Tumeurs mammaires et Prolactine - Le Point Vétérinaire n° 249 du 01/10/2004
Le Point Vétérinaire n° 249 du 01/10/2004

CANCÉROLOGIE CANINE

Se former

EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : John Verstegen*, Serge Scalais**, Karine Onclin***

Fonctions :
*College of Veterinary Medicine,
LACS, Small Animal
Theriogenology, University of
Florida, PO Box 100136,
Gainesville,
Florida
**Université de Liège,
Faculté de médecine vétérinaire,
Département des sciences cliniques,
secteur obstétrique et
troubles de la reproduction des
petits animaux
20, bd Colonster, Bât. B44
B-4000 Liège,
Belgique
***College of Veterinary Medicine,
LACS, Small Animal
Theriogenology, University of
Florida, PO Box 100136,
Gainesville,
Florida

La prolactine intervient dans la pathogénie des tumeurs mammaires de façon directe (sur les récepteurs prolactiniques) et indirecte, par son action lutéotrope et par l’induction de la pseudogestation.

Le cycle sexuel de la chienne se caractérise par des phases extrêmement longues, suivies d’un anœstrus obligatoire de plusieurs mois. Durant chacune de ces phases, à l’exception de l’anœstrus, la forte imprégnation hormonale est responsable de changements cellulaires et organiques marqués qui peuvent aboutir au développement d’une affection du système reproducteur.

Quand les affections mammaires se développent-elles ?

La longue imprégnation œstrogénique pendant la phase œstrale peut être le point de départ d’une métrorragie ou d’un prolapsus, et de tumeurs vaginales. Le diœstrus obligatoire, qui dure environ deux mois, est de longueur quasi équivalente chez la chienne gestante et chez la chienne non gestante [21]. Cette longue phase progestéronique observée à chaque cycle est fréquemment associée au pyomètre ou au développement de tumeurs mammaires. C’est également pendant le diœstrus et en début d’anœstrus que se développe essentiellement la lactation de pseudogestation [6, 24].

Quelles sont les hormones de la physiologie mammaire ?

Au niveau de la glande normale, la croissance, le développement et la différenciation mammaires sont influencés par plusieurs facteurs de croissance et hormones, parmi lesquels la prolactine joue un rôle essentiel [1, 3, 4, 13]. La différenciation fonctionnelle est dépendante, in vivo comme in vitro, de cette hormone. Le développement alvéolaire suppose sa présence. La progestérone, responsable d’hyperplasie mammaire et de développement tumoral plus précoce lorsqu’elle est administrée à des doses élevées sur de longues périodes [3, 14], augmente la concentration en récepteurs à prolactine dans la glande en développement. Elle agit donc en synergie avec la prolactine pour induire la croissance cellulaire.

Quelles sont les hormones impliquées dans les affections mammaires ?

Dans l’espèce canine, les tumeurs mammaires (PHOTO 1) sont la deuxième affection tumorale la plus fréquente, après les tumeurs cutanées [2, 4, 10, 13, 22]. Leur incidence est trois à cinq fois supérieure à celle des tumeurs du sein chez la femme.

Diverses hormones interviennent dans la pseudogestation et les tumeurs mammaires [6, 7, 8]. Les stéroïdes sexuels (œstrogène et progestérone) et la prolactine (la « mère » du contrôle reproducteur chez la chienne) sont certainement les plus impliqués. Ces hormones sont présentes à toutes les étapes de la vie reproductrice. En association avec les facteurs de croissance (hormone de croissance, transforming growth factor, epidermal growth factor, etc.) et divers carcinogènes, elles jouent un rôle essentiel dans le déterminisme des affections mammaires chez la chienne (pseudogestation et tumeurs mammaires principalement) [2, 4, 10, 13, 22].

Comment l’imprégnation hormonale intervient-elle dans la pathogénie ?

Dans une étude menée chez cent soixante-quatorze chiennes atteintes de tumeurs mammaires [a], près de la moitié (quatre-vingt-trois chiennes, soit 48 %) des animaux sont présentés pendant la phase lutéale, alors que celle-ci ne représente que 25 % de l’ensemble du cycle de la chienne. Ces résultats semblent indiquer une relation entre cette phase d’activité hormonale intense (et probablement la phase précédente : l’œstrus) et l’induction du processus tumoral. Les œstrogènes et la progestérone sont en effet connus pour constituer des facteurs essentiels dans la pathogénie et l’induction des tumeurs mammaires. Ils initient le développement mammaire, favorisent la transformation néoplasique des cellules prénéoplasiques et permettent le développement de lésions subcliniques [13]. Les stéroïdes ovariens agissent directement sur le tissu mammaire au niveau de récepteurs spécifiques [3, 22] dont la concentration maximale est observée durant ces phases du cycle reproducteur.

Comment la prolactine participe-t-elle à cette pathogénie ?

Le principal facteur lutéotrope chez la chienne est la prolactine : sans prolactine, pas de progestérone ni de maintien de la gestation [19, 20]. Les deux hormones sont étroitement liées et la chute de la progestérone en fin de diœstrus a en outre un effet inducteur sur la sécrétion prolactinique.

Il est établi que la prolactine est intimement liée au développement et à la différenciation du tissu mammaire normal chez de nombreuses espèces de mammifères, mais son implication dans la pathogénie des cancers mammaires chez l’homme et chez le chien reste, en revanche, un sujet de débats [1].

Chez la souris, l’administration de prolactine accroît le développement spontané des tumeurs. Chez le rat, elle interagit avec les carcinogènes d’origine alimentaire par l’induction des tumeurs [1, 26, 27]. L’utilisation d’antagonistes de la prolactine ou d’inhibiteurs de sa sécrétion réduit la prolifération cellulaire.

Chez le chien, la prolactine, impliquée dans chacune des phases de l’activité cyclique [5] et dans la croissance et la différenciation mammaire, physiologique [2, 3, 27] comme pathologique [6, 7, 8, 17], est très probablement impliquée dans le développement des tumeurs mammaires.

Chez la femme, des études suggèrent l’intervention de la prolactine dans les affections mammaires : 44 % des femmes atteintes de cancer du sein métastatique présentent une prolactinémie anormalement haute [23]. Des cas de cancers du sein associés à des prolactinomes ont également été observés. Les femmes dont la prolactinémie est anormalement élevée ont un risque plus grand de développer des tumeurs mammaires malignes. Plus de 70 % des biopsies de tumeurs mammaires chez la femme sont positives pour les récepteurs à prolactine (présence de récepteurs sur les cellules tumorales). La prolactine est en outre mise en évidence par immunocytochimie dans 60 à 85 % des biopsies. Pour près de 80 % des cellules tumorales mammaires, la stimulation par la prolactine induit la mitose. Ces résultats suggèrent une régulation locale, autocrine, paracrine ou endocrine. Chez la femme, la capacité de la prolactine à stimuler la croissance tumorale en culture et la présence de récepteurs actifs dans la majorité des carcinomes mammaires suggèrent que la prolactine joue un rôle in vivo dans l’apparition de ces tumeurs [1, 23]. La prolactine est essentielle au développement lobulo-alvéolaire physiologique et peut donc activement contribuer au développement ou à la progression cancéreuse. Néanmoins, chez l’homme, la compréhension du mode d’action exact de la prolactine est rendue difficile par la démonstration récente de la production locale de ce peptide par le tissu cancéreux [1, 9]. Cette découverte suggère, outre une action de type hormonal, un rôle autocrine-paracrine de la prolactine dans l’induction des mitoses des cellules épithéliales tumorales, ainsi qu’une implication dans le développement et la progression des tumeurs mammaires. Des boucles de contrôles court et long pourraient donc préexister et intervenir dans la régulation locale du développement mammaire tumoral.

Quelles sont les preuves de son implication chez le chien ?

Chez le chien, le rôle de la prolactine dans les tumeurs mammaires a été peu étudié. Diverses observations tendent toutefois à montrer son implication.

• L’action lutéotrope essentielle de la prolactine a été démontrée chez la chienne [16, 19] et la progestérone est connue pour intervenir dans la pathogénie des tumeurs mammaires, au moins lors d’administration répétée à fortes doses [14].

• L’accroissement de la sécrétion de prolactine est un facteur déclenchant de la lactation de pseudogestation [6, 7, 8, 17, 21].

• L’effet inducteur des pseudogestations sur le développement des tumeurs mammaires a été démontré [4].

Ces résultats suggèrent une action de la prolactine dans la pathogénie des tumeurs mammaires chez la chienne.

Le rôle synergique de la progestérone et de la prolactine semble également essentiel. Le chien est l’une des rares espèces chez laquelle la prolactine est sécrétée de façon continue et régulière pendant la quasi-totalité du cycle de la femelle, à l’exception de la phase pro-œstrale [21]. Cette espèce est également l’une des plus sujettes aux tumeurs mammaires.

Dans une étude cas-témoins en double aveugle [a], certaines lésions mammaires ne sont plus visibles ou diminuent de taille chez près de 25 % des chiennes atteintes de tumeurs mammaires et traitées par l’administration de cabergoline. Même si ces lésions sont essentiellement bénignes d’après l’analyse anatomopathologique, ces observations suggèrent une action directe ou indirecte (par l’intermédiaire de la progestérone) de la prolactine dans le développement des tumeurs mammaires.

Ces résultats semblent confirmer l’existence d’une action de la prolactine sur le développement et la croissance des lésions mammaires. D’autres investigations sont toutefois nécessaires pour préciser le rôle de la prolactine dans la cancérogenèse mammaire et l’intérêt des antiprolactiniques dans la prévention et le traitement de ces lésions.

Existe-t-il un lien entre tumeurs mammaires et pseudogestation ?

En 1994, une étude épidémiologique [4] a montré que les chiennes qui ont des antécédents de pseudogestation sont d’avantage susceptibles de développer des tumeurs mammaires. Une étude [a] montre que, lors de la première consultation pour tumeur mammaire, plus de la moitié des cent soixante-quatorze chiennes présentent en parallèle une pseudogestation clinique (PHOTO 2). Un pourcentage élevé de ces animaux ont présenté des pseudogestations à répétition.

Les animaux de l’étude qui ont présenté des lactations nerveuses récidivantes à chaque cycle ont en outre tendance à développer des tumeurs significativement plus tôt (voir le TABLEAU « Effet de la pseudogestation sur l’incidence des tumeurs mammaires ») [4, a]. Un odds ratio inférieur à 1 indique une réduction du risque de tumeurs mammaires, un odds ratio supérieur à 1 un accroissement de ce risque. Un effet significatif est observé pour un nombre de pseudogestations supérieur à trois et un effet à la limite du significatif (limite inférieure de l’intervalle de confiance 95 % légèrement inférieure à un) pour la catégorie « moins de trois lactations nerveuses ».

Les résultats montrent la relation lactation nerveuse-tumeur mammaire en général, mais également l’influence de l’accroissement de la fréquence des pseudogestations sur le risque de tumeurs mammaires. Les mécanismes qui président à l’apparition des lactations nerveuses sont encore mal connus, mais la progestérone et la prolactine semblent fortement impliquées.

Lactation nerveuse, tumeurs mammaires, progestérone et prolactine ?

L’association lactation nerveuse et développement des tumeurs mammaires pourrait trouver son origine dans l’hypothèse de Maurel [15] : l’augmentation du risque tumoral serait due à l’accumulation intramammaire des sécrétions lactées, responsable d’une distension alvéolaire intense. La compression vasculaire ainsi provoquée favoriserait l’anoxie tissulaire et la formation de radicaux superoxydes libres carcinogènes. En outre, l’accumulation lactée dans les acini mammaires lors de pseudogestation s’accompagne (à l’inverse de la lactation) d’une stagnation et d’une dégradation locale des produits de sécrétion. Des carcinogènes d’origine alimentaire s’accumulent alors dans les tissus. Ces mécanismes combinés concourent à la mise en place d’une transformation néoplasique (voir la FIGURE « Site et mode d’action des facteurs susceptibles d’intervenir dans la cancérogenèse mammaire chez la chienne »).

Associés aux actions inductrice et promotrice directe de la progestérone et de la prolactine et aux effets mitogènes de ces hormones, ils pourraient expliquer l’induction des lésions prénéoplasiques, ainsi que la croissance soudaine des tumeurs pendant la phase lutéale.

La synergie d’action entre la prolactine, les œstrogènes et la progestérone pourrait être un facteur déterminant dans le développement tumoral.

La cabergoline peut-elle prévenir les tumeurs mammaires ?

Chez les animaux traités par l’administration de cabergoline (ou avec d’autres dopamines agonistes) [10, 11, 17], une chute brutale de la prolactinémie et de la progestéronémie est observée. Cette chute est associée à une résolution des symptômes de pseudogestation [12, 25].

La prolactine étant le principal facteur lutéotrope chez la chienne, l’inhibition de sa sécrétion induit une lutéolyse et l’arrêt de la synthèse de la progestérone. Cet effet est utile lors de pseudogestation, mais aussi pour stimuler l’immunité, la progestérone étant connue pour réduire les défenses tissulaires.

Enfin, selon les observations [a, 4], chez les chiennes sujettes aux lactations de pseudogestation non stérilisées, il conviendrait de traiter cette affection afin d’éviter une distension prolongée des acini mammaires, ainsi que la stagnation des sécrétions lactées car elles favorisent le développement ultérieur de tumeurs mammaires. L’administration d’antiprolactiniques, et particulièrement de cabergoline dont l’efficacité et la sûreté ont été prouvées chez la chienne [11, 12, 17, 18, 19, 24], doit être préférée aux traitements locaux ou à base de substances à activité hormonale.

Les antiprolactiniques dopamines agonistes spécifiques présentent donc un double intérêt dans la prévention et le traitement des tumeurs mammaires. Lors du traitement systématique des pseudogestations, ils permettent de réduire l’influence épidémiologique démontrée de cette affection sur le développement tumoral.

• Ils pourraient en outre avoir un intérêt dans le traitement de certains types de tumeurs mammaires [a]. Ils inhiberaient les actions conjointes de la progestérone et de la prolactine sur la croissance tumorale et pourraient également limiter ou arrêter la croissance tumorale en privant la tumeur de ses stimulateurs de croissance.

Ce mode d’action, également prometteur en médecine humaine, demande toutefois de plus amples investigations.

Points forts

Dans l’espèce canine, les tumeurs mammaires sont la deuxième affection tumorale la plus fréquente, après les tumeurs cutanées.

Les œstrogènes et la progestérone sont connus pour constituer des facteurs essentiels dans la pathogénie et l’induction des tumeurs mammaires.

Le principal facteur lutéotrope chez la chienne est la prolactine : sans prolactine, pas de progestérone ni de maintien de la gestation.

Les chiennes qui présentent des lactations nerveuses récidivantes à chaque cycle ont tendance à développer des tumeurs mammaires significativement plus tôt.

L’accumulation des sécrétions lactées est responsable d’une distension alvéolaire intense. La compression vasculaire ainsi provoquée favoriserait l’anoxie tissulaire et la formation de radicaux libres carcinogènes. Ce mécanisme pourrait expliquer l’association entre les lactations nerveuses et le développement des tumeurs mammaires.

Lors de lactation de pseudogestation chez la chienne, l’administration d’antiprolactiniques, et particulièrement de la cabergoline doit être préféré aux traitements locaux ou aux substances à activité hormonale.

En savoir plus

Verstegen J, Scalais S, Onclin K. La cabergoline lors de tumeurs mammaires chez la chienne en pseudogestation. Point Vét. 2004 ; 248 : 10-11.

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  • 4 - Donnay I, Rauis J, Verstegen J. Influence des antécédents hormonaux sur l’apparition clinique des tumeurs mammaires chez la chienne. Ann. Méd. Vét. 1994 ; 138 : 109-117.
  • 5 - Fieni F, Verstegen J, Heraud V et coll. Physiologie de la prolactine, pharmacologie des antiprolactiniques et applications chez la chienne. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1999 ; 34 : 187-199.
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  • 8 - Gobello C, de la Sota RL, Goya RG. Study of the change of prolactin and progesterone during dopaminergic agonist treatments in pseudopregnant bitches. Anim. Reprod. Sci. 2001 ; 66(3-4): 257-267.
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  • 16 - Okkens AC, Bevers MM, Dielemen SJ et coll. Evidence for prolactin as the main luteotrophic factor in the cyclic dog. Vet. Quart. 1990 ; 36 : 389-396.
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  • 24 - Verstegen J, Touati K, Donnay I et coll. La lactation nerveuse ou lactation de diœstrus chez la chienne non gestante. Ann. Méd. Vét. 1989 ; 133 : 5-13.
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