Rupture trachéale chez un chat - La Semaine Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004
La Semaine Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004

PATHOLOGIE RESPIRATOIRE DU CHAT

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Inès Esteves*, Delphine Rault**

Fonctions :
*Unité pédagogique de nutrition
ENV d'Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex
**Unité fonctionnelle
d'imagerie médicale
ENV d'Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex

Un chat est présenté en consultation pour des difficultés respiratoires marquées associées à une toux et à un abattement. Les clichés radiographiques du thorax évoquent une rupture trachéale d'origine traumatique.

Un chat européen mâle non castré, âgé de trois ans, est référé pour des difficultés respiratoires marquées survenues brutalement depuis vingt-quatre heures.

Cas clinique

1. Commémoratifs

Le propriétaire rapporte également une toux associée à un abattement prononcé depuis dix jours. La veille de la survenue de ces troubles, une trace de sang a été constatée sur la truffe de l'animal au retour de sa promenade quotidienne. Sur le moment, cette lésion a été assimilée à un coup de griffe. L'animal ne sort plus depuis cet incident. Le chat a été présenté à un vétérinaire cinq jours auparavant, qui a réalisé deux radiographies de face et de profil du thorax. Aucun traitement n'a été institué.

2. Examen clinique

Le chat est légèrement déshydraté (5 %). Les autres paramètres cliniques sont normaux : température rectale à 38,7 °C, muqueuses roses, temps de recoloration capillaire inférieur à deux secondes.

Une toux forte non productive, qui s'aggrave progressivement, est présente depuis une dizaine de jours. Des phases de dyspnée expiratoire sont observées.

L'auscultation révèle des bruits respiratoires augmentés (sifflements bronchiques inspiratoires et expiratoires essentiellement audibles dorsalement à la base du cœur). La fréquence cardiaque est de 200 battements par minute (normes : 140-180) ; la fréquence respiratoire est de 50 cycles respiratoires par minute (normes : 30-35).

3. Hypothèses diagnostiques

Devant ce tableau clinique dominé par une dyspnée expiratoire intense, les principales hypothèses diagnostiques sont les suivantes :

- affections de la trachée dans sa portion intrathoracique d'origine inflammatoire (pseudo-asthme félin), mécanique (corps étranger, tumeur extra- ou intraluminale) ou traumatique (rupture trachéale) ;

- affections étendues du parenchyme pulmonaire : œdème, hémorragies, tumeur, emphysème, infestation parasitaire (aspergillose) ;

- affections pleurale ou diaphragmatique : fracture de côte, pneumothorax, épanchement pleural, hernie diaphragmatique, etc.

4. Examens complémentaires

Les clichés radiographiques effectués par le vétérinaire traitant cinq jours auparavant révèlent une opacification pulmonaire homogène de type interstitiel de la partie dorsale du lobe caudal droit (PHOTOS 1 et 2). Une image d'opacité aérique ovoïde à contour net, de 3,5 cm sur 2 cm, est visible crânialement à la bifurcation trachéobronchique en zone de projection de la trachée.

• En raison des images anormales observées sur ces premiers clichés et de la persistance d'une dyspnée marquée, les radiographies thoraciques sont renouvelées. L'opacification du lobe caudal droit n'est plus retrouvée, mais une image cavitaire aérique à paroi fine est visible dans ce même lobe. Comme sur les clichés radiographiques précédents, l'image de la partie caudale de la trachée, crânialement à la bifurcation trachéobronchique, est anormale. Selon la phase respiratoire, une dilatation (PHOTO 3) ou, à l'inverse, un rétrécissement du diamètre trachéal (PHOTO 4) sont notés. Aucune masse intratrachéale n'est observée.

Compte tenu des modifications très localisées du diamètre trachéal et du caractère dynamique de la lésion, ces images sont évocatrices d'une rupture trachéale avec écartement entre deux anneaux trachéaux et persistance de la continuité de l'adventice, fine membrane souple dont la position varie en fonction de la respiration (dilatation ou rétrécissement de la lumière).

La localisation caudale de la lésion trachéale et les images pulmonaires (probable hémorragie pulmonaire résorbée et bulle : ruptures d'alvéoles) sont en faveur d'une origine traumatique.

5. Traitement

En raison de ces lésions de rupture trachéale associées à une dyspnée intense qui s'aggrave, un traitement chirurgical est proposé. Il est refusé par le propriétaire. Un traitement médical est alors mis en place, qui associe :

- une oxygénothérapie (cage à oxygène) ;

- un antibiotique à large spectre qui présente une bonne diffusion pulmonaire (céfalexine) ;

- des anti-inflammatoires stéroïdiens (prednisolone) après vérification de la fonction rénale. L'administration a pour but de limiter la toux ainsi que la réaction inflammatoire responsable d'une sténose luminale au niveau des deux abouts de la trachée rompue. En outre, une douleur thoracique vive est fréquemment rapportée chez l'homme [4] : les corticoïdes sont donc intéressants pour diminuer cette éventuelle douleur qui accentue l'état de stress de l'animal et, par conséquent, la dyspnée.

L'état de l'animal se dégrade rapidement (discordance qui s'aggrave d'heure en heure). Il meurt dans les douze heures qui suivent son hospitalisation malgré une intubation nasotrachéale qui n'apporte qu'un soulagement de courte durée.

6. Autopsie

L'examen nécropsique révèle une striction de la partie terminale de la trachée et des bronches souches, ainsi qu'une inflammation exsudative sévère, focalement nécrosante, associées à un épaississement de l'adventice, à un écartement des anneaux trachéaux et à une dilatation postérieure de la trachée (PHOTO 5).

L'autopsie permet de conclure à des lésions de trachéobronchite sténosante, avec une rupture trachéale distale, associée à une lymphadénite trachéobronchique.

Discussion

1. Étiopathogénie et épidémiologie

Rares chez le chat, les ruptures trachéales sont dans la majorité des cas secondaires à une intubation [9], mais elles peuvent être post-traumatiques [7], comme c'est probablement le cas ici.

Ces ruptures trachéales traumatiques résultent généralement d'une lésion cervicothoracique violente, associée à une hyperextension brutale de l'encolure [1, 3, 5, 6, 7, 11, 12]. Comme dans le cas décrit, la rupture de la trachée se produit alors 1 à 4 cm crânialement à la bifurcation trachéobronchique. Cette zone correspond à la jonction entre un segment fixe (carène) et un segment mobile (reste de la trachée). Elle est donc peu extensible et particulièrement sensible aux étirements.

Lors de rupture traumatique, les anneaux sont écartés. Cependant, l'étanchéité trachéale est généralement maintenue par la persistance d'une fine membrane fibreuse (adventice) [1]. Cette lésion est donc rarement responsable d'un pneumomédiastin, d'un pneumothorax ou d'un emphysème sous-cutané [8].

Comme l'illustre le cas présenté dans cet article, la dyspnée est paradoxalement tardive et s'installe progressivement en plus d'une semaine (10,7 +/- 7,9 jours en moyenne ; valeur médiane de 12,5 jours) [7]. Elle est due à la mise en place, de part et d'autre de la rupture, d'un tissu cicatriciel qui a un effet de valve unidirectionnelle et qui entraîne progressivement à une sténose de la trachée (lésions de trachéobronchite sténosante retrouvées lors de l'autopsie de cet animal). Le passage de l'air est alors gêné au cours de l'expiration, d'où l'installation d'une dyspnée expiratoire progressive. La survenue d'un granulome inflammatoire est favorisée par la présence d'une infection ou d'une toux, qui entretiennent une irritation locale (lésions de lymphadénite trachéobronchique retrouvées à l'autopsie chez ce chat).

Les jeunes chats mâles semblent plus fréquemment concernés [12], ce qui peut être mis en relation avec leur mode de vie.

2. Diagnostic

• Le diagnostic de rupture trachéale intrathoracique repose, dans un premier temps, sur un examen radiographique. Les signes radiographiques, quand ils sont présents, sont caractéristiques. Il s'agit d'une dilatation aérique de la trachée en amont de la bifurcation trachéobronchique, dont le diamètre varie en fonction de la phase respiratoire.

• D'autres techniques sont envisageables pour établir un diagnostic de certitude, uniquement s'il existe un doute.

La trachéographie est en effet risquée et doit être mise en œuvre avec précaution en raison de la forte viscosité du produit de contraste (solution iodée) qui gêne le travail de l'appareil mucociliaire et obstrue parfois la sonde endotrachéale (augmentation du risque anesthésique) [8]. Les risques d'œdème pulmonaire non cardiogénique sont également élevés.

La trachéoscopie est également d'une utilisation délicate (animaux de petit format qui présentent déjà une insuffisance respiratoire marquée) [2]. Son utilisation semble contestée. Outre la visualisation directe de la rupture trachéale, la trachéoscopie permettrait toutefois, selon certains auteurs, une évaluation du degré de chronicité de la lésion (sténose au niveau des deux segments trachéaux, dilatation entre les deux abouts) [12].

3. Traitement

• Un traitement médical seul est rarement préconisé lors de rupture trachéale d'origine traumatique en raison de la possibilité d'aggravation brutale et intense des symptômes respiratoires [7]. Il est parfois envisagé lors de difficultés respiratoires discrètes ou modérées qui s'améliorent sous oxygénothérapie. Chez l'homme, la principale complication lors de rupture trachéale est d'ordre septique et une antibiothérapie doit donc être mise en place précocement. La présence d'une infection et d'une toux peut en effet entretenir une irritation locale et favoriser la survenue d'un granulome inflammatoire qui diminue le diamètre trachéal [8].

• Devant une dyspnée marquée ou une aggravation brutale des difficultés respiratoires, comme dans le cas décrit, le traitement chirurgical s'impose [7] et doit être réalisé le plus rapidement possible, afin de limiter la sténose trachéale. En raison du risque anesthésique élevé, la gestion de l'anesthésie est un des points clés : oxygénothérapie, induction anesthésique et contrôle rapides des voies respiratoires pour assurer une ventilation assistée, etc. [8]. Un abord par thoracotomie droite est généralement utilisé [8]. L'intervention chirurgicale consiste en la résection des abouts sténosés de la rupture trachéale, puis en leur anastomose. Une attention particulière doit être portée à la visualisation du nerf laryngé récurrent car des lésions iatrogènes sont possibles [13]. Les autres complications potentielles sont le développement d'une infection, le lâchage des sutures par nécrose, la formation d'une bride cicatricielle qui risque de sténoser l'anastomose et la survenue d'un granulome inflammatoire qui engendre une diminution du diamètre de la lumière trachéale [8]. Bien que les résultats soient encourageants, les effectifs insuffisants des études disponibles ne permettent pas de déterminer un taux de réussite de l'acte chirurgical [4, 7, 8, 9, 12, 13].

Points forts

Les ruptures trachéales sont le plus souvent secondaires à une intubation, mais elles peuvent également survenir après un traumatisme.

Lors de rupture traumatique, la dyspnée est paradoxalement tardive et s'installe progressivement en plus d'une semaine.

Les signes radiographiques sont caractéristiques : dilatation aérique de la trachée en amont de la bifurcation trachéobronchique, dont le diamètre varie selon la phase respiratoire.

Devant une dyspnée marquée ou une aggravation brutale des difficultés respiratoires, le traitement chirurgical doit être réalisé le plus rapidement possible.

Remerciements à D. Rosenberg, J. Hernandez, B. Naessens, ainsi qu'à l'ensemble des membres de l'UP de médecine, de l'UF d'imagerie médicale et du service d'anatomo-pathologie de l'ENVA.

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