Huit cas de leptospirose canine - Le Point Vétérinaire n° 235 du 01/05/2003
Le Point Vétérinaire n° 235 du 01/05/2003

PATHOLOGIE INFECTIEUSE DU CHIEN

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CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Éric de Madron

Fonctions : Alta Vista Animal Hospital
2616 Bank Street
Ottawa, Ontario, Canada

Huit chiens sont hospitalisés pour une insuffisance rénale aiguë. Une leptospirose est diagnostiquée. La vaccination antileptospirose classique ne protège pas contre les sérovars impliqués.

À partir de début octobre et jusqu’à la mi-décembre 2000, des chiens dont la principale manifestation clinique est une insuffisance rénale aiguë sont hospitalisés à Ottawa (Canada). Une leptospirose est confirmée chez huit animaux. L’automne 2000 a été particulièrement pluvieux et doux en Ontario. Lacs et marais se sont remplis et aucun gel nocturne n’a été enregistré jusque tard en décembre. Une des caractéristiques d’Ottawa est la présence d’une ceinture verte forestière avec de nombreux marais. En outre, la nappe phréatique est souvent proche de la surface. Avec la pluie, les flaques d’eau stagnante se sont multipliées. La faune sauvage est nombreuse dans les bois alentour (rongeurs, castors, orignaux, cerfs de Virginie et ratons laveurs). La contamination des eaux de surface ou des lacs par l’urine des rongeurs, et la présence fréquente d’habitations proches de ces bois peuvent expliquer la contamination de ces chiens.

Cas clinique

Les animaux atteints sont âgés de trois à douzeans.

1. Symptômes

Le tableau clinique est dominé par une insuffisance rénale aiguë.

Les symptômes initiaux (voir le TABLEAU “Symptomatologie chez huit chiens atteints de leptospirose ”) incluent une anorexie, de la léthargie et des vomissements liés à l’azotémie.

Une douleur abdominale (probablement d’origine rénale) ou de la fièvre sont notées respectivement dans un seul cas.

Un animal présente des symptômes attribuables à la fois à une hypertension artérielle (épistaxis) et à un syndrome néphrotique (œdème sous-cutané).

2. Examens de laboratoire

Les investigations cliniques incluent (voir le TABLEAU “Résultats des examens de laboratoire chez huit chiens atteints de leptospirose ”) :

- un profil biochimique complet ;

- un examen hématologique ;

- une analyse urinaire ;

- une évaluation de la pression sanguine (par appareil Doppler) ;

- une évaluation de la protéinurie (rapport protéine/créatinine urinaire) ;

- une culture bactériologique de l’urine ;

- une échographie rénale ;

- dans deux cas, des biopsies rénales obtenues par technique échoguidée.

• Les paramètres rénaux sont modérément augmentés dans cinq cas. Deux chiens présentent une azotémie plus sévère : ces animaux sont morts alors que tous les autres ont récupéré.

Une hyperphosphatémie est présente chez tous les animaux.

• L’examen hématologique se révèle généralement normal, excepté dans deux cas.

• La présence de cylindres hyalins ou granuleux dans le culot urinaire est compatible avec une lésion tubulaire aiguë, confirmée par les biopsies rénales.

La densité urinaire est en général isosthénurique, excepté pour les cas 1 et 2.

Une protéinurie minime est le plus souvent présente ; elle est significative pour les cas 2 et 5.

Le cas 2 présente en outre d’autres caractéristiques compatibles avec un syndrome néphrotique (hypo-albuminémie, œdème sous-cutané, hypertension, épistaxis).

• La pression sanguine est en général normale, excepté pour le cas 2.

• Un examen sérologique (technique ELISA) pour cinq sérovars de leptospirose, ainsi qu’une recherche par PCR de l’ADN de leptospires dans l’urine, sont effectués (voir le tableau “Sérologies ELISA et PCR dans huit cas de leptospirose ”).

3. Échographie et biopsies

• Les images échographiques sont compatibles avec une insuffisance rénale aiguë, mais ne sont pas spécifiques (voir le TABLEAU “Résultats de l’examen échographique chez huit chiens atteints de leptospirose canine ”).

Une splénomégalie est retrouvée dans quatre cas sur huit, ce qui constitue peut-être le signe le plus probant en faveur d’une étiologie infectieuse (ni la température rectale, ni l’hématologie n’ont en effet été révélatrices).

• Des biopsies rénales sont réalisées chez deux chiens. Les conclusions sont identiques : lésions tubulaires avec une infiltration mixte lymphoplasmocytaire, compatible avec une leptospirose. Un œdème interstitiel est également présent et s’accompagne d’un début de fibrose.

4. Sérologie

• Les deux principaux sérovars impliqués dans cette série de cas de leptospirose sont L. pomona et L. grippotyphosa. La recherche des deux sérovars classiques (L. canicola et L. icterohemorrhagiae), contre lesquels les vaccins classiques protègent, s’avère négative. L. bratislava est le troisième sérovar le plus fréquemment observé. Une certaine réaction croisée entre les différents sérovars pourrait expliquer le résultat sérologique obtenu chez les chiens 4 et 5 ; le titre le plus élevé indique le sérovar probablement responsable.

• Il est également à noter que la PCR urinaire est négative. Cela peut s’expliquer par le fait que les leptospires n’ont probablement pas eu le temps de se répliquer dans le rein au stade auquel le diagnostic a été établi chez ces chiens. Il est probable qu’une PCR urinaire serait plus utile lors de forme chronique de leptospirose.

5. Traitement

• Le traitement classique associe une diurèse forcée par administration intraveineuse de cristalloïdes (débit deux à trois fois supérieur au débit d’entretien : 4 à 6 ml/kg/h) et une antibiothérapie à base d’ampicilline (20 mg/kg toutes les huit heures par voie intraveineuse initialement), parfois associée à une quinolone (enrofloxacine : 5 à 10 mg/kg deux fois par jour par voie intraveineuse pendant les deux ou trois premiers jours), suivie d’un traitement à l’amoxicilline (22 mg/kg deux fois par jour par voie orale pendant deux semaines), puis d’un traitement à la doxycycline (10 mg/kg deux fois par jour par voie orale pendant quinze jours).

• Un traitement symptomatique avec des anti-acides (ranitidine(1), famotidine(1) et des antivomitifs (métoclopramide, ondansétron(1)) est administré chez les animaux qui présentent des vomissements.

Le chien dont les symptômes sont les plus sévères (cas 5) reçoit également une alimentation parentérale partielle en raison de l’anorexie prolongée. Chez le chien qui présente une oligurie (cas 7), une perfusion de furosémide (4 mg/kg/h) est entreprise. La diurèse reprend alors et la récupération de l’animal est complète.

Le cas 2 a nécessité un traitement à base d’énalapril et d’amlodipine(1) en raison d’un syndrome néphrotique et d’une hypertension.

• La durée moyenne de l’hospitalisation est de trois à quatre jours.

6. Suivi

Une bonne évolution clinique est observée chez six chiens sur huit. Pour trois de ces six cas, le suivi des valeurs rénales montre un retour aux valeurs usuelles en une semaine à un mois. Chez les deux chiens dont l’issue a été fatale, l’azotémie initiale était nettement plus sévère.

Discussion

1. Épidémiologie

• La leptospirose est une zoonose répandue dans le monde entier qui affecte un grand nombre d’animaux. Elle est due à différents sérovars de l’espèce Leptospira interrogans. Ces sérovars persistent dans la nature chez de nombreux animaux (rongeurs, musaraigne, porc, cheval, bovins, opossum, putois, raton laveur, etc.) qui restent asymptomatiques et qui servent ainsi de réservoirs pour une transmission à l’homme ou à des hôtes non habituels (animaux domestiques – bovins, cheval, mouton, porc, cochon d’Inde, etc. – et sauvages – rongeurs, hérisson, opossum, raton laveur, renard, loup, chacal, léopard, etc.).

• Les principaux sérovars pathogènes sont L. canicola, L. icterohemorrhagiae, L. grippotyphosa, L. pomona et L. bratislava.

Les vaccins classiques protégent contre L. canicola et L. icterohemorhagiae et ont entraîné une baisse de la prévalence de la leptospirose due à ces deux agents pathogènes. En revanche, les cas de leptospirose dus à L. pomona, L. bratislava et L. grippotyphosa ont augmenté [3, 8]. Des cas similaires ont été décrits dans d’autres régions de l’Ontario, en particulier au Collège vétérinaire de Guelph, cet automne-là.

• La transmission de la leptospirose s’effectue par contact direct ou indirect.

Le contact direct implique un contact avec une urine infectée, une transmission vénérienne ou transplacentaire, une morsure ou l’ingestion de tissus infectés. Lors de récidives, les animaux infectés peuvent excréter des leptospires dans leur urine pendant des mois.

La transmission indirecte implique une exposition à de l’eau, à un sol, à de la nourriture ou à une litière contaminés. Certaines conditions environnementales peuvent favoriser la transmission. Les spirochètes survivent dans l’eau stagnante : une année pluvieuse favorise donc la transmission. Des températures douces (entre 0 et 25 °C) sont en outre favorables aux leptospires, alors que le gel les tue. La leptospirose est donc souvent une maladie saisonnière (fin de l’été, début de l’automne). Une étude rapporte une corrélation positive entre la pluviosité et le nombre de cas [1].

2. Aspects cliniques

• Dès que les leptospires pénètrent dans l’organisme, ils se multiplient rapidement dans le sang et envahissent différents tissus, dans lesquels ils continuent à se multiplier. Les organes cibles sont le rein, le foie, la rate, le système nerveux central, les yeux et le tractus génital.

• Les signes d’insuffisance rénale ou d’atteinte hépatique surviennent environ sept jours après l’infection. L’animal peut alors mourir.

Le titre d’anticorps augmente, ce qui élimine les leptospires circulants (huit à dix jours après l’infection). Seuls persistent les leptospires présents dans les reins, car cet organe reste dépourvu d’anticorps : la leptospirurie débute quinze jours après l’infection initiale.

Le rein et le foie sont les principaux organes cibles, mais, dans cette étude, les atteintes hépatiques n’ont pas été mises en évidence. Le fait que la rate soit un site de réplication des leptospires peut expliquer qu’une splénomégalie est souvent décrite.

L’invasion du système nerveux central ou des yeux peut en outre conduire à une encéphalite ou à une uvéite (fréquente chez le cheval).

• Les signes cliniques classiques rapportés dans plusieurs études rétrospectives incluent la léthargie, l’anorexie et les vomissements. La fièvre n’est présente que dans 6 à 52 % des cas, selon le sérovar impliqué.

D’autres signes, tels qu’une polyuro-polydipsie, une augmentation de la taille des reins ou une douleur abdominale, existent dans 30 % des cas. Un ictère n’est présent que dans 9 à 24 % des cas [5, 7].

• Les anomalies biochimiques incluent principalement une élévation des concentrations sériques d’urée et de créatinine (94 à 100 % des cas). Une hyperphosphatémie est également fréquente.

L’élévation des concentrations sériques des paramètres hépatiques (alanine amino-transférase, phosphatases alcalines, bilirubine totale) est inconstante (entre 33 et 65 % des cas selon les publications) [5, 7]. Elle n’a pas été observée dans les cas décrits.

• Les anomalies hématologiques incluent une neutrophilie ou une neutropénie, puis une thrombocytopénie.

3. Diagnostic différentiel

• Le diagnostic différentiel de la leptospirose est celui des insuffisances rénales aiguës :

- causes toxiques : intoxication aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, à l’éthylène glycol ou aux métaux lourds ;

- causes infectieuses : pyélonéphrite bactérienne ;

- causes néoplasiques : lymphome ou carcinome rénal ;

- causes prérénales et postrénales.

• Lors de leptospirose, les signes d’appel sont la présence concomitante d’une fièvre, d’un hémogramme infectieux (une leucocytose neutrophilique, avec éventuellement des neutrophiles non segmentés), d’une splénomégalie et d’une éventuelle élévation des enzymes hépatiques.

La suspicion est renforcée par le recueil des commémoratifs : la saison (automne) et le mode de vie de l’animal (animal qui sort, environnement riche en forêts et en eau stagnante).

• L’examen sérologique n’est révélateur que huit à dix jours après l’infection, lorsque des signes cliniques sont déjà apparus. Une analyse est donc parfois utile en période de convalescence. Deux types d’examen sérologique sont possibles :

- par macro-agglutination, fondée sur la mise en évidence d’une macro-agglutination des leptospires par les anticorps de l’animal [3] ;

- par ELISA, qui recherche les IgG et les IgM antileptospires.

La technique ELISA permet une détection plus précoce des anticorps, ce qui peut expliquer les résultats fortement positifs observés dans la plupart des cas de cette étude. La macro-agglutination nécessite en revanche souvent d’effectuer une ou plusieurs sérologies à quinze jours d’intervalle [3].

Les titres sérologiques vaccinaux n’excèdent en général pas 1/300, sauf si la vaccination est récente (moins de trois mois) [4].

Une réaction sérologique croisée entre plusieurs sérovars est parfois observée, mais le titre du sérovar pathogène est en général nettement plus élevé que celui des autres [3].

• Les autres techniques d’identification, telles que la culture ou la visualisation des leptospires par microscopie sur champ noir, sont peu pratiques [3].

La recherche d’ADN dans l’urine par PCR est en général négative lors de l’insuffisance rénale, car la leptospirurie ne commence que bien après les signes cliniques.

4. Traitement et pronostic

• Le traitement de la leptospirose inclut un traitement de soutien et une antibiothérapie.

Le premier est nécessaire si une insuffisance rénale aiguë ou une atteinte hépatique sévère sont présentes. Il fait appel à la fluidothérapie, qui corrige les déficits hydriques et les désor-dres électrolytiques et favorise la diurèse.

Lors d’oligurie (production urinaire < 2 ml/kg/h), du mannitol est administré (250 à 500 mg/kg par voie intraveineuse), associé à une perfusion intraveineuse de furosémide (2 à 8 mg/kg/h) et/ou de dopamine(2) (2,5 à 5 mg/kg/min).

Le traitement d’une éventuelle vasculite ou d’une coagulation intravasculaire disséminée nécessite des transfusions de plasma frais, avec éventuellement l’ajout d’héparine(1) à faible dose (75 UI/kg par voie sous-cutanée toutes les huitheures).

• En raison du risque de zoonose (transmission par l’urine de l’animal), un cathéter urinaire avec collecte de l’urine dans un sac a été mis en place systématiquement dans les cas décrits. Cette technique offre en outre l’avantage de mesurer la production urinaire.

Il est en outre fortement conseillé de porter des gants de latex lors de la manipulation de l’animal.

• L’antibiothérapie est remarquablement efficace lors de leptospirose.

Une seule administration d’antibiotique suffit parfois à réduire la fièvre et à améliorer le tableau clinique en quelques heures.

Lorsque l’atteinte rénale est grave, comme chez deux des animaux de cette série, l’antibiothérapie peut toutefois ne pas enrayer la progression de la maladie.

Les antibiotiques de choix sont la pénicilline et ses dérivés (voir le TABLEAU “Antibiotiques utilisables pour le traitement de la leptospirose ”). Cette famille d’antibiotiques n’empêche toutefois pas le portage asymptomatique.

D’autres antibiotiques, tels que la tétracycline, la doxycycline, les fluoroquinolones ou les aminoglycosides, sont plus efficaces pour éliminer les leptospires des reins.

Les pénicillines sont le plus souvent administrées par voie intraveineuse dans les deux à trois premiers jours de traitement, puis par voie orale.

La durée recommandée de l’antibiothérapie est de deux semaines.

• Le taux de survie dépend de la sévérité de l’atteinte rénale, mais il est élevé lorsqu’un traitement de soutien agressif est instauré. Une étude rapporte un taux de succès de 83 %, mais près de la moitié des cas ont nécessité une hémodialyse [1].

La prévention contre L. pomona et L. grippotyphosa est désormais possible au Canada, car un nouveau vaccin qui inclut ces deux sérovars a été mis sur le marché durant le printemps 2001. Une campagne de vaccination avec ce produit a été entreprise à cette même période (deux injections à quinze à trente jours d’intervalle et un rappel un an plus tard). Nous n’avons pas diagnostiqué d’autres cas de leptospirose en 2001.

  • (1) Médicament à usage humain.

  • (2) Médicament réservé à l’usage hospitalier.

Points forts

→ La leptospirose associée aux sérovars L. pomona et L. grippotyphosa (sérovars non inclus dans la vaccination antileptospirose classique) se traduit par une insuffisance rénale aiguë, le plus souvent sans atteinte hépatique.

→ La réponse aux antibiotiques (pénicillines, amoxicilline, doxycycline) est bonne, à la condition de mettre en œuvre un traitement de support agressif de l’insuffisance rénale aiguë (en particulier pendant la phase oligurique).

→ La PCR urinaire est en général négative.La confirmation du diagnostic est sérologique.

→ La contamination se fait par l’ingestion d’eau stagnante contaminée par l’urine d’animaux sauvages porteurs.

  • 1 - Adin CA, Cowgill LD. Treatment and outcome of dogs with leptospirosis: 36 cases (1990-1998). J. Amer. Vet. Med. Assn. 2000;216:371-375.
  • 2 - André-Fontaine G. Pathologie infectieuse des carnivores domestiques. Actualités sur la leptospirose canine. Point Vét. 2002;33(225):26-31.
  • 3 - Brown CA, Roberts AW, Miller MA et coll. Leptospira interrogans serovar grippotyphosa infection in dogs. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1996;209:1265-1267.
  • 4 - Greene CE, Miller MA, Brown CA. Leptospirosis. In: Greene CE. Infectious diseases of the dog and cat. 2e éd. WB Saunders, Philadelphia. 1998:273-281.
  • 5 - Harkin KR, Gartrell CL. Canine leptospirosis in New Jersey and Michigan: 17 cases (1990-1995). J. Amer. Anim. Hosp. Assn. 1996;32:495-501.
  • 6 - Ramadass P. Genetic characterization of pathogenic leptospira species by DNA hybridization. Int. J. Bacteriol. 1992;42:215-219.
  • 7 - Rentko VT, Clark N, Ross LA. Canine leptospirosis: a retrospective study of 17 cases. J. Vet. Int. Med. 1992;6:235-244.
  • 8 - Ward MP, Glickman LT, Guptill LF. Prevalence of and risk factors for leptospirosis in the United States and Canada: 677 cases (1970-1998). J. Amer. Vet. Med. Assn. 2002;220:53-58.
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