Polyarthrite associée à un processus tumoral - Le Point Vétérinaire n° 246 du 01/06/2004
Le Point Vétérinaire n° 246 du 01/06/2004

CANCÉROLOGIE DU CHIEN

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : David Jacques

Fonctions : 29 C, avenue de Toulouse
31150 Gratentour

L’association polyarthrite et tumeur est peu décrite. Bien que la plupart des polyarthrites restent “idiopathiques”, ce cas rappelle la nécessité de rechercher une affection sous-jacente.

Une chienne épagneul breton non stérilisée âgée de sept ans est référée par un confrère pour une boiterie et une toux associées à une hyperthermie.

Cas clinique

1. Commémoratifs

La boiterie et la toux évoluent depuis quelques semaines. Les signes cliniques ne se sont pas améliorés avec un traitement symptomatique (anti-inflammatoires non stéroïdiens et antibiotiques). Des tumeurs mammaires (adénomes) ont été retirées un an plus tôt.

2. Examen clinique

• L’examen clinique à l’admission montre un état général conservé, une hyperthermie à 39,4 °C et une auscultation cardiorespiratoire normale.

• L’examen locomoteur à distance révèle des difficultés locomotrices marquées sur les quatre membres, l’antérieur gauche apparaissant plus atteint.

• L’examen rapproché est dominé par une douleur vive à la mobilisation de plusieurs articulations (carpes, grassets, etc.), ainsi qu’à la palpation-pression des os longs ou du rachis.

• Aucun déficit neurologique n’est noté.

• Les examens auriculaires, buccaux et cutanés réalisés ne mettent en évidence aucun foyer primaire d’infection.

• L’auscultation cardiaque est normale.

Plusieurs hypothèses diagnostiques peuvent être émises après l’examen clinique : présence d’une méningite, d’une spondylodiscite, d’une ostéomyélite, d’une myosite ou d’une polyarthrite.

3. Examens complémentaires

Bilan biologique

Les analyses sanguines révèlent une leucocytose (16 300 globules blancs par mm3) avec une neutrophilie (14 833 neutrophiles par mm3).

Le bilan biochimique est normal.

Examens radiographiques

Les radiographies du rachis se révèlent normales et permettent d’éliminer une spondylodiscite en raison de l’ancienneté des signes cliniques.

Des radiographies de plusieurs os longs et articulations sont également réalisées. Elles ne montrent pas d’anomalies articulaires, notamment pas de signes érosifs. En revanche, plusieurs zones (tibia proximal, fémur distal, humérus proximal, etc.) présentent des modifications de la densité osseuse qui se caractérisent par une hyper ou une hypodensité (PHOTO 1).

Les radiographies thoraciques mettent en évidence de nombreuses images de densification interstitielle et péribronchique (PHOTO 2).

Ponctions articulaires

Des ponctions articulaires des deux carpes, des deux coudes et des deux grassets sont réalisées. Le liquide synovial apparaît trouble, jaunâtre et peu filant.

Des frottis directs sont effectués et montrent la présence de plus de 50 cellules par champ au grossissement 400 (normal ( 2), avec une prédominance de polynucléaires neutrophiles dégénérés (90 % des cellules nucléées) (PHOTO 3). Il n’a pas été noté de bactéries sur les frottis.

Une analyse bactériologique du liquide synovial se révèle négative.

Biopsies osseuses et de la membrane synoviale

Des biopsies du grand tubercule de l’humérus gauche, du tibia proximal gauche et de la membrane synoviale du coude gauche, sont effectuées. Elles révèlent la présence de métastases osseuses d’un carcinome peu différencié, associées à des remodelages notables du tissu osseux et à une synovite chronique hyperplasique. Il n’est pas noté de foyers d’ostéonécrose sur les prélèvements examinés.

Échographie abdominale

Une échographie de l’abdomen ne révèle aucune anomalie.

Un diagnostic de polyarthrite suppurée aseptique, associée à un processus tumoral d’origine indéterminée (peut-être pulmonaire), est établi.

4. Traitement

Une corticothérapie à dose immunosuppressive est mise en œuvre. Devant l’absence d’amélioration des signes cliniques, la chienne est euthanasiée. L’autopsie n’a pas été possible.

Discussion

1. Épidémiologie

Les polyarthrites correspondent à une atteinte inflammatoire de plusieurs articulations [6]. Elles sont décrites comme des affections peu fréquentes. Une étude récente rapporte toutefois quarante cas de polyarthrite diagnostiqués sur une période de deux ans [10] : l’incidence de la polyarthrite dans cette clinique de cas référés est de 0,37 %, toutes consultations confondues [10]. Les auteurs concluent que les polyarthrites sont certainement sous-diagnostiquées [10]. Avant l’étude précédemment citée, les polyarthrites semblaient affecter préférentiellement les jeunes chiens de races de grandes tailles, à l’exception de la polyarthrite rhumatoïde (chiens d’âges moyens et de races petites et moyennes) [2, 3, 9]. Il semble aujourd’hui que les chiens atteints soient de manière prédominante des chiens d’âge moyen et de race de taille moyenne, des chiens de tous âges et de toutes races pouvant toutefois être affectés [10], comme dans le cas décrit.

2. Signes cliniques de polyarthrite

Les signes cliniques habituellement rapportés dans la littérature font état de boiteries, de douleurs articulaires et d’hyperthermie ; des signes plus frustes sont plus rarement rapportés (anorexie, léthargie, perte de poids, etc.) [2, 3, 9]. Dans le cas décrit, le chien présente l’ensemble de ces signes cliniques, ce qui n’est pas toujours le cas.

L’étude portant sur quarante cas de polyarthrite a montré que le principal signe clinique rapporté par les propriétaires est une difficulté à se déplacer et qu’elle constitue le seul signe clinique dans 25 % des cas [10]. Les boiteries sont présentes dans seulement un tiers des cas, la douleur articulaire dans 40 % des cas et l’hyperthermie dans 18 % des cas [10]. Les auteurs concluent que les polyarthrites doivent faire partie du diagnostic différentiel chez tout chien qui présente des difficultés locomotrices qui ne peuvent être rattachées à une cause évidente ou à des signes systémiques d’origine indéterminée [10].

3. Diagnostic de polyarthrite

Le diagnostic de polyarthrite fait appel à la mise en évidence du caractère inflammatoire du liquide synovial de plusieurs articulations. Cette inflammation est révélée par un nombre anormalement élevé de cellules nucléées. La numération cellulaire peut être réalisée à partir d’un compteur cellulaire de type “coulter”, ou manuellement avec une cellule de comptage (par exemple, cellule de Malassez) [11, 12]. Le taux cellulaire peut également être estimé au moyen d’un frottis direct [11]. Une étude a montré que l’estimation obtenue à partir d’un frottis de liquide inflammatoire est fiable (spécificité 92 %, sensibilité 84 %) [8].

Le liquide synovial est considéré normal si le taux cellulaire est inférieur à 3 000 cellules par microlitre ou si moins de 2 cellules par champ sont visibles au grossissement 400 sur un frottis direct [4, 11]. Dans un liquide synovial normal, les cellules mononucléées (monocytes et lymphocytes) prédominent ; les polynucléaires, lorsqu’ils sont présents, sont en petit nombre et représentent habituellement moins de 12 % (fréquemment moins de 5 %) des cellules nucléées [11]. Lors d’une polyarthrite, le nombre de cellules augmente de manière significative (>10000 cellules par microlitre ou > 10 cellules par champ 400) et peut parfois être très élevé (80 à 100 000 cellules par microlitre) [11].

Les avantages du frottis direct par rapport au comptage cellulaire sont la rapidité d’obtention des résultats et une réalisation possible dans tous les cas, en raison de la très faible quantité de liquide nécessaire [10].

La réalisation du comptage cellulaire nécessite en revanche une quantité de liquide synovial qu’il n’est pas toujours possible d’obtenir.

4. Recherche de l’origine de la polyarthrite

Dans la plupart des cas de polyarthrite, comme dans le cas présenté ici, une prédominance de polynucléaires neutrophiles est notée dans le liquide synovial. Leur présence n’a aucun caractère diagnostique d’affection bactérienne [4], mais un nombre anormalement élevé de cellules nucléées dans le liquide synovial de plusieurs articulations, avec dans la plupart des cas une prédominance de polynucléaires neutrophiles, permet d’établir le diagnostic de polyarthrite suppurée. Ce diagnostic doit toutefois être affiné pour essayer de déterminer l’origine de la polyarthrite.

Les polyarthrites peuvent être d’origine infectieuse, immunitaire ou secondaire au dépôt de cristaux [3, 4, 9].

• Les polyarthrites d’origine infectieuse ou secondaire au dépôt de cristaux sont extrêmement rares. L’ehrlichiose, la borréliose (ou maladie de Lyme) et la leishmaniose sont des maladies infectieuses au sens large qui peuvent se manifester par une polyarthrite [3]. Elles doivent être recherchées dans les zones d’enzootie ou chez les chiens qui ont séjourné dans ces zones.

• Les polyarthrites d’origine immunitaire sont de loin les plus fréquentes [6] : les polyarthrites auto-immunes sont distinguées des polyarthrites à médiation immunitaire [6].

Les polyarthrites auto-immunes regroupent le lupus érythémateux disséminé et la polyarthrite érosive chronique correspondant à la polyarthrite rhumatoïde de l’homme. Il convient de rechercher pour ces deux entités la présence de facteurs antinucléaires ou de facteurs rhumatoïdes. Leur diagnostic repose sur la vérification d’un certain nombre de critères déterminés par l’association américaine de rhumatologie (ARA). Le lupus est dit “possible”, “probable” ou “certain” lorsque respectivement deux, trois ou quatre critères de l’ARA sur onze sont vérifiés (la présence d’anticorps antinucléaires étant nécessaire au diagnostic) [5, 6, 13]. Le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde repose sur la vérification de quatre critères sur sept [1, 7].

Les polyarthrites à médiation immunitaire sont le résultat du dépôt et de la phagocytose de complexes immuns et du relargage d’enzymes lysosomiales dans la membrane synoviale, ce qui provoque une réaction d’hypersensibilité de type III [3,9]. Ces arthrites peuvent être associées à des infections à distance des articulations, à une affection hépatique ou gastro-intestinale chronique, à un processus tumoral ; être secondaire à l’administration de certains médicaments ou à des injections vaccinales ; ou être classées comme idiopathiques [3,9]. Il convient donc de réaliser un bilan biologique complet ; de rechercher la présence d’une affection cutanée, dentaire ou auriculaire, symptomatique ou non ; d’effectuer des radiographies thoraciques et abdominales et éventuellement une échographie abdominale. Lorsqu’aucune affection concomitante n’est trouvée, la polyarthrite est dite “idiopathique”. Lorsqu’une maladie est isolée, la polyarthrite est dite “associée à cette maladie”. La plupart des polyarthrites sont classées comme idiopathiques, probablement parce que la cause sous-jacente n’est pas recherchée systématiquement. Lorsqu’une autre affection est présente de manière concomitante à la polyarthrite (ici un processus tumoral), il est supposé que cette affection génère un certain nombre d’antigènes (antigènes tumoraux) à l’origine de la production d’anticorps, ce qui aboutit à la formation de complexes immuns qui se déposent dans les articulations [3].

Sur la base de cette hypothèse, il paraît essentiel de toujours rechercher la présence d’une autre affection lors de polyarthrite. Lorsqu’une affection associée est mise en évidence, il est impossible d’être sûr qu’elle soit à l’origine de la polyarthrite, mais il est capital de la traiter. Le retrait de la source antigénique peut en effet rendre possible la guérison de la polyarthrite. À l’heure actuelle, il n’existe toutefois pas de tests utilisables qui permettent de révéler l’antigène en cause dans les complexes auto-immuns lors de polyarthrite.

5. Association polyarthrite et tumeur

Dans le cas présenté ici, la présence de métastases osseuses associées à la polyarthrite a assombri de manière significative le pronostic. Devant ce pronostic très réservé et la souffrance de l’animal, les propriétaires n’ont pas souhaité entreprendre de chimiothérapie palliative.

L’association polyarthrite et processus tumoral est peu rapportée dans la littérature [2, 3]. Dans les quelques cas décrits, la polyarthrite était associée à un épithélioma spinocellulaire, à une tumeur de la base du cœur, à un léiomyome, à un adénocarcinomemammaire, à un carcinome rénal ou à un carcinome broncho-alvéolaire [2, 3]. Dans le cas présenté ici, aucun processus tumoral primitif n’a été isolé de manière certaine, car l’autopsie n’a pu être réalisée ; les lésions radiographiques du thorax pourraient être en faveur d’un processus tumoral pulmonaire primitif ou métastatique.

Les images radiographiques de métastases osseuses sont souvent non spécifiques [14]. Elles peuvent être ostéolytiques ou ostéoproductives et doivent être différenciées des tumeurs osseuses primitives, des ostéomyélites bactériennes ou fongiques, des kystes osseux et des panostéites [14]. Le diagnostic définitif de métastases osseuses repose donc sur l’histopathologie. Les images radiographiques rencontrées dans le cas présenté ci-dessus sont rares et comprenaient de multiples images ostéolytiques de faible taille, alternant avec des zones intramédullaires plus denses que la normale. Ces zones d’hyperdensité peuvent correspondre aux métastases osseuses elles-mêmes ou à des zones d’infarcissement osseux. Les radio-opacités médullaires rencontrées dans les infarcissements osseux représenteraient une production d’os suite à l’hypoxie et à la nécrose [14]. Tous les cas d’infarcissements osseux rapportés dans la littérature présentent de manière concomitante des sarcomes osseux primitifs [14]. L’association infarcissement osseux-métastases osseuses n’a pas été décrite. En raison de l’absence de foyers d’ostéonécrose sur les prélèvements histologiques examinés, il paraît toutefois plus vraisemblable que ces images d’hyperdensité osseuse endostée soient des images de métastases.

Ce cas clinique a pour but de rappeler que, même si un certain nombre de polyarthrites sont idiopathiques, il convient de rechercher systématiquement une cause associée. Dans le cas présent, il est supposé que les antigènes tumoraux sont à l’origine de complexes immuns qui se sont déposés dans les articulations et ont conduit à la polyarthrite. Ce cas clinique révèle également des images radiographiques de métastases osseuses peu fréquentes.

ATTENTION

• Les polyarthrites peuvent être d’origine infectieuse, immunitaire ou secondaire au dépôt de cristaux.

• Les polyarthrites d’origine infectieuse ou secondaire au dépôt de cristaux sont extrêmement rares : l’ehrlichiose, la borréliose et la leishmaniose.

• Les polyarthrites d’origine immunitaire sont de loin les plus fréquentes : les polyarthrites auto-immunes sont distinguées des polyarthrites à médiation immunitaire.

Points forts

Les chiens affectés de polyarthrite semblent être de manière prédominante d’âge moyen et de race de taille moyenne, mais des chiens de tous âges et de toutes races peuvent être affectés.

Lors de polyarthrite, les boiteries sont présentes dans seulement un tiers des cas, la douleur articulaire dans 40 % des cas et l’hyperthermie dans 18 % des cas.

Le diagnostic de polyarthrite nécessite la mise en évidence du caractère inflammatoire du liquide synovial de plusieurs articulations (révélé par un nombre de cellules nucléées anormalement élevé).

Il est essentiel de toujours rechercher la présence d’une autre affection lors de polyarthrite. Lorsqu’une affection associée est mise en évidence, il est impossible d’être sûr qu’elle soit à l’origine de la polyarthrite, mais il est capital de la traiter.

La littérature décrit des cas de polyarthrites associés à un épithélioma spinocellulaire, à une tumeur de la base du cœur, à un léiomyome, à un adénocarcinome mammaire, à un carcinome rénal ou à un carcinome broncho-alvéolaire.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr