Quand et comment pratiquer une ruminotomie ? - Le Point Vétérinaire n° 247 du 01/07/2004
Le Point Vétérinaire n° 247 du 01/07/2004

CHIRURGIE DES BOVINS, DES OVINS ET DES CAPRINS

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Dominique Remy*, Bérangère Ravary**

Fonctions :
*Pathologie médicale du bétail
et des animaux de basse-cour
ENVA
7, av du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort

La ruminotomie pourrait être plus souvent utilisée comme un moyen thérapeutique, mais aussi diagnostique chez des ruminants de grande valeur économique ou de compagnie.

Avec l’évolution des conditions d’élevage, de la réglementation et des conditions d’exercice rural, les indications de la ruminotomie évoluent. Cet acte reste plus facile à proposer sur des animaux de grande valeur économique (troupeaux sélectionneurs) ou sentimentale (petits ruminants de compagnie). La ruminotomie est parfois la seule alternative économique à l’euthanasie, en l’absence d’abattage d’urgence des animaux malades.

Première étape : penser à proposer une ruminotomie

• Dans un contexte d’urgence, la ruminotomie est relativement facile à proposer [b] (voir le TABLEAU “Indications par ordre d’urgence de la ruminotomie chez les bovins”).

La ruminotomie est le plus souvent pratiquée lorsque la vie de l’animal est en danger, surtout lorsque l’abattage d’urgence est impossible : météorisations spumeuses suite à l’ingestion d’herbe jeune ou de légumineuse sans transition au printemps, acidoses aiguës suite à l’ingestion accidentelle de céréales ou intoxication ammoniacale suite à l’ingestion d’une grande quantité d’azote soluble [19].

Pour des affections subaiguës ou chroniques, la ruminotomie, bien qu’indiquée, n’est acceptée par l’éleveur que pour des animaux de valeur (vaches laitières donneuses d’embryons, animaux culards) [4, 7]. La valeur sentimentale peut également intervenir chez les propriétaires de petits ruminants devenus “animaux de compagnie” [9, 16, 19]. Élevés dans un cadre inhabituel, ces derniers peuvent ingérer des corps étrangers domestiques divers qui provoquent des indigestions chroniques parfois mortelles. La ruminotomie est alors le traitement prioritaire.

• Certaines indications traditionnelles de la ruminotomie tendent à disparaître, par exemple le traitement chirurgical de la réticulopéritonite traumatique.

Une étude réalisée sur quatre cent six vaches, âgées de deux à dix ans, à tous les stades de la gestation et de la lactation, confirme que l’utilisation d’aimants (deux cent trois cas) lors de réticulopéritonite traumatique est préférable à la ruminotomie (cent soixante trois cas) pour des raisons économiques, les taux de guérison étant identiques [13]. Dans cette étude, quarante autres vaches ont seulement reçu une antibiothérapie qui, administrée seule, apporte une amélioration, mais conduit rarement à la guérison totale des animaux.

• La décision de recours à une ruminotomie impose un diagnostic précis [1, 3, 7]. Les indications “aiguës” sont faciles à identifier : météorisations spumeuses, acidoses aiguës, intoxications ammoniacales ou végétales. Les causes d’indigestions chroniques sont plus difficiles à déterminer, en particulier lors de syndrome d’Hoflund et de météorisations chroniques en général. Ces indigestions chroniques peuvent trouver leur origine en dehors des pré-estomacs : lésions de l’œsophage, paralysie du nerf vague, péritonite, hypertrophie des nœuds lymphatiques, botulisme, tétanos, hernie diaphragmatique [b]. Dans ce contexte, le recours à la ruminotomie doit parfois être différé, en attendant une confirmation diagnostique.

Avec l’amélioration des méthodes d’évaluation du statut hydro-électrolytique/acidobasique chez les bovins (analyseurs des gaz de sang, etc.), le traitement des indigestions du rumen par fluidothérapie fait l’objet de développements intéressants. Cette approche médicale peut être un préalable à la chirurgie. La ruminotomie s’impose toutefois en cas d’échec.

• L’exploration par laparotomie du flanc gauche, première étape de la ruminotomie est la technique diagnostique de choix lors d’indigestions chroniques. Toutefois, lors de suspicion d’abcès ou de péritonite localisée périréticulaire causée par la perforation d’un corps étranger vulnérant au travers de la paroi du réseau, un examen échographique (de la région abdominale crâniale gauche) préopératoire peut être d’une grande utilité [14]. Outre la visualisation d’un abcès, il permet de mettre en évidence l’absence de contraction du réseau ou encore la présence d’un épanchement abdominal ou de fibrine.

L’utilisation de la radiographie pour mettre en évidence des corps étrangers dans le réseau reste délicate sur le terrain. Elle nécessite des appareils puissants (1 000-1 250 mA et 130-150 kV) introuvables en dehors des centres de référence. Une technique sur animal couché avec appareil portatif a toutefois été décrite [a].

Le laboratoire apporte une aide complémentaire pour mettre en évidence un processus inflammatoire (numération-formule sanguines, dosage du fibrinogène ou des protéines totales) et, éventuellement, une leucose [1, 19].

Avant d’entreprendre une exploration chirurgicale du réseau-rumen, la réalisation d’une paracentèse abdominale crâniale, notamment dans le cas de suspicion d’une réticulopéritonite traumatique, peut être utile pour le diagnostic, mais aussi pour le pronostic (péritonite).

Deuxième étape : réaliser la ruminotomie

• L’intervention nécessite deux boîtes d’instruments chirurgicaux. La première sert à l’incision de la paroi abdominale, à la fixation du rumen à la paroi, à l’incision du rumen et éventuellement à la première suture de fermeture du rumen. La deuxième permet de faire la deuxième suture ruminale et de refermer la paroi.

Si une seule boîte est utilisée (de type “hystérotomie”, avec pince à mors caoutchouté), il convient de veiller à conserver stériles certains instruments pour la deuxième partie de l’intervention (ciseaux, aiguilles à sections rondes et triangulaires). D’autres instruments peuvent y être ajoutés lors de recours à des techniques moins classiques : anneau de Weingarth (PHOTO 2) ou pinces à champs pour fixer le rumen.

Un fil irrésorbable est utilisé pour suturer le plan cutané et pour fixer le rumen à la peau (par exemple : soie déc. 6) et un fil résorbable (par exemple : acide glycolique déc. 5 à 6) pour les sutures de la paroi du rumen et de la paroi abdominale.

• La sédation la plus efficace pour une intervention chirurgicale de ruminotomie serait obtenue avec la romifidine à 1 % (Sédivet® ; 0,2 à 0,5 ml injecté dans le sinus artéroveineux caudal), mais cet anesthésique ne possède pas d’AMM chez les bovins. La xylasine (Rompun® ; 0,5 ml injecté dans le sinus artéroveineux caudal) peut également être utilisée.

Le flanc gauche et la zone en regard des dernières vertèbres thoraciques et aux premières lombaires (T13-L3) sont préparés aseptiquement.

Une analgésie locale peut être obtenue en pratiquant une anesthésie paravertébrale proximale ou distale (nerfs issus de T13, L1 et L2), qui présente plusieurs avantages par rapport à une infiltration locale :

- une large surface de la paroi est uniformément anesthésiée ;

- toute l’épaisseur de la paroi (péritoine inclus) est anesthésiée ;

- une meilleure hémostase est obtenue au niveau du site opératoire ;

- la cicatrisation est améliorée ;

- la myorelaxation est plus efficace et la pression intra-abdominale est diminuée.

• Le site de laparotomie diffère légèrement par rapport à une hystérectomie : il est parallèle à la dernière côte, dans le milieu du flanc gauche, voire plus crânialement (exploration du réseau d’un bovin de grande taille), au minimum à 5 cm en arrière de la dernière côte. L’incision débute à environ 5 cm sous l’apophyse lombaire et est poursuivie sur 20 cm (pour permettre le passage d’un bras).

Le péritoine est ponctionné avec précaution afin d’éviter la perforation du rumen (risques de contamination ou d’action irritante d’un contenu ruminal au pH bas lors d’acidose aiguë).

Une exploration des organes situés à gauche peut être entreprise : rumen, rate, réseau, etc. avec le bras droit (abcès, adhérences, liquide péritonéal, fibrine), en commençant par les organes présumés “non suspects”.

• Le rumen est extériorisé à l’aide de la pince à mors caoutchouté (dite “pince à césarienne”). Classiquement (technique de Götze), la fixation est réalisée à l’aide d’un surjet continu non perforant (un fil de lin ou de soie est utilisé pour des raisons de coût). Elle commence au milieu de la commissure caudale ventralement, puis remonte le long de la commissure crâniale pour redescendre et rejoindre ainsi le nœud de départ. La suture est réalisée de manière à placer la peau sous le rumen pour obtenir une bonne étanchéité (voir la FIGURE “Suture du rumen à la peau” et la PHOTO 1). L’étanchéité au niveau des commissures est également assurée en modifiant le tracé de la suture. Il convient de ne pas prolonger le surjet au-delà de la commissure inférieure des deux lèvres de la plaie au risque de provoquer une fistule.

D’autres techniques de fixation du rumen à la peau sont possibles (voir le TABLEAU “Différentes techniques de fixation du rumen”) [5, b] : utilisation de l’anneau de Weingarth, suture de rétention et fixation du rumen par des pinces à champs. Deux systèmes proches de l’anneau de Weingarth, mais moins connus, l’un suédois et l’autre américain, peuvent aussi être utilisés.

• Une fois fixé (PHOTO 2), le rumen est incisé avec une lame de bistouri qui, contaminée par la flore du rumen, est ensuite isolée du reste du matériel. Les deux commissures de la plaie doivent être suffisamment éloignées de la suture cutanéo-ruminale (plus de 2 cm) ou de la zone de fixation à l’anneau pour éviter le chevauchement de la suture de la plaie du rumen et de celle du rumen à la peau.

Après avoir placé une manchette tronconique ou des champs pour protéger la plaie, l’opérateur se protège à l’aide d’un gant de délivrance. Lorsque le contenu ruminal est anormal ou pour explorer le réseau et les orifices (cardia, gouttière œsophagienne, orifice réticulo-omasal), il est parfois nécessaire de le vidanger partiellement ou totalement :

- par siphonage pour les liquides (acidose aiguë, intoxication ammoniacale) ;

- par extraction manuelle.

Cette procédure reste partielle lors de l’exploration du réticulorumen, car elle est réalisée simplement pour faciliter l’accès à cet organe.

La progression s’effectue le long de la paroi dorsale (poche d’air) jusqu’à l’ingesta en plongeant directement vers l’apophyse xiphoïde. La paroi du réticulum est reconnaissable à sa structure alvéolaire. À ce stade, d’éventuels corps étrangers sont à nouveau recherchés (même s’ils ne sont pas l’indication de l’intervention), ainsi que des adhérences du réseau au péritoine ou des anomalies au niveau du cardia ou de l’orifice réticulo-omasal (voir l’ENCADRÉ “Repérage de l’orifice réticulo-omasal et des corps étrangers”).

• La plaie de ruminotomie est fermée en deux plans à l’aide d’un fil résorbable (déc. 5) monté sur une aiguille à section ronde. Un premier surjet simple perforant est réalisé (après retrait des crochets latéraux si un anneau de Weingarth a été utilisé). La paroi ruminale est ensuite rincée (idéalement avec une solution de NaCl 0,9 % éventuellement associée à de la povidone iodée, Vétédine®). Le chirurgien change alors de casaque et la seconde boîte d’instruments est utilisée. Un deuxième surjet, enfouissant, est réalisé sur la paroi ruminale (surjet d’Utrecht ou de Lambert). Le dernier point fait le tour de la commissure ventrale pour éviter la création d’une fistule.

• La paroi du rumen est à nouveau rincée. La suture ou le système d’attachement du rumen est ensuite retiré. Le site opératoire est rincé une dernière fois (retrait des caillots).

• La suture du flanc est classique. Pour éviter les emphysèmes sous-cutanés, il est préférable d’évacuer l’air de la cavité abdominale avant la fermeture du péritoine, en exerçant une pression ascendante sur l’abdomen avec un bâton placé en arrière du sternum ou en demandant à l’éleveur de presser sur le flanc droit.

• Lors d’interventions associées à des météorisations aiguës (spumeuses) ou chroniques récidivantes (météorisation qui survient au sevrage), la mise en place d’une fistule entre la paroi du rumen et la peau peut être nécessaire pour l’élimination des gaz ou de la mousse, afin d’éviter une récidive. Elle consiste à fixer la paroi du rumen à la peau au travers de la paroi musculaire. Des points simples (fils irrésorbables) suffisamment proches sont réalisés afin d’assurer l’étanchéité.

Troisième étape : soins postopératoires et complications

• En théorie, l’utilisation d’une seule injection d’antibiotiques en préopératoire serait aussi efficace qu’un traitement de sept jours en postopératoire, parce qu’elle protège efficacement l’animal d’une contamination durant l’opération [11, 12]. Néanmoins, l’antibiothérapie pré- ou post-chirurgicale reste souvent nécessaire : les animaux non traités présentent en effet une température plus élevée [5, 12], un appétit diminué [12] et des abcès sous-cutanés [17] plus fréquents.

• Les complications ne sont pas fréquentes après ruminotomie si un minimum de précautions sont prises en cours de chirurgie pour établir l’asepsie [5, 10, 14, 16]. Selon une enquête réalisée à l’université de Hanovre [17], deux tiers des vaches opérées de ruminotomie pour réticulopéritonite traumatique (RPT) guérissent sans complications et 64 % sont encore vivantes trois ans plus tard. Cinquante-cinq pour cent des vaches non gestantes au moment de l’intervention chirurgicale sont fécondées par la suite. Leur fécondation est obtenue après 1,6 insémination par vache en moyenne. Un quart des vaches opérées a une production moyenne supérieure l’année suivante. La mortalité est plus forte dans d’autres contextes pathologiques que la RPT (acidose, intoxication ammoniacale), en raison de la dégradation de l’état de l’animal lors de ces affections.

Le risque et le type de complications diffèrent selon la technique utilisée [5].

La complication la plus fréquente est la présence d’adhérences entre le rumen et le péritoine (péritonite localisée). Elles surviennent le plus fréquemment après des interventions pratiquées en urgence lors de météorisation spumeuse. L’état d’asphyxie mécanique (rumen) de l’animal peut entraîner une mort rapide de l’animal avant ou pendant l’intervention.

Dans la plupart des cas, les adhérences peu étendues, consécutives aux interventions de ruminotomie, restent des observations d’abattoir et ne nécessitent aucun soin postopératoire. Une réintervention est toutefois nécessaire lors de syndrome de météorisation chronique.

Un emphysème sous-cutané peut apparaître malgré l’expulsion de l’air de la cavité abdominale avant la fermeture du péritoine. Il est associé à des sutures non étanches de la paroi. Il rétrocède spontanément [b].

Les autres complications observées sont liées à des contaminations bactériennes ou à des péritonites localisées :

- passage d’une partie du contenu ruminal dans la cavité péritonéale suite à une mauvaise fixation du rumen ou à une désunion des sutures, qui provoque une péritonite localisée, voire généralisée ;

- nécroses de la paroi musculaire et cutanée.

La péritonite généralisée est exceptionnelle. Elle peut survenir en cas de désunion des sutures ruminales (météorisation aiguë postchirurgicale liée à un spasme œsophagien) ou d’une réactivation d’une infection (rupture d’adhérence lors de réticulopéritonite traumatique). Elle nécessite la mise en place d’une antibiothérapie (7 mg d’amoxicilline et 1,75 mg d’acide clavulanique/ kg de poids vif, par voie intramusculaire et pendant cinq à sept jours consécutifs). L’injection intra-péritonéale d’antibiotiques dans le creux du flanc droit est intéressante au début de l’évolution de la péritonite car elle permet une meilleure distribution (sauf lorsque des adhérences se sont formées). Dans certains cas sévères, il peut être nécessaire d’associer une fluidothérapie et des anti-inflammatoires, voire d’effectuer une laparotomie et un drainage de la cavité abdominale [c].

La ruminotomie est un acte simple, mais l’étape de fixation étanche du rumen à la peau avant incision de l’organe doit être bien maîtrisée pour éviter toute contamination bactérienne de la cavité, voire de la paroi et limiter les complications postopératoires. Un soutien thérapeutique (fluidothérapie, anti-inflammatoires non stéroïdiens, etc.) est indispensable lorsque l’indication de la ruminotomie est une affection associée à un état de choc (acidose aiguë, etc.).

Repérage de l'orifice réticulo-omasal et des corps étrangers

Pour repérer l’orifice reticulo-omasal, il convient de se placer le dos au flanc de l’animal, de progresser vers l’avant le long de la paroi du rumen, de repérer l’orifice ruminoréticulaire (changement de texture), puis le sillon réticulaire (gouttière oesophagienne). L’orifice reticulo-omasal, placé à la base de ce sillon, se présente sous la forme d’une ventouse facile à traverser dans les conditions normales. Son intégrité est vérifiée (l’absence de contraction à la pénétration des doigts est d’un mauvais pronostic [b]. D’éventuels abcès sont recherchés dans cette région.

En savoir plus

- Poncelet JL. Particularités de la ruminotomie chez les petits ruminants. Point Vét. 2000 ;31(n° spécial “Chirurgie des bovins et des petits ruminants”, tome I):726.

- Steiner A, Eicher R. La ruminotomie chez les bovins. Point Vét. 2000 ;31(n° spécial “Chirurgie des bovins et des petits ruminants”, tome I) :719-724.

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