Troubles de la kaliémie chez le chien et chez le chat - Le Point Vétérinaire n° 240 du 01/11/2003
Le Point Vétérinaire n° 240 du 01/11/2003

TROUBLES DU MÉTABOLISME MINÉRAL CHEZ LE CHIEN ET CHEZ LE CHAT

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COURS

Auteur(s) : Jérémy Demeyre*, Isabelle Goy-Thollot**

Fonctions :
*Département des Animaux
de Compagnie,
**École nationale vétérinaire
de Lyon
SIAMU, Département
des Animaux de Compagnie,
École nationale vétérinaire
de Lyon

Le potassium, majoritaire dans les cellules est essentiel à l’excitabilité de celle-ci. Une carence ou un excès sont délétères pour la fonction cardiaque et doivent être corrigés.

Chez le chien et le chat, l’essentiel du potassium est intracellulaire. Majoritaire dans la cellule, cet ion joue un rôle fondamental dans la création des potentiels de repos et d’action et influe sur l’excitabilité cellulaire (voir l’ENCADRÉ “Répartition et rôles du potassium”). Les troubles de l’équilibre potassique ont donc des répercussions essentiellement neuromusculaires et cardiaques, qui nécessitent un diagnostic rapide afin d’instaurer un traitement adapté et efficace. Les bases de l’homéostasie potassique et les troubles engendrés par les variations de la kaliémie sont présentés. Les causes d’hypokaliémie et d’hyperkaliémie ainsi que les signes cliniques et biologiques qu’elles engendrent sont ensuite évoqués, puis les différents traitements de ces affections sont proposés.

Régulation de l’équilibre potassique

L’équilibre potassique dépend de trois facteurs principaux [1, 3, 6] :

– l’apport en potassium (alimentaire, perfusion, etc.) ;

– les transferts de potassium immédiats entre les secteurs intra et extracellulaire ;

– l’excrétion potassique différée (majoritairement rénale).

1. Alimentation

Chez le chien, l’apport alimentaire quotidien nécessaire en potassium est d’environ 2 mmol/kg [3]. Cet apport équivaut à la quantité de potassium éliminée quotidiennement [1, b]. Certains aliments sont particulièrement riches en potassium (viandes, légumes, fruits, lait, etc.).

2. Redistribution intracellulaire

Lors d’excès, les transferts de potassium sont essentiellement dirigés vers le secteur intracellulaire. Ce phénomène est sous la dépendance de divers facteurs.

Facteurs hormonaux

La répartition intracellulaire du potassium est maintenue par la pompe Na+-K+-ATPase membranaire. Très efficace, elle assure l’essentiel de l’équilibre potassique transmembranaire. Lors d’excès de potassium cependant, les catécholamines, par leur effet α2-adrénergique, et l’insuline (indépendamment de son effet sur le glucose), agissent directement sur cette pompe et augmentent son activité, ce qui favorise la pénétration des ions K+ dans les cellules [1, 4, 5, 6].

Concentration plasmatique en potassium

Des mouvements passifs de potassium vers les cellules se produisent lorsque sa concentration plasmatique augmente. À l’opposé, une hypokaliémie provoque une sortie extracellulaire des ions K+.

Équilibre acidobasique

L’alcalose, qu’elle soit d’origine métabolique ou respiratoire, entraîne en réponse à la sortie des cations H+ hors des cellules, un transfert intracellulaire du potassium à l’origine d’une hypokaliémie.

Inversement, l’acidose respiratoire ou métabolique (liée à un acide minéral tel que l’acide chlorhydrique) provoque une hyperkaliémie. En revanche, une acidose provoquée par un acide organique (acide lactique, acidocétose, etc.) ne génère pas d’hyperkaliémie. Cette différence est due à la capacité de l’anion associé à l’ion H+ à franchir la membrane cellulaire. Si cet ion est incapable de traverser la membrane cellulaire (par exemple l’ion Cl-), l’électronégativité plasmatique qu’il engendre active la sortie extracellulaire du K+ afin de maintenir l’électroneutralité, ce qui aboutit à l’hyperkaliémie [1, 2, 4, 6].

Hyperosmolarité

L’hyperosmolarité plasmatique favorise les mouvements d’eau en dehors des cellules, ce qui entraîne le potassium par effet de solvant, quelle que soit sa concentration. Ce mouvement d’eau provoque également l’augmentation de la concentration intracellulaire en potassium : le gradient ainsi créé favorise une sortie passive des ions K+ au travers de canaux potassiques membranaires [4, 5].

3. Excrétion potassique

L’élimination du potassium est assurée à 95 % par le rein, contre 5 % par voie digestive [3, 4]. Le potassium est filtré en grandes quantités par les glomérules. L’ion est réabsorbé par le tube contourné proximal et par l’anse de Henlé à raison de 90 à 95 %. Moins de 10 % du potassium filtré aboutissent au tube contourné distal [4].

L’excrétion des ions K+ devient un phénomène actif dans le tube contourné distal qui détermine et adapte l’élimination urinaire du potassium. En cas d’excès, le potassium est éliminé activement ; inversement, lors de déficit, il est réabsorbé passivement.

Selon la nécessité, une sécrétion ou une réabsorption actives s’effectuent dans le tube collecteur [1, 4].

L’excrétion rénale de potassium est sous l’influence de nombreux facteurs de régulation [1, 4].

Facteurs hormonaux

L’aldostérone est le principal facteur de régulation de l’excrétion potassique rénale : elle provoque l’entrée des ions Na+ urinaires dans les cellules tubulaires, ce qui rend l’urine électronégative et favorise ainsi la sortie passive des ions K+. Parallèlement, l’aldostérone active la pompe Na+-K+-ATPase à l’origine des mouvements du potassium plasmatique vers les cellules tubulaires, ce qui accroît le gradient de concentration potassique et l’excrétion passive des ions K+ dans le tubule. L’aldostérone augmente en outre le nombre de canaux potassiques dans la membrane luminale [4].

Kaliémie

Une faible augmentation de la kaliémie provoque une élimination rénale du potassium jusqu’à 10fois supérieure à la quantité habituelle.

Les mécanismes compensateurs de l’hyperkaliémie apparaissent très réactifs. En revanche, l’hypokaliémie est beaucoup plus fréquente car l’adaptation rénale est moins efficace pour réabsorber le potassium.

Débit urinaire

L’augmentation du débit urinaire dans les portions distales du néphron lors de polyurie stimule la sécrétion potassique.

Anions associés au sodium

Certains anions associés à l’ion K+ sont peu réabsorbés par les cellules tubulaires. L’électronégativité persistante stimule la sécrétion du potassium. Ce phénomène s’applique aux ions bicarbonates, sulfates, aux acides organiques et à quelques antibiotiques sous formes de sels de sodium (pénicillines notamment).

pH

Malgré l’hypokaliémie de transfert décrite précédemment, l’alcalose augmente l’excrétion urinaire de potassium. Les phénomènes d’acidose chronique, métabolique ou respiratoire, entraînent une augmentation de l’excrétion potassique. À l’opposé, une acidose aiguë diminue cette excrétion [1].

Kaliémie

Le dosage de la kaliémie, définie comme la concentration plasmatique en ions K+, a de nombreuses indications (voir l’ENCADRÉ “Indications du dosage du potassium plasmatique”). Les variations de la kaliémie, notamment l’hyperkaliémie, entraînent des troubles neuromusculaires qui peuvent mettre en péril la vie de l’animal.

1. Modalités de dosage

Un prélèvement de sang veineux périphérique est réalisé sur tube sec ou hépariné (jamais sur EDTA). Il n’est pas nécessaire que l’animal soit à jeun. Les valeurs de la kaliémie sont stables au cours du nycthémère. Un matériel souillé provoque des artéfacts, qui peuvent mimer une hypo ou une hyperkaliémie [1, 2].

Différentes techniques de dosages sont disponibles : photométrie de flamme, électrodes spécifiques ou chimie sèche associée à la réflectométrie. Cette dernière technique permet un dosage rapide et assez précis de la kaliémie et peut être utilisé en clientèle. Des automates sont accessibles aux praticiens (Reflotron® du laboratoire SCIL, Vet Lyte® du laboratoire Idexx) [1, 7].

2. Valeurs usuelles

Les valeurs usuelles sont comprises entre 3,5 et 5,6 mmol/l chez le chien ; entre 3,6 et 4,5 mmol/l chez le chat [6].

Une « pseudohypokaliémie » artéfactuelle peut être observée lors d’hyperprotidémie, d’hyperlipidémie, d’urémie ou de glycémie élevées, selon la méthode de dosage employée, notamment avec la chimie sèche [1, 2, 7]. Une dégénérescence cellulaire in vitro lors de thrombocytose massive (supérieure à 106/mm3) ou de leucocytose (supérieure à 20 000/mm3), une déshydratation ou une hypernatrémie sévère peuvent être la cause de “pseudohyperkaliémie”. Contrairement à ce qui est observé chez l’homme, l’hémolyse n’entraîne pas d’hyperkaliémie chez le chat et le chien, à l’exception de l’Akita Inu, car leurs hématies sont pauvres en potassium [1, 6, 7].

Hypokaliémie

Une hypokaliémie se définit par des valeurs de la kaliémie inférieures à 3,5 mmol/l. C’est l’un des déséquilibres les plus fréquemment rencontrés avec ceux de la natrémie [b]. L’espèce féline semble y être plus sensible [2].

1. Étiologie

Quatre mécanismes peuvent provoquer une hypokaliémie [7, c] :

– une insuffisance d’apports ou une dilution du potassium plasmatique (fluidothérapie) ;

– des pertes rénales excessives ;

– des pertes digestives ;

– un transfert intracellulaire des ions K+ (plus rare).

Les causes d’hypokaliémie sont nombreuses et peuvent être classées en deux catégories : les causes iatrogéniques et les causes spontanées (voir le TABLEAU “Étiologie de l’hypokaliémie”).

Hypokaliémies iatrogéniques

Une alimentation parentérale carencée en potassium, l’administration de certains diurétiques (furosémide, thiazidiques) ou de bicarbonates sont des causes majeures d’hypokaliémie.

Chez le chat, un régime alimentaire calculolytique acidifiant administré sur de longues périodes conduit aux mêmes effets.

Une corticothérapie prolongée chez un animal âgé provoque parfois une hypokaliémie due à la polyuro-polydipsie associée.

Quel que soit le cas, il convient de rechercher systématiquement un facteur prédisposant d’origine rénale ou digestive.

Hypokaliémies spontanées

• Les hypokaliémies spontanées peuvent être dues à des pertes digestives ou rénales. Le contenu des sécrétions digestives est riche en ions K+ : 10 à 20 mmol/l pour les sécrétions gastriques et 4 à 10 mmol/l pour les sécrétions intestinales. Les vomissements entraînent donc fréquemment une hypokaliémie, parfois aggravée par l’anorexie et par l’alcalose métabolique liée à la perte d’ions H+ d’origine gastrique [1, 6]. Lors de diarrhée chronique, les pertes sont élevées et l’hypokaliémie peut être sévère.

• Les affections qui provoquent une diurèse osmotique (diabète sucré, insuffisance rénale chronique, etc.) peuvent conduire à des pertes potassiques intenses d’origine rénale.

Le diabète sucré représente un cas particulier. Bien que la majorité des patients diabétiques présentent une hypokaliémie (due à la diurèse osmotique), il est parfois possible d’observer une normo, voire une hyperkaliémie. Plusieurs mécanismes interviennent : l’hyperosmolarité plasmatique, le déficit en insuline et les corps cétoniques urinaires qui sont des anions non réabsorbés et qui favorisent ainsi l’excrétion du potassium dans l’urine. Lorsque le traitement à l’insuline est instauré, les ions K+ migrent rapidement vers le secteur intracellulaire et il peut alors en résulter une hypokaliémie sévère qui révèle l’importante déplétion potassique de l’organisme [1, 6].

15 à 20 % des chats atteints d’insuffisance rénale chronique présentent une hypokaliémie [1]. La polyurie de levée d’obstacle peut aboutir aux mêmes conséquences.

L’hypercorticisme spontané d’origine surrénalienne, l’hyperaldostéronisme primaire ainsi que les acidoses tubulaires, s’accompagnent parfois d’hypokaliémie [6].

• Une déplétion en magnésium peut être responsable d’hypokaliémie. L’ion Mg++ semble indispensable à la réabsorption du potassium par la branche ascendante de l’anse de Henlé. L’hypomagnésémie stimule en outre le système rénine-angiotensine-aldostérone et les pertes urinaires en ion K+. L’apport de potassium seul ne résout pas ces perturbations. En revanche, la supplémentation en magnésium peut s’avérer utile [1, 10].

2. Symptômes

Une faiblesse musculaire généralisée constitue le principal symptôme de l’hypokaliémie (PHOTO 1). Des troubles cardiaques et rénaux peuvent être associés.

Myopathie

Chez le chat, la déplétion potassique est souvent à l’origine d’un abattement plus ou moins intense, associé à une rhabdomyolyse, à une ventroflexion cervicale (PHOTO 2), à des difficultés locomotrices et à des douleurs musculaires à la palpation. L’examen neurologique de l’animal reste normal. Lors d’hypokaliémie sévère (inférieure à 2,5mmol/l), les muscles lisses du tube digestif peuvent également être affectés. Il en résulte une anorexie, des nausées, des vomissements et de la constipation [c].

Une forme rare a été décrite chez le chat hyperthyroïdien ou insuffisant rénal : la paralysie périodique hypokaliémique [1, b]. Cette affection se manifeste par des phases aiguës de faiblesse musculaire pendant quelques heures à quelques jours, au cours desquelles la kaliémie est toujours basse. Le chat sacré de Birmanie semble prédisposé vis-à-vis de cette affection [6].

Symptômes cardiaques

Les anomalies du rythme et de la conduction engendrées par l’hypokaliémie sont polymorphes et sont moins caractéristiques que celles liées à l’hyperkaliémie.

L’électrocardiogramme peut mettre en évidence une bradycardie sinusale, des ondes P et R d’amplitude augmentée, un allongement de l’intervalle Q-T et un aplanissement de l’onde T. Il permet aussi de déceler des épisodes de blocs atrioventriculaires, de tachycardie et de fibrillation ventriculaires.

Chez le chien, l’hypokaliémie ne semble pas être responsable de lésions myocardiques, comme c’est le cas chez l’homme [1].

Symptômes rénaux

Lorsqu’elle devient chronique, l’hypokaliémie peut s’accompagner d’anomalies rénales fonctionnelles et lésionnelles.

D’un point de vue fonctionnel, elle détermine une polyuro-polydipsie dont les mécanismes électrolytiques et acidobasiques sont complexes, avec notamment une diminution de la sensibilité des récepteurs à l’ADH (hormone anti-diurétique). L’hypokaliémie peut donc générer une PU/PD et en être la conséquence.

Elle engendre également des lésions de néphrite interstitielle chronique [1].

3. Diagnostic étiologique d’une hypokaliémie

Il importe dans un premier temps d’identifier une cause iatrogénique. Les dosages de l’urémie, de la créatininémie et de la glycémie permettent d’éliminer facilement des causes courantes d’hypokaliémie.

Si le diagnostic étiologique n’est toujours pas établi après ces investigations, il convient alors d’envisager des examens complémentaires plus poussés tels qu’un ionogramme complet, la mesure du CO2 plasmatique ou de la kaliurèse (voir la FIGURE “Approche diagnostique de l’hypokaliémie”).

4. Traitement d’une hypokaliémie

Le traitement d’une hypokaliémie est, si possible, étiologique. Afin de rétablir rapidement une kaliémie normale, il convient également d’effectuer un traitement symptomatique.

• Lorsque l’hypokaliémie est modérée (de 2,5 à 3,5 mmol/l), une supplémentation orale peut être instaurée. Il est recommandé d’apporter 1 à 2 mmol de potassium/kg/jour en deux prises quotidiennes [5], par exemple sous forme de gluconate de potassium(1) (Gluconate de potassium H3 Santé® en sirop : 1 g de gluconate correspondant à 4,4 mmol de potassium, 1cuillère à soupe équivaut à 10 mmol de potassium). Ce traitement est souvent le plus efficace [3].

Les sels de potassium sont irritants, peu appétants et peuvent induire des vomissements, des diarrhées et des ulcérations. Il est donc préférable de les mélanger à la nourriture.

Une alimentation riche en potassium (viande, légumes, banane, etc.) peut également être fournie.

• Lorsque l’hypokaliémie est sévère ou que l’animal présente déjà des troubles digestifs, l’administration par voie veineuse de chlorure de potassium(1) (KCl) devient nécessaire. Le KCl est mélangé à un soluté cristalloïde isotonique et administré à la dose et au rythme qui correspondent à la sévérité de l’hypokaliémie (voir le TABLEAU « Correction de l’hypokaliémie par fluidothérapie supplémentée en potassium »). D’avantage que la dose totale administrée, le rythme de perfusion est primordial. Les capacités de l’organisme à mobiliser le potassium vers le secteur intracellulaire sont en effet limitées et il convient de veiller à ne pas dépasser 0,5 mmol/kg/heure, afin d’éviter une hyperkaliémie secondaire, potentiellement fatale.

Un électrocardiogramme régulier, voire continu, est conseillé lors de la supplémentation en potassium à des doses élevées, afin de repérer les troubles du rythme cardiaque. Il existe un risque de phlébite lorsque le soluté perfusé contient plus de 60 mmol/l de potassium [c].

La kaliémie revient à des valeurs usuelles généralement en deux à quatre heures [1]. Si l’animal refuse de s’alimenter, les perfusions de potassium sont maintenues à un rythme d’entretien. Si l’animal mange spontanément, un contrôle de la kaliémie permet de s’assurer que les besoins en potassium sont correctement couverts. Dans le cas contraire, les pertes potassiques ne sont pas jugulées et il est nécessaire de poursuivre la supplémentation. Un relais par voie orale peut être mis en place pendant plusieurs jours.

L’état général des animaux s’améliore en quelques heures, mais il est nécessaire de patienter plusieurs jours à plusieurs semaines pour une récupération totale des fonctions musculaires et rénales, de l’appétit et du poids.

Hyperkaliémie

Des concentrations plasmatiques en potassium supérieures à 5,6 mmol/l définissent une hyperkaliémie. Plus rare que l’hypokaliémie, elle est aussi souvent plus grave. En général, les signes cliniques liés à l’hyperkaliémie apparaissent pour des valeurs supérieures à 7 mmol/l [1, 2]. Toutefois, des symptômes graves sont parfois observés pour des valeurs inférieures. Il est alors essentiel de mettre en place rapidement un traitement symptomatique. Lorsque l’hyperkaliémie est modérée (5,6 à 6,5 mmol/l), il convient d’en rechercher la cause pour adapter un traitement étiologique.

1. Étiologie

Comme pour l’hypokaliémie, des causes iatrogéniques et des causes spontanées sont à l’origine d’une hyperkaliémie. L’origine de l’hyperkaliémie peut être une augmentation de la libération du potassium du milieu intracellulaire ou une diminution de l’excrétion rénale (voir TABLEAU “Étiologie de l’hyperkaliémie”).

Hyperkaliémies iatrogéniques

Les apports exogènes de potassium sont rarement à l’origine d’hyperkaliémie, à l’exception des solutés supplémentés en potassium perfusés trop rapidement ou en excès.

L’administration d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), d’anti-inflammatoires non stéroidiens (AINS), de β-bloquants (propranolol(1) principalement), de diurétiques qui épargnent le potassium (spironolactone(1)), ainsi que de nombreuses autres substances, peut provoquer une hyperkaliémie, qui résulte de mécanismes d’action différents [1, 7]. Si ces hyperkaliémies iatrogéniques sont fréquentes, les variations engendrées ne sont toutefois pas le plus souvent suffisantes pour induire des répercussions cliniques.

Hyperkaliémies spontanées

La diminution de l’excrétion urinaire est la principale cause d’hyperkaliémie. Elle peut être liée à une insuffisance rénale oligo-anurique, d’origine parenchymateuse ou associée à une obstruction urinaire (dans ce cas, la kaliémie est aggravée par l’acidose métabolique et peut dépasser 10 mmol/l), ou à une rupture vésicale. L’hypocorticisme (maladie d’Addison) entraîne également des troubles de l’excrétion urinaire du potassium.

Les déficits en insuline ou en aldostérone perturbent les transferts intracellulaires des ions K+.

L’acidose respiratoire ou métabolique (inorganique) provoque un transfert extracellulaire du potassium.

Une lyse tissulaire étendue (brûlures, lyse tumorale, exercice musculaire important, traumatisme) entraîne une libération massive de potassium dans le secteur extracellulaire.

L’hyperosmolarité plasmatique, rencontrée lors de diabète sucré, lors d’hypernatrémie, mais aussi lors de perfusion de solutés hypertoniques (mannitol par exemple, ce qui constitue une cause iatrogénique potentielle [8]), est responsable de mouvements des ions K+ vers le secteur extracellulaire, à l’origine d’une hyperkaliémie [3].

2. Symptômes

Les signes cliniques d’une hyperkaliémie sont principalement cardiaques et, à un moindre degré, neuromusculaires.

Symptômes cardiaques

La cardiotoxicité de l’hyperkaliémie peut aboutir à la mort de l’animal. C’est l’une des principales causes de mortalité lors d’insuffisance rénale oligurique ou d’hypocorticisme [3].

Cliniquement, il est possible de déceler des arythmies cardiaques, un pouls fémoral faible et une hypotension. Ces troubles sont toujours précédés d’anomalies électrocardiographiques, beaucoup plus caractéristiques que celles de l’hypokaliémie, dont la chronologie est la suivante [1, 6, 7, a, c] (voir la FIGURE “Électrocardiogramme d’un chien atteint d’hypocorticisme”) :

– onde T étroite, pointue et d’amplitude augmentée ;

– onde P petite et large, disparition possible (« oreillette silencieuse ») ;

– allongement de l’espace PR ;

– élargissement de complexe QRS ;

– intervalles RR irréguliers ;

– raccourcissement de l’espace ST.

Lors d’hyperkaliémie majeure (supérieure à 8 mmol/l), la conduction atrioventriculaire est perturbée : il est possible d’observer des blocs atrioventriculaires, des blocs de branche, des échappements ventriculaires suivis de tachycardie, de flutter ou de fibrillation ventriculaires. Ces phénomènes peuvent aboutir à une asystolie.

Il semblerait que, plutôt que la valeur absolue de la kaliémie, ce soit la diminution du rapport potassium intracellulaire/potassium extracellulaire qui entraîne une hypopolarisation membranaire et qui détermine donc l’intensité des troubles cardiaques.

Symptômes neuromusculaires

Une myasthénie, voire une paralysie flasque des muscles squelettiques, est associée aux cas d’hyperkaliémie. Une paralysie périodique hyperkaliémique est parfois observée.

3. Diagnostic étiologique d’une hyperkaliémie

L’hyperkaliémie est souvent découverte lors d’un bilan biochimique réalisé de façon systématique ou suite à un tableau clinique évocateur. Il convient dans un premier temps d’éliminer les causes artéfactuelles ou iatrogéniques.

La cause de cette hyperkaliémie, souvent d’origine rénale ou surrénalienne chez les chiens et chats, est ensuite recherchée [1].

Des dosages de routine de l’urée, de la créatinine et du glucose sanguins peuvent rapidement orienter le diagnostic. Un ionogramme ou des tests hormonaux complètent ces examens, si nécessaire (voir la FIGURE “Approche diagnostique de l’hyperkaliémie”).

Un électromyogramme peut servir au diagnostic d’une paralysie périodique hyperkaliémique.

4. Traitement d’une hyperkaliémie

Un traitement étiologique qui vise à éliminer la cause de l’hyperkaliémie permet de retrouver une kaliémie normale. Toutefois, en cas d’hyperkaliémie sévère (supérieure à 7 mmol/l) ou dès l’apparition de troubles de l’électrocardiogramme, il convient d’agir de façon urgente et énergique.

Le traitement symptomatique agit selon trois axes (voir le TABLEAU « Traitement de l’hyperkaliémie ») :

– réduire le pool potassique de l’organisme ;

– favoriser le transfert intracellulaire des ions K+ ;

– antagoniser l’action du potassium au niveau cellulaire.

Réduire le pool potassique

L’objectif est de réduire les apports de potassium et d’augmenter son élimination urinaire et fécale. L’arrêt de toute complémentation potassique des perfusions et de tout traitement qui peut aggraver l’état d’hyperkaliémie est indispensable. Il convient également de réduire les apports alimentaires.

L’utilisation en synergie de solutés isotoniques exempts de potassium et de diurétiques (furosémide, thiazidiques) augmente l’excrétion urinaire. Il est essentiel de surveiller l’état d’hydratation afin de ne pas aggraver l’hyperkaliémie par un effet de déshydratation.

Lors d’hypo-aldostéronisme, l’usage de minéralocorticoïdes est justifié (désoxycortone(1), Syncortyl®, 0,2 mg/kg par voie intramusculaire). Toutefois, si le patient est atteint d’insuffisance rénale aiguë oligo-anurique, les mesures précédentes restent inefficaces. L’utilisation de résines échangeuses d’ions par voie digestive ou la dialyse péritonéale peuvent être tentées pour abaisser une hyperkaliémie sévère.

Favoriser le transfert intracellulaire du potassium

Afin de faciliter la pénétration du potassium dans les cellules, il est possible d’utiliser une association d’insuline rapide et de glucose. Les doses préconisées sont de 0,25 à 0,5 UI/kg d’insuline à action rapide (Actrapid(1)) par voie intraveineuse et de 2 g de glucose par unité d’insuline, également par voie intraveineuse, afin d’éviter l’hypoglycémie. La kaliémie diminue dans l’heure qui suit l’injection. Il est conseillé de surveiller l’animal pour prévenir tout risque d’hypoglycémie.

Les agents sympathomimétiques à activité α2-agoniste peuvent contribuer à une redistribution intracellulaire du potassium. Cependant ces substances (terbutaline(1), salbutamol(1), dopamine(2), adrénaline(1), etc.) ont un indice thérapeutique extrêmement faible et sont souvent à l’origine de tachycardie, d’arythmies et d’hypotension ou d’hypertension artérielle.

Antagoniser l’action du potassium à l’échelle cellulaire

• L’injection de calcium (Ca++) par voie intraveineuse sous forme de gluconate en solution à 10 %, à la dose de 0,5 à 1 ml/kg en 10 à 15 minutes, neutralise les effets délétères du potassium sur les cellules cardiaques, sans pour autant abaisser la kaliémie. Son effet est de 30minutes. Il est recommandé de procéder à cette injection sous contrôle électrocardiographique et de l’arrêter en cas de bradycardie.

• L’augmentation de la natrémie permet de lutter contre les troubles de la conduction. Des solutés hypertoniques de bicarbonate de sodium, outre l’amélioration de la conduction du tissu nodal, facilitent l’entrée du potassium dans les cellules en élevant le pH extracellulaire [1]. Une injection de 1 à 2 mEq/kg par voie intraveineuse lente (sur quinze minutes) est recommandée. Compte tenu des risques d’alcalose thérapeutique, il est préférable de réaliser ce traitement en contrôlant attentivement l’équilibre acidobasique. Il convient de l’éviter lors d’hypocalcémie associée [6].

L’hypokaliémie et l’hyperkaliémie sont des affections fréquentes en raison de la diversité des causes de variation de la concentration en potassium dans l’organisme. Un recueil des commémoratifs et un examen clinique évocateurs doivent inciter le praticien à effectuer le dosage de la kaliémie. Si le déséquilibre potassique est confirmé, un traitement instauré rapidement permet de le corriger. Il convient ensuite de poursuivre les investigations pour déterminer les éventuelles causes sous-jacentes.

  • (1) Médicament à usage humain.

  • (2) Réservé à l’usage hospitalier.

Répartition et rôles du potassium

La répartition du potassium (ion K+) dans l’organisme (40 à 50 mmol/kg) est extrêmement inégale entre les secteurs intracellulaire et extracellulaire. 98 % du potassium est situé dans le milieu intracellulaire, à une concentration variable selon l’espèce et le tissu concernés. Cet ion est majoritaire au sein des cellules. Plus l’activité métabolique du tissu est intense, plus cette concentration intracellulaire est élevée (en général entre 100 et 150 mmol/l). Ainsi, près de 75 % du potassium de l’organisme est contenu dans les muscles striés et le myocarde. Le tissu adipeux, en revanche, est très pauvre en potassium. La concentration en ions K+ du secteur extracellulaire est comprise entre 4 et 5 mmol/l (soit2 % du potassium total) [1, 2, 3, 7].

Le potassium a deux rôles principaux. Il intervient dans le métabolisme cellulaire en tant que cofacteur enzymatique (synthèse protéique et glycogénique par exemple). Le rapport K+ intracellulaire/K+ extracellulaire est en outre le principal déterminant du potentiel de repos membranaire. De faibles modifications de la kaliémie engendrent des grandes variations de ce rapport et ont des répercussions neuromusculaires majeures (muscles striés, myocarde, muscles lisses, conduction nerveuse). Lors d’hypokaliémie, une hyperpolarisation de la membrane cellulaire se produit dans un premier temps. Le potentiel de repos s’éloigne du seuil de déclenchement du potentiel d’action : les cellules sont donc moins excitables. Dans un second temps, cette hyperpolarisation lève l’inactivation des canaux à sodium : la membrane est alors plus perméable à cet ion, ce qui a pour effet d’accroître l’excitabilité neuromusculaire. Inversement, l’hyperkaliémie entraîne une hypopolarisation membranaire qui aboutit finalement à une diminution de l’excitabilité cellulaire [3, 4, 6, 7, b].

Indications du dosage du potassium plasmatique

Asthénie

Exploration d’une faiblesse neuromusculaire

Surveillance d’une réhydratation parentérale

Traitement diurétique ou par inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine

Affection rénale aiguë ou chronique

Troubles du rythme cardiaque

Anomalies de repolarisation à l’électrocardiogramme

D’après [5].

Points forts

98 % du potassium est intracellulaire. Cet ion est majoritaire dans la cellule. De faibles variations de la kaliémie peuvent avoir des répercussions cliniques majeures.

L’hypokaliémie est plus fréquente que l’hyperkaliémie. Une alimentation parentérale carencée en potassium, l’administration de certains diurétiques ou de bicarbonates, en sont les causes majeures.

La cardiotoxicité de l’hyperkaliémie peut aboutir à la mort de l’animal. C’est une des principales causes de mortalité lors d’insuffisance rénale oligurique ou d’hypocorticisme.

Les capacités de l’organisme à mobiliser le potassium vers le secteur intracellulaire sont limitées et il convient de veiller à ne pas dépasser 0,5 mmol/kg/h lors de supplémentation par perfusion.

Congrès

a - Drobatz KJ. Serum electrolytes in cats with urethral obstruction. Proceedings IVECCS. San Antonio. 1996 : 19-23.

b - Macintire DK. Disorders of potassium and phosphorous in critical patients. Proceedings IVECCS. San Antonio. 1996 : 24-27.

c - Schaer M. Sodium and potassium disorders in the cat. Proceedings IVECCS. San Antonio. 1996 : 35-39.

À lire également

– Reynols B. Pensez à l’hypokaliémie lors de fatigabilité musculaire : elle est recherchée chez le chat en cas d’insuffisance rénale chronique. La Semaine Vétérinaire. 2001 ;(1030): 16.

  • 1 - Cotard JP. Déséquilibres potassiques. Dans : Encyclopédie vétérinaire. Paris. Elsevier. 1996 ; 1750 : 11 pages.
  • 2 - Médaille C. Le potassium. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1997 ; 32(1): 43-44.
  • 3 - Péchereau D. Troubles de la kaliémie. Dans : Encyclopédie vétérinaire. Paris. Elsevier. 1992 ; 1700 : 4 pages.
  • 4 - Rose BD, Post TW. Clinical physiology of acid-base and electrolyte disorders. 5th ed. McGraw-Hill Medical Publishing Division. New York. 2001 ; 372-402 : 822-835.
  • 5 - Seto A. Ventricular tachycardia caused by hyperkalemia after administration of hypertonic mannitol. Anesthesiology. 2000 : 93(5): 1359-1361.
  • 6 - Skelly B. Causes, consequences and control of potassium imbalances in small animals. In Practice. 2002 ; 24(10): 596-604.
  • 7 - Willard MD. Disorders of potassium homeostasis. Vet. Clin. N. Amer.- Small Anim. Pract. 1989 ; 19(2): 241-264.
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