Ulcères de la caillette : la piste des oligo-éléments - Le Point Vétérinaire n° 234 du 01/04/2003
Le Point Vétérinaire n° 234 du 01/04/2003

PATHOLOGIE DIGESTIVE DU VEAU

Se former

EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Pascal Lebreton*, Pierre Mathevet**

Fonctions :
*NBVC (Nutrition-Biochimie Vétérinaire Consultants),
3, allée de la Combe,
69380 Lissieu
**Clinique Vétérinaire,
Pré de l’Hôpital, 71110 Marcigny

Le rôle des carences en oligo-éléments (Zn, Fe, Cu, Se) est parfois avancé comme facteur favorisant des ulcères de la caillette chez le veau nouveau-né. Qu’en est-il sur le terrain ?

Un syndrome « gastropathie », recouvrant ballonnements, hémorragies et ulcères de la caillette, est décrit chez le veau et chez l’agneau.

Selon une étude effectuée sur 1 988 autopsies de veaux [12], la prévalence des ulcères de la caillette comme cause de mortalité pourrait être de 1,6 %.

Les origines du syndrome « gastropathie » ont été étudiées par de nombreux auteurs [12, 14, 26, 37]. Pour la majorité d’entre eux, ce syndrome serait lié à la présence de bactéries pathogènes : Sarcina ventriculi, S. fallax, Clostridium perfringens de type A, C. sordelli Campylobacter jejuni et Helicobacter pylori ont été évoquées [5, 10, 26, 34, 35]. Les facteurs d’élevage ont aussi été avancés à plusieurs reprises. Une association entre la présence de trichobézoards et les ulcères de la caillette a été montrée chez les agneaux de deux à cinq semaines et semble probable chez le veau [11, 35]. Comme les ulcérations de la caillette chez les veaux se rencontrent principalement au printemps, lorsque les vaches sont en pâture ou bien lorsqu’elles reçoivent de l’ensilage d’herbe, il est possible de spéculer sur le fait que le prurit et le léchage intempestif de poils soit lié à une modification des composants du lait maternel, ce qui a été étayé par des observations [6, 3, 10, 24]. Les carences en fer et en cuivre ont été citées comme des facteurs prédisposants possibles pour les abomasites des préruminants [7, 9, 13, 16, 20, 25, 30]. Chez l’agneau, un apport de fer pendant la période de stabulation pourrait être bénéfique, en diminuant le ballonnement abomasal et en augmentant le gain de poids [33]. La sensibilité aux entérites diarrhéiques et aux autres maladies digestives chez le veau issu de mère carencée en cuivre a été rapportée et ce, même lors d’une injection de cuivre à la naissance [22]. Des rapports allèguent des relations entre l’apparition des ulcères de la caillette et des carences en cuivre [13, 16, 20, 25, 36]. En revanche, d’autres articles rejettent la responsabilité du cuivre [14, 27].

Partant de ces données, nous avons conduit une étude pour évaluer le possible rôle des carences en oligo-éléments comme facteurs prédisposants des ulcérations de la caillette chez le veau, grâce à des dosages biochimiques et hépatiques. Notre investigation s’est déroulée sur deux années à partir de cas identifiés en race charolaise.

Comment évaluer le rôle des oligo-éléments ?

L’étude s’est déroulée sur les mois de mars à juin 201 d’une part et 2002 d’autre part dans des élevages charolais. Son principe a reposé :

1 sur le dosage du Zn, du Fe et du Cu et dans le foie de 21 veaux morts d’ulcères de la caillette ;

2 sur la comparaison des statuts minéraux sanguins en Zn, en Cu et en Se de ces 21 veaux et de leur mère, vis-à-vis de 21 couples mère-veau témoins.

Tous les veaux étaient nourris au lait maternel. La majorité des cas d’ulcères se sont déclarés après le lâcher à l’herbe.

1. Recrutement des cas et des témoins

Cas

Pendant la période d’étude, lorsqu’un veau malade était présenté au vétérinaire investigateur dans le cadre de ses visites ordinaires en clientèle, et que celui-ci suspectait la possibilité d’un ulcère de la caillette, il effectuait sur ce veau un prélèvement de sang avant toute autre intervention. Dans les cas où la mort du veau survenait, une autopsie était réalisée systématiquement pour confirmer ou infirmer la présence d’ulcère perforant de la caillette (PHOTO 1). Seuls les veaux présentant effectivement un ulcère perforant de la caillette ont été inclus dans l’étude. Lors de l’autopsie, un prélèvement de foie était effectué. Dans un délai de 24 heures maximum, un prélèvement sanguin était effectué sur la mère du veau mort.

Témoins

À cette occasion, un prélèvement sanguin était également effectué sur un autre couple mère-veau dans le même élevage, le veau étant en bonne santé et d’âge similaire au veau mort.

2. Traitement des échantillons tissulaires et sanguins

Échantillons de foie

Le zinc, le fer et le cuivre ont été dosés dans le foie des veaux morts par spectrophotométrie d’absorption atomique.

Échantillons de sang

Les échantillons de sang ont été collectés à la veine jugulaire sur tube H-Li (Sarstedt) et sur tube sec. Les tubes ont été centrifugés dans les 24 heures qui ont suivi les prélèvements.

• Le Zn a été dosé dans le plasma déprotéiné par spectrophotométrie d’absorption atomique.

• Le statut cuprique a été évalué :

- par le dosage du Cu dans le plasma déprotéiné par spectrophotométrie d’absorption atomique ;

- par la mesure de l’activité enzymatique sanguine des superoxydes dismutases (SOD) extracellulaire et érythrocytaire. La superoxyde dismutase extracellulaire (ECSOD) a été dosée dans le plasma par méthode enzymatique (Randox, Crumlin). La superoxyde dismutase érythrocytaire (SODE) a été dosée dans les globules rouges par la méthode de Mc Cord et Fridovich.

• Le statut sélénique a été évalué par la mesure de l’activité enzymatique sanguine de la glutathion peroxydase (GSH-pxe). Cette activité a été dosée dans les globules rouges par la méthode de Paglia et Valentine.

3. Analyses statistiques

La validité des différences a été analysée à partir d’un modèle général linéaire (Systat). Le seuil de 10 % a été retenu.

Zinc et fer peuvent-ils être incriminés ?

Les teneurs moyennes en zinc et en fer dans le foie des veaux morts sont respectivement de 4 506 et 8 780 µmol/kg MS (voir le TABLEAU “Teneurs en minéraux dans le foie des veaux morts”). Elles sont donc supérieures aux valeurs minimales de référence de la littérature [15].

Il ne semble ainsi a priori pas possible de relier les ulcères de la caillette à des carences de ces éléments.

Le cuivre joue-t-il un rôle ?

• La teneur moyenne en cuivre dans le foie des veaux morts est de 2 222 µmol/kg MS (voir le TABLEAU “Teneurs en minéraux dans le foie des veaux morts”). Seuls 23 % de ces veaux avaient une teneur inférieure au seuil de carence de 789 µmol/kg MS [2, 7, 29].

Ces résultats ne permettent pas d’associer les ulcères de la caillette à une carence en cuivre. Ils sont contradictoires avec les résultats obtenus par d’autres auteurs pour impliquer une carence en cuivre dans la prévalence des ulcères de la caillette [13, 16, 20, 25, 36]. Ainsi, dans une observation, des auteurs ont trouvé une liaison significative entre l’ulcère abomasal et la carence en cuivre. Les teneurs hépatiques en cuivre des veaux morts d’ulcères variaient de 708 à 755 µmol/kg MS [16].

• Les teneurs moyennes en cuivre plasmatique des veaux morts d’ulcère de la caillette et de leur mère étaient sensiblement identiques et supérieures au seuil considéré comme indicateur de carence [29]. Il n’y avait pas de différence entre les témoins et les cas (voir les TABLEAUX “Résultats de biochimie des oligo-éléments chez les vaches” et “Résultats de biochimie des oligo-éléments chez les veaux”). Cependant, les cuprémies étaient inférieures à 9,4 µmol/l chez 25 % des veaux morts d’ulcère de la caillette et chez seulement 16 % des témoins. Des valeurs plus basses chez les veaux atteints auraient cependant pu être masquées par le statut inflammatoire des animaux lors du prélèvement.

Il est estimé que des corrélations existent entre le cuivre plasmatique et les réserves hépatiques chez le bovin. En effet, pour des valeurs inférieures à 9,4 µmol/l de cuivre dans le plasma, le cuivre hépatique varie de 315 à 789 µmol/kg MS, cette fourchette de valeurs étant considérée comme seuil critique de carence [29]. Des valeurs plasmatiques de 11,9 µmol/L sont à relier à un cuivre hépatique compris entre 789 et 3 786 µmol/kg MS, concentrations marginales à satisfaisantes [29].

• Nos données montrent une différence importante entre l’activité ECSOD chez les veaux morts par rapport aux veaux témoins : 1,41 U/l contre 0,38 U/l (p = 0,01). En revanche, l’activité SODE était inférieure de 21,7 % chez les veaux morts par rapport aux veaux témoins (p = 0,068). Les SOD érythrocytaires et extracellulaires étaient comparables chez les mères (voir le TABLEAU “Résultats de biochimie des oligo-éléments chez les vaches”).

La SOD est une enzyme cuprodépendante intracellulaire dont l’activité ne varie pas lors d’inflammation [21, 29]. L’activité SOD à la naissance chez le veau est plus élevée que celle de la mère et diminue progressivement après trois semaines [6, 20].

L’augmentation de l’activité ECSOD et la baisse de l’activité SODE pourraient s’expliquer par l’ulcération abomasale. Une augmentation d’activité ECSOD a été rapportée lors d’apport de cuivre dans le traitement des ulcères gastriques chez le rat [4]. Le relargage de SOD par l’érythrocyte lors de mort cellulaire passive pourrait être un moyen de défense contre les effets délétères des ulcérations.

Ainsi, tout comme d’autres auteurs [26, 27], nous n’avons pas trouvé de liaison positive entre le statut cuprique des mères et des veaux et les ulcères de la caillette, mais nous n’avons pas assez d’éléments pour écarter formellement le rôle des carences en cet élément. Initialement, l’implication d’une carence en cuivre dans l’ulcérogenèse était expliquée par la réduction de l’activité cytochrome oxydase, enzyme cuprodépendante, responsable de perturbations de l’intégrité de l’épithélium digestif. Un apport oral à base de cuivre/glycine a pu être proposé dans le traitement préventif ou curatif du syndrome « gastropathie » [2, 4]. En outre, la carence en cuivre affecte l’immunité des veaux à deux mois d’âge, et ce, d’autant plus que les animaux ont été malades ou issus de mères très carencées [2, 26] : elle les rend donc plus sensibles aux éventuels agents infectieux ulcérogènes.

Qu’en est-il du sélénium ?

Les activités enzymatiques des GSH-pxe chez les veaux morts (74,05 U/g Hb) et chez les veaux témoins (143,52 U/g Hb) étaient significativement différentes (p = 0,098). Le coefficient de corrélation d’activité GSH-pxe entre les mères et les veaux était positif et significatif (r = 0,774 ; p = 0,068) (voir le TABLEAU “Corrélations mères-veaux”).

Le transfert du sélénium vers le fœtus est variable selon le statut sélénique des mères. En effet, le statut sélénique d’un veau à la naissance est supérieur à celui de sa mère dans le cas où la mère n’est pas carencée [5]. En revanche, il peut être inférieur lorsque les mères sont déficientes. Les valeurs de référence d’un statut sélénique satisfaisant chez des veaux issus de mères non carencées sont supérieures ou égales à 150 U/g Hb entre 77 et 115 jours d’âge [5]. Les troupeaux carencés en sélénium ont une prévalence plus grande d’ulcère de la caillette sans pour autant que cette carence soit déterminante dans l’apparition des troubles [20].

Dans notre observation, 95 % des veaux morts avaient une activité enzymatique de la GSH-pxe inférieure à 150 U/g Hb, contre 28 % chez les témoins. La carence en Se entraîne des perturbations de la réponse cellulaire lors d’infections et diminue l’intégrité des membranes cellulaires [32]. Il est donc possible qu’une carence en sélénium soit un élément prédisposant dans la manifestation clinique des ulcères de la caillette chez le veau, en favorisant les causes infectieuses.

Conclusion

Il semble possible d’écarter les carences en fer et en zinc comme des facteurs prédisposants ou déterminants dans l’apparition des ulcères de la caillette chez les bovins. Le rôle des carences en cuivre n’est pas démontré, mais il semble difficile de l’écarter catégoriquement sur la base de ces résultats, sachant que cet élément a pu avoir un effet dans le traitement préventif ou curatif des ulcères. Une association entre ulcères et statut sélénique a en revanche pu être mise en évidence. Le rôle des carences en sélénium comme élément prédisposant des ulcères de la caillette peut donc être suggéré.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ex-laboratoire IPA pour la prise en charge des analyses en 201.

Points forts

Des carences en oligo-éléments sont parfois avancées comme des facteurs prédisposants pour l’apparition d’ulcères de la caillette chez les ruminants.

Il ne semble pas possible de relier les ulcères de la caillette à des carences en Zn ou en Fe.

Le rôle des carences en cuivre ne peut pas être formellement écarté.

Les carences en Se pourraient intervenir comme des éléments prédisposants.

À lire également

- Hartnagel O. Les ulcères de la caillette chez les bovins. Point Vét. 2002 ; 33(223): 42-46.

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