Estimer la sécrétion lacrymale par le test au rouge phénol - Le Point Vétérinaire n° 244 du 01/04/2004
Le Point Vétérinaire n° 244 du 01/04/2004

OPHTALMOLOGIE CANINE

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Maria Vanore*, Sabine Chahory**, Guillaume Payen***, G. Riffet****, Étienne Saunier*****, Bernard Clerc******

Fonctions :
*Unité d’Ophtalmologie
ENVA, 7 av. du Gal de Gaulle
94704 Maisons-Alfort
**Laboratoire TVM
service R&D, BP 44
63370 Lempdes

Le test du fil au rouge phénol utilisé en médecine humaine pourrait présenter un intérêt dans le suivi des insuffisances lacrymales quantitatives chez le chien.

Le test de Schirmer est le test classiquement utilisé pour explorer la sécrétion lacrymale en médecine vétérinaire. Bien que son utilisation soit courante, il est parfois difficile à réaliser, notamment sur des animaux agités ou sur des races brachycéphales. L’emploi du test du fil au rouge phénol(1), utilisé en médecine humaine, pourrait présenter certains avantages.

Principe et réalisation du test au rouge phénol

L’utilisation d’un fil imbibé de rouge phénol (phenol red thread test (PRTT)) est une méthode indirecte qui permet de mesurer le volume lacrymal résiduel dans le cul-de-sac conjonctival inférieur. Le test utilise un fil de coton de 75 mm, imprégné du colorant rouge phénol, indicateur sensible du pH lacrymal (PHOTO 1) [5]. Le fil est inséré de 3 mm dans le cul-de-sac conjonctival inférieur pendant 15 secondes (PHOTO 2). L’alcalinité des larmes fait virer la couleur jaune du fil au rouge et délimite ainsi la partie de fil imbibée par les larmes. La longueur totale de la portion rouge du fil est mesurée à l’aide d’une échelle graduée qui figure au dos du sachet du test (PHOTO 3).

Étude comparative du PRTT et du test de Schirmer

Afin d’évaluer la validité des valeurs obtenues avec le PRTT chez le chien, une étude comparative de ce test et du test de Schirmer classique a été réalisée sur un lot de chiens sains.

Vingt chiens qui ne présentent aucune affection oculaire et qui n’ont reçu aucun traitement dans les huit jours précédant le test ont été sélectionnés. La sécrétion lacrymale est mesurée à deux reprises, sur chaque chien, par un test de Schirmer classique (CIBA Vision, Novartis) et par un PRTT (Zone Quick, Menicon Pharma) : pour la première mesure (T1), le PRTT est réalisé en premier sur l’œil droit suivi d’un test de Schirmer à cinq minutes d’intervalle et inversement sur l’œil gauche. Pour la deuxième mesure (T2), faite au moins huit jours après la première série, l’ordre des tests est inversé.

PRTT et Schirmer : des mesures identiques sur l’œil sain

Avec le test de Schirmer classique, une moyenne de 14,2 ± 2,2 mm/min est obtenue lors de la première série de mesures et une moyenne de 14 ± 1,9 mm/min lors de la deuxième série. Avec le PRTT, des moyennes de 37,8 ± 4,1 mm/15 sec et de 36,5 ± 3,1 mm/15 sec sont obtenues, respectivement pour la première et pour la deuxième série de mesures. L’analyse statistique des résultats par un test de Student montre que les moyennes obtenues avec chacun des deux tests lors des deux séries de mesures ne sont pas significativement différentes (p > 0,05).

De même, lorsque les valeurs obtenues pour chaque œil sont comparées, aucune différence n’est constatée entre l’œil droit et l’œil gauche, quels que soient les tests utilisés.

Une évaluation rapide de la sécrétion lacrymale basale

Le test de Schirmer classique (également appelé Schirmer I) donne une mesure de la sécrétion lacrymale basale (sécrétion constante qui assure la protection de la cornée), mais aussi de la sécrétion réflexe qui se produit en cas d’irritation, notamment à la suite de la pose de la bandelette de papier dans le cul de sac conjonctival. L’instillation d’un anesthésique local avant un test de Schirmer (Schirmer II) supprime cette sécrétion réflexe et permet ainsi la mesure de la sécrétion basale seule [1]. Le test de Schirmer II, plus long à réaliser que le test de Schirmer I, est rarement utilisé en pratique courante. Or, selon une étude réalisée sur vingt chiens, les valeurs données par un test de Schirmer I et celles données par un test de Schirmer II sont significativement différentes [2]. La sécrétion lacrymale réflexe peut fausser l’évaluation de la sécrétion lacrymale en augmentant les valeurs de façon significative.

L’intérêt du test au fil imbibé de rouge phénol est d’estimer directement la sécrétion lacrymale basale, sans instiller d’anesthésique local. En effet, le fil très fin est très bien toléré par l’animal. Le chien ne présente aucun clignement de paupières après la pose du fil, ce qui est, à l’inverse, fréquemment le cas après la pose d’une bandelette de Schirmer. Des études réalisées en médecine humaine montrent que ce test est plus fiable que le test de Schirmer classique [3]. Les valeurs obtenues avec le PRTT sont plus reproductibles et plus précises. Ce test présente chez l’homme un intérêt majeur dans le suivi des insuffisances lacrymales [6].

Le fil du PRTT présente un autre intérêt en pratique vétérinaire : le test de Schirmer classique est parfois difficile à réaliser, notamment sur un animal agité ou chez les races brachycéphales. Fréquemment, la bandelette de Schirmer est expulsée avant la fin du test. Le fil du PRTT est beaucoup plus facile à positionner et ne doit rester en place que quinze secondes, ce qui le rend plus facile d’emploi.

Plusieurs études similaires confirment l’intérêt de l’utilisation de ce test chez le chien. Une étude présentée par notre confrère, le Docteur De Geyer, au dernier congrès de la CNVSPA donne des observations comparables aux nôtres. Deux autres études réalisées également sur des chiens sains donnent des valeurs identiques aux nôtres : 34,15 ± 4,45 mm/15 sec pour l’étude de Brown [2] et 29,3 ± 3,45 mm/

15 sec pour l’étude de Saito [7]. En revanche, les valeurs observées avec le test de Schirmer classique sont plus élevées que les nôtres : 21,98 mm/min pour l’étude [2] et 18,89 mm/min pour l’étude [7]. Cette différence peut s’expliquer par l’utilisation de tests de marques différentes [4] ou par une variabilité de la sécrétion réflexe qui dépend de chaque cas : animal plus sensible, pose de la bandelette irritante.

Difficulté de lecture du PRTT

Dans l’étude [2], une difficulté dans la lecture du front de migration du colorant du PRTT est rapportée. Cette difficulté a également été rencontrée avec deux fils (sur un total de 80) qui ne se coloraient pas. Ce phénomène, qui est observé parfois également avec les bandelettes de Schirmer imbibées de colorant, pourrait s’expliquer, soit par une variation du pH lacrymal chez certains animaux, soit par un défaut de fabrication (fil non imprégné de colorant).

En raison de la lecture parfois difficile du front de migration du colorant dans le PRTT, une étude in vitro a été réalisée pour étudier l’influence du pH d’une part et du vieillissement du test d’autre part. Trois vials de 2 ml ont été remplis à ras bord avec des solutions tamponnées (tampon phosphate) de pH respectifs : 6,8 ; 7,4 et 8. La partie pliée du fil est ensuite placée au contact de la solution tampon pendant 15 secondes, puis retirée. La distance de migration (partie pliée du fil non comprise) est notée dans la minute qui suit la réalisation du test, de même que sa couleur. Les tests utilisés sont des tests fabriqués récemment et des tests en limite de péremption. Quel que soit le pH testé, la distance de migration après 15 secondes est d’environ 35 mm ± 2 mm, que ce soit avec des tests de fabrication récente ou en limite de péremption. À pH acide, la couleur du fil est orangée, elle est rouge clair au pH des larmes et rouge foncé à pH basique. Au niveau du front de migration, une zone (± 2 mm) présente une coloration moins marquée. L’observation à la loupe binoculaire (grossissement 60) montre une coloration normale des brins centraux du fil et une absence de coloration des brins périphériques qui pourrait s’expliquer par des phénomènes de capillarité.

Pour une lecture la plus précise possible du test, il convient de choisir d’inclure ou de ne pas inclure dans la distance de migration la zone moins colorée. La différence entre les deux mesures étant toutefois peu importante, cela n’a aucune incidence en pratique courante pour le diagnostic ou le suivi d’une sécheresse lacrymale chez le chien ou le chat.

L’étude réalisée montre la validité du test du fil au rouge phénol dans l’évaluation de la sécrétion lacrymale chez le chien sain. L’avantage de ce test est d’estimer uniquement la sécrétion lacrymale basale, ce qui représente un intérêt majeur dans le suivi de l’insuffisance lacrymale quantitative.

Ce test est facile à réaliser : la pose est bien tolérée et la durée du test est courte. La fiabilité de ce test ayant été validée chez des chiens sains, une étude similaire est en cours pour l’évaluer chez des animaux qui présentent une insuffisance lacrymale quantitative.

  • (1) Prix approximatif du test PRTT : environ 1,60 euros la pochette. La présentation des vingt chiens testés (race, sexe et âge) (tableau 1), les résultats complets des mesures de PRTT et de Schirmer (tableau 2) et les résultats de l’analyse statistique (tableau 3) sont disponibles en ligne sur Planète-vet.

  • 1 - Berger S L and King V L. The fluctuation of Tear Production in the Dog. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1998 ; 34 : 79-83.
  • 2 - Brown M and Galland JC. The phenol red thread tear test in dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1996 ; 4 : 274-277.
  • 3 - Clinch TE, Dominick AB, Felberg NT et coll. Schirmer’s test, a closer look. Arch. Ophthalmol. 1983 ; 101 : 1383-1386.
  • 4 - Clerc B. Ophtalmologie Vétérinaire, seconde édition. Ed. du Point Vétérinaire, Maisons-Alfort, 1997 : 53.
  • 5 - Gelatt KN. Veterinary ophthalmology, second edition. Lea & Febiger, Philadelphia.1999 : 124-125.
  • 6 - Hamano H, Hori M, Hamano T et coll. A new method for measuring tears. CLAO J. 1983 ; 9 : 281-289.
  • 7 - Saito A and Kotani T. Estimation of lacrimal level and testing methods on normal beagles. Vet. Ophthalmol. 2001 ; 4 : 7-11.
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