Dermatophytose du chanfrein chez un fox-terrier - Le Point Vétérinaire n° 234 du 01/04/2003
Le Point Vétérinaire n° 234 du 01/04/2003

DERMATOLOGIE CANINE

PRATIQUER

Cas clinique

Auteur(s) : Aurélie Pasquier*, Geneviève Marignac**, Francine Touati, Jacques Guillot***

Fonctions :
*Service de parasitologie-mycologie, ENVA,
7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort

Une variété rarement isolée de Trichophyton mentagrophytes est mise en évidence par une culture mycologique chez un chienne qui présente, sur le chanfrein, une lésion cutanée unique apparue depuis un an.

Un fox-terrier âgé de deux ans est présenté à la consultation pour la persistance, sur le côté droit du chanfrein, d’une lésion alopécique prurigineuse qui évolue depuis un an suite à une griffure de chat, selon les propriétaires.

Cas clinique

1. Commémoratifs et anamnèse

Une chienne fox-terrier âgée de deux ans, animal de compagnie adopté à l’âge deux mois et demi dans un élevage, vit seule avec ses propriétaires dans un appartement avec accès à une cour ; elle sort aussi dans le jardin d’une maison de campagne en fin de semaine. L’animal n’a effectué aucun voyage dans le sud de la France depuis son acquisition. Il reçoit une alimentation industrielle.

Le début des troubles cutanés semble consécutif à une griffure de chat. Aucun commémoratif de contamination animale ou humaine n’a pu être mis en évidence.

Le motif de la consultation est la présence d’une lésion cutanée unique sur le chanfrein, apparue rapidement un an auparavant, et qui n’a pas rétrocédé à l’administration d’antibiotique amoxicilline-acide clavulanique (Synulox®, à la dose de 25 mg/kg/j en deux prises quotidiennes pendant un mois), associé à une désinfection locale avec de la chlorhexedine (Hibitan®).

2. Examen clinique

La chienne présente un bon état général. Une hypertrophie du nœud lymphatique rétro-pharyngien droit est toutefois notée.

À distance, la lésion cutanée, d’environ cinq centimètres de diamètre, est localisée sur la face et plus particulièrement sur le chanfrein droit de l’animal. Une alopécie associée à un léger érythème est observée. À l’examen rapproché, des lésions secondaires (croûtes et squamosis) sont également présentes (PHOTO 1). En périphérie de la lésion, au niveau des croûtes, des excoriations sont visibles et la peau présente quelques cicatrices.

La lésion a été prurigineuse dès le début de son évolution.

Une otite bilatérale modérée (plus marquée à droite) est en outre notée.

3. Hypothèses diagnostiques

• Il convient d’évoquer en premier lieu une dermatophytose en raison de l’aspect de la lésion et de sa localisation. La faible extension de la lésion, le commémoratif de “griffure ayant mal évolué” et la race du chien peuvent évoquer, par exemple, une infection par le dermatophyte Microsporum persicolor (hébergé par les rongeurs sauvages). Dans l’hypothèse d’une dermatophytose, le prurit est en revanche surprenant, mais peut être dû au caractère inflammatoire de la lésion.

• La démodécie est suspectée en raison du jeune âge de l’animal : la lésion est apparue à l’âge d’un an. Cependant, l’absence d’évolution depuis un an (soit vers la guérison spontanée, soit vers la généralisation), de même que le prurit primitif ne sont pas en faveur de cette hypothèse.

La gale sarcoptique, envisageable en raison de l’atteinte faciale et du caractère prurigineux et croûteux de la lésion, semble peu probable étant donné la faible extension et l’absence de contagiosité.

• La leishmaniose évoquée en raison du squamosis, des croûtes et des excoriations, difficilement discernables à ce stade d’érosions au niveau facial est également peu probable, étant donné le bon état général, l’adénopathie unilatérale et unique et l’absence de voyage en zone d’enzootie. Les lésions cutanées de leishmaniose sont en outre exceptionnellement prurigineuses.

• Une allergie alimentaire ou une atopie peuvent être à l’origine de lésions prurigineuses de la face. Cependant, les lésions cutanées sont marquées par un érythème important, compliqué généralement par une pyodermite. L’évolution et les commémoratifs sont peu en faveur d’une dermatite par hypersensibilité, mais cette hypothèse ne peut être écartée à ce stade.

4. Examens complémentaires

Différents examens complémentaires sont réalisés :

- l’examen en lumière de Wood est négatif ;

- des raclages cutanés au centre et à la périphérie de la lésion ne mettent en évidence aucun élément parasitaire, ni fongique ;

- un calque cutané révèle de nombreux polynucléaires neutrophiles et quelques coques extracellulaires ;

- un examen vidéo-otoscopique des deux oreilles met en évidence du cérumen, sans anomalie des conduits auditifs et des tympans.

Parallèlement à ces explorations immédiates, une culture mycologique est effectuée à partir de prélèvements au niveau de la lésion et sur l’ensemble du corps de l’animal (méthode du carré de moquette). L’échantillon est envoyé au laboratoire de parasitologie-mycologie de l’École nationale vétérinaire d’Alfort.

Après deux semaines d’incubation à 27 °C, de nombreuses colonies d’un champignon dermatophyte se sont formées sur le milieu de culture (gélose de Sabouraud additionnée de chloramphénicol et de cycloheximide). Elles sont blanches et finement granuleuses (aspect de farine). Le revers des colonies apparaît légèrement jaune après trois semaines de culture (PHOTO 2). L’observation microscopique (à l’objectif 40) révèle de nombreuses microconidies piriformes isolées ou disposées à angle droit (“en croix de Lorraine”) sur les filaments fongiques. Aucune macroconidie n’est observée. Ces éléments indiquent que le champignon isolé appartient vraisemblablement à la variété erinacei du dermatophyte Trichophyton mentagrophytes. Cette variété est un parasite du hérisson d’Europe (Erinaceus europaeus).

5. Traitement

Le traitement mis en place lors de la première consultation est un traitement d’attente qui consiste en l’application quotidienne d’une crème cicatrisante (Dermaflon®) sur la lésion, avec en parallèle un traitement antifongique local tous les quatre jours par l’énilconazole à 0,2 % (Imavéral® dilué cinquante fois).

Les résultats mycologiques confirment l’hypothèse de teigne. Un traitement plus complet est donc mis en place deux semaines après la première consultation. Il associe la griséofulvine (Griséofuline®, à la dose de 50 mg/kg par voie orale en deux prises quotidiennes dans des rations riches en matières grasses) et l’énilconazole en topique (Imavéral® au même rythme et à la même concentration que précédemment). Des acides gras essentiels (Actis® Chien) sont également prescrits. Ce traitement est poursuivi deux mois, jusqu’à l’obtention de deux cultures mycologiques négatives.

6. Évolution

Lors du premier contrôle, un mois après la première consultation, l’état de l’animal s’est amélioré, le prurit est en nette diminution, les lésions secondaires croûteuses et squameuses ont disparu (PHOTO 3 et 4). La peau demeure cependant alopécique sans signe de repousse du poil.

Lors du deuxième contrôle, un mois après le début du traitement complet de la dermatophytose, la peau est totalement saine, cicatricielle, non prurigineuse avec un début de repousse des poils. À cette date, une culture mycologique de contrôle est effectuée et se révèle négative.

Six mois plus tard, aucune rechute n’est intervenue et l’animal est en parfait état général. Le poil a repoussé sur l’ensemble du site de la lésion.

Discussion

1. Localisation des lésions et commémoratifs cliniques

La lésion observée chez ce fox-terrier est localisée au chanfrein. Cette localisation faciale exclusive semble commune lors de l’infection par Trichophyton mentagrophytes var. erinacei chez le chien, bien que des extensions secondaires au pourtour des yeux, aux oreilles, aux doigts, voire à l’abdomen, aient été décrites [1, 4].

Cette localisation au chanfrein est peu surprenante si un contact entre la chienne et un hérisson est envisagé. Dans une étude réalisée en Nouvelle-Zélande, sept chiens atteints de dermatophytose à Trichophyton mentagrophytes var. erinacei ont présenté des lésions avec, comme point de départ, le chanfrein et trois d’entre eux avaient attrapé un hérisson avant de développer les symptômes [2].

Après l’obtention des résultats mycologiques et l’identification du dermatophyte, le propriétaire du fox-terrier a confirmé la présence, dans son jardin à la campagne, d’un hérisson avec lequel la chienne joue parfois. La griffure initiale pourrait donc avoir pour origine le hérisson et non un chat.

Le hérisson d’Europe (Erinaceus europaeus) est l’hôte principal de Trichophyton mentagrophytes var. erinacei [6]. Une étude menée en 1969 en Grande-Bretagne a montré que 20 à 25 % des hérissons sont porteurs de Trichophyton mentagrophytes var. erinacei [5] et que ce dernier est retrouvé dans les nids où ces animaux hibernent, bien après qu’ils ont cessé de les utiliser.

Les cas de dermatophytose dus à cette variété de Trichophyton mentagrophytes sont relativement rares en France. Il est possible d’observer une contamination humaine qui peut être directe par manipulation de hérissons ou indirecte par l’intermédiaire du milieu extérieur souillé (porteur d’éléments fongiques infectants). Plus rarement, une contamination par des animaux domestiques infectés est suspectée.

Comme dans le cas présent, les lésions dues à Trichophyton mentagrophytes var. erinacei n’ont pas tendance à la généralisation chez le chien. La production d’éléments fongiques potentiellement infectants pour les autres animaux ou pour les propriétaires reste sans doute limitée.

2. Difficultés du diagnostic étiologique

La principale difficulté rencontrée lors d’infection par Trichophyton mentagrophytes var. erinacei est la mise en évidence, puis la caractérisation de l’agent pathogène.

La suspicion clinique de dermatophytose est forte dans le cas présent. Cependant, lors de la consultation initiale, aucun examen de routine n’a permis de confirmer cette hypothèse :

- l’examen en lumière de Wood a logiquement été négatif puisque ce dermatophyte n’induit pas de fluorescence ;

- les raclages ont également été négatifs.

Seule la mise en culture a révélé la présence d’un dermatophyte.

L’identification de Trichophyton mentagrophytes var. erinacei est difficile car il semble exister un polymorphisme des souches. La coloration jaune vif de l’envers des colonies fongiques n’est pas toujours très marquée. Après repiquage sur milieu au malt, des structures microscopiques dites “proliférantes” (“propagules”) en périphérie et dans la profondeur de la gélose sont classiquement observées. Dans le cas présent, ces éléments caractéristiques n’ont pas été mis en évidence. En fait, pour confirmer l’identification, il aurait été nécessaire d’observer la forme sexuée du champignon (Arthroderma benhamiae variété “africaine”) ou d’avoir recours à une caractérisation moléculaire.

Un examen histopathologique aurait pu être envisagé si les commémoratifs avaient été moins évocateurs d’une dermatophytose. Une étude récente a montré que, dans quatre cas de dermatophytose canine à Trichophyton mentagrophytes var. erinacei, confirmés par un examen mycologique, les lésions consistent en une acanthose, une hyperkératose épidermique de l’ostium et de l’infundibulum folliculaire, des croûtes sérocellulaires, une folliculite murale et une furonculose [4]. Les filaments fongiques, contrairement aux dermatophytoses dues à Microsporum canis, sont généralement dispersés et difficiles à visualiser. Ils sont localisés au niveau de l’infundibulum et des ostias foliculaires et moins fréquemment au niveau des tiges pilaires. Cependant, si l’examen histopathologique oriente vers une dermatophytose, il n’est d’aucune aide pour un diagnostic mycologique précis.

Le diagnostic différentiel inclut l’infection par Microsporum persicolor.

Conclusion

Les cas de dermatophytose à Trichophyton mentagrophytes var. erinacei sont rarement décrits en France. En revanche, en raison de la forte proportion de hérissons porteurs du dermatophyte et des multiples occasions de contact entre des hérissons et des chiens, l’infection atypique par Trichophyton mentagrophytes var. erinacei est probablement sous-diagnostiquée ou identifiée comme une teigne due aux variétés classiques de T. mentagrophytes.

Le contact avec un hérisson n’est pas toujours rapporté par le propriétaire.

Le faible nombre d’éléments fongiques dans les lésions explique la difficulté d’interprétation des raclages cutanés, mais aussi des images histologiques.

Seule la culture mycologique dans un laboratoire spécialisé permet de confirmer une dermatophytose à Trichophyton mentagrophytes var. erinacei.

Attention

Les lésions dues à Trichophyton mentagrophytes var. erinacei n’ont pas tendance à la généralisation chez le chien. La production d’éléments fongiques potentiellement infectants pour les autres animaux ou pour les propriétaires reste sans doute limitée.

Points forts

Le diagnostic différentiel d’une lésion faciale implique une démarche rigoureuse.

La localisation faciale exclusive semble fréquente lors d’infections par Trichophyton mentagrophytes var. erinacei.

20 à 25 % des hérissons seraient porteurs de Trichophyton mentagrophytes var. erinacei et ce dernier est retrouvé dans les nids où ces animaux hibernent, bien après qu’ils ont cessé de les utiliser.

L’identification de Trichophyton mentagrophytes var. erinacei est difficile car il semble exister un polymorphisme des souches et nécessite le recours à un laboratoire spécialisé.

  • Bourdeau P, Chermette R. Formes rares de dermatomycoses des carnivores (IIIe cas). Point Vet. 1987 ; 19(109) : 619-625.
  • Carman MG, Rush-Munro FM, Carter ME. Dermatophytes isolated from domestic and feral animals. N. Z. Vet. J. 1979 ; 27 : 136-143-144.
  • Chermette R. Identification des dermatophytes appartenant au complexe d’espèce Trichophyton mentagrophytes. Point Vet. 1987 ; 19(109) : 628-630.
  • Fairley RA. The histological lesions of Trichophyton mentagrophytes var. erinacei infection in dogs. Vet. Dermatol. 2001 ; 12 : 119-122.
  • Morris P, English MP. Trichophyton mentagrophytes var. erinacei in British hedgehogs. Sabouraudia. 1969 ; 7 : 122-128.
  • Padhye AA, Ajello L. The taxonomic status of the hedgehog fungus Trichophyton erinacei. Sabouraudia. 1977 ; 15 : 103-114.
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