Un cas particulier d’anesthésie sans surveillance vétérinaire - Le Point Vétérinaire n° 233 du 01/03/2003
Le Point Vétérinaire n° 233 du 01/03/2003

PRÉSOMPTION DE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ

PRATIQUER

LÉGISLATION

Auteur(s) : Alain Grépinet

Fonctions : chargé de cours de droit vétérinaire à l’ENVT, 23, chemin des Capelles, 31 076 Toulouse Cedex

Une propriétaire attaque le vétérinaire qui, à sa demande, a anesthésié sa chatte indocile en vue d’un toilettage. Elle est déboutée par le Conseil régional de l’Ordre.

1. Les faits : Une chatte irritable

Le 17 janvier 2002, vers 14 h 30, Mme R. amène sa chatte persane chez le docteur vétérinaire C., afin de lui faire administrer une anesthésie générale à la demande expresse de son toiletteur. En effet, ladite chatte est réputée particulièrement difficile et d’une “irritabilité extrême”. Sans qu’aucun examen clinique ne soit possible – et pour cause –, le praticien évalue le poids de l’animal et lui injecte un mélange extemporané de 0,3 ml d’acépromazine et de 0,4 ml de kétamine 1 000 par voie sous-cutanée. Puis, Mme R. se rend chez le toiletteur, situé à 700 mètres environ de la clinique. Le toilettage s’effectue sans problème particulier et la chatte est rendue à sa propriétaire vers 16 heures, en phase de réveil, au dire du toiletteur qui constate l’existence « de réflexes oculaires et d’une respiration normale ». Vers 17 h 30, le praticien habituel de Mme R. constate la mort de la chatte. Mme R. dépose alors plainte contre le Dr C. auprès du Conseil régional de l’Ordre et demande « réparation du pretium doloris pour cause de dilettantisme grave atteignant l’éthique de la pratique de la médecine vétérinaire”. Mme R. reproche au Dr C. d’avoir pratiqué l’injection “sans aucun préambule vétérinaire basique » et indique que la chatte est morte « une heure plus tard sans se réveiller à aucun moment ».

2. Le jugement : La propriétaire est déboutée

« Attendu que l’absence de “préambule vétérinaire basique” dénoncée par la plaignante n’apparaît pas en l’occurrence comme constitutif d’une faute déontologique dès lors que, de première part, la pesée de l’animal, l’écoute de son rythme cardiaque et les examens spécifiques qu’elle mentionne n’étaient pas possibles en raison de l’état d’irritabilité extrême de l’animal, état qu’elle admet, de même que le toiletteur qui l’a adressée avec sa chatte à ce vétérinaire, et que, de dernière part, dans le cadre strict de son intervention, le Dr C. n’assurait aucune surveillance postanesthésique, ce qui était admis par la propriétaire de la chatte dès avant l’intervention, puisque l’animal devait être conduit immédiatement après l’injection du calmant chez le toiletteur et se trouvait donc sous la surveillance de son propriétaire ; qu’il convient au surplus d’observer qu’il existe des contradictions sur l’heure et les circonstances de la mort de l’animal », la chambre de discipline « renvoie le Dr C. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ».

3. Pédagogie du jugement : Consentement présumé

Il s’agit là d’une intervention de convenance chez un animal indocile au point que tout examen préalable est techniquement impossible, ce qui a d’ailleurs justifié la demande du toiletteur. En la circonstance, la propriétaire de la chatte est présumée avoir donné tacitement son consentement à l’exécution de cette intervention, et même son “consentement éclairé” en raison du motif qui a conduit Mme R. chez le Dr C. et parce qu’il était implicitement admis que le vétérinaire n’accompagnerait pas la chatte chez le toiletteur pour surveiller son réveil. Mme R. est donc censée avoir donné son accord tacite à ce type de protocole : le magistrat, président de la chambre régionale de discipline, a relevé à juste titre que “l’animal se trouvait sous la surveillance de son propriétaire”.

En outre, on imagine mal que le Dr C. n’ait pas fourni un minimum d’explications à sa cliente, dictées par les circonstances exceptionnelles de l’intervention demandée. Le problème réside ici dans le fait que le praticien n’est pas en mesure de le prouver et que la propriétaire peut donner la version qui lui plaît ! On rejoint donc, sur ce point, l’esprit et la lettre de la jurisprudence qui imposent au praticien de prouver qu’il a bien donné à son client toute l’information nécessaire sur les éventuels accidents ou complications, même si ces derniers sont rares. Cet état de choses réclame des vétérinaires une vigilance constante et devrait les amener à modifier nombre de leurs habitudes.

En outre, dans cette affaire, la propriétaire de la chatte n’était pas dispensée d’apporter la preuve de la faute du Dr C., ce qu’elle n’a pas fait. Que s’est-il passé entre le moment où elle a récupéré son animal chez le toiletteur et le moment où elle a décidé de se rendre chez son vétérinaire habituel ? Aucune autopsie n’a été pratiquée, aucune preuve n’a été apportée, qui permettent d’affirmer que le Dr C. a commis une faute.

Résistant à la tendance “compassionnelle” actuelle(1), la chambre régionale de discipline de l’Ordre a su ne retenir, dans cette affaire, que les faits de l’espèce : force est de constater qu’ils sont bien particuliers et peuvent servir de leçon. La meilleure conduite à adopter ne consisterait-elle pas à refuser de se prêter à ce type d’intervention, où les risques sont infiniment plus grands que les avantages escomptés ?

  • (1) « Il y a actuellement – par imprégnation du modèle américain – une judiciarisation et une pénalisation démesurées de notre société. Il n’y a plus de fatalité. À tout malheur humain doivent répondre une indemnisation et la désignation d’un responsable (coupable si possible) […]. D’où la naissance d’une jurisprudence compassionnelle qui tend à compenser les cruautés du destin par l’allocation de sommes d’argent et à satisfaire la passion – dans tous les sens du mot – des victimes par la mise au pilori de responsables. » (J.-F. Burgelin, procureur général de la Cour de cassation, mars 2002).

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