Hémoparasitoses dans un troupeau “à cellules” - Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004
Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004

APPROCHE GLOBALE EN ÉLEVAGE BOVIN LAITIER

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Gaël Gounot*, Yves Fouqué**, Bernadette Le Normand***, Vincent Guillon****

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
81, bd Edmond Roussin
35300 Fougères
**Clinique vétérinaire
81, bd Edmond Roussin
35300 Fougères
***Clinique vétérinaire
81, bd Edmond Roussin
35300 Fougères
****Clinique vétérinaire
81, bd Edmond Roussin
35300 Fougères

Une élévation des comptages cellulaires dans le lait, impliquant un staphylocoque doré, est la seule manifestation d’une hémoparasitose à Anaplasma phagocytophilum et à Babesia divergens.

Un éleveur de bovins laitiers mis en interdiction de collecte de lait pour la seconde fois en deux ans, et dont la seule issue serait un abattage total du troupeau, fait appel à son vétérinaire traitant. Une visite d’élevage globale est entreprise. Elle inclut des examens cliniques et paracliniques des animaux.

Cas clinique

1. Anamnèse et commémoratifs

Les taux cellulaires ont augmenté depuis cinq ans. Les moyennes mensuelles du taux cellulaire de tank sont supérieures à quatre cent milles cellules par millilitre de lait, de façon répétée. Individuellement, presque toutes les vaches en lactation ont des taux cellulaires extrêmement élevés depuis deux ans, y compris les primipares dès le premier contrôle (voir le TABLEAU “Répartition des résultats cellulaires individuels en juillet 2003” et les TABLEAUX complémentaires “Taux cellulaires en 1998 et 1999” et “Taux cellulaires de janvier à septembre 2003” sur Planète-vet). Le taux de renouvellement est élevé : environ 60 %, sans achat d’animaux à l’extérieur.

Interventions et propositions antérieures

Staphylococcus aureus a été mis en évidence à plusieurs reprises lors d’analyses de lait de mammite. Depuis cinq ans, de nombreux intervenants se sont succédés. Le contrôle laitier a conseillé une mise à la terre électrique de tous les bâtiments et des installations intérieures. Des techniciens de la laiterie et des agents technico-commerciaux d’usine d’aliments ont fait des propositions à partir de l’étude des documents techniques d’élevage. Un vétérinaire a réalisé des California Mastitis Test (CMT) sur toutes les vaches et proposé de traiter les vaches infectées au tarissement avec une spécialité à base de spiramycine (Suanovil®) en plus de l’administration usuelle d’intramammaire hors lactation, sans résultat probant. Un autre praticien a mis en place une autovaccination, sans résultat. De nombreux “plans de lutte contre les cellules” mis en place par le contrôle laitier n’ayant pas donné de résultat, l’éleveur a cessé d’adhérer à ce service il y a deux ans. Le groupement de défense sanitaire (GDS) a réalisé une visite de traite dite “dynamique”, qui n’a pas relevé de dysfonctionnement de la machine, ni d’erreur de traite ou de lésions. Intervenu sur demande de la laiterie, il a préconisé un abattage total du troupeau (devant la large prévalence de l’infection dans ce troupeau), de construire ensuite une salle de traite (pour remplacer le transfert manuel des faisceaux dans l’étable actuelle), et d’acheter de nouveaux animaux pour repartir à zéro, tout cela sans aide financière.

Observations cliniques antérieures

L’éleveur rapporte, en plus des taux cellulaires élevés, des signes cliniques temporaires chez ses vaches, à diverses périodes de l’année, mais jamais, selon lui, sur des nullipares :

- des « yeux rouges » (sclère injectée de sang) qui persistent pendant environ quinze jours quel que soit le stade de gestation ;

des trayons « glacés » au toucher lors du bran-chement des manchons (les vaches ne se lais- sent alors pas correctement traire), le temps d’une traite ;

- des lésions dans le sillon inter-mammaire qui ne guérissent pas (ulcères atones) ;

- des œdèmes mammaires qui surviennent plus de quinze jours après le vêlage, chez des vaches quels que soient leurs rangs et leurs mois de lactation, mais principalement observés après supplémentation (pourtant sans excès) en azote par rapport à la ration de base (mise à l’herbe en avril, ensilage d’herbe, etc.) ;

- des avortements ont lieu lorsque l’œdème atteint des vaches gestantes de six ou sept mois ;

- les vaches boivent peu et urinent peu ;

- un jetage catarrhal sporadique est observé.

Un épisode d’avortement récent a fait l’objet d’analyses par le vétérinaire traitant. Salmonella montevideo est mise en évidence sur un placenta. Dix sérologies individuelles sont effectuées :

- une est positive pour la fièvre Q (animal âgé de sept ans) ;

- deux sont positives pour la néosporose (animaux âgés de quatre ans) ;

- quatre sont positives pour le BVD (Elisa) (animaux respectivement âgés de cinq (n = 1), six (n = 1) et sept ans (n = 2)).

2. Visite d’élevage

L’éleveur n’a jamais été pénalisé autrement que pour des taux cellulaires élevés (pas de lipolyse, pas de butyriques, etc.). Une visite d’élevage est réalisée en septembre 2003.

Examen général des vaches

Les animaux sont en bon état général. Aucun n’a « l’œil rouge ». Une procidence de la troisième paupière est parfois observée, surtout chez les nullipares (mais les mouches sont nombreuses). Les vaches taries sont menées séparément.

Étude de la ration

Un déficit en azote est observé (voir l’ENCADRÉ “Ration fin septembre 2003”). Toutefois :

- les bouses sont assez molles et sans grains de maïs (séparation des secteurs fibreux/hydrique et maldigestion des aliments de couleur vert sombre) ;

- les taux protéiques (et butyreux) ne sont pourtant pas abaissés (voir le TABLEAU complémentaire “Qualité du lait tickets laiterie” sur Planète-vet).

La ration censée être distribuée (avec un déficit en azote) et les résultats de productions semblent mal corrélés.

3. Visite de traite

Trois défauts majeurs susceptibles de favoriser la transmission de micro-organismes sont relevés (voir l’ENCADRÉ “Résumé de la visite de traite” et l’encadré complémentaire “Conseils suite à la visite de traite” sur Planète-vet) :

- l’absence d’élimination des premiers jets ;

- l’entrée systématique d’air lors de la pose des manchons ;

- le manque d’égouttage du faisceau trayeur entre deux vaches voisines, en raison du transfert manuel rapide des faisceaux en étable de vache à vache (idéalement, ils sont raccrochés au moins cinq minutes entre deux vaches).

4. Étude du bâtiment

Le bâtiment est orienté au sud-est. La présence de moisissures sur la charpente (fermes principales) indique une mauvaise circulation de l’air. Un léger découpage des tôles au fond de la stabulation s’impose (voir les PHOTOS A et B sur Planète-vet). La surface de couchage par vache paraît correcte (240 m2 pour trente-deux vaches laitières, soit près de 8 m2 par vache).

Examens complémentaires

Suite aux observations cliniques et alimentaires, des prises de sang sont réalisées sur dix animaux du troupeau laitier et du troupeau de renouvellement, et transmises au laboratoire départemental d’analyse d’Ille-et-Vilaine (LDA 35) (voir les TABLEAUX “Hématologie” et “Profil métabolique du groupe “vaches malades” le 1, ainsi que les TABLEAUX complémentaires “hématologie” et “profil métabolique” dans les groupes “vaches saines et nullipares” sur Planète-vet).

Numérations formules sanguines

Des éosinophilies marquées sont observées, ainsi que des inversions de formule (neutrophilie et lymphopénie). Le nombre de leucocytes totaux est normal. Les hématocrites sont souvent bas, associés à des volumes corpusculaires moyens normaux, signes d’une anémie normocytaire dans le lot de vaches supposées malades. D’après ces résultats, tous les animaux doivent être considérés comme “malades”.

L’anémie peut avoir pour origine :

- un défaut de fabrication de l’hémoglobine (défaut de synthèse hépatique ou carence alimentaire) ;

- un excès de destruction des globules rouges.

Les réticulocytes n’ont pas été dénombrés (anémie régénérative ?).

L’éosinophilie est évocatrice d’une parasitose massive (infestation par la grande douve ?) ou d’une allergie. La lymphocytose peut être notamment le signe d’une infection chronique latente ou peut être due à une fuite sanguine. Une piroplasmose chronique pourrait expliquer la neutrophilie [9]. Aucune forme clinique évidente de cette parasitose n’a jamais été rapportée, mais l’environnement de l’exploitation est propice aux tiques vectrices de cette parasitose (nombreux taillis et jachères, sols granitiques acides).

Résultats biochimiques et hypothèses diagnostiques

• Chez les vaches en lactation, l’hypoglycémie est généralisée (avec acétonémie). Des urémies basses sont relevées. Même les génisses nullipares (en pâture) sont en hypoglycémie. Leur urémie est en revanche normale.

Le déficit énergétique circulant peut provenir d’un défaut d’apport énergétique alimentaire ou d’une carence en azote (énergie ingérée suffisante, mais mauvais fonctionnement ruminal). Les urémies basses peuvent provenir d’un défaut d’apport en azote, quantitatif ou qualitatif (type de protéines).

• Les albuminémies sont basses (surtout chez les multipares), les globulinémies calculées sont élevées (surtout chez les génisses). Les concentrations de protéines totales sanguines sont proches de la limite normale supérieure.

Les albuminémies basses perturbent la pression oncotique du sang, ce qui provoque le passage de l’“eau” intracellulaire vers le milieu extra-cellulaire. Ce phénomène peut expliquer les œdèmes observés. Les globulines peuvent être le témoin d’une inflammation chronique d’un ou de plusieurs organes.

• Les nullipares sont carencées en sélénium, ce qui peut être compensé par un apport minéral adéquat.

Investigations complémentaires et résultats

• En raison des éosinophiloses observées, dix prises de sang et dix prélèvements de fèces sont réalisés le 17 septembre 2003 sur les dix vaches précédemment prélevées, pour le titrage d’anticorps anti-douve (Institut départemental d’analyse et de conseil, Nantes) et l’évaluation du parasitisme pneumo-gastro-intestinal du troupeau (LDA 35). Les résultats sont négatifs (voir les TABLEAUX complémentaires “Douve Elisa le 17 septembre 2003 (IDAC)” et “Résultats coproscopiques le 17 septembre 2003” sur Planète-vet).

• Des bilans hépatiques sont effectués au LDA 22 sur quatre animaux (voir le TABLEAU complémentaire “Biochimie hépatique le 15 octobre 2003” sur Planète-vet). Les taux d’ASAT (60 à 160 UI/ml, norme < 25 UI/ml) et d’ALAT (dans une moindre mesure) sont élevés (dysfonctionnement hépatique). Les concentrations de phosphatases alcalines et de bilirubine totale sont normales.

• Le même jour, la peau des aines et des aisselles des trente-cinq vaches en lactation et de dix nullipares du troupeau est palpée : sur chacun des animaux, une à trois tiques sont retrouvées, plus ou moins gorgées de sang (Ixodes ricinus, diagnose à l’ENV Nantes et par le Dr Guy-Joncour, praticien à Callac de Bretagne) (PHOTO 1).

En conséquence, des parasites véhiculés par le sang sont recherchés (voir le TABLEAU complémentaire “Recherche d’hémoparasites le 15 octobre 2003” sur Planète-vet).

Babesia divergens est mis en évidence chez cinquante animaux testés : onze sont positifs en immunofluorescence indirecte (IFI) et six par visualisation du parasite dans le sang après une culture cellulaire (réalisée par Laurence Malandrin, INRA/ENV Nantes). Les quatre étalements sanguins réalisés sont toutefois négatifs (par Renaud Maillard, ENV Alfort).

Anaplasma phagocytophilum (agent de l’erhlichiose bovine) est mis en évidence indirectement (quatre positifs sur quatre, en IFI au LDA 22).

Trypanosoma sp. (a priori non pathogène) est mis en évidence sur hémoculture (prévalence de 12 %).

La Borréliose de Lyme n’est pas mise en évidence chez les quatre animaux testés (IFI à l’ENV Nantes)

5. Traitement

Pathogènes mammaires

La technique de traite est modifiée selon les recommandations formulées à l’issue de la visite de traite. Le pliage des tuyaux lors de la pose des manchons pour éviter les entrées d’air se révèle difficile à respecter. La réforme des vaches à plus de trois lactations, infectées ou qui présentent des nodules mammaires, est conseillée. Seul un traitement antibiotique intramammaire est prescrit au tarissement sur les vaches infectées (Cépravin® ou Stapenor HL®) associé à une injection de tilmicosine (Micotil 300®, 10 mg/kg par voie sous-cutanée). Cet antibiotique (suspendu, en cours de réintroduction) était utilisé hors résumé des caractéristiques du produit (RCP) dans ce contexte. Un temps d’attente de trois semaines a été conseillé. L’éleveur n’a pas été pénalisé par la laiterie.

Sur les lésions des sillons intermammaires (cinq vaches), une pommade à base de miel et d’oxyde de zinc a été appliquée (une fois par jour la première semaine, puis une fois par semaine pendant un mois), associée à une injection de zinc (Prolontex Zinc® deux fois à quinze jours d’intervalle), sur les conseils de Jean-Marie Gourreau (Agence française de sécurité sanitaire des aliments).

Hémoparasites

À partir du 6 novembre 2003, tous les animaux qui sont allés au pâturage pendant l’été reçoivent un traitement piroplasmicide (une injection d’imidocarbe, Carbésia®, par voie intramusculaire à dose forte préventive : 2,5 ml /100 kg) et un antibiotique actif sur les anaplasmes (oxytétracycline, Terramycine 100®, 10 mg /kg de poids vif, par voie intramusculaire le premier jour, puis Terramycine Longue Action® 20 mg/kg le lendemain). Les temps d’attente lait (sept jours pour Terramycine LA®) sont respectés.

Lutte contre les tiques

• Dès la mise en évidence des tiques (en septembre 2003), tout le troupeau reçoit un traitement à base de deltaméthrine pour on (Butox®), répété sur les vaches laitières à la réapparition des parasites en avril 2004, et plusieurs fois jusqu’en juillet 2004 (rémanence de quatre à cinq semaines).

• Un débroussaillage sur cinq mètres en arrière du fil de clôture est pratiqué, car la lutte chimique contre les tiques dans les taillis est aléatoire [2] (PHOTO 2).

6. Suivi du troupeau

Lésions hépatiques

Par curiosité, les viscères et les organes abdominaux de trois animaux réformés non traités, abattus le 27 novembre 2003, sont examinés. Les foies présentent des lésions hémorragiques, plutôt dépressives, en surface et quelques-unes à l’intérieur de l’organe (PHOTO 3). L’histologie (LDA 22) conclue à une télangiectasie multifocale sans signification pathologique.

Suivi hématologique

• En février 2004, sur la proposition de l’INRA/ENV Nantes, de nouvelles recherches d’hémoparasites sont effectuées sur cinquante animaux. Ni Babesia divergens ni trypanosomes ne sont mis en évidence sur les cultures cellulaires. Les sérologies ne sont pas répétées car elles n’informent pas sur la réelle élimination du parasite liée au traitement.

• Trois numérations formules sanguines sont réalisées sur des animaux déjà prélevés en septembre 2003 (voir le TABLEAU complémentaire “Hématologie le 2 février 2004” sur Planète-vet). Les lignées blanches sont toujours globalement inversées, mais les lymphocytes ont augmenté par rapport à septembre 2003 et les neutrophiles et/ou les éosinophiles ont diminué (amélioration).

• En mars 2004, à l’abattoir, les foies de cinq vaches traitées, mais réformées pour mauvais retour en production, sont examinés. Trois sur cinq sont saisis pour les mêmes raisons qu’en novembre 2003 (lésions de télangiectasie). Sur les prélèvements de sang effectués lors de la saignée de ces vaches, les hématocrites et les numérations de neutrophiles sont élevés ; une numération plaquettaire est basse (voir le TABLEAU complémentaire “Hématologie le 1er mars 2004” sur Planète-vet). Les paramètres hépatiques sont pratiquement normaux (un taux d’ASAT un peu élevé), ce qui n’est pas corrélé aux lésions macroscopiques marquées des foies de ces animaux…

• Après six mois de mesures préventives des mammites et de réforme des vaches incurables (toujours 60 %), et quatre mois de lutte contre les hémoparasites, les taux cellulaires de tank ont significativement baissé à 244 000 cellules en février 2004 (premier mois sans pénalité sur le prix du lait depuis cinq ans) (voir les TABLEAUX complémentaires “Résultats cellulaires jusqu’à février 2004” sur Planète-vet)

La traite se déroule dans de meilleures conditions (vaches plus calmes). Les œdèmes semblent avoir disparu et la ration peut être optimisée : le maïs est à nouveau distribué à raison de 15 kg de matière sèche et les vaches disposent d’environ 3 kg de correcteur azoté. La production par vache augmente d’environ 20 % d’après l’éleveur. Le quota est réalisé pour la première fois depuis cinq ans. Le poids, la conformation et l’état d’engraissement des vaches réformées ne semblent pas modifiés, mais l’engraissement final est plus court selon l’éleveur.

• En juin 2004 (après réinfestation possible des animaux par les tiques), des prélèvements hématologiques sont renouvelés. Des signes de possible recontamination sont observés (résultats encore partiels pour Babesia divergens).

Des numérations formules sanguines sont effectuées sur quelques animaux déjà prélevés en septembre 2003 (voir le TABLEAU complémentaire “Hématologie LDA 35 le 16 juin 2004” sur Planète-vet). Aucune formule sanguine n’a évolué dans le bon sens : les inversions de formules se sont amplifiées et quelques animaux conservent une éosinophilie élevée.

Des cultures de Babesia sont pratiquées (n = 46). Tous les animaux sont négatifs (résultats encore partiels pour Babesia divergens) ce qui écarte a priori l’éventualité d’un portage. Sur six animaux testés, cinq sont toutefois positifs en IFI ehrlichiose. Par conséquent, soit le traitement n’a pas été assez long, soit il n’a pas été réalisé correctement. Il peut également s’agir d’une recontamination. En discutant avec l’éleveur, les trois hypothèses sont possibles.

Quoi qu’il en soit, depuis le traitement instauré, les comptages cellulaires individuels dans le lait ont fortement baissé, et l’éleveur n’a plus de difficultés pour traire ses vaches (voir le TABLEAU “Répartition des résultats cellulaires individuels en mai 2004” et les tableaux complémentaires “Résultats cellulaires d’août 2003 à mai 2004” sur Planète-vet).

Discussion

1. Recherche des hémoparasites

La circulation d’au moins deux hémoparasites a été mise en évidence dans ce troupeau (par IFI ou cultures cellulaires)

La recherche s’est révélée négative avec certaines techniques (étalements sanguins directs pour Babesia divergens). Lors de portage chronique en effet, peu de piroplasmes circulent dans le sang (dix parasites par millilitre de sang). La technique de culture cellulaire permet en revanche de les mettre en évidence [6]. Elle est pratiquée en parallèle avec une IFI. Les titres en IFI sont faibles dans les cas chroniques (1/80 à 1/320 avec un seuil de positivité à 1/80) (Laurence Malandrin INRA/ENV Nantes, communications person-nelles, [6]).

Pour Anaplasma phagocytophylum, la date de la contamination n’étant pas connue, la recherche directe n’a pas été effectuée (elle doit être effectuée dans les premiers jours de contamination) [b].

Un troisième parasite du sang : Trypanosoma sp. (a priori non pathogène) a été mis en évidence sur hémoculture avec une prévalence de 12 %, ce qui peut sembler élevé. Les données sur la prévalence de ce parasite sont toutefois trop peu nombreuses pour tirer des conclusions de ce résultat.

2. Poly-infestations

Les tiques recueillies ont été transmises au Pr Philippe Brouqui (CNRS, Unité des rickettsies, Marseille), afin de rechercher par PCR les pathogènes transmis par ces acariens, mais les résultats ne sont pas encore disponibles.

Un animal était positif à la fièvre Q lors d’un épisode d’avortement antérieur.

Les tiques peuvent transmettre plusieurs infections dans un même élevage, parfois concomitamment [2]. La co-infection par A. Phagocytophilum et Babesia divergens a été étudiée en conditions expérimentales [1]. Les bovins présentent deux phases d’hyperthermie, les symptômes ne semblent pas plus sévères que lors d’infection simple. Les changements de la numération formule sont biphasiques. L’apparition des anticorps n’est pas perturbée par la co-infection. Ces observations sont toutefois difficiles à rapprocher du cas de cet élevage.

• Des signes sérologiques qui suggèrent une (re)contamination sont apparus dans cet élevage. Dans la littérature, des sérologies mensuelles ont été pratiquées dans un élevage affecté par Babesia seul [4]. La plupart des animaux séropositifs montrent au moins un nouveau pic d’anticorps dans les deux ans qui suivent, parfois plus tard. L’incidence clinique de la babésiose est cependant faible (3 vaches sur 236).

Dans le cas de cet élevage, aucun épisode clinique aigu évocateur d’ehrlichiose (hyperthermie, agalaxie, syndrome grippal dans le troupeau [a]) ou de babésiose (diarrhée en jet, hématurie sur au moins un individu [10]) n’a été rapporté. Certains signes cliniques épisodiques (œdèmes) et le manque de défense contre les infections mammaires (à staphylocoques) pourraient toutefois être reliés à ces parasitoses [3, a]. Les anomalies des numérations formules sanguines ne correspondent pas à celles habituellement observées lors d’anaplasmoses en général [a] mais semblent caractériser une infestation par les piroplasmes [9].

Néanmoins, la seule élimination des anaplasmes pourrait avoir permis l’amélioration des taux cellulaires dans le lait. Cela reste toutefois à vérifier.

Les lésions et anomalies biochimiques hépatiques sont difficiles à expliquer.

De nombreuses questions sur la biologie des hémoparasites et les interactions hôtes-parasites restent encore non élucidées [10]. L’épidémiologie des maladies transmises par les tiques est également en pleine évolution [5].

3. Traiter ou ne pas traiter ?

Toutes les personnes contactées ont conseillé de ne pas traiter les animaux contre les parasites décelés, afin de laisser une immunité s’installer. Un autre choix a été préféré, en raison du contexte et après discussion avec l’éleveur. Un traitement a été mis en place contre les piroplasmes et contre les erhlichia, ciblé sur les vaches exposées aux tiques [c]. Le groupement de défense sanitaire (GDS) d’Ille-et-Vilaine l’a pris en charge. L’éleveur a dû assumer le coût de la perte en lait associée (temps d’attente).

Dans cet élevage, le traitement contre les hémoparasites semble avoir permis de produire à nouveau un lait “sain”. Les hémoparasites semblent toutefois continuer à circuler, sans détérioration des taux cellulaires.

L’application des conseils de traite et la politique de réforme ont certainement participé à la baisse du comptage cellulaire de tank [7, 8 ; Maria Martin-Richard, communication personnelle]. Le traitement à base d’oxytétracycline contre l’ehrlichiose peut aussi avoir joué un rôle dans la lutte contre le staphylocoque contaminant mammaire.

L’hypothèse d’une association de deux affections est possible au sein de cet élevage (infection mammaire plus hémoparasitoses). Une exploration de la fonction immunitaire cellulaire des vaches aurait pu apporter un élément d’information supplémentaire.

La presque totalité des vaches en lactation avaient des comptages cellulaires individuels extrêmement élevés depuis deux ans, y compris les primipares dès le premier contrôle, ce qui amène aussi à s’interroger sur une possibilité de contamination des mamelles avant la première traite (Maria Martin-Richard, communications personnelles).

Une lutte active et préventive contre les infestations par les tiques est poursuivie dans l’élevage. Une inspection régulière des zones d’ancrage des tiques sur les vaches en lactation est conseillée et des analyses sanguines sont prévues une fois par an sur des animaux sentinelles, afin de détecter une éventuelle contamination des animaux par des bactéries ou des parasites sanguins transmis par ces acariens. Devant la nette amélioration des taux cellulaires individuels en 2004, mais la persistance des anticorps contre Anaplasma, il est décidé, avec l’éleveur, de traiter uniquement les génisses au moment du vêlage avec une oxytétracycline pendant neuf jours (trois injections longue action).

Ration fin septembre 2003

Ingestion rapportée

(total 15,5 à 16 kg de matière sèche) :

- 12,5 kg de matière sèche d’ensilage de maïs ;

- 1 kg de correcteur azoté (voir le TABLEAU complémentaire “Composition du correcteur azoté” sur Planète-vet)

- 500 g de paille environ (mélangés au maïs) ;

- 1,5 kg de foin environ (à volonté) ;

- herbe (mais valeur nutritive négligeable, en raison des fortes chaleurs estivales).

Ration calculée

L’éleveur devrait apporter environ 2 kg de plus de correcteur azoté (voir les TABLEAUX complémentaires “Tablait : ration distribuée” et “Tablait : ration corrigée” sur Planète-vet).

En savoir plus

- Bouquet B. L’ehrlichiose bovine, une maladie émergente ? Point Vét. 2004;244(35):8-9.

- Collin E. Les examens sanguins chez les bovins II. Utilisations pratiques de l’hémocytologie. Point Vét. 2000;31(205):153-158.

- Leboeuf C. Observation clinique en Normandie. Un syndrome respiratoire associant IBR et ehrlichiose. Point Vét. 2004;35(243):64-66.

- Voldoire E, Alognonouwa T, Vassallo N. Un cas d’erhlichiose bovine en région Rhônes-Alpes. Point Vét. 2002;33(238):58-71.

- Zenner L, Drevon-Gaillot E. Contrôle et lutte mécanique contre les tiques. Point Vét. 2003;34(234):30-34.

Remerciements : Laurence Malandrin, María Martin-Richard, Guy Joncour, Renaud Maillard et Francis Seyries.

Cet article est dédicacé au Dr Pierre THIVET.

Congrès

a - Joncour G, Collin E. Le diagnostic clinique de l’ehrlichiose bovine. In: URGTV Bretagne. Colloque européen francophone rickettsioses-zoonoses et autres arbobactérioses-zoonoses. 11 et 12 septembre 2003:50-53.

b - Vassalo N, Lamanda P. Erhlichiose bovine à A. phagocytophilum : diagnostic de laboratoire. In: URGTV Bretagne : collectif rickettsioses-zoonoses et autres arbobactérioses-zoonoses. Colloque européen francophone. 11 et 12 septembre 2003:54-55.

A lire également

c - Le Dréan-Quenec’hdu S. L’ehrlichiose bovine, vers une meilleure prévention. L’Action Vétérinaire. 2004;(1671):13-14.

Résumé de la visite de traite

Le dernier contrôle (annuel) n’a pas relevé d’anomalies de la machine à traire, sauf pour le régulateur (à nettoyer).

Observations

Plusieurs animaux ont des verrues, ce qui rend la traite difficile et occasionne des entrées d’air sur les trayons branchés, à l’origine d’irritations des trayons et de l’agitation des vaches.

L’essuyage des trayons est effectué avec du papier sur presque toutes les vaches.

La machine à traire est un système avec transfert en étable ligne haute, à quatre faisceaux trayeurs.

Après la traite de chaque vache, il reste au minimum 10 ml de lait résiduel dans le faisceau trayeur (griffe) et il n’y a pas d’égouttage entre deux vaches. La vache voisine est branchée aussitôt et peut donc être contaminée par le lait résiduel de la précédente.

Les griffes ne sont pas toujours gardées à niveau constant, d’où une entrée systématique d’air (voir la FIGURE complémentaire “Importance du respect du niveau constant des griffes avant la pose des manchons” sur planète-vet).

Une génisse qui a récemment vêlé se révèle difficile à traire (œdème mammaire marqué, nombreuses entrées d’air) mais, malgré une chute de faisceau, le niveau de vide global est toutefois resté constant (48 KPa, donc bon fonctionnement du régulateur).

Après la traite, un seul anneau de compression est noté. Environ 20 % des sphincters sont éversés après la traite, mais un seul sphincter était éversé avant la traite (sur quinze vaches inspectées, soit soixante trayons).

Seules les vaches les plus infectées subissent un trempage après la traite.

La traite dure une heure, pour trente et un animaux. Elle est réalisée par une seule personne. Le temps moyen passé, d’environ cinq à six minutes par vache, est satisfaisant.

Recommandations techniques principales

• Éliminer les premiers jets, ce qui permet en outre de dépister plus rapidement les infections sur les primipares.

• Éviter les entrées d’air lors du branchement, en pliant au maximum les tuyaux courts en Z, puis mettre la griffe en position sous la mamelle à une distance qu’elle ne doit pas quitter une fois les manchons branchés.

• Égoutter plus longuement entre deux vaches.

• Réserver un faisceau trayeur pour les nouvelles vêlées afin d’éviter leur contamination (notion de séparation de secteurs propre-sain/sale-souillé).

Points forts

Sur les quarante-cinq vaches palpées en octobre 2003, toutes portent des tiques, ce qui conduit à rechercher les hémoparasites.

Pour Babesia divergens, sur cinquante animaux testés, onze sont positifs en immunofluorescence indirecte et six ont des parasites visibles après une culture cellulaire du sang, mais les étalements directs restent négatifs.

Pour Anaplasma phagocytophilum, quatre animaux sur quatre sont positifs en immunofluorescence indirecte. La date de contamination n’étant pas connue, la recherche directe n’a pas été effectuée.

Dans l’environnement, la lutte chimique contre les tiques étant aléatoire, un débroussaillage sur cinq mètres en arrière du fil de clôture est préféré.

Les anticorps contre Anaplasma phagocytophilum et Babesia divergens peuvent persister plusieurs mois, ce qui implique d’attendre avant de rechercher une éventuelle recontamination par sérologie.

  • 1 - Brun-Hansen H, Christensson DA, Hardeng F et coll. Experimental infection with Ehrlichia phagocytophila and Babesia divergens in cattle. Zentralbl Veterinarmed B. 1997;44(4):235-43.
  • 2 - Hartelt K, Oehme R, Frank H et coll. Pathogens and symbionts in ticks : prevalence of Anaplasma phagocytophilum (Ehrlichia sp.), Wolbachia sp., Rickettsia sp. And Babesia sp. In Southern Germany. Int. J Med. Microbiol. 2004;293(suppl 37):86-92.
  • 3 - Joncour G. Un épisode d’erhlichiose dans un troupeau laitier recomposé. Bulletin GTV. 2000;5:309-314.
  • 4 - L’Hostis M, Chauvin A, Valentin A et coll. Survey of Babesia divergens antibody kinetics in cattle in western France. Vet. Res. 1997;28(5):481-488.
  • 5 - L’Hostis M, Seegers H. Tick born parasitic diseases in cattle : current knowledge and prospective risk analysis related to on going evolution in French cattle farming systems. Vet. Res. 2002;33(5):599-611.
  • 6 - Malandrin L, Lhostis M, Chauvin A. Isolation of Babesia divergens from carrier cattle blood using in-vitro culture. Vet. Res. 2004;35(1):131-139
  • 7 - Roberson JR, Fox LK, Hancock DD et coll. Ecology of Staphylococcus aureus isolated from various sites on dairy farms. Department of Veterinary Clinical Sciences, Washington State University, Pullman. ISBN 99164-7040.
  • 8 - Roberson JR, Fox LK, Hancock DD et coll. Sources of intramammary infections from Staphylococcus aureus in dairy heifers at first parturition. Department of Large Animal Clinical Sciences, Virginia Polytechnic Institute and State University Blacksburg. ISBN 24061-0442.
  • 9 - Rosenberger G. In: Examen clinique des bovins. Deuxième édition. Eds Le Point Vétérinaire, Maisons-Alfort. 1977:8-10.
  • 10 - Zintl A, Mulcahy G, Skerrett HE et coll. Babesia divergens, a bovine blood parasite of veterinary and zoonotic importance. Clinic. Microbiol. Rev. 2003;16(4):622-636.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr