au motif que son consentement a été vicié par une erreur sur la qualité substantielle de la chose.

La société Beau-Haras n’accepte pas ce jugement et se pourvoit en cassation. Elle soutient que l’aptitude à être qualifié est une caractéristique aléatoire, qui ne peut donc pas être considérée comme substantielle. Elle souligne que le vendeur d’un trotteur à l’entraînement non qualifié n’est tenu que d’une obligation de moyens et ne peut en aucun cas garantir que le cheval se qualifiera. La société Beau-Haras fait valoir que, la jument n’étant pas qualifiée au jour de la vente, la cour d’appel a privé sa décision de base légale en ne recherchant pas si le fait qu’elle n’ait pu obtenir cette qualification pouvait constituer une erreur au sens de l’article 1110 du Code civil (voir l’ENCADRÉ « Articles du code civil »).

Toujours selon la société organisatrice de la vente, la cour d’appel aurait dû rechercher si, compte tenu des conditions propres à la vente aux enchères de ce cheval, la négligence de M. Acheteur, qui n’a pas recouru à l’assistance des spécialistes, ne justifie pas qu’il en supporte les conséquences.

En dépit de ces arguments, le pourvoi est rejeté par la cour de cassation.

3. Pédagogie du jugement : Une publicité optimiste

Pour fonder sa décision, la cour de cassation rappelle que les qualités substantielles de la chose s’entendent par celles en considération desquelles les parties ont contracté. Or dans le cas présent, la vente par commissaire-priseur a été annoncée par une publicité ainsi libellée : « Propriétaire d’un trotteur, pourquoi pas vous ? Un investissement plaisir qui vous permettra de courir et de gagner dans les prochaines semaines ». M. Acheteur s’est ainsi porté acquéreur d’un trotteur à l’entraînement et non d’une poulinière. Il y a bien erreur sur la qualité substantielle.

La cour d’appel indique en outre que M. Acheteur, bien que profane, n’était pas tenu de recourir à l’avis des vétérinaires mis à la disposition des enchérisseurs lors de la vente. Il était en droit d’attendre que la jument, non qualifiée au moment de la vente, présente les capacités physiques lui permettant de suivre un entraînement en vue de cette qualification.

Cette décision pourrait inciter à penser que l’absence de « visite d’achat » offre une meilleure garantie aux acheteurs. Si un examen avait eu lieu au moment de la vente, les juges auraient pu considérer que M. Acheteur avait été parfaitement informé de l’état du cheval. Dans le cas où le vétérinaire n’aurait pas émis de réserve le jour de la vente, la procédure aurait sans doute été plus complexe pour M. Acheteur qui aurait dû rechercher une éventuelle responsabilité du praticien. En fait, les magistrats semblent plutôt viser la publicité trop ambitieuse affichée par l’organisme vendeur, qui occulte en particulier le fait que les épreuves de qualification éliminent des courses la moitié des trotteurs entraînés. Encore faudrait-il au moins que les animaux n’aient pas de caractéristiques qui les empêchent de subir l’entraînement nécessaire en vue de la qualification.

  • (1) Pour avoir le droit de participer aux courses officielles de trot, un trotteur doit passer avec succès les épreuves de qualification. Ces épreuves consistent à courir une certaine distance (1 500 ou 2 000 m) en un temps déterminé, variable selon l’âge de l’animal et la saison de l’épreuve.

Articles du Code civil

Article 1109 : Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par la violence ou surpris par dol.

Article 1110 : L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.

Elle n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a l’intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention.

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