Alopécie prurigineuse chez un veau de lait - Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004
Le Point Vétérinaire n° 242 du 01/01/2004

DERMATOLOGIE DES BOVINS

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CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Christelle Rodde*, Didier Pin**, Théodore Alogninouwa***

Fonctions :
*Unité clinique rurale,
ENVL
1, Avenue Bourgelat, BP 83
69280 Marcy-l'Étoile
**Unité clinique dermatologie
cancérologie
ENVL
1, Avenue Bourgelat, BP 83
69280 Marcy-l'Étoile
***Unité clinique rurale,
ENVL
1, Avenue Bourgelat, BP 83
69280 Marcy-l'Étoile

Une intolérance au lait est suspectée chez un veau âgé d'un mois. Un test simple, l'intradermo-réaction de lait, est réalisé et permet d'exclure un phénomène d'allergie vraie.

Le seul test diagnostic de l'allergie/intolérance au lait chez le veau, validé dans la bibliographie, est le test d'éviction-réintroduction de l'aliment suspect. Le cas clinique exposé ici décrit d'autres tests, inspirés de ceux pratiqués chez l'homme, avec les interprétations des résultats obtenus.

Cas clinique

1. Commémoratifs et anamnèse

Un veau de lait mâle, de race croisée, âgé d'un mois, est référé à l'école nationale vétérinaire de Lyon pour une alopécie prurigineuse.

Ce veau provient d'un élevage de bovins laitiers d'environ trente vaches Montbéliardes, qui comprend un atelier de veaux de lait engraissés et vendus vers l'âge de quatre mois.

À sa naissance, ce veau a reçu une injection d'une solution associant vitamine E et sélénium (Séléphérol®, 1,5 ml pour 10 kg par voie intramusculaire), puis une injection d'une suspension de fer (Fercobsang®, 10 ml par voie intramusculaire) à l'âge de dix jours (ces injections sont réalisées systématiquement par l'éleveur).

Vers l'âge de quinze jours, un épisode de diarrhée, qualifiée de “diarrhée blanche” par l'éleveur, a rétrocédé sans traitement.

À la suite de cet épisode diarrhéique, un prurit intense et une chute des poils sur l'ensemble du corps sont apparus en deux à trois jours. L'éleveur a administré par voie intramusculaire une suspension de zinc (Prolontex® Zinc, 5 ml) et a appliqué de l'éprinomectine (Eprinex® Pour-On Bovin, 1 ml pour 10 kg sur la ligne du dos), ce qui n'a entraîné aucune amélioration. Il a alors appelé son vétérinaire traitant. Ce dernier, suspectant une allergie au lait, a conseillé de remplacer le lait par des sachets repas (Boviferm® PlusSID) et a référé l'animal. Après deux jours d'alimentation de remplacement, une nette diminution du prurit a été notée par l'éleveur.

Un seul autre veau de cet élevage a présenté une diarrhée dont il a guéri. Aucun autre animal n'a présenté de symptômes cutanés semblables.

2. Examen de l'animal

Le jour de son hospitalisation, le veau est en bon état général, sa conformation est excellente et tous les paramètres vitaux sont normaux. Il présente une alopécie diffuse, un érythème marqué sur l'ensemble du corps, un squamosis et de rares croûtes de petite taille sur le dos et sur les épaules (PHOTOS 1, 2 ET 3).

Le prurit est important et se manifeste par des trémulations cutanées, des coups de pied, des coups de queue, des périodes de léchage convulsif et un état d'agitation.

Un écoulement nasal et une toux modérée sont également présents.

3. Hypothèses diagnostiques

Le diagnostic différentiel de l'alopécie et du prurit chez un jeune bovin comprend [7, 8, 11] (voir le TABLEAU “Hypothèses diagnostiques face à une alopécie prurigineuse chez un veau”) :

- une hypersensibilité à manifestation cutanée (allergie ou intolérance alimentaire [2, 6], allergie médicamenteuse [8]) ;

- une ectoparasitose (gale psoroptique, chorioptique ou sarcoptique, phtiriose) [7, 8, 11] ;

- une dermatomycose (à Malassezia, aspergillose) ;

- une carence nutritionnelle (en zinc ou en cuivre) [7, 8, 11] ;

- un effluvium télogène (perte de poils étendue secondaire à une malnutrition sévère ou à une maladie débilitante) [7, 8, 11] ;

- une maladie auto-immune (pelade ou alopecia areata) [7, 8, 9, 11].

4. Examens complémentaires

Raclages cutanés

Aucun élément figuré n'est observé.

Cytologie cutanée

Un calque par impression (technique du “scotch-test”) ne révèle aucun élément figuré.

Biopsie

L'examen histopathologique (PHOTO 4) montre une dermatite périvasculaire superficielle. L'infiltrat inflammatoire est modéré et composé de lymphocytes, d'histiocytes et de quelques polynucléaires essentiellement éosinophiles. Ces observations sont compatibles avec une ectoparasitose ou une hypersensibilité à manifestation cutanée [8].

Épreuve d'éviction-réintroduction

L'épreuve d'éviction a été réalisée avant l'arrivée du veau à l'ENVL. Elle s'est révélée positive puisqu'elle a entraîné une nette diminution du prurit.

La réintroduction de lait, sous la forme de lait en poudre reconstitué ou de lait de vache bourru (qui vient d'être tiré), n'entraîne aucune recrudescence des symptômes.

Après ces différentes épreuves de réintroduction (quinze jours), le veau ne présente plus de prurit, l'érythème a beaucoup diminué et les poils commencent à repousser (PHOTO 5).

Intradermo-réaction de lait (IDR)

Les IDR sont réalisées au niveau du cou du veau après la tonte de la zone concernée (PHOTO 6) avec : du sérum physiologique (témoin négatif), une solution d'histamine à 1/100 000 (témoin positif), du lait de vache pur et du lait de vache dilué dans du sérum physiologique au dixième et au centième. L'histamine donne une réaction positive nette à vingt minutes, mais aucune autre réaction cutanée n'est présente ni à vingt minutes, ni à trois heures (PHOTO 7).

5. Diagnostic et évolution

Une intolérance au lait maternel est suspectée. Celle-ci pourrait être secondaire à l'épisode diarrhéique antérieur.

Aucun traitement n'est mis en place.

Un mois après le début des symptômes, le veau a toujours un régime alimentaire à base de lait de vache bourru, le prurit a disparu et les poils ont repoussé.

Discussion

L'anamnèse, l'examen clinique et les résultats des examens complémentaires permettent d'éliminer les hypothèses de carence en zinc, de carence en cuivre, d'effluvium télogène, de pelade, d'infestations parasitaires, d'infections fongiques et d'allergie médicamenteuse (PHOTOS 8 ET 9).

L'allergie alimentaire est donc l'hypothèse la plus probable chez ce veau.

1. Allergie alimentaire

L'allergie alimentaire au sens large comprend deux entités distinctes regroupées sous la même dénomination car elles sont impossibles à différencier sur le plan clinique [1].

• L'hypersensibilité alimentaire vraie fait intervenir un mécanisme immun qui est à l'heure actuelle encore méconnu. Une hypersensibilité de type I est fortement suspectée : suite à une phase de sensibilisation, l'organisme produirait des IgE qui se fixent sur les mastocytes cutanés et les basophiles circulants. La reconnaissance de l'antigène par les IgE fixées sur les mastocytes entraîne alors une dégranulation mastocytaire, qui se libère des facteurs de l'inflammation responsables du prurit et de l'érythème.

Des hypersensibilités de type III ou IV pourraient également intervenir [1, 8, 10].

• L'intolérance alimentaire est une réaction non immune à un composant alimentaire, d'origine idiosyncrasique (individuelle et innée), métabolique, pharmacologique ou toxique. Chez ce veau, l'épisode de diarrhée a peut-être altéré la muqueuse intestinale, entraînant un déficit enzymatique. Certaines protéines n'ont alors plus été dégradées correctement et sont devenues allergisantes.

2. Épreuve d'éviction/réintroduction

L'épreuve d'éviction/réintroduction de l'aliment suspect est actuellement le seul test reconnu et fiable pour le diagnostic d'une hypersensibilité alimentaire vraie.

L'éviction, déjà réalisée par l'éleveur, a permis une diminution du prurit. La réintroduction de lait en poudre n'a pas entraîné de récidive.

L'allergène pourrait provenir du lait maternel et non du lait en poudre, mais la réintroduction de lait de vache bourru s'est également révélée négative : une hypersensibilité alimentaire vraie est donc improbable.

Lors d'intolérance alimentaire, l'éviction de l'aliment responsable permet une amélioration des symptômes. Dans ce cas, les deux jours de sachets repas ont peut-être suffi à la récupération de l'intégrité de la muqueuse intestinale, ce qui expliquerait le résultat négatif des épreuves de réintroduction. Ce test d'éviction/réintroduction est donc compatible avec une intolérance alimentaire, mais n'en constitue pas une preuve.

3. Intradermo-réactions

L'intradermo-réaction (IDR) est un test qui permet d'explorer une hypersensibilité de type I uniquement. Une réaction positive signifie seulement qu'il y a eu sensibilisation de l'organisme. Un résultat positif doit donc être corrélé au tableau clinique pour conclure que l'hypersensibilité est responsable des symptômes observés.

Des tests cutanés sont utilisés chez les enfants, sous forme de prick-tests, pour le diagnostic d'allergie au lait. Chez le chien et chez le chat, les études montrent que les IDR ne sont pas utilisables pour le diagnostic d'hypersensibilité alimentaire [3, 4].Chez les bovins, les IDR ne sont pas validées [2].

Les résultats des IDR réalisées sur ce veau ne sont pas en faveur d'une hypersensibilité alimentaire vraie, mais ils doivent être interprétés avec prudence. En effet, il peut s'agir de faux-négatifs si l'allergène présenté n'est pas le lait, mais un produit de la dégradation intestinale de celui-ci, ou si la pathogénie ne fait pas intervenir une réaction d'hypersensibilité de type I.

4. Dosage des IgE

Le dosage des IgE sanguines est un autre test qui permet d'explorer une hypersensibilité de type I. L'augmentation du taux d'IgE signifie qu'il y a eu sensibilisation de l'organisme et doit être confrontée à la clinique pour son interprétation.

Ce test est utilisé en allergologie humaine pour le diagnostic des hypersensibilités alimentaires. Les essais montrent qu'il n'est pas utilisable dans ce cadre chez les chiens et les chats [3, 5]. Chez les bovins, le dosage des IgE n'est pas disponible en routine à l'heure actuelle ; il n'a donc pas pu être réalisé chez ce veau.

L'hypersensibilité alimentaire vraie est rarement mise en évidence chez le veau. Les épreuves d'éviction/réintroduction, longues et fastidieuses, sont rarement effectuées en pratique courante. L'hypersensibilité alimentaire est donc probablement sous-diagnostiquée. Des tests rapides et simples, comme les IDR ou le dosage sanguin d'IgE, sont encore peu ou pas disponibles à l'heure actuelle. Ainsi, en pratique actuellement, aucun examen paraclinique ne permet de confirmer une hypothèse d'intolérance alimentaire. Seule une élimination de toutes les autres hypothèses permet d'établir le diagnostic.

Points forts

Lors d'alopécie prurigineuse sur l'ensemble du corps sans répercussion sur l'état général chez un veau, une allergie/intolérance alimentaire doit être suspectée.

Le seul test actuellement validé pour le diagnostic d'une hypersensibilité alimentaire vraie est l'épreuve d'éviction-réintroduction de l'aliment suspect.

Des IDR et un dosage des IgE sanguines sont envisageables pour le diagnostic d'allergie alimentaire chez le veau, mais ces tests ne sont pas validés à l'heure actuelle et leur interprétation est délicate.

Aucun examen paraclinique ne permet de confirmer une hypothèse d'intolérance alimentaire. Seule une élimination des autres hypothèses permet de conclure.

  • Chemin S. Étude bibliographique des hypersensibilités alimentaires chez le chat. Thèse Méd. Vét. Toulouse. 1999 ; n° 4043 : 118 pages.
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  • Smith BP. Large animal internal medicine. 3rd ed. Saint Louis. Mosby. 2002 : 1735 pages.
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