Fractures du canon chez le veau traitées avec des Fessa - Le Point Vétérinaire n° 241 du 01/12/2003
Le Point Vétérinaire n° 241 du 01/12/2003

ORTHOPÉDIE BOVINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Jean-Luc Chatré

Fonctions : Clinique vétérinaire,
4, place du Champ-de-Foire,
58000 Nevers

Rarement utilisés en chirurgie orthopédique bovine, les fixateurs externes Fessa s’avèrent intéressants pour le traitement de fractures distales des membres chez les veaux lourds et turbulents.

La fixation externe est devenue une pratique courante pour la réparation des fractures osseuses chez le veau depuis une vingtaine d’années. Les montages sont presque toujours réalisés avec le matériel JAM (Jean-Alphonse Meynard ) [2]. Les fixateurs externes du service de santé des armées (Fessa) peuvent aussi être utilisés, comme le montrent les deux cas cliniques présentés dans cet article.

Cas cliniques

Les deux cas cliniques présentés ici sont très voisins l’un de l’autre. Ils se résument de la manière suivante :

1. Cas clinique n° 1

Il s’agit d’un veau charolais mâle, pesant 75 kg et âgé de un mois, atteint d’une fracture médiodiaphysaire, esquilleuse et ouverte du métatarsien droit.

Cet animal, qui vit en stabulation libre, s’est coincé la patte dans un cornadis métallique. Il s’est débattu pour se sortir de cette emprise, mais sans résultat. Son propriétaire l’a retrouvé le lendemain matin toujours bloqué dans le cornadis. Il l’a sorti de là et a alors constaté qu’il présentait une fracture de l’os canon postérieur droit, ouverte et extrêmement souillée. Il a alors immédiatement conduit ce veau à notre clinique.

2. Cas clinique n° 2

Il s’agit d’un veau charolais mâle, pesant 83 kg et âgé de six semaines, atteint d’une fracture du métatarsien droit, située au niveau du tiers distal, multi-esquilleuse, ouverte et très souillée par de la paille et des matières fécales.

Cet animal avait passé la patte entre un mur de béton et une plaque métallique. C’est sans doute le bord tranchant de cette dernière qui a coupé la peau, car des traces de sang étaient visibles sur la surface de métal. Là encore, le veau a été conduit immédiatement à notre clinique.

Traitements des fractures

Les deux veaux, dont le comportement général est normal, sont anesthésiés, radiographiés, désinfectés et opérés.

1. Anesthésie

Une anesthésie générale est réalisée dans les deux cas avec l’association tilétamine-zolazépam (Zolétil® 100), à la dose de 1 mg/kg par voie intraveineuse. Une anesthésie épidurale est également réalisée à l’aide de lidocaïne à 2 % (Laocaïne®, 10 ml).

2. Radiographies

Chez le veau n° 1, une double incidence (face et profil) confirme l’existence d’une fracture ouverte, médiodiaphysaire et esquilleuse du métatarsien droit (PHOTOS 1 et 2).

Chez le veau n° 2, une double incidence (face et profil) confirme l’existence d’une fracture ouverte et esquilleuse du tiers distal du métatarsien droit. La fracture est située à environ 2 cm au-dessus du cartilage de croissance (PHOTO 3).

3. Désinfection

Après une tonte soignée du membre, un parage de la plaie est effectué dans les deux cas. Tous les corps étrangers sont éliminés. Une irrigation à l’aide de chlorhexidine (Hibitan®) diluée est mise en œuvre. La solution est envoyée sous faible pression dans les plaies.

4. Interventions chirurgicales

Compte tenu des souillures de ces deux fractures, il est décidé de les traiter à l’aide d’un fixateur externe, à ciel fermé. Le Fessa est choisi en raison de ses qualités mécaniques, car les deux animaux sont lourds, jeunes et turbulents.

Le veau n° 1 est équipé d’un montage en V avec un hémicadre latéral à six broches (trois de chaque côté du foyer de fracture) et un hémicadre frontal à quatre broches (deux de part et d’autre du foyer). Les deux hémicadres forment un angle d’environ 70° et sont reliés par une barre de 4 mm de diamètre (PHOTO 4).

Le veau n° 2 reçoit le même type de montage, mais, compte tenu de la localisation de la fracture, l’hémicadre latéral comporte quatre broches au-dessus du foyer et deux au-dessous. L’hémicadre frontal possède, quant à lui, deux broches au-dessus du foyer et une seule en dessous (PHOTO 5).

L’examen radiographique postopératoire montre, dans les deux cas, que la réduction n’est pas parfaite mais satisfaisante. Les axes craniocaudal et latéromédial sont respectés dans les deux cas. Les montages sont très solides et la stabilité au sein des foyers de fracture est bonne.

Dans chaque plaie cutanée, 1 g de céfalexine (Rilexine®) est déposé et un pansement de type Robert Jones est ensuite réalisé (compresses stériles autour des broches, bande coton, bande de serrage en tissu élastique, Élastoplast® de protection).

Suivis postopératoires

Les veaux sont rendus le jour même à leurs propriétaires. Une antibiothérapie pendant dix jours, à base de céfalexine (Rilexine®, à la dose de 8 ml par voie intramusculaire matin et soir), est instaurée. Les animaux sont placés seuls avec leur mère dans un petit box propre de quelques mètres carrés. La paille y est changée tous les deux jours, car il est primordial que l’environnement soit propre pendant tout le temps où le montage est en place.

Le premier changement de pansement est effectué à J5 par le vétérinaire, à la ferme ou à la clinique selon le cas. Un pansement plus léger, à base de coton protecteur et d’un jersey tubulaire, est alors mis en place et les propriétaires le changent ensuite eux-mêmes une fois par jour. À cette occasion, ils irriguent la plaie avec une solution de chlorhexidine (Hibitane®). Pour le veau n° 2, une grosse esquille dévitalisée est retirée à l’occasion du premier renouvellement de pansement (PHOTO 6).

Un seul contrôle radiographique est réalisé avant le retrait du matériel, car les animaux sont trop lourds pour être fréquemment transportés à la clinique.

Dans les deux cas, l’ablation du matériel d’ostéosynthèse a lieu à J50. Les cals obtenus, d’origine périostée et hétérogènes, mettent longtemps à devenir pontants, en raison de l’élimination régulière de petits séquestres osseux.

Résultats

Dès le retrait des matériels d’ostéosynthèse, les deux veaux ont pu rejoindre le reste du troupeau. Les résultats fonctionnels ont été très bons, et les animaux ne boitaient plus environ trois semaines après l’ablation du matériel. Le veau n°  1 a néanmoins conservé un élargissement assez important de l’os canon et un épaississement du membre, en relation avec une réaction périostée exubérante, comme le montre la radiographie réalisée le jour de l’ablation du matériel (PHOTOS 7A et 7B).

Ces deux animaux ont pu être vendus comme broutards dans des conditions commerciales normales, sans dépréciation.

Discussion

1. Caractéristiques des fixateurs Fessa

Description du matériel

Le Fessa est un fixateur externe comportant un matériel de base et un matériel complémentaire [1].

• Le matériel de base comprend des tubes cylindriques en acier inoxydable, percés de quatre trous dans deux plans perpendiculaires. Deux de ces trous sont destinés au passage des broches et les deux autres reçoivent des vis de blocage qui assurent la solidarité broche-tube. Nous avons utilisé des tubes de 18 mm de diamètre et des broches de 4 mm de diamètre. Cette taille de matériel est couramment utilisée chez l’homme. Chez le chien et chez le chat, les tubes mesurent 6, 8 ou 12 mm de diamètre. Les broches, de 4 mm de diamètre, sont des broches autotaraudeuses de Meyrueis ou des broches de Kirschner, moins chères, plus faciles à implanter mais moins stables. La pose des broches de Meyrueis nécessite un ancillaire spécifique comportant un guide-mèche et une mèche de 3,2 mm.

• Le matériel complémentaire est composé de colliers simples ou doubles. En ce qui concerne nos deux veaux, les colliers utilisés étaient simples. Ils ont permis de relier les deux cadres hémifixants par l’intermédiaire d’une broche de 4 mm de diamètre.

Les colliers doubles permettent de réunir deux tubes. Ils sont efficaces pour le traitement de fractures complexes chez des animaux lourds. Ils seraient donc utilisables chez le veau, mais nous n’avons pas encore eu l’occasion de les tester.

Biomécanique [1]

Avec le Fessa, la fixation idéale avec un seul cadre hémitransfixant comporte six broches. L’augmentation de la rigidité du système se fait par la mise en place d’un deuxième cadre en V et non pas en augmentant le nombre des broches sur le premier cadre. La position idéale des broches par rapport au foyer de fracture est la suivante :

- broche la plus proximale : le plus loin possible du foyer ;

- broche la plus distale : le plus près possible du foyer ;

- broche intermédiaire : à mi-distance entre les deux précédentes.

Les fractures ne permettent pas toujours de réaliser ce montage idéal. Comme tout matériel de fixation externe, le Fessa doit être utilisé en respectant au mieux les règles de pose, permettant une stabilisation suffisante du foyer, pour obtenir rapidement un cal périosté.

Les tubes doivent être placés le plus près possible de la surface osseuse. La forme en diabolo de l’os canon du veau ne permet pas d’avoir une distance constante entre le tube et l’os [1].

La barre d’union entre les deux cadres hémifixants est placée généralement entre les broches intermédiaires et les broches les plus éloignées du foyer.

Des études comparatives biomécaniques du Fessa par rapport aux autres fixateurs externes ont montré qu’il leur est supérieur en flexion, en torsion et en compression. Cela fait de lui un matériel particulièrement bien adapté à la traumatologie, aux grandes comminutions et aux contraintes élevées. C’est pour cette raison que nous l’avons utilisé chez le veau car il s’agit d’un animal qui ne ménage pas ses montages d’ostéosynthèse.

La rigidité du Fessa est bien supérieure à celle du JAM et de l’APEF (Acrylic Pin External Fixation). Cela est dû au diamètre des broches et des barres (des tubes) et à la performance de son système de coapteurs (vis de blocage de la broche contre le tube).

2. Justification du choix du matériel de fixation

Le Fessa a été choisi pour traiter ces deux veaux car les fractures étaient comminutives et souillées. Nous savions que les montages devraient rester en place longtemps et que les plaies allaient nécessiter des soins quotidiens. En outre, nous avions affaire à des animaux lourds et joueurs. Le Fessa, en raison de sa solidité et de toutes ses qualités mécaniques, était particulièrement bien adapté. L’utilisation d’un fixateur hémifixant a permis un nettoyage régulier et facile des plaies. Après l’ablation du premier pansement, cinq jours après l’intervention, le propriétaire de l’animal a pu nettoyer, une fois par jour, le membre du veau par irrigation douce avec un jet d’eau, suivie d’une désinfection classique. Les antibiotiques ont été maintenus au contact de la plaie par des compresses humides, et un simple jersey entourait les broches et les tubes. La manœuvre était donc facile à renouveler quotidiennement, sans anesthésie. Les veaux ont été revus une fois par semaine seulement par le vétérinaire. Ainsi, le coût global des soins a été réduit. Il est resté acceptable et compatible avec la chirurgie des animaux de rente. Pourtant, le Fessa est un fixateur externe coûteux ; il ne peut pas être utilisé en routine chez le veau. Mais des tubes de 18 mm et des broches de Meyrueis peuvent être récupérés dans les hôpitaux ou les cliniques humaines après une première utilisation. Ils sont alors stérilisés et réimplantés à moindres frais chez les jeunes bovins.

Il est vraisemblable qu’avec un autre type de fixation externe, moins rigide, nous n’aurions pas pu obtenir la guérison de ces animaux. Le Fessa est bien adapté au traitement des ostéomyélites et des pertes de substance osseuse. Certes, les résultats obtenus ne sont pas parfaits en ce qui concerne la qualité du cal, mais le résultat fonctionnel est bon, ce qui est essentiel pour des animaux de rente.

À lire également

- Chatré JL. Fractures du métacarpe, du métatarse et du tibia chez le veau : utilisation raisonnée de la fixation externe. Point Vét. 1995 ; 27(169): 225-235.

- Chatré JL. Principes généraux du traitement chirurgical des fractures des membres chez le veau. Point Vét. 2001 ; 32(n°  spécial « Chirurgie des ruminants »): 81-84.

- Ravary B. Fractures métacarpiennes et métatarsiennes chez les bovins. Point Vét. 2003 ; 34(235): 42-45.

  • 1- Chancrin JL. Fessa. Dans : Manuel de fixation externe. Latte Y et Meynard JA. Ed. PMCAC 1997 : 325-344.
  • 2- Chatré JL. Fractures chez le veau : éléments cliniques et thérapeutique raisonnée. Bull. GTV 1998. Numéro spécial « Orthopédie bovine »: 83-100.
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