Démarche face à un œdème ou à un pouls jugulaire - Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004
Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004

CARDIOLOGIE BOVINE

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Sébastien Buczinski*, Anne-Marie Bélanger**, David Francoz***

Fonctions :
*Faculté de médecine vétérinaire
CP 500
St-Hyacinthe (Québec)
J2S7C6, Canada

Lors d’œdème périphérique et/ou de pouls jugulaire chez un bovin, des examens simples ou plus élaborés permettent de documenter un diagnostic d’insuffisance cardiaque par exemple.

Face à un bovin qui présente un œdème périphérique ou un pouls veineux jugulaire rétrograde qui persiste au-delà du tiers ventral de l’encolure, le praticien doit mettre en place une démarche diagnostique précise et raisonnée. Il peut alors proposer à l’éleveur un pronostic à court et à moyen terme et, éventuellement, un traitement palliatif.

Repérer deux signes, seuls ou associés

1. Œdème seul

L’œdème périphérique n’est pas toujours le signe d’une insuffisance cardiaque droite, mais traduit un déséquilibre de pressions hydrostatique et oncotique entre les secteurs intra- et extravasculaire (PHOTO 1). Il convient également d’éliminer les causes d’œdème extracardiaque, fréquentes en médecine bovine (voir le TABLEAU “Diagnostic différentiel d’un œdème périphérique”).

2. Distension jugulaire isolée

La distension d’une veine jugulaire peut être révélatrice d’une phlébite suite à des injections.

La distension bilatérale des jugulaires peut également indiquer une masse intrathoracique, qui comprime la veine cave crâniale (lymphosarcome juvénile, forme thymique).

Lors d’insuffisance cardiaque droite, une distension et un pouls palpable de la veine mammaire sont souvent notés (PHOTO 2).

3. Association des deux

Lorsqu’un œdème périphérique est associé à une turgescence des jugulaires, une affection cardiaque doit être recherchée et précisée.

Étudier les commémoratifs

1. Race et âge

La race de l’animal (cardiomyopathie dilatée des Holstein rouge et des Ayrshire) et son âge (cardiopathies congénitales, thymome chez le jeune) sont des facteurs importants pour orienter le diagnostic.

2. Anamnèse

L’histoire médicale de l’animal peut orienter le praticien.

Une fièvre ondulante et une boiterie chronique sont ainsi souvent notées lors d’endocardite végétante bactérienne [2, 5, 9].

Une suspicion antérieure de réticulopéritonite traumatique peut précéder l’apparition d’une péricardite (traumatique).

L’absence de prévention de la maladie du muscle blanc dans une région carencée en sélénium constitue aussi un indice intéressant.

Identifier une anomalie cardiaque

1. Examen clinique général

La fièvre est fréquemment présente lors de péricardite traumatique ou d’endocardite végétante bactérienne.

Une atonie digestive et une constipation, associées à une douleur abdominale, sont les signes cardinaux de réticulopéritonite traumatique et peuvent permettre de suspecter une péricardite.

Un foyer inflammatoire bactérien non contrôlé (mammite, abcès pulmonaire, hépatique ou autre [6]) précède souvent la bactériémie qui a engendré l’endocardite.

L’examen respiratoire est également fondamental pour détecter des anomalies qui expliquent l’apparition d’un œdème de l’auge (PHOTO 3) et de turgescence des jugulaires (voir les FIGURES “Examens complémentaires lors d’œdème de l’auge et de turgescences des jugulaires : causes cardiaques” et “Examens complémentaires lors d’œdème de l’auge : causes non cardiaques”). Certaines affections entraînent ainsi une hypertension pulmonaire chronique, d’où une hypertrophie réactionnelle, puis une défaillance du cœur droit (“cœur pulmonaire”). Une détresse respiratoire peut aussi être liée à un lymphosarcome thymique qui comprime la trachée.

2. Examen cardiovasculaire

Une tachycardie accompagne souvent une défaillance cardiaque.

Une tachyarythmie isolée peut survenir lors de nombreuses anomalies cardiaques [7, 8], mais aussi extracardiaques (désordres métaboliques ou gastro-intestinaux).

La recherche d’un souffle est délicate : seule la moitié des souffles est audible dans les conditions habituelles de l’exercice en clientèle rurale, en raison des bruits parasites ou d’un état d’engraissement excessif [5]. Localiser le souffle peut aider à identifier la valvule affectée (voir le TABLEAU “Sémiologie des principaux souffles cardiaques chez la vache”).

Les bruits de clapotis (“machine à laver”) et/ou une diminution de l’intensité des bruits cardiaques indiquent souvent une péricardite exsudative ou une pleurésie.

Une cyanose des muqueuses peut être observée lors de certaines cardiopathies congénitales (tétralogie de Fallot, persistance du canal artériel…).

Le temps de remplissage capillaire est souvent augmenté lors d’une réduction du débit cardiaque (insuffisance cardiaque avec défaillance contractile myocardique).

Préciser le diagnostic étiologique

1. Hématologie et biochimie sanguine

L’analyse hématologique permet de déterminer la nature inflammatoire ou non de l’affection.

La biochimie sanguine, outre son intérêt pour préciser une atteinte rénale ou hépatique éventuelles, ainsi qu’une hypoprotéinémie (perte rénale, digestive ou insuffisance hépatique, malnutrition sévère, parasitisme intense lors de fasciolose), peut souligner la présence d’une inflammation chronique lors d’hyperglobulinémie. De même, des concentrations sériques en enzymes musculaires nettement augmentées peuvent traduire une cardiomyopathie liée à une carence en vitamine E et en sélénium. Certaines enzymes spécifiques du cœur peuvent en outre être augmentées lors de cardiomyopathie (isoenzyme cardiaque de la lactate déshydrogénase, de la créatine kinase…).

2. Prélèvements spécifiques

Lors de pics de fièvre associés à une endocardite, une péricardiocentèse et des prises de sang effectuées de façon aseptique peuvent permettent d’isoler le germe causal, tout en le différenciant d’un agent issu d’une contamination lors du prélèvement (deux ou trois hémocultures à quelques heures d’intervalle). L’antibiosensibilité est éventuellement recherchée.

Un lavage trachéal associé à une coproscopie parasitaire peut permettre de préciser l’étiologie d’une affection pulmonaire chronique lors de “cœur pulmonaire” (pneumonie chronique bactérienne, dictyocaulose).

3. Électrocardiogramme

L’électrocardiogramme, auparavant largement utilisé en milieu hospitalier lors de trouble du rythme, a perdu de son intérêt avec l’avènement de l’échographie. Il permet d’identifier d’éventuelles anomalies de conduction dans le muscle myocardique mais sans augurer du diagnostic précis. Il peut néanmoins faciliter la décision d’administrer ou non des anti-arythmiques [1].

4. Échographie

L’examen échographique abdominal et cardiaque (PHOTO 4) est encore réservé au milieu hospitalier en raison de l’expérience nécessaire de l’opérateur, du type de sonde (2 à 3,5 MHz, avec une maniabilité suffisante pour passer dans l’espace intercostal réduit des bovins) et de la précision requise de l’appareil utilisé. Il permet un diagnostic précis de l’affection cardiaque [12, 13]. Il permet également de préciser le traitement et le pronostic, en conjonction avec la durée d’évolution de la maladie [7].

5. Radiographies thoraciques et abdominales

Les radiographies permettent de préciser le diagnostic, mais ne sont pas non plus accessibles en pratique courante : corps étranger métallique lors de réticulopéritonite traumatique avec péricardite, densification vasculaire anormale du champ pulmonaire lors de “cœur pulmonaire”, absence de visualisation du champ pulmonaire caudoventral lors d’épanchement pleural ou péricardique.

Proposer un traitement à l’éleveur

Le pronostic des affections cardiaques qui entraînent un œdème périphérique et une turgescence des jugulaires n’est jamais bon. Il convient d’en avertir l’éleveur. Les tentatives de traitement sont en général réservées aux animaux de grande valeur génétique ou aux vaches gestantes d’embryons de qualité [8]. Les animaux qui n’entrent pas dans cette catégorie devront être réformés.

Dans la plupart des cas, les moyens thérapeutiques mis en œuvre ne sont que palliatifs : le but est la prolongation de la vie de l’animal, le temps d’un essai de superovulation par exemple, ou l’arrivée à terme de la gestation. Des temps de survie relativement élevés sont parfois rapportés : jusqu’à quatorze mois (gestation menée à terme et récolte d’embryons fructueuse) lors d’endocardite [10] et 2,5 ans lors de péricardite [3].

Le traitement de l’insuffisance cardiaque vise d’abord à soulager l’animal (voir le TABLEAU “Principes thérapeutiques lors d’insuffisance cardiaque congestive chez les bovins”). L’arsenal thérapeutique disponible est assez sommaire car il existe peu de médicaments spécifiques dont les propriétés pharmacologiques ont été étudiées [1, 8]. Il se limite à l’administration de diurétiques afin de diminuer la précharge cardiaque et de briser le cycle de rétention sodée liée à l’activation du système rénine-angiotensine et aldostérone. Certains anti-arythmiques peuvent également être associés (après un électrocardiogramme) [1, 8]. En parallèle, le traitement spécifique de l’affection doit aussi être entrepris : antibiothérapie adaptée en particulier.

L’obtention d’une réponse clinique transitoire ne doit pas faire oublier la possibilité de complications à plus long terme : fibrose et péricardite constrictive, foyers infectieux secondaires aux embolies bactériennes lors d’endocardite, etc.

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