Les ehrlichioses félines : des bactérioses émergentes ? - Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004
Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004

MALADIES INFECTIEUSES DU CHAT

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EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Lénaïg Halos

Fonctions : Équipe “bactéries pathogènes vectorisées”
UMR 956 BIPAR
École nationale vétérinaire
d’Alfort
7, av. du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort

Les ehrlichioses, bien connues chez le chien, ont été peu décrites chez le chat, chez lequel elles pourraient pourtant être l’une des causes d’hyperthermie, d’anémie et d’abattement.

Les ehrlichioses sont des affections bactériennes à transmission vectorielle fréquemment décrites chez le chien, chez le cheval et chez les bovins, mais aussi chez l’homme. Leur répartition est mondiale et elles sont considérées comme des maladies potentiellement émergentes car leur incidence ne cesse de s’accroître, notamment en relation avec la prolifération de leurs vecteurs arthropodes.

Chez le chat, l’ehrlichiose est en revanche mal connue. Les félins semblent naturellement moins sensibles à l’infection et, jusqu’à présent, aucune Ehrlichia n’a encore été cultivée à partir de sang de chat [7]. Un premier cas probable d’ehrlichiose féline a néanmoins été décrit en France en 1986 [5] et, depuis, de nombreuses études rapportent des cas d’infections félines évoquant une ehrlichiose [1, 2, 3, 4, 9, 10, 11]. L’incidence des ehrlichioses chez le chat semble donc sous-estimée [11].

Quels sont les agents des ehrlichioses félines ?

Les agents des ehrlichioses, Ehrlichia sp., sont de petits bacilles à Gram négatif, immobiles, apparentés aux rickettsies (voir l’ENCADRÉ “Carte d’identité d’Ehrlichia sp.”). Leur localisation est strictement intracellulaire. Ils sont le plus souvent regroupés à l’intérieur de vacuoles intracytoplasmiques sous la forme d’inclusions denses appelées morulas (PHOTO 1). Les cellules infectées varient selon l’espèce d’Ehrlichia, mais il s’agit le plus souvent des cellules des lignées myéloïdes et lymphoïdes : macrophages, monocytes, granulocytes neutrophiles, plaquettes ou lymphocytes.

• Le genre Ehrlichia n’a pas échappé à la réorganisation de l’ordre des rickettsiales, fondée sur l’analyse du gène de l’ARN ribosomal 16S. Auparavant, trois groupes génomiques d’Ehrlichia étaient distingués : le génogroupe d’Ehrlichia canis (E. canis, E. chafeensis, etc.), le génogroupe d’Ehrlichia sennetsu (E. sennetsu et E. risticü), qui colonisent tous deux les monocytes et les macrophages, et le génogroupe d’Ehrlichia phagocytophila (E. phagocytophila, E. equi et l’agent de l’ehrlichiose granulocytaire humaine) qui colonise les granulocytes. Désormais, ces trois génogroupes ont été placés dans trois genres différents :

- le genre Ehrlichia ne comprend plus que le seul génogroupe d’Ehrlichia canis ;

- le génogroupe d’Ehrlichia sennetsu est rattaché au genre Neorickettsia ;

- le génogroupe E. phagocytophila forme l’espèce Anaplasma phagocytophilum.

Pour une meilleure lisibilité des études et des descriptions cliniques, l’appellation “ehrlichiose” est actuellement conservée pour les infections dues aux trois génogroupes, même si les termes “anaplasmose” et “néorickettsiose” devraient progressivement la remplacer.

• Depuis la fin des années 1980, de nombreuses études évoquent la présence d’inclusions ressemblant aux morulas d’Ehrlichia dans les monocytes ou les granulocytes chez des chats qui présentent des symptômes proches de ceux de l’ehrlichiose canine et/ou une sérologie positive à Ehrlichia sp. [1, 5, 10]. Plus récemment, l’amplification génomique spécifique par PCR et le séquençage d’un fragment du gène de l’ARN 16S d’Ehrlichia sp., réalisés en France chez deux chats [2] et aux États-Unis chez trois chats [4], ont permis de caractériser une Ehrlichia très proche d’E. canis. En Suède, la même technique a permis l’identification chez des chats d’une Ehrlichia du génogroupe E. phagocytophila (Anaplasma phagocytophilum) [3], responsable de l’ehrlichiose granulocytaire humaine (HGE).

Il semble donc que plusieurs agents soient responsables de l’ehrlichiose féline. L’agent le plus fréquemment décrit est, selon des critères sérologiques et moléculaires, très proche d’Ehrlichia canis. Il est, comme E. canis, responsable d’une ehrlichiose monocytaire. Toutefois, d’autres cas d’ehrlichioses granulocytaires à E. phagocytophila ou à E. equi (A. phagocytophilum) ont également été rapportés. Certaines affections seraient dues à E. risticii (Neoricketssia risticii) d’après les sérologies réalisées [9].

Leur incidence et leur répartition sont-elles connues ?

La fréquence des ehrlichioses chez le chat n’est pas connue. Les symptômes sont en effet assez variables et peu caractéristiques. L’affection est donc certainement sous-diagnostiquée [7]. Des suspicions cliniques d’ehrlichiose féline ont été décrites dans tous les pays où les ehrlichioses canines ou humaines sont endémiques, notamment aux États-Unis, en France, en Suède, au Danemark, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Kenya [2, 3, 4, 7, 8, 10]. En France, une étude menée dans le Gard entre 1994 et 2000 a identifié une affection cliniquement proche de l’ehrlichiose chez vingt-quatre chats [2].

Comment se transmettent les ehrlichioses félines ?

Les ehrlichioses sont des arborickettsioses, c’est-à-dire des maladies bactériennes transmises par des arthropodes vecteurs. Le vecteur de l’ehrlichiose monocytaire canine à E. canis est la tique Rhipicephalus sanguineus. Chez le chat, les tiques dures sont également incriminées (PHOTO 2) et, même si leur rôle n’a pas encore été démontré, des tiques des espèces Ixodes ricinus et Haemaphysalis leachi ont été retrouvées en grande quantité chez des chats infectés en Suède [3]. Les tiques du genre Ixodes peuvent aussi infecter l’homme et, comme l’une des Ehrlichia identifiées chez le chat est un agent d’ehrlichiose humaine, le chat et l’homme pourraient entrer dans un même cycle de transmission faisant intervenir ces tiques. Le mode de transmission de E. risticii est en revanche moins bien connu et il serait différent : la contamination se ferait par voie orale après ingestion de trématodes infectés [6]. Actuellement, la plupart des maladies transmises par les tiques sont dites émergentes dans l’hémisphère nord, en raison d’une augmentation de la densité des tiques et de leur aire de répartition.

Quels sont les facteurs de risque ?

Les facteurs qui prédisposent à l’ehrlichiose chez le chat restent à définir. Toutefois, une étude menée aux États-Unis chez des chats à sérologie positive pour E. canis et/ou E. risticii montre que la fréquence de séropositivité est significativement plus élevée chez les chats qui évoluent à l’extérieur [10], en relation avec l’exposition au vecteur potentiel. Les femelles semblent également plus sensibles à l’infection par E. canis [10].

Enfin, d’après la diversité des cas d’ehrlichiose féline rapportés, il ne semble pas y avoir de prédisposition liée à l’âge ou aux conditions d’élevage des animaux [10].

Quels sont les signes cliniques ?

Les signes cliniques d’ehrlichiose chez les chats infectés naturellement sont variés et peu spécifiques (voir le TABLEAU “Signes cliniques et biologiques les plus fréquemment rencontrés lors d’ehrlichioses félines”). L’identification précise des espèces bactériennes incriminées chez le chat et l’étude d’éventuelles co-infections devraient permettre à l’avenir d’expliquer une part de cette diversité.

Lors d’ehrlichioses monocytaires (E. canis et E. risticii), les symptômes les plus fréquemment décrits sont une hyperthermie intermittente, une perte de poids, des vomissements, de la diarrhée, des signes respiratoires et des douleurs musculaires [2, 4, 10, 11]. Jetage oculaire, uvéite et polyarthrites peuvent en outre compléter le tableau clinique [10, 11]. Les anomalies hématologiques les plus fréquemment rencontrées sont l’anémie (PHOTO 3), la thrombopénie et la leucopénie, associées à une hyperglobulinémie.

Les chats atteints d’ehrlichiose granulocytaire (E. phagocytophila) présentent une hyperthermie, un abattement, une perte de poids et des douleurs articulaires [3].

L’évolution de l’infection en maladie chronique, connue chez le chien, n’a jamais été démontrée chez le chat. Une élévation prolongée du niveau d’anticorps chez les chats séropositifs pour E. canis et E. phagocytophila laisse toutefois supposer que l’ehrlichiose féline peut évoluer vers la chronicité [10]. Des signes cliniques d’affection auto-immune, notamment une hypoplasie médullaire, associés à la présence d’anticorps antinucléaires, ont été rapportés chez des chats présentant une ehrlichioseà E. canis identifiée par PCR [4]. Les Ehrlichia pourraient ainsi être les agents étiologiques de certaines affections auto-immunes du chat [7].

Comment établir le diagnostic définitif ?

Le diagnostic définitif de l’ehrlichiose féline est difficile à établir [7, 10].

La mise en évidence cytologique de la bactérie repose sur la détection d’inclusions intracytoplasmiques dans les monocytes ou les granulocytes d’un échantillon de sang périphérique. Or la présence de ces inclusions n’est pas systématique chez les chats infectés [10]. La technique est donc peu sensible. Des faux positifs peuvent en outre être obtenus en cas de confusion avec des granules toxiques [1].

La valeur prédictive d’un diagnostic sérologique dans les cas d’infection bactérienne est faible en dehors d’un contexte épidémiologique et clinique très évocateur. Dans le cas de l’ehrlichiose toutefois, des tests sérologiques (immunofluorescence) sont disponibles pour les infections à E. risticii et à E. canis chez le chat. Le test sérologique est assez spécifique du genre Ehrlichia [1]. Une cinétique croissante associée à un titre d’anticorps élevé (> 1/80) est toutefois nécessaire pour établir avec certitude le diagnostic d’une ehrlichiose sur un critère sérologique [1, 10]. La possibilité d’obtenir des faux négatifs a été démontrée dans certains cas chez lesquels, malgré une PCR positive à E. canis, aucun anticorps anti-E. canis n’a pu être détecté [4]. En outre, si la sérologie est spécifique du genre, l’identification précise de l’espèce d’Ehrlichia en cause ne peut être réalisée par sérologie car des réactions croisées existent entre espèces [1].

L’amplification par PCR d’un fragment d’ADN d’Ehrlichia sp. à partir d’un échantillon de sang périphérique est une technique très spécifique qui permet en outre le diagnostic de certitude [2, 3, 4]. Cette méthode n’est toutefois pas encore réalisable en routine et sa sensibilité n’est pas définie (notamment chez les chats qui présentent une infection subclinique ou chronique) [10].

Le diagnostic de la maladie aiguë repose sur la combinaison du tableau clinique et des différents tests diagnostiques : cytologie, PCR et/ou sérologie. Certains chats qui présentent une PCR positive se révèlent séronégatifs, une sérologie négative ne permet donc pas d’exclure une ehrlichiose. Une PCR est nécessaire pour définir l’espèce d’Ehrlichia en cause, en l’absence de test sérologique plus spécifique.

Quel est le traitement de choix ?

Bien qu’il n’y ait pas encore eu de validation par un essai thérapeutique contrôlé, les auteurs [1, 2, 3, 4, 9, 10] s’accordent à dire que le traitement de choix des ehrlichioses félines est l’administration de tétracycline ou de doxycycline (10 mg/kg en deux prises quotidiennes). La réponse clinique est excellente et rapide. Une amélioration de l’état général des chats est perceptible dans les douze premières heures du traitement. Une corticothérapie peut être associée. L’antibiothérapie doit être poursuivie pendant au moins vingt et un jours [1, 3, 10]. La durée optimale du traitement n’a toutefois pas encore été déterminée [7] et certains auteurs préconisent une antibiothérapie prolongée jusqu’à vingt-huit jours [10], voire soixante jours [2]. Il est intéressant de noter que certains auteurs considèrent la réponse à la doxycycline comme un élément du diagnostic de l’ehrlichiose chez le chat (Beaufils, commentaire personnel).

De l’ADN d’Ehrlichia a été retrouvé dans le sang d’un chat plus de deux ans après un épisode d’ehrlichiose clinique traitée par la doxycycline pendant plus de deux mois [2]. Dans ce cas, en fin de traitement, la baisse des anticorps anti-E. canis pouvait laisser penser que la bactérie avait été éliminée. La première hypothèse est celle d’une nouvelle infection, mais il est aussi envisageable de supposer que, malgré l’antibiothérapie, la bactérie a persisté chez le chat de manière asymptomatique.

Les ehrlichioses pourraient donc compter au nombre des affections potentielles et méconnues du chat, et leur importance en médecine féline doit être réévaluée. Elles entrent désormais dans le diagnostic différentiel lors de tableau clinique fruste associant une hyperthermie, un abattement, une anorexie, une perte de poids et/ou une anémie.

Les ehrlichioses félines sont encore mal connues ; il reste à isoler le (ou les) agent(s) responsable(s), à mettre en place un test sérologique suffisamment sensible et spécifique et à évaluer leur rôle dans la pathogénie des maladies auto-immunes du chat.

Carte d’identité d’Ehrlichia sp.

Bacteria

Groupe : Proteobacteria

Sous-groupe : Alphaproteobacteria

Ordre : Rickettsiales

Famille : Anaplasmataceae

Genre : Ehrlichia

Genre apparenté : Anaplasma, Cowdria, Neorickettsia

Points forts

Les espèces d’Ehrlichia responsables des infections chez le chat n’ont encore jamais été isolées, mais l’une d’elles est très proche de E. canis (agent de l’ehrlichiose monocytaire canine) et une autre est très proche de Anaplasma phagocytophilum (agent des ehrlichioses granulocytaires bovines, équines et humaines).

Les tiques sont très probablement les vecteurs des ehrlichioses félines.

Les symptômes d’ehrlichiose féline sont une hyperthermie, un abattement, une anorexie et des douleurs musculaires et, sur le plan biologique, une anémie et une thrombopénie.

Le diagnostic de certitude nécessite la mise en évidence d’inclusions intracytoplasmiques dans les granulocytes et/ou les monocytes sur un frottis de sang périphérique ou l’identification par PCR, puis séquençage de la bactérie.

À lire également

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- Buoro IB, Atwell RB, Kiptoon JC et coll. Feline anaemia associated with Ehrlichia-like bodies in three domestic short-haired cats. Vet. Record. 1989;125(17):434-436.

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En savoir plus

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