La tulathromycine, l’extrême temps-dépendance - Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004
Le Point Vétérinaire n° 243 du 01/03/2004

ANTIBIOTHÉRAPIE RESPIRATOIRE BOVINE ET PORCINE

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Éric Vandaële

Une injection = neuf à quinze jours d’efficacité. La tulathromycine, macrolide de la nouvelle classe des triamilides, réussit le pari d’une extrême temps-dépendance.

Il existe de nombreux antibiotiques injectables destinés au traitement des infections respiratoires des bovins et des porcins. Pourtant, dans ce domaine, la tulathromycine (Draxxin®) constitue une innovation. Car elle permet, à l’aide d’une seule injection d’un faible volume d’une solution aqueuse (2,5 ml/100 kg), de maintenir des concentrations efficaces pendant neuf à quinze jours chez les bovins et cinq à quinze jours chez les porcins. Jusqu’à présent, les formulations longue-action ne dépassaient pas 48 à 72 heures, parfois 96 heures. En outre, les excipients huileux ou complexes associés à une forte concentration d’antibiotique dans l’excipient (20 à 30 %, soit 20 à 30 g de substance active pour un flacon de 100 ml) pouvaient souvent être à l’origine de réactions d’intolérance locale. Ici la solution aqueuse est concentrée à 10 % (10 g/100 ml), pour une dose unique relativement faible de 2,5 mg/kg (1 ml/40 kg).

Traitement et prévention en milieu infecté

L’agence européenne du médicament(1) a validé en novembre 2003 l’efficacité de Draxxin® chez les bovins et chez les porcins.

• Chez les bovins, la spécialité est indiquée comme « traitement et prévention des pathologies respiratoires associées à Mannheima (Pasteurella) hæmolytica, Pasteurella multocida et Hæmophilus somnus ». Pour l’indication de prévention, l’Agence ajoute que « la présence de la pathologie respiratoire dans le troupeau doit être établie avant de mettre en place le traitement préventif ». Il s’agit donc davantage d’une métaphylaxieque d’une prophylaxie. Elle est destinée à éviter l’apparition de la maladie respiratoire chez des animaux sans signes cliniques, mais au contact d’animaux malades. Le pourcentage d’animaux malades n’est pas fixé et dépend aussi des conditions de stress des animaux (transport, allotement, etc.).

• Chez les porcins, l’indication est le « traitement des pathologies respiratoires associées à Actinobacillus pleuropneumoniae, Pasteurella multocida et Mycoplasma hyopneumoniae ». Aux États-Unis, l’indication est étendue à deux autres germes : Hæmophilus parasuis et Bordetella bronchiseptica.

Et Mycoplasma bovis ?

Vis-à-vis de Mycoplasma bovis, les données cliniques et in vitro présentées par le laboratoire Pfizer ont été jugées « trop peu nombreuses et trop variables » pour valider une indication clinique contre les infections respiratoires dues à ce germe chez les bovins. Néanmoins, le professeur Quintin Mac Kellar (du Moredun Research Institute à Édimbourg, Royaume-Uni), qui a développé un modèle de reproduction expérimentale à Mycoplasma bovis, est persuadé de « la nette efficacité de la tulathromycine vis-à-vis des infections à M. bovis : la température chute, les scores clinique et lésionnel indiquent que les animaux traités sont guéris ou nettement améliorés par rapport aux témoins ». Le laboratoire Pfizer prévoit de produire les études nécessaires pour obtenir, à moyen terme, l’inscription officielle de l’indication contre M. bovis.

Un macrolide triamilide

L’ensemble des caractéristiques innovantes de Draxxin® provient des onnouvel antibiotique, la tulathromycine, et nonde la formulation galénique. La tulathromycine est rattachée au groupe des macrolides. Elle dérive d’un des antibiotiques phares de Pfizer en médecine humaine : l’azithromycine (Zithromax®), de la classe des azalides. Mais, selon l’Agence européenne du médicament, « elle se différencie beaucoup des autres macrolides [notamment] par sa longue durée d’activité, en partie due à trois groupes aminés [antibiotique tribasique], ce qui justifie son appartenance à une nouvelle classe : les triamilides » (voir la FIGURE“Structuredela tulathromycine”).

Bactériostatique temps-dépendant

Comme les macrolides, la tulathromycine est un antibiotique bactériostatique qui agit par inhibition de la synthèse protéique. Comme tous les bactériostatiques, son action est donc de typetemps-dépendant. En d’autres termes, seul le maintien pendant une durée plus longue de concentrations efficaces au-dessus de la CMI (concentration minimale inhibitrice) permet d’améliorer son efficacité. D’où l’intérêt de bénéficier pour ce type d’antibiotique, de formulations longues actions, plutôt que d’avoir à répéter les injections.

La présence de trois groupes aminés et l’équilibre entre les quatre formes de ionisation (o, +, ++, et +++) permettent à la tulathromycine de présenter certaines propriétés pharmacodynamiques et pharmacocinétiques.

Pénétration cellulaire

(1) La pénétration des membranes bactériennes, notamment celles de type Gram négatif, est augmentée. La pénétration intracellulaire est également augmentée dans les polynucléaires neutrophiles et les macrophages : la tulathromycine s’y concentre dix à vingt fois plus que dans le plasma. Cette pénétration dans les cellules inflammatoires contribue à apporter l’antibiotique sur le site d’infection.

(2) La tulathromycine présente une affinité moindre pour les pompes à efflux, mécanisme bactérien de résistance commun aux macrolides et aux lincosamides qui consiste à rejeter dans le milieu extracellulaire l’antibiotique qui a déjà pénétré dans le milieu intracellulaire de la bactérie.

(3) La molécule est soluble et stable dans l’eau, d’où une formulation en solution aqueuse non irritante et facilement a dministrable à la seringue. Néanmoins, l’injection sous-cutanée chez les bovins « provoque [dans 15 % des cas] une douleur et un œdème transitoires au point d’injection » selon le rapport de l’Agence du médicament. « Ces réactions ne sont pas observées par voie intramusculaire chez les porcins ». À l’histologie, les réactions locales disparaissent en trente jours, ce qui reste compatible avec les longs délais d’attente avant abattage : 33 jours chez les porcins, 49 jours chez les bovins.

(4) La molécule n’est pas ou très faiblement métabolisée. Elle est éliminée lentement (par l’urine et les fèces) avec une demi-vie de quatre jours dans le plasma (huit jours dans les poumons dans lesquels la décroissance est encore plus lente).

Cinq à quinze jours d’activité

La confrontation des concentrations minimales inhibitrices avec les profils pharmacocinétiques (voir la FIGURE “Concentrations pulmonaires de tulathromycine chez les bovins et les porcins”) permet de prédire l’efficacité de l’antibiotique. Comme pour les autres macrolides, les concentrations plasmatiques sont très en dessous des CMI, contrairement aux concentrations pulmonaires qui les dépassent souvent largement. C’est à partir de ce type de confrontation que les durées d’activité (au-dessus des CMI) de cinq à quinze jours sont annoncées chez les bovins et les porcins et que des schémas posologiques peuvent être proposés.

Dose de 2,5 mg/kg

Pour la tulathromycine, la dose de 2,5 mg/kg a également été fixée chez les bovins à partir de deux études expérimentales avec challenge (M. hæmolytica, P. multocida et M. bovis) et de cinq études cliniques de confirmation de dose. Chez les porcins, trois études avec challenge (A. pleuropneumoniae, P. multocida et M. hyopneumoniae) et quatre études cliniques de confirmation ont conduit à fixer la même dose que chez les bovins.

Études cliniques comparatives

Quatre autres études cliniques multicentriques chez les bovins (plus de 3 000 bovins de tous âges au total) et deux autres chez les porcins (plus de 350 porcs traités au total) confirment l’efficacité de la tulathromycine lors d’infections respiratoires en comparaison avec des antibiotiques récents : la tilmicosine (une injection par voie sous-cutanée de 10 mg/kg chez les bovins), le florfénicol (une injection par voie sous-cutanée de 40 mg/kg chez les bovins, deux injections par voie intramusculaire de 15 mg/kg à 48 heures d’intervalle chez les porcins), le ceftiofur (3 mg/kg pendant trois jours chez les porcins) ou encore la tiamuline (15 mg/kg/j pendant trois jours). L’ensemble des traitements donne des résultats satisfaisants de l’ordre de 90 % de guérison (appréciation fondée sur des scores cliniques sur une période de quatorze jours) dans les essais européens et de 50 à 75 % dans les essais américains. Dans la totalité des essais, la tulathromycine présente de meilleurs résultats que les autres traitements, à l’exception de la comparaison avec le florfénicol administré en deux injections chez les porcins qui obtient de meilleurs résultats. Dans les essais européens, les différences sont faibles, de l’ordre de 2 à 5 % en faveur de la tulathromycine. Elles ne sont pas (ou rarement) significatives sur le plan statistique. En revanche, ces différences deviennent plus élevées et statistiquement significatives dans les essais américains.

Études en métaphylaxie

Plusieurs essais, dont un en France, démontrent clairement et souvent de manière significative l’efficacité en « prévention d’infections respiratoires en milieu infecté chez les bovins », contre placebo comme contre la tilmicosine. Dans l’essai français, tous les bovins sont traitésàpartirde10 % d’animaux cliniquement malades dans un lot. 80 % des bovins ainsi traités par le placebo présentent des signes de maladie respiratoire dans les quatorze jours. En revanche, 71 % des bovins traités par la tulathromycine ne présentent pas ces signes cliniques. Les résultats en prévention sont toutefois très variables selon les essais et les conditions environnementales. Un essai sur 300 bovins, réalisé en Italie, montre 100 % d’efficacité avec la tulathromycine, 93 % avec la tilmicosine et 79 % avec le placebo.

En raison de l’absence de LMR dans le lait, la tulathromycine est contre-indiquée chez les vaches laitières (moins de deux mois avant le début de la lactation). Le laboratoire Pfizer affiche une volonté de garder un coût du traitement au niveau mondial comparable aux traitements récents déjà existants (Micotil®, Nuflor®, etc.).

  • (1) Rapport d’évaluation de l’Agence européenne du médicament (EPAR), référence EMEA/CVMP/0968/03.

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