Intoxications par les pyréthrinoïdes - Le Point Vétérinaire n° 235 du 01/05/2003
Le Point Vétérinaire n° 235 du 01/05/2003

TOXICOLOGIE DU CHIEN ET DU CHAT

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CONDUITE A TENIR

Auteur(s) : Hervé Pouliquen

Fonctions : Centre anti-poison animal
de l’Ouest, ENVN,
Atlanpôle - La Chantrerie,
BP 40706,
44307 Nantes cedex 03

Chez les carnivores domestiques, principalement chez le chat, l’administration de médicaments contenant des pyréthrinoïdes peut être à l’origine d’intoxications graves, qui nécessitent un traitement précoce.

Les pyréthrinoïdes regroupent un ensemble de composés organiques artificiels doués de propriétés insecticides et acaricides, principalement contre les mouches, les puces, les poux et les tiques. Deux types de pyréthrinoïdes [6] sont classiquement distingués : ceux de type I, non cyanés (alphaméthrine, deltaméthrine, bioalléthrine, perméthrine, tétraméthrine, phénothrine, etc.) et ceux de type II, cyanés (cyperméthrine, fluméthrine, cyfluthrine, cyhalothrine, fenvalérate, etc.).

Les pyréthrinoïdes ont longtemps été considérés comme “inoffensifs ” pour les mammifères. La raison la plus fréquemment avancée est que les mammifères possèdent des enzymes, notamment plasmatiques et hépatiques, efficaces pour les inactiver et donc empêcher leur distribution dans le système nerveux [6]. Néanmoins, depuis plusieurs années, de nombreuses observations ont montré qu’un surdosage en pyréthrinoïdes peut conduire à des signes d’intoxication aiguë chez les carnivores domestiques, notamment chez le chat [1, 4].

Première étape : examen des commémoratifs

1. Ingestion d’un insecticide

Les intoxications par les pyréthrinoïdes peuvent résulter de l’ingestion, accidentelle ou plus rarement malveillante, de préparations insecticides et acaricides à usage phytosanitaire ou domestique, ou de l’ingestion accidentelle de médicaments, principalement de colliers antiparasitaires. Elles peuvent aussi faire suite à l’application cutanée par le propriétaire d’une préparation insecticide et acaricide à usage phytosanitaire ou domestique en lieu et place d’un médicament ; le surdosage est alors manifeste car la concentration en pyréthrinoïdes est généralement plus élevée dans cette préparation (de 0,5 à 25 % en moyenne) que dans un médicament (de 0,2 à 2 % en moyenne).

• Les intoxications résultent néanmoins le plus souvent de l’application cutanée d’un médicament vétérinaire [1, 2, 4, 5] en dehors du RCP (Résumé des caractéristiques du produit) (voir le TABLEAU “Les principales pyréthrinoïdes utilisées comme médicaments chez le chien et chez le chat”) :

- utilisation d’un médicament destiné uniquement aux grands animaux chez le chien ou chez le chat ;

- utilisation d’un médicament destiné uniquement au chien (principalement pseudo-aérosol ou spray, spot-on et mousse) chez le chat ;

- pulvérisation de pseudo-aérosols pendant une durée supérieure à celle qui est préconisée.

Des intoxications ont en outre été observées chez des chats qui dorment avec un chien récemment traité aux pyréthrinoïdes ou qui le toilettent ou qui lèchent sa progéniture.

2. Facteurs prédisposants liés à l’animal

Les intoxications par les pyréthrinoïdes sont deux à trois fois plus fréquentes chez le chat que chez le chien. Cette sensibilité plus marquée du chat aux pyréthrinoïdes est probablement à mettre en relation avec son défaut de glucurono conjugaison, à l’origine d’une inactivation plus lente des molécules [2, 6]. L’indice thérapeutique (rapport entre la dose thérapeutique et la dose minimale toxique) des pyréthrinoïdes est généralement inférieur à dix chez le chat.

• Certains facteurs, comme l’âge, la taille de l’animal ou la longueur du pelage, peuvent favoriser l’intoxication [1, 4, 5].

Les jeunes animaux sont très sensibles, à tel point qu’un traitement antiparasitaire externe sous forme de pseudo-aérosol à base de pyréthrinoïdes est à proscrire chez un animal âgé de moins de trois mois.

Les animaux de petit format, par exemple les chiens de race Yorkshire ou caniche, sont également très sensibles car le rapport de leur surface corporelle sur leur poids est élevé.

Les animaux à poils longs ou mi-longs sont également plus exposés car leurs propriétaires ont tendance à appliquer une grande quantité de produit sur le pelage et ils en lèchent d’autant plus.

• Le risque d’intoxication est élevé lors de l’utilisation d’un pseudo-aérosol ou d’une mousse en raison du stress de l’animal, de la difficulté d’évaluation du temps de pulvérisation ou du volume de mousse à appliquer et de la volatilité de ces deux formes pharmaceutiques, notamment par forte chaleur [4]. Par exemple, chez un chat adulte de 5 kg, la dose minimale toxique de la perméthrine correspond à une pulvérisation d’une solution contenant 1 % de produit pendant une durée supérieure à trente secondes. Chez le chaton d’un mois, elle ne correspond plus qu’à une pulvérisation de la même solution pendant une durée de cinq à six secondes [a].

Deuxième étape : motifs de consultation

Les signes cliniques des intoxications apparaissent généralement une à six heures après l’exposition et s’expliquent par le mécanisme d’action des pyréthrinoïdes (voir le TABLEAU “Principaux signes cliniques de l’intoxication par les pyréthrinoïdes chez le chien et chez le chat ”).

1. Signes nerveux

Les intoxications sont dominées par des signes nerveux centraux (agressivité, hyperexcitabilité, tremblements, ataxie, convulsions) et périphériques (faiblesse et fasciculations musculaires). En effet, les pyréthrinoïdes de types I et II agissent sur les membranes des cellules nerveuses en empêchant la fermeture des canaux sodiques, ce qui entraîne une dépolarisation anormalement prolongée de la membrane cellulaire et donc une prolongation de la propagation de l’influx nerveux. Les pyréthrinoïdes de type II agissent également en bloquant les récepteurs au GABA du système nerveux central, ce qui entraîne une action anti-inhibition postsynaptique. Dans de rares cas, il est possible, à l’inverse, d’observer une prostration.

2. Signes digestifs

Des signes digestifs (hypersalivation, vomissements, diarrhée), respiratoires (polypnée, dyspnée) ou, plus rarement, cardiovasculaires (tachycardie) peuvent s’ajouter aux signes nerveux. La plupart de ces signes sont à mettre en relation avec l’activation des récepteurs à l’acétylcholine par les pyréthrinoïdes [6].

3. Autres signes

Des signes cliniques dus aux excipients contenus dans le médicament peuvent parfois se superposer à ceux produits par les pyréthrinoïdes. Ainsi, les excipients de la famille des hydrocarbures peuvent être responsables de signes respiratoires ou de prurit et ceux de la famille des alcools, de signes nerveux périphériques [1, 2].

4. Évolution

L’évolution est en général favorable et sans séquelle en un à cinq jours, même si les tremblements peuvent persister pendant plusieurs jours [4]. La mort se produit rarement (taux de mortalité de l’ordre de 5 % selon les données du Centre anti-poison animal de l’Ouest). Elle survient généralement, soit dans les douze heures qui suivent l’exposition à une forme pharmaceutique concentrée en pyréthrinoïdes, soit lorsque l’animal, notamment le chat, s’enfuit après l’application d’un pseudo-aérosol et n’est pris en charge qu’à un stade comateux. Dans ce cas, les lésions post-mortem ne sont jamais spécifiques.

Troisième étape : diagnostic

• Le diagnostic de l’intoxication repose essentiellement sur les commémoratifs, les signes cliniques étant peu caractéristiques et proches de ceux d’une intoxication par les organophosphorés et les carbamates inhibiteurs des cholinestérases. Néanmoins, lors d’intoxication par les pyréthrinoïdes, les signes nerveux convulsifs et les signes digestifs sont moins intenses alors que les tremblements sont plus marqués.

• Un test simple (administration par voie intraveineuse d’atropine à la dose de 0,02 à 0,04 mg/kg) peut permettre en première approche de différencier une intoxication par les pyréthrinoïdes d’une intoxication par les inhibiteurs des cholinestérases [2, 3, 6]. Si l’animal répond positivement à ce test, par exemple par une diminution de l’hypersalivation, une intoxication par les inhibiteurs des cholinestérases peut être écartée ; en effet, seule une dose au moins dix fois supérieure à celle du test est susceptible de diminuer l’intensité des signes cliniques d’une telle intoxication.

• Un diagnostic de laboratoire est rarement nécessaire, en raison des circonstances des intoxications par les pyréthrinoïdes. Ces dernières peuvent néanmoins être dosées dans le contenu stomacal, les reins, le foie, le cerveau et la peau (par exemple, laboratoire de diagnostic toxicologique de l’ENV de Lyon). Cependant, il est toujours difficile, à partir de ces dosages, de confirmer avec certitude l’intoxication chez le chien et chez le chat.

Quatrième étape : traitement

Le traitement de l’intoxication doit être précoce et il est uniquement éliminatoire et symptomatique.

1. Traitement éliminatoire

• Lors d’ingestion, il convient de faire vomir l’animal (apomorphine(1), Apokinon®, 0,05 mg/kg par voie sous-cutanée ou intramusculaire chez le chien et xylazine, Rompun 2 %®, 0,5 mg/kg par voie intramusculaire chez le chat), même si six heures se sont écoulées depuis l’ingestion [2, 4] (voir le TABLEAU “Conduite à tenir face à une intoxication par les pyréthrinoïdes ).

• Si l’animal est en convulsions ou dans le coma, un lavage gastrique (NaCl 0,9 % tiède) après anesthésie peut avantageusement remplacer l’administration d’apomorphine(1) ou de xylazine.

L’administration d’un vomitif ou la réalisation d’un lavage gastrique peut être suivie de l’administration orale de charbon activé(1) [2, 4, 6]. Ce dernier permet d’adsorber efficacement les pyréthrinoïdes et leurs métabolites présents dans le contenu digestif, et donc de diminuer leur résorption et d’interrompre le cycle entéro-hépatique. Le charbon activé(1) (Charbon de Belloc®, etc.) est administré à la dose de 1 à 5 g/kg, deux ou trois fois à intervalles de six à huit heures.

• Lors d’exposition cutanée, l’animal est impérativement et soigneusement lavé à l’eau tiède et au savon doux avant d’être séché [2, 4, 6] (PHOTO1). Cette opération est réalisée à deux reprises en veillant à ne pas oublier des zones comme la base de la queue ou l’extrémité des membres. Elle peut être efficacement suivie de la pose d’une collerette de façon à empêcher le léchage et de l’administration orale de charbon activé(1) car l’animal, notamment le chat, s’est obligatoirement léché. Enfin, il est important de noter que le lavage doit être systématique, même deux jours après l’exposition, et améliore considérablement le pronostic de l’intoxication.

2. Traitement symptomatique

• La lutte contre les convulsions nécessite l’administration intrarectale, intraveineuse, voire intranasale, de diazépam(1) (Valium®) à la dose de 1 à 2 mg/kg, renouvelée toutes les dix à quinzeminutes si nécessaire. Il est aussi possible, chez le chat, d’administrer par voie intramusculaire de la xylazine (Rompun 2 %®) à la dose de 0,1 à 0,5 mg/kg. Fréquemment, les convulsions ne rétrocèdent pas à l’administration de diazépam(1), voire de xylazine. Elles peuvent alors être combattues par l’administration de médétomidine (Domitor®, 10 à 40 µg/kg chez le chien par voie intraveineuse ou intramusculaire et 80 à 150 µg/kg chez le chat par voie intraveineuse, intramusculaire ou sous-cutanée) ou de pentobarbital (Pentobarbital Sodique Sanofi Santé Animale®, 5 à 10 mg/kg par voie intraveineuse). Il convient de ne pas administrer aux animaux d’anesthésiques dissociatifs, comme la tilétamine ou la kétamine, qui abaissent le seuil de déclenchement des convulsions.

• Les signes digestifs et respiratoires rétrocèdent généralement après l’administration sous-cutanée ou intramusculaire d’atropine (Atropine sulfate Lavoisier®(1), 0,02 à 0,04 mg/kg) ou de glycopyrrolate (Robinul-V®, 0,01 à 0,02 mg/kg).

• Les signes de déshydratation et les signes cardiovasculaires peuvent être combattus par l’administration intraveineuse de solutions cristalloïdes (NaCl 0,9 % ou lactate de Ringer, 3 à 140 ml/h) (PHOTO 2).

• En outre, dans de rares cas de vomissements ou de diarrhées sévères, il peut être nécessaire de corriger l’équilibre acido-basique sanguin et/ou la kaliémie par administration intraveineuse de bicarbonate de sodium(1) (1 à 2 mEq/kg toutes les 3 à 4 heures) et/ou de chlorure de potassium(1) (au maximum 0,5 mEq/kg/h).

Le diagnostic de l’intoxication par les pyréthrinoïdes repose avant tout sur les commémoratifs et doit être le plus précoce possible. Le traitement de l’intoxication vise, d’une part, à lutter contre les convulsions et les signes digestifs et respiratoires, d’autre part, à décontaminer l’animal en le lavant et en lui administrant par voie orale un adsorbant après l’avoir fait éventuellement vomir. Il convient de rappeler que le praticien a l’obligation de signaler aux centres de pharmacovigilance de Nantes ou de Lyon les effets indésirables, graves ou inattendus, de tous les médicaments vétérinaires, dont ceux contenant des pyréthrinoïdes.

  • (1) Médicament à usage humain.

ATTENTION

• Les intoxications par les pyréthrinoïdes sont deux à trois fois plus fréquentes chez le chat que chez le chien.

• Un traitement antiparasitaire externe sous forme de pseudo-aérosol à base de pyréthrinoïdes est à proscrire chez un animal âgé de moins de trois mois.

ATTENTION

Les signes cliniques des intoxications apparaissent généralement une à six heures après l’exposition et sont dominés par des signes nerveux centraux

À lire également

a - Hugnet C, Keck G. Insecticides aux pyréthrinoïdes. Plus dangereux qu’il n’y paraît. La Semaine Vétérinaire, 1992;659:10.

  • 1 - Durand F. Risques toxiques des insecticides pyréthrinoïdes pour les carnivores domestiques. Étude épidémiologique d’après les cas du centre antipoison animal de Lyon (1990-1992). Thèse pour le doctorat vétérinaire. École Nationale Vétérinaire de Lyon. 1993;N°40:139p.
  • 2 - Hansen SR, Buck WB. Treatment of adverse reactions in cats to flea control products containing pyrethrin/pyrethroid insecticides. Feline Practice. 1992;20(5):25-27.
  • 3 - Hansen SR, Stemme KA, Villar D, Buck WB. Pyrethrins and pyrethroids in dogs and cats. Comp. Cont. Educ. Pract. Vet. 1994;16(6):707-710.
  • 4 - Kolf-Clauw M, Poletti V. Principales intoxications médicamenteuses chez les carnivores domestiques. 1. Surdosage par les pyréthrinoïdes antiparasitaires. Point Vét. 1998;29(188):56-62.
  • 5 - Poletti V. Les intoxications médicamenteuses aiguës chez les carnivores domestiques. Thèse pour le doctorat vétérinaire. École Nationale Vétérinaire d’Alfort. 1996;N°45:129p
  • 6 - Withem T. Pyrethrin and pyrethroid insecticide intoxication in cats. Comp. Cont. Educ. Pract. Vet. 1995;17(4):489-495.
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