Diagnostic bactériologique des entérotoxémies - Le Point Vétérinaire n° 237 du 01/07/2003
Le Point Vétérinaire n° 237 du 01/07/2003

MORTS SUBITES DES BOVINS

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Christelle Philippeau*, Stéphane Gonçalves**, Véronique Julliand***

Fonctions :
*UPSP Nutrition et santé
digestive des herbivores,
Enesad, BP 87999,
21079 Dijon Cedex
**Chambre d’agriculture
de Côte-d’Or,
42, rue de Mulhouse,
21000 Dijon
***UPSP Nutrition et santé
digestive des herbivores,
Enesad, BP 87999,
21079 Dijon Cedex

La cinétique de multiplication des clostridies dans l’intestin des bovins après leur mort est à l’étude.

Des études menées depuis quelques années en Bourgogne visent à fixer les conditions de prélèvement des contenus digestifs pour valider le diagnostic d’entérotoxémie. La concentration en clostridies dans l’intestin grêle actuellement retenue comme valeur seuil pour confirmer un diagnostic d’entérotoxémie est de 106 UFC (unités formant colonies) par ml de contenu intestinal. Cette valeur ne peut toutefois être retenue qu’à la condition que le prélèvement ait été réalisé dans les trois heures après la mort. Chez des animaux morts d’une autre cause, ce seuil peut en effet être atteint dès trois heures après la mort en raison d’un développement bactérien post-mortem. Les études sont poursuivies pour proposer une nouvelle valeur de référence.

Les acteurs de l’élevage bovin et de la santé animale en Bourgogne ont sollicité l’École nationale d’enseignement supérieur agricole de Dijon (Enesad) pour déterminer les pratiques alimentaires à l’origine des entérotoxémies en élevage bovin allaitant.

Place de l’entérotoxémie parmi les morts subites

Afin de s’assurer de la pertinence de la demande, l’Enesad et la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or ont mené une étude épidémiologique à visée descriptive. En raison de la difficulté de détection d’un cas d’entérotoxémie, le travail a porté sur l’ensemble des morts subites. L’enquête a porté sur 250 élevages bourguignons, deux années de suite (1999 et 2000), afin d’étudier l’incidence de l’entérotoxémie, avec la participation d’une quinzaine de vétérinaires du GTV Bourgogne. Plus des deux tiers des morts subites n’ont pas fait l’objet d’un diagnostic vétérinaire. L’entérotoxémie pourrait représenter plus de la moitié des cas de morts subites diagnostiqués (voir la FIGURE “Hypothèses diagnostiques suite à l’autopsie […]”), mais les diagnostics par excès ne sont pas rares.

Le diagnostic clinique et nécropsique ne suffit pas

Le tableau clinique et lésionnel (gonflement, bleuissement, dégénérescence du rein, du foie et du myocarde, putréfaction précoce) est insuffisant pour définir un cas d’entérotoxémie, car il n’est pas spécifique.

Il peut être complété par un dénombrement des Clostridium perfringens (ou Clostridium sordelli), principales bactéries mises en cause dans la survenue de l’entérotoxémie, et par l’identification des toxines responsables (a, b1 b2 eps ou iota). Ces méthodes sont toutefois délicates car, d’une part, les clostridies se multiplient naturellement dans le contenu digestif après la mort des animaux et, d’autre part, les toxines sont fragiles donc rapidement dégradées. Certains toxinotypes sont peut-être ainsi sous-estimés.

Pour améliorer le diagnostic bactériologique des entérotoxémies, l’évolution post-mortem de la concentration clostridienne a été étudiée dans les contenus digestifs de charolais euthanasiés ou morts subitement, afin de déterminer l’évolution normale après la mort d’un animal (PHOTO 1).

Comptages en laboratoire

Des prélèvements de contenus digestifs sont effectués toutes les trois heures pendant les premières vingt-quatre heures après la mort, chez des animaux euthanasiés et conservés en milieu contrôlé (atmosphère à 18 +/- 1,5 °C).

L’étude est menée chez trois taurillons âgés de treize mois et chez trois veaux non sevrés âgés de cinq mois. À chaque prélèvement, du contenu est extrait dans différentes parties du tractus digestif (rumen, caillette, intestin grêle et cæcum). Des flacons stériles sont remplis à ras bord (pour garantir l’absence d’oxygène, néfaste aux clostridies), puis ensemencés rapidement sur milieu adapté, sous atmosphère anaérobie contrôlée. Le comptage des bactéries est réalisé après vingt-quatre heures d’incubation à 42 °C.

Le seuil est rapidement atteint

La concentration clostridienne initiale et la cinétique de développement restent identiques dans les deux catégories d’animaux étudiées (veaux et taurillons) pour tous les lieux de prélèvement.

Aucune clostridie n’est détectée dans le rumen. Dans le cæcum et la caillette, la concentration en Clostridium perfringens augmente lentement.

Dans l’intestingrêle, la concentration au moment de la mort est en moyenne de 2,3 x 104 UFC/ml d’intestin grêle, résultat assez semblable à ceux rapportés dans la littérature. La concentration augmente dans les six premières heures, puis plus lentement, pour se stabiliser à 107. La concentration actuellement seuil pour diagnostiquer une entérotoxémie (106 UFC/ml de contenu intestinal) est atteinte dès trois heures post-mortem chez un animal et dès six heures pour les autres. Cette valeur ne peut donc être retenue pour diagnostiquer une entérotoxémie que pour des prélèvements réalisés dans les trois premières heures après la mort d’un animal. Or, cela est difficilement réalisable en élevage…

Conservation 24 heures au maximum

Sur le terrain, le délai entre le prélèvement et l’ensemencement est variable. Les effets de la durée de conservation à 4 °C sur la concentration clostridienne ont été étudiés (les clostridies ne supportent pas la congélation).

Des prélèvements de contenu intestinal ont été effectués en abattoir chez douze bovins morts. Une partie de chaque échantillon a été ensemencée aussitôt après le prélèvement ; le reste a été conservé à 4 °C pendant vingt-quatre, quarante-huit ou soixante-douze heures, puis ensemencé. La concentration reste significativement stable (p < 0,05) pour des durées de conservation qui n’excèdent pas vingt-quatre heures. Après quarante-huit ou soixante-douze heures, les concentrations sont plus variables.

Résultats corroborés en élevage

Les résultats obtenus en con-ditions contrôlées sont en cours de validation sur le terrain. Deux types d’animaux morts sont étudiés : des animaux euthanasiés (afin de déterminer l’effet des conditions climatiques sur la cinétique clostridienne) et des animaux morts subitement (pour connaître la cinétique clostridienne lors de mort subite).

Des prélèvements sont ainsi réalisés par trois praticiens chez onze bovins charolais d’élevage. Six, âgés en moyenne d’un an, ont été euthanasiés pour cause de traumatismes ostéo-articulaires. Les cinq autres, âgés en moyenne de cinq mois, sont morts subitement : leur mort a été attribuée à une entérotoxémie (un cas), à des désordres digestifs (deux cas), à une intoxication alimentaire (un cas) ou à des troubles nerveux (un cas).

Pour chaque animal, trois prélèvements sont effectués dans l’intestin grêle et le cæcum au cours des vingt-quatre heures qui suivent la mort. Ils sont conservés à 4 °C pendant moins de vingt-quatre heures, dans des flacons remplis à ras bord et fermés hermétiquement, puis ensemencés au laboratoire.

L’entérotoxémie : un profil clostridien différent

Chez le bovin présumé mort d’entérotoxémie, les concentrations clostridiennes intestinales se sont distinguées des autres et elles ont atteint 108 dès le premier prélèvement.

À l’opposé, chez les six animaux euthanasiés, la concentration clostridienne initiale s’est avérée similaire à celle mesurée en conditions contrôlées (voir supra), partant d’assez bas, puis augmentant fortement dans les vingt-quatre heures ; le seuil de 106 a été atteint dès 3,5 heures post-mortem chez un animal. Pour les quatre autres bovins morts subitement (hors cas d’entérotoxémie), le profil est proche de celui des animaux euthanasiés, avec une concentration initiale à seulement 104 UFC/ml et un “seuil” de 106 atteint dès 4,5 heures chez deux d’entre eux (voir la FIGURE “Évolution ).

Compte tenu des données existantes, un diagnostic d’entérotoxémie doit reposer sur le croisement de plusieurs critères : cliniques, lésionnels et bactériologiques. L’interpré-tation du diagnostic bactério-logique reste délicate. Les études se poursuivent afin de mieux comprendre cette maladie et, ainsi, de mieux la maîtriser.

En savoir plus

- Bailleul MN. Étude diagnostique et pathogénique des entérotoxémies chez les bovins. Thèse vétérinaire, Faculté de médecine de Créteil. 1982 : 105 pages.

- Calmels D. Prophylaxie des entérotoxémies des bovins. Rec. Méd. Vét. 1983 ; 159(3) : 323-327.

- Manteca C, Daube G, Jauniaux T et coll. Étude de l’entérotoxémie bovine en Belgique. II.

Épizootiologie élémentaire et pathologie descriptive. Ann. Méd. Vét. 2000 ; 145 : 75-82.

- Manteca C, Daube G, Pirson V et coll. Bacterial intestinal flora associated with enterotoxaemia in Belgian Blue calves.

Vet. Microbiol. 2001 ; 81 : 21-32.

- Niilo L, Avery RJ. Bovine enterotoxemia. 1. Clostridium perfringens types isolated from animal sources in Alberta and Leskatchewen. Can. Vet. J. 1963 ; 4 : 31-37.

- Popoff MR. Les entérotoxémies, Revue Méd. Vét. 1989 ; 140(6): 479-491.

- Schelcher F, Cabanié P. Principales causes de mort subite des bovins. Point Vét. 2002 ; 33(228) : 1-7.

Congrès

- De Groot BD. Sudden death syndrome of feeder cattle : a proposal for a new approach. Proceeding of American Association Bovine Practice. 1994 ; 26 : 140.

- Philippeau C, Julliand V, Gonçalves S. La place des entérotoxémies dans les morts subites en élevage charolais. Recueil des conférences des Journées nationales des GTV. Nantes. 14 au 16 mai 2003 : 225-239.

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