Diagnostiquer et traiter une électrocution - Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004
Le Point Vétérinaire n° 248 du 01/08/2004

URGENCE ET SOINS INTENSIFS CANINS ET FÉLINS

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Christelle Decosne-Junot*, Stéphane Junot**

Fonctions :
*Unité SIAMU
École nationale vétérinaire de Lyon
1 av. Bourgelat. BP 83
69280 Marcy-l’Étoile
**Unité SIAMU
École nationale vétérinaire de Lyon
1 av. Bourgelat. BP 83
69280 Marcy-l’Étoile

Lorsqu’une électrocution est diagnostiquée chez un chien ou chez un chat, il convient de traiter les conséquences immédiates, mais aussi de prévenir ou de détecter précocement les complications cardiovasculaires et respiratoires.

L’électrocution et les complications qui en découlent sont des phénomènes peu décrits dans la littérature vétérinaire, vraisemblablement en raison de leur faible incidence et de leur pronostic sombre. C’est un accident qui concerne plus particulièrement les jeunes chiens et les jeunes chats.

Cet article présente quelques rappels physiopathologiques sur les conséquences d’une électrocution (voir l’ENCADRÉ “Effets physiopathologiques de l’électrocution”) et aborde les manifestations cliniques chez le chien et chez le chat et les modalités du traitement.

Première étape : établir le diagnostic d’électrocution

Le diagnostic est établi en se fondant sur l’anamnèse et sur l’examen clinique de l’animal.

Le recueil des commémoratifs suffit : par exemple, lorsqu’une personne a été témoin de l’accident, que le propriétaire découvre un fil électrique mordillé, dénudé ou arraché, etc.

Le tableau symptomatique consécutif à une électrocution est variable et dépend des effets du courant électrique sur les différents organes.

1. Effets du courant électrique sur les différents organes

Répercussions cardiovasculaires

Les troubles du rythme cardiaque font partie des conséquences les plus fréquentes des électrocutions : fibrillation ventriculaire, voire asystolie, extrasystoles ventriculaires, tachycardie sinusale ou fibrillation atriale [7].

Lors d’atteinte du système vasculaire par le courant électrique, des phénomènes de thromboses ou d’altérations des parois vasculaires peuvent survenir [2].

Répercussions respiratoires

Le courant électrique entraîne le plus souvent une paralysie des muscles respiratoires, à l’origine d’une apnée fatale (rare).

Des atteintes parenchymateuses peuvent également survenir (lésions vasculaires et/ou alvéolaires) et aboutir à un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA).

Un œdème pulmonaire non cardiogénique peut donc apparaître, en raison de l’augmentation des résistances vasculaires pulmonaires et de la modification du facteur de perméabilité vasculaire aux protéines, consécutif à l’état inflammatoire [11].

Répercussions sur le système nerveux

Des pertes de conscience, des convulsions, un coma et une ataxie ont été rapportés. Chez l’homme, des atteintes de la moelle épinière, avec une paralysie ascendante et une paraplégie, sont également décrites lors d’électrocution avec des courants dits de haute tension [14].

Répercussions sur les systèmes musculosquelettique et cutané

• Des brûlures cutanées au point de contact avec le fil électrique sont fréquentes (PHOTO 1). Chez les chiens et chez les chats, les zones les plus souvent lésées sont les muqueuses buccale et linguale. Lors de contact avec des surfaces étendues, telles qu’un pelage mouillé, la densité du courant diminue et engendre des brûlures modérées [1].

• Le passage du courant est susceptible d’entraîner des contractions spastiques, ainsi que des lésions thermiques et ischémiques. Une nécrose musculaire et périostée peut résulter des lésions vasculaires ischémiques associées.

Autres répercussions potentielles

• Des répercussions digestives sont parfois rencontrées : iléus paralytique, intussusception, ulcérations digestives et signes cliniques qui s’y rapportent.

• Les répercussions oculaires peuvent comprendre : cataracte, hémorragies endo-oculaires, glaucome ou décollements rétiniens, soit immédiats, soit différés [10].

• La libération des médiateurs de l’inflammation par les organes aboutit à un syndrome inflammatoire à réponse systémique (SIRS).

2. Examens clinique et complémentaires

Tableau clinique

Les premiers signes évocateurs d’une électrocution sont des brûlures cutanées au point d’entrée du courant.

L’animal peut également présenter des troubles de la conscience, des troubles respiratoires (dyspnée, voire apnée), des troubles digestifs (douleurs à la palpation abdominale, vomissements), etc.

À l’auscultation cardiovasculaire, des éléments comme des râles crépitants ou des troubles du rythme, peuvent orienter le diagnostic.

Les animaux électrocutés présentent donc un tableau clinique variable. La gravité des signes cliniques dépend de l’intensité du courant, du temps d’exposition, ainsi que du trajet du courant à travers le corps. Les symptômes et les lésions peuvent être isolés ou associés :

- des brûlures souvent localisées dans la région de la cavité buccale et du museau ;

- une dépression respiratoire qui peut aller jusqu’à l’apnée ;

- une dyspnée éventuellement accompagnée de bruits anormaux ;

- un œdème pulmonaire ;

- des arythmies ventriculaires allant jusqu’à la fibrillation ventriculaire ;

- des contractions musculaires spastiques ;

- une perte de connaissance ;

- des vomissements, une douleur abdominale [8].

Examens complémentaires

Certains examens complémentaires sont utiles afin d’évaluer l’étendue des lésions et leurs répercussions :

- desclichésradiographiques du thorax pour rechercher ou confirmer un œdème pulmonaire ;

- un examen électrocardiographique, afin de caractériser les troubles du rythme.

Les examens biochimiques et hématologiques sont en général peu utiles pour établir le diagnostic mais ils permettent de préciser le pronostic.

3. Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel inclut les autres causes de brûlures ou d’ulcérations (produits chimiques, flamme), et d’atteintes cardiopulmonaires (insuffisance cardiaque, hémorragie, infection, etc.) [4].

Deuxième étape : traitement et pronostic

1. Premiers soins

Si le propriétaire a été témoin de l’électrocution, il convient de le guider dans les premiers soins à effectuer :

- couper impérativement l’électricité, débrancher le fil électrique et retirer l’animal ;

- interroger le propriétaire sur les signes vitaux de l’animal et, en cas d’apnée, lui conseiller de faire du “bouche-à-nez”.

2. À l’arrivée à la clinique

Une évaluation préalable des fonctions vitales de l’animal permet de statuer sur le niveau d’urgence (de I à IV ; voir le TABLEAU “Classification des urgences et illustrations des différents degrés d’urgence”).

Les premiers gestes de soutien sont alors prodigués.

Appareil respiratoire

Les mesures d’assistance prennent en compte la sévérité de l’insuffisance réspiratoire.

En premier lieu, les voies aériennes sont évaluées : la cavité orale est essuyée, l’absence d’œdème laryngé est vérifiée et les zones brûlées sont rincées à l’eau fraîche.

Lors d’insuffisance respiratoire compensée, l’apport d’oxygène à l’aide d’un masque, d’une sonde nasale ou d’un collier carcan augmente la fraction inspirée en oxygène et peut être suffisant pour traiter la dyspnée.

Toutefois, lors de réanimation consécutive à une électrocution, la détresse respiratoire est souvent sévère et l’animal est incapable d’assurer une ventilation efficace par lui-même. L’intubation endotrachéale est alors indispensable afin d’assurer une ventilation artificielle (photo 2). La sonde est mise en place avec a minima une anesthésie locale des aryténoïdes ou, si nécessaire, une anesthésie générale.

Appareil cardiovasculaire

• Lors d’arrêt cardiaque, un massage est pratiqué, à raison de 60 à 100 compressions par minute.

• Lors de fibrillation ventriculaire, la défibrillation électrique est la seule méthode efficace (2 à 5 J/kg en augmentant la charge si le cœur continue à fibriller).

• Lors de défaillance cardiovasculaire, l’adrénaline peut être utilisée (0,01 à 0,1 mg/kg).

• La fluidothérapie constitue un élément essentiel du traitement. À l’admission, un soluté isotonique cristalloïde (NaCl 0,9 % ou lactate de Ringer) est administré à la dose de 2 à 4 ml/kg/h.

Le plan de fluidothérapie est déterminé selon l’état de l’animal. Il est réévalué toutes les heures puis toutes les deux à quatre heures en fonctionde l’évolution (monitorages cardio-vasculaire et respiratoire). En effet, lors d’œdème pulmonaire, il convient d’éviter les surcharges volumiques. En revanche, si une hypovolémie est constatée, le débit est augmenté jusqu’à un maximum de 90 ml/kg pendant de courtes durées (une heure maximum). En cas d’hypovolémie sévère, des solutés colloïdaux peuvent être utilisés (HEA 5 ml/kg durant une à quatre heures maximum).

Autres traitements

D’autres traitements peuvent être administrés (voir le TABLEAU “Principaux médicaments utilisés lors d’électrocution”).

• Des diurétiques sont administrés en cas d’œdème pulmonaire.

• Les bronchodilatateurs (terbutaline(1), théophylline(1) ou aminophylline(1)) sont rarement administrés pendant les douze premières heures. Ils peuvent être utiles dans un second temps, notamment chez le chat lors de bronchospasmes.

• Les corticoïdes sont utilisés pour leur action anti-inflammatoire. L’administration est intéressante dans les huit heures qui suivent l’électrocution afin de limiter l’apparition de SDRA, mais serait inefficace passé ce délai [3]. La dexaméthasone est une molécule de choix en raison de ses propriétés anti-inflammatoires puissantes.

• Des antibiotiques sont administrés notamment lors de lésions cutanées étendues [12].

• Les morphiniques(1) permettent d’assurer une gestion de la douleur. Ils exercent en outre une action sédative qui aide à contrôler l’anxiété de l’animal. L’établissement de scores de douleur facilite le suivi de l’analgésie.

Traitement des brûlures

Le traitement des brûlures varie selon la localisation et l’importance des lésions. Les brûlures de la cavité orale sont plus délicates à traiter.

Une antisepsie locale est préconisée : pour la cavité buccale, des irrigations sont effectuées toutes les deux à quatre heures au début afin de préparer le débridement (polyvidone iodée diluée à 1 %).

D’une manière générale, il convient de débrider les plaies de façon chirurgicale, rapidement et largement : il est moins préjudiciable pour la survie de l’animal d’amputer un membre que de laisser de larges régions œdématiées et nécrosées qui peuvent contribuer à l’évolution du SIRS en atteinte multi-organique (défaillance cardiaque, hépatique, etc.).

Les plaies sont ensuite contrôlées régulièrement et l’élimination des tissus dévitalisés est renouvelée jusqu’à l’obtention d’une plaie qui présente un bourgeonnement dermique convenable. La décision de réalisation de plastie cutanée ou l’évolution de la plaie par seconde intention (pansement gras, pommade antibiotique, etc.) intervient alors au cas par cas.

Si possible, un pansement protecteur est mis en place afin d’isoler la plaie des contaminations. La cicatrisation des plaies d’électrocution peut nécessiter trois semaines [12].

3. Pronostic

Le pronostic de l’électrocution est réservé. Il dépend des organes touchés par le passage du courant électrique et de l’étendue des lésions.

Troisième étape : surveillance de l’animal

Pendant les premières 48 heures qui suivent le choc électrique, l’animal doit être surveillé préférentiellement dans une structure vétérinaire, car il est susceptible de présenter des complications cardio-vasculaires et respiratoires non prévisibles.

• La surveillance régulière du système cardio-vasculaire peut faire appel :

- à la réalisation régulière d’enregistrements électrocardiographiques (un scope permet une surveillance en continu), car l’animal peut présenter à tout moment des troubles du rythme ventriculaires (voir la FIGURE “Tachycardie ventriculaire chez un chien”) ;

- au suivi de la pression artérielle : directe (méthode invasive) ou indirecte (méthode doppler ou oscillométrique), plus facile à mettre en œuvre.

• Plusieurs paramètres peuvent être pris en compte pour la surveillance de la fonction respiratoire :

- l’oxymétrie de pouls renseigne sur l’oxygénation de l’animal (SpO2 > 90 %) ;

- la capnographie renseigne principalement sur l’efficacité de la ventilation (End tidal CO2 entre 30 et 45 mmHg) ;

- les gaz du sang permettent de mesurer précisément les pressions partielles artérielles en O2 et CO2, et donc d’évaluer à la fois l’oxygénation de l’animal et l’efficacité de sa ventilation ;

- si l’animal a présenté un œdème pulmonaire, l’auscultation pulmonaire régulière et la réalisation de clichés radiographiques de contrôle permettent de vérifier l’efficacité du traitement et l’absence de récidive.

• D’autres paramètres sont intéressants à suivre, par exemple :

- les paramètres biochimiques afin de déceler des insuffisances organiques, conséquences directes ou indirectes du passage du courant ;

- les paramètres hématologiques : thrombopénie et leucocytose liées au SIRS ;

- les paramètres urinaires : débit urinaire, surveillance de l’apparition d’une hématurie ou d’une myoglobinurie massive.

Les données sur la survie des animaux électrocutés sont rares, mais l’issue est souvent fatale car l’accident a fréquemment lieu en l’absence des propriétaires et chez des jeunes animaux, peu à même de compenser les perturbations occasionnées par le passage du courant électrique à travers l’organisme. Le praticien a essentiellement un rôle d’éducation et de conseil sur la conduite à tenir en cas d’électrocution, afin que l’animal soit présenté à la clinique vétérinaire dans les meilleures conditions. Chez un animal âgé de plus de six mois qui survit à l’accident, l’exploration (et le traitement) d’un possible trouble du comportement fait partie des mesures de prévention de récidives.

  • (1) Médicament à usage humain.

Effets physiopathologiques de l’électrocution

Le courant électrique est défini comme le mouvement des charges électriques. La force de conduction des charges électriques est appelée le voltage. Le courant électrique rencontre des forces susceptibles de s’opposer à son écoulement, ou résistances (dépendantes du milieu).

La loi d’Ohm décrit l’influence des résistances sur le courant à un voltage donné : soit I = V/R (où I correspond à l’intensité du courant électrique, V au voltage et R à la résistance au courant électrique). Pratiquement, cela implique que, à un voltage donné, le courant dépend de la résistance, c’est-à-dire de la composition en fluides et en électrolytes du milieu et, donc, du tissu [13, 16].

La loi de Joule décrit l’énergie libérée par le courant : soit E = I2RT (où E correspond à l’énergie thermique, I à l’intensité du courant électrique, R à la résistance et T au temps d’exposition). Cela implique que l’énergie libérée dépend surtout de l’intensité du courant et, à un moindre degré, de la résistance et du temps de contact [6, 8].

La majeure partie de l’énergie libérée par le courant est ainsi convertie en chaleur, ce qui provoque une brûlure dont la gravité est proportionnelle à l’intensité du courant, au temps d’exposition et à la résistance du tissu.

Outre ces lésions par brûlure, le passage du courant à travers l’organisme peut altérer l’intégrité des membranes cellulaires et modifier les potentiels trans-membranaires, ce qui est à l’origine d’un œdème cellulaire et de dommages irréversibles pour les cellules, phénomènes connus sous le terme d’“électroporation” [5].

Les lésions induites par le courant électrique sont donc de natures différentes [15] :

- des lésions thermiques liées au courant ;

- des perturbations électriques sur les membranes cellulaires ;

- des répercussions secondaires aux atteintes organiques.

  • 1 - Bistner SI, Ford RB, Raffe MR. Electrocution (Electric Shock). In: Kirk and Bistner’s eds. Handbook of veterinary procedures and emergency treatment. 7th ed.WB Saunders Company, Philadelphia. 2000:170.
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  • 4 - Fagella AM. Electric cord and moke inhalation injuries. In: RV Morgan ed. Handbook of small animal practice. 3rd ed. WB Saunders Company, Philadelphia. 1997:1299.
  • 5 - Fontanarosa PB. Electrical shock and lightning strike. Ann. Emerg. Med. 1993;22:378.
  • 6 - Hunt JL, Mason AD, Masterson TS et coll. The pathophysiology of acute electric injuries. J. Trauma. 1976;16:335-340.
  • 7 - Kolata RJ, Burrows CF. The clinical features of injury by chewing electrical cordsin dogs and cats. J. Amer. Anim. Hosp. Assn. 1981;17:219-222.
  • 8 - Lederer W, Wiedermann FJ, Cerchiari E et coll. Electricity-associated injuries. In: Outdoor management of current-induced casualties. Resuscitation. 1999;43:69-77.
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  • 11 - Plunkett SJ. Environmental emergencies. In: Plunkett SJ ed. Emergency procedures for the small animal veterinarian. WB Saunders Company, London. 2001:574.
  • 12 - Pope ER. Thermal electrical and chemical burns and cold injuries. In: Slatter ed. Textbook of small animal surgery. WB Saunders Company, Philadelphia. 2003:356-372.
  • 13 - Sances A Jr, Larson SJ, Myklebust J et coll. Electrical injuries. Surg. Gynecol. Obstet. 1979;149(1):97-108.
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  • 15 - Weber CA, Bryan CL. Electrical injuries. In: Civeta JM, Taylor RW, Kirby RR eds. Critical care. 2nd ed. Lippincott, Philadelphia. 1992:947-950.
  • 16 - Zimmermann U. Electrical breackdown, electropermeabilization and electrofusion. Rev. Physiol. Biochem. Pharmacol. 1986;105:176-256.
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